27 novembre 2013

Yack, nous y voilà!

Photographe : Benoit Courti

On a beau se préparer à l’hiver, on n’est rarement prêt – psychologiquement en ce qui me concerne!

À chaque hiver qui s’ajoute au compte des ans, ma répulsion s’accroît. Mais bon, je n’irai pas le passer en Floride, et à défaut d’aimer ou d’accepter, je vais endurer

Notes de lecture (hiver, neige et froid…)

Quelques belles descriptions extraites du roman initiatique «Quelque chose qui prend les hommes» de Patrice Franceschi; Robert Laffont, 1993 * :

- L’hiver était particulièrement dur cette année-là. Il avait pris possession des montagnes dès novembre et on sentait qu’il ne lâcherait pas avant le milieu du printemps. Peut-être même plus tard encore. Il neigeait à gros flocons depuis des jours et le vent hurlait méchamment dans les cols, soulevant des volutes blanches qui se pourchassaient sur les crêtes. L’air était glacial. On n’y voyait pas à dix mètres.

- Dans la salle du café, des hommes étaient attablés derrière les vitres écornées par le givre. La plupart étaient des bergers vêtus de vestes de laine, le visage anguleux, l’œil noir, qui se réchauffaient de petits verres d’eau-de-vie, serrés épaule contre épaule sur des chaises de paille. Ils parlaient à voix basse comme pour ne pas déranger l’hiver, jetant parfois des regards farouches sur le jour boueux qui cognait contre les fenêtres. Ils portaient des musettes à leur cou et aux pieds de gros brodequins dont les fers raclaient le plancher sous les tables. Autour d’eux régnait une odeur de chèvre et de vin qui se mélangeait au relent des lampes à pétrole.
       Dans le fond de la salle un étranger était assis devant un bol de café. Une grosse canadienne bleue enveloppait ses épaules voûtées, retombait jusque sur ses cuisses. Des gants de cuir dépassaient de l’une de ses poches et semblaient dire bonjour, les doigts écartés. L’homme fixait sans paraître les voir les flammèches qui s’échappaient du couvercle de fonte d’un poêle à bois ronflant devant lui. (…) Entre les bords de fourrure qui faisaient un cercle blanc autour de ses yeux noirs, on devinait à peine son visage. On voyait juste ses mains, larges et belles, qui entouraient le bol comme pour y chercher un supplément de chaleur. (…) Pas une fois on ne l’avait vu lever la tête ou s’intéresser aux hommes qui entraient dans le café d’un pas lourd, battaient leurs souliers contre le chambranle de bois pour ôter la neige (…).

- La porte s’ouvrit et un grand escogriffe se découpa sur le ciel gris, crotté de neige jusqu’aux genoux. Une écharpe de froid se faufila derrière lui en ricanant et s’en alla mordre les jambes des bergers qui frissonnèrent.

- … «Par la Madone, qu’avons-nous fait pour mériter un hiver pareil?
-- C’est qu’il aime nos montagnes, lança un vieux berger en levant son cou maigre pour mieux être entendu. L’hiver est fait pour les montagnes, Antoine. C’est comme ça. Ma pauvre mère disait toujours que c’était une histoire d’amour entre eux et qu’elle durerait jusqu’à la fin des temps. Dans les histoires d’amour il y a des coups de colère, tu le sais bien. L’hiver est en colère après la montagne, voilà tout, ça leur passera. On les verra encore ensemble.»

- Antoine se débarrassait du manteau qui le recouvrait jusqu’à la nuque, le secouait de ses grosses mains épaissies par le travail.

- Antoine était toujours devant la porte. Il avait accroché le manteau à une patère. Il en sortit une vieille pipe, la porta à sa bouche et cria : « Ho! Dominique, une cédratine. Va, fais vite que j’ai déjà le ventre tout glacé. » Et il frotta ses mains l’une contre l’autre pour montrer qu’il ne mentait. Il avait une poitrine puissante, le visage mangé d’une barbe de trois jours qui creusait ses joues d’ombres noires. Il embrassa la salle d’un seul regard pour chercher où s’asseoir et, lorsqu’il aperçut la canadienne bleue au milieu des gilets de velours, des vestes de laine et des manteaux de poils de chèvre, il eut un mouvement de la tête comme s’il comprenait soudain quelque chose. Il se dirigea aussitôt vers l’étranger, et en quatre enjambées de paysan solide fut devant lui.

- Il y eut encore un silence et au milieu du silence le poêle qui crépitait toujours, et la neige qui soupirait contre les vitres.


* Le roman a changé de titre :
L’homme de Verdigi; Éditions Archi Poche, 2008

Un soir de tempête de neige, il y a longtemps, un étranger débarque dans un village corse si perdu qu’aucune carte ne le mentionne. Astronome déchu, il vient d’acheter un pic dressé au-dessus du village pour y construire un observatoire. C’est là qu’au soir de sa vie il va tenter sa dernière chance, afin de mettre un terme à la quête impossible dans laquelle il s’est lancé quarante ans plus tôt. Le choc provoqué par le sens de cette quête déclenche un formidable face à face entre les habitants, qui tourne bientôt à la déchirure tragique. Parabole sur les pays où l’on n’arrive jamais, L’Homme de Verdigi est aussi une métaphore sur l’écoulement inexorable du temps et la précarité des entreprises humaines.

Site de l'auteur:
http://la-boudeuse.org/la-boutique/

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