22 décembre 2019

Que penser de la désobéissance civile?

Jean-François Nadeau a souvent une façon originale et lumineuse d’aborder des questions éthiques complexes. Ses chroniques me font penser aux feux de bois qu’on allumait autrefois sur les côtes pour guider les marins jusqu’au port.

Formé en science politique et en histoire, il a été professeur et éditeur. À titre de chroniqueur, il est lauréat du prix Jules-Fournier du Conseil supérieur de la langue française. En marge de travaux en histoire, il a publié plusieurs livres, dont Le Devoir, un siècle québécois (2010) ainsi que des recueils de chroniques, Un peu de sang avant la guerre (2013) et Les radicaux libres (2016). 
Chroniques récentes : https://www.ledevoir.com/auteur/jean-francois-nadeau

[Les passages en bold sont de mon initiative...] 

L'ordre ambiant
Jean-François Nadeau  
Le Devoir 15 octobre 2019

À la fin de septembre 1850, lorsqu’Henry David Thoreau visite la mystérieuse «Province of Quebec», son trajet en train depuis Boston jusqu’à Montréal lui coûte, aller-retour, sept dollars. Cet automne-là, jusqu’au 4 octobre, il visite le pays à la hâte et consigne ses observations. Le train, en matière de temps et d’argent, le lui permet. Pour vous rendre à Boston aujourd’hui, essayez seulement de prendre le train... Cette ville formidable, à portée de main, semble désormais hors d’atteinte raisonnable par ce moyen. À l’heure pressante de la nécessité de transports collectifs efficaces, le train est devenu, chez nous, une caricature.

Photo : Farrell Grehan / National Geographic / Getty Images

À Walden, à quelques kilomètres au nord de Boston, des milliers de personnes convergent chaque année en voiture pour venir fouler du pied le sanctuaire qu’habita Thoreau. Au bord du lac, sur les hauteurs de la route sinueuse qui le surplombe, on a aménagé pour les accueillir de grands stationnements et, à la gloire du philosophe, un centre d’interprétation sanctifié par toutes les nouvelles onctions officielles de la consommation verte.

Une fois les frais d’entrée payés, vous devez vous armer de patience et cheminer, à la file indienne, par un étroit sentier avant d’arriver à un lieu, signalé par des bornes de pierre, où l’on suppose que Thoreau vécut quelques mois dans une cabane, au milieu d’un bois auquel son ami Emerson, un autre philosophe, lui donnait libre accès. La légende a retenu que Thoreau vivait là seul, loin, en retrait de tout, laissant macérer en lui une morale écologique qu’il finira, quelques années plus tard, par coucher sur papier. Thoreau se trouvait en fait à faible distance du village. Il s’y rendait volontiers chez sa mère, qui s’occupait de son lavage et de son ordinaire. De cet aspect domestique de sa vie, il ne tirera aucune leçon morale nouvelle.

Thoreau est largement crédité pour être l’un de ceux qui ont le mieux réfléchi à l’idée de désobéissance civile. Sur cette question, il est toujours question d’Hannah Arendt et de lui. Les perturbateurs du pont Jacques-Cartier et du centre-ville de Montréal, le groupe mondialisé Extinction Rebellion, se réclament précisément de cette notion de désobéissance civile.

Agir comme tout le monde a quelque chose de rassurant et, tout à la fois, d’inquiétant. Au tout début du film Les temps modernes, un des chefs-d'oeuvre de Chaplin, l’ambiguïté que soulève le respect de l’ordre ambiant est exprimé en deux plans troublants : les moutons qui se suivent, les uns derrière les autres, en direction de l’abattoir; puis des ouvriers qui font de même pour se rendre à leur travail. Nulle théorie sur le refus d’obéir n’est élaborée ici, mais le spectateur ressent immédiatement à la vue de ces images quelque chose d’outrageant, où l’on comprend d’instinct que le conformisme peut être irresponsable. Autrement dit, quand ne rien faire, c’est laisser faire le pire, la responsabilité d’agir est plus importante que celle d’obéir.



Ce refus de se soumettre trouve son expression dans les profondeurs de l’histoire comme principe actif de réformes sociales. Sophocle, par exemple, en donne une préfiguration dans Antigone : un mortel ne peut passer outre à des lois non écrites profondes et inébranlables, rappelle son personnage central, et celles-ci peuvent l’obliger à enfreindre les lois de la cité.

La désobéissance civile fait, paradoxalement, partie de l’expérience d’un État de droit. Elle incarne un principe éthique supérieur qui affirme une volonté de réformer le juridique. Elle rappelle que la loi, qui s’établit d’ordinaire au nom des plus forts, doit rester subordonnée, malgré cela, à un intérêt général supérieur.

La désobéissance civile se trouve ainsi à l’exact opposé de la corruption. On ne veut pas, en désobéissant, échapper à la loi, comme c’est le cas dans une multitude d’affaires de malversations qui éclaboussent, au Québec, des administrations municipales. Au contraire de ces affaires où des individus malintentionnés tentent d’échapper à la loi en s’en jouant, les acteurs d’une désobéissance civile agissent au grand jour, d’ordinaire après avoir fait valoir leurs positions d’une multitude d’autres façons. Ils affirment clairement désobéir, en accusant la loi de ne pas servir convenablement l’idée de la justice qui la fonde. Ainsi n’entendent-ils pas tromper la loi, mais s’en faire remarquer pour contribuer avec assurance à la réformer.

La désobéissance civile peut-elle être invoquée en toutes circonstances? Est-elle invocable par quiconque, quand bon lui semble? Certainement pas. Elle ne conserve son sens que dans le cadre d’une contestation éthique profonde d’un projet politique qui touche le plus grand nombre.

Est-il possible de changer le monde en bloquant des ponts? On peut se poser la question. Les manifestants du pont Jacques-Cartier constituent en tout cas l’expression forte d’un temps de désenchantement engendré par des gouvernants dont l’irresponsabilité écologique semble sans borne.

La dépendance aux déclarations douteuses en matière d’environnement apparaît désormais la norme. À écouter, par exemple, les déclarations du gouvernement de François Legault, tout ou presque est bon pour l’environnement. Cela donne, au cours des derniers jours seulement, l’affirmation loufoque que la construction d’un pont-tunnel à Québec «est bonne pour l’environnement», même si aucune étude ne saurait le confirmer. C’est entendre par ailleurs le sublime successeur de MarieChantal Chassé au poste de ministre de l’Environnement affirmer qu’il faut accélérer les coupes dans les forêts au nom de l’écologie, sous prétexte que les vieilles forêts – comme si elles étaient si nombreuses chez nous – libèrent des gaz à effet de serre. C’est entendre, en prime, le premier ministre avancer, contre toutes les études sérieuses sur ces questions, qu’Uber «est bon pour l’environnement». Et quoi encore?

À entendre ces gens-là, je vous le dis, tout est bon pour l’environnement. Sauf les écologistes.


Commentaire 

Je suis allergique au discours urticant des analphabètes environnementaux de la Coalition avenir Québec, notamment du ministre de l’Environnement, Benoit Charrette, du ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, et du ministre des Finances, Éric Girard. Seconde après seconde, illusion après illusion, mensonge après mensonge, l’on voit une enfilade de mises en scène pour dissimuler les carences et les bourdes du cabinet, et blanchir la réputation de ministres incompétents. On nage dans l’ignorance crasse, dans la négation des changements climatiques pour ne pas nuire au patronat et à la croissance économique.
   Pourquoi héritons-nous de tels dirigeants? «L’une des raisons est la manière dont les multinationales squattent depuis des décennies le système éducatif canadien. Les universités forment les cerveaux dont l’économie capitaliste a besoin. Comment espérer voir surgir des dirigeants pleins de sagesse dans un pays où les écoles enseignent ce que le pouvoir politique leur enjoint d’enseigner?» (Nancy Huston; BRUT, Lux Éditeur, 2015)

Idée-cadeau : un jeu où l’on fait autre chose que se taper sur la gueule et s’entretuer. Même si c'est en anglais américain (contrairement à la description en british dans la vidéo ci-après), je suis persuadée qu'il y a des jeunes assez futés et expérimentés pour jouer quand même...

Walden: a Game, une expérience documentaire à la première personne
Une retraite spirituelle interactive sur les traces du philosophe du 19e siècle Henry David Thoreau.
   Développé par Tracy Fullerton, directrice du Game Innovation Lab de la School of Cinematic Arts de l’université USC, Walden: A Game est une simulation de l’expérience de survie menée par le philosophe nord-américain Henry David Thoreau à Walden Pond, Massachussetts, en 1845 (qu’il documenta dans Walden, or Life in the Woods, un classique de la littérature nord-américaine).
   Walden est un jeu de survie naturaliste. Immergé dans les bois autour de l’étang de Walden, le joueur a pour mission de s’adonner à un certain nombre d’activités nécessaires à sa survie : construire une cabane, trouver de quoi se nourrir, se chauffer et consolider son abri, sur une période couvrant huit saisons. Au-delà de la simple survie, le joueur est également invité à trouver un sens à sa quête, en prenant le temps de se confronter à la solitude et l’isolement pour méditer sur son rapport à la nature. (Source : imm3rsive)  

Walden, a game — A Philosophical Tale of Exploration & Survival

16 décembre 2019

Êtes-vous une «personne raisonnable»?

«Être raisonnable en toutes circonstances? Il faudrait être fou...» 
~ Raymond Devos

Entrevue avec Claude Lelouch, émission Bien entendu, ICI Radio-Canada Première, 16/12/2019 (extrait) :  
– Claude Lelouch : J’aime pas les gens qui marchent dans les clous. Les gens qui traversent dans les clous ne m’intéressent pas. Ceux qui m’intéressent c’est ceux qui traversent là où ils ont envie de traverser.
– Stéphan Bureau : Mais vous devez être terriblement malheureux aujourd’hui, on vit à une époque de rectitude politique qui a même rétréci l’espace entre les clous, et gare à ceux qui s’aventurent en dehors de ceux-ci.
– Claude Lelouch : Oui, ben moi, j’ai toujours marché en dehors des clous parce que si j’avais pas marché en dehors des clous, j’aurais pas pu faire 50 films. Voyez, entre les règlements et leurs applications, il y a un océan, y’a un océan et donc il faut savoir nager.

Mais qu’est-ce qu’une personne raisonnable? Anne-Marie Voisard répondait à la question au «Micro ouvert» de Plus on est de fous, plus on lit!, le 13 décembre 2019.   
   Professeure au Département de sciences humaines du Cégep de Saint-Laurent et détentrice d'une maîtrise sur la répression judiciaire de la liberté d'expression, Anne-Marie Voisard a reçu le 29 octobre dernier le Prix du Gouverneur général du Canada de 2019, dans la catégorie des essais, pour Le droit du plus fort, son premier livre. Anne-Marie Voisard a été responsable des affaires juridiques d'Écosociété de 2008 à 2013, pendant l'affaire Noir Canada (1). Elle poursuit ses travaux dans le champ de la théorie critique du droit ainsi que sur la censure dans le monde du livre.
   Ce texte provient d’une série donnant carte blanche aux lauréates des Prix littéraires du Gouverneur général de 2019 (Conseil des arts du Canada). Les textes sont tous inédits et ont été créés pour Radio-Canada.

   LA PERSONNE RAISONNABLE

   Homo rationabile ou la raison dévoyée
   «RAISONNABLE». Le mot tombe comme un couperet.
   C’est l’injonction paradoxale des temps présents : soyez tout ce qu’il vous plaira, pourvu que vous soyez rai-son-na-bles.
   Sous nos latitudes juridiques, la norme acquiert force de loi.
   C’est ce qu’on appelle la «personne raisonnable».
   Fiction d’entre les fictions, la «personne raisonnable» est ce critère de référence à l’aune duquel on est en droit de vous juger, tandis que l’on vous met en demeure de coïncider avec elle.
   Certains s’y sont frottés.
   Mais de quoi la personne raisonnable est-elle le nom?
   Dans un effort de conceptualisation qu’il faut saluer, la Cour d’appel a estimé que la personne raisonnable était – je cite – «moyennement intelligente, moyennement sceptique et moyennement curieuse». Proposition qui, outre le fait qu’elle en dise long sur la psyché canadienne, suppose corollairement de bien vouloir concéder que la personne raisonnable soit en fait moyennement niaise, moyennement crédule et moyennement blasée.
   Ainsi, la personne raisonnable, c’est monsieur madame Tout-le-Monde; monsieur, surtout. C’est le citoyen ordinaire. Le consommateur moyen. L’honnête contribuable. Le bon père de famille. Le justiciable lambda. Le «vrai monde».
   Cette «majorité silencieuse» qui «travaille et n’a pas le temps de manifester» (Martin Coiteux, 2015). Celle-là même qui «croit au mérite et à l’effort» et «dont on ne parle jamais, parce qu’elle ne se plaint pas, parce qu’elle ne brûle pas de voitures» et «parce qu’elle ne bloque pas les trains» (Nicolas Sarkozy, 2006).

Caricature : André-Philippe Côté / Le Soleil 14/12/2019 (Gratteux : billet de loterie)

Homo œconomicus
   La personne raisonnable trouve en elle-même les supports de son autonomie. Elle s’autoréalise, s’autogère, s’autoévalue, s’auto-mate.
   Fervente entrepreneure d’elle-même, en toute chose, elle s’investit.
   Imaginaire taylorisé, corps à flux tendu, affects rentables et éthique souple.
   Le capital humain embringué dans la course folle de la valorisation marchande.
   Stable émotionnellement, résistante au stress, tolérante à l’ambiguïté, op-ti-mis-te. La personne raisonnable thinks big, keeps cool, lives straight and sleeps tight. Flexible, maniable, adaptable. Elle est l’élastique qu’on peut étirer indéfiniment sans qu’il nous pète au visage, pète les plombs ou pète au frette.

   Homo juridicus
   Éprise des apparences plus que de vérité, soucieuse de réputation plus que de mérite, la personne raisonnable n’a que le calcul égoïste pour toute vertu et la poursuite de ses intérêts pour seule loi.
   Ainsi jouit-elle à ciel ouvert et à bon droit de son bien comme de ses droits.
   Le droit, entre autres, de rejeter dans les bas-fonds de la déraison autant de façons de penser qui portent en elles la promesse d’autres façons de vivre.

   Homo numericus
   Le secret est la prérogative des maîtres du monde (et l’on sait quelles représailles guettent celles et ceux qui osent lever le voile sur leurs dissimulations et leurs faux-semblants).
   Mais au commun des mortels, l’impératif de transparence est vendu tel un rêve.
   Ainsi, la personne raisonnable tweet, google, snap et post des selfies. Sous la surveillance panoptique d’un complexe industriel sécuritaire de masse, elle s’exhibe passionnément.
   Et qu’aurait-elle à craindre, au juste? La personne raisonnable n’a rien à cacher. L’intégralité de son activité cérébrale consciente et inconsciente se déploie dans l’horizon étroit du licite, du pensable et du dicible, par-delà lequel toute parole contraire est mise au ban, toute pensée dissensuelle, confinée hors-champ, toute insurrection sensible, violemment réprimée.

   Homo loquens
   Les temps présents requièrent de la personne raisonnable qu’elle «soit parlée» plutôt qu’elle parle.
   D’entre les mots qu’elle a faits siens, à force qu’on les lui eût répétés, il n’en est plus un qui ne travaille contre l’idée qu’il est censé exprimer.
   On ne sait quel tabou lui interdit de percevoir qu’une langue lisse et anesthésiante enrobe chaque jour les propositions les plus abjectes.
   Il faut dire qu’elle-même sait donner du style à ce qui n’a aucune allure.

   Homo politicus
   La personne raisonnable ne se laisse pas distraire par les «bruits» de «la rue» (Jean Charest, 2012). Ce qui doit inéluctablement advenir, elle l’a compris, «ne se fera ni à droite, ni à gauche», mais se fera «point à la ligne» (Pierre-Karl Péladeau, 2015). «Ni pour, ni contre, bien au contraire» (Sam Hamad, 2015), elle s’en remet tout entier au règne du «gros bon sens» (François Legault, 2019).
   En parfaite concordance avec son temps, la personne raisonnable adhère sans en éprouver le moindre vertige aux prétentions de l’époque, coïncide point à point avec le réel, se fait l’incarnation d’un présent si plein de lui-même qu’il ne saurait être contesté.
   Tout se passe comme si la personne raisonnable ne sentait rien périr. Nulle extension du désert ou dévastation du vivant pour lui nouer le ventre. Nulle avancée de l’inhumain, dans un climat de psychose froide, pour lui arracher un cri.
   Délestée de ses passions anciennes, confortablement repliée dans la cage d’acier du réel, la personne raisonnable a renoncé à toute contemplation de possibles non advenus et d’aspirations défaites. Et tandis que sonne le glas de l’histoire, elle jouit de la satisfaction gratifiante d’incarner la dernière des utopies.

Audiofil :
Carte blanche :

 
Le droit du plus fort
Nos dommages, leurs intérêts
Anne-Marie Voisard | Collection Hors série | 344 pages
Éditions Écosociété 2018

Cet essai est né d’une expérience vécue. Il ne prend pas pour autant la forme d’un témoignage. Il ne s’agit pas non plus de rouvrir, par les voies détournées de l’écriture, deux procès que des règlements hors cour auraient laissé inachevés. Si l’affaire Noir Canada mérite d’être soumise à l’analyse, c’est en tant qu’elle est symptomatique de la violence sociale qui s’exerce par le dispositif judiciaire et qu’elle nous donne à voir, sous une forme paradigmatique, le rôle stratégique joué par le droit dans la cartographie contemporaine des rapports de pouvoir et de domination. Elle fonde ici la genèse d’une réflexion sur les perversions et les torsions d’un droit organisant la suspension de la justice au service des fins les moins irréprochables, d’un droit de la sortie du droit, d’un droit du plus fort.

   «Dans cet ouvrage, Anne-Marie Voisard nous plonge dans une ambitieuse déconstruction du droit, de ses procédures et de ses appareils. Elle rappelle que si la violence et le pouvoir sont des choses qui se révèlent dans l’expérience, dans le vécu, elles n’échappent pas à l’analyse critique rigoureuse. Ce livre est tout à la fois une synthèse, un récit et un puissant essai sur la pratique contemporaine du droit.» ~ Normand Landry, professeur en communications à la TÉLUQ
   «Pour que le droit ne se sclérose pas, il doit toujours progresser. Il faut alors sans cesse mesurer l’écart qui le sépare de la justice. Cet important ouvrage d’Anne-Marie Voisard arrive à point nommé. Il offre le plus bel exemple d’une réflexion sur la justice pouvant aider à faire progresser le droit.» ~ Michel Seymour, professeur de philosophie à l’Université de Montréal

*Gagnant du Prix littéraire du Gouverneur général 2019, catégorie Essais :

«Ouvrage courageux, brillamment argumenté, appuyé par une diversité de sources, livré dans une langue solide et pleine de nuances. Réflexion profonde sur un sujet d’actualité qui traite de perversions et de torsions du droit, des rapports de pouvoir et de domination dans la sphère judiciaire. Un récit émotif, lucide, un livre admirable et engagé qui résonne comme un cri d’alarme.» – Comité d’évaluation par les pairs du Prix du GG 2019, catégorie Essais (Louis Hamelin, Rachida M’Faddel, Paul Savoie)

*Finaliste au Prix des Libraires du Québec 2019, Revue de presse (suite) :  

   – 8 novembre 2019, Le Devoir, critique d'Aurélie Lanctôt :
 «Le droit du plus fort se situe quelque part entre le récit et la théorie critique du droit; le geste littéraire, remarque Voisard d’entrée de jeu, est ici indissociable de l’analyse théorique. En prenant de front le discours judiciaire, elle tente de (ré)introduire l’expérience sensible dans le droit, et de faire entendre des voix rendues inaudibles par l’acharnement procédural et le formalisme juridique. Une grande réussite, c’est le moins qu’on puisse dire.»
   – 5 novembre 2019, Le Devoir, chronique de Pierre Trudel :
«Un ouvrage qui passionnera ceux qui s’interrogent sur les limites du droit et du système judiciaire dans la société contemporaine.»
   – 18 octobre 2019, L'actualité, entrevue et extrait
10 ans de Noir Canada – En 2008, Écosociété faisait paraître Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique, d’Alain Deneault, William Sacher et Delphine Abadie, ce qui valut à la maison d’édition et aux auteur.e.s deux poursuites judiciaires de compagnies minières totalisant 11 millions de dollars. Dix ans plus tard, nous avons voulu reprendre la parole sur les enjeux démocratiques que cette affaire a soulevés en publiant deux livres, deux regards croisés sur le droit et la liberté d’expression dans l’édition.

Également paru : Procès verbal, de Valérie Lefebvre-Faucher.

Ce jour-là, sous le soleil de Toronto, le fils de Pierre Elliott Trudeau déclare : «Il nous faut  repousser les frontières du Canada jusqu'à ce qu'elles recoupent celles du monde.» Des applaudissements fusent éperdument. Cette affirmation aussi niaise que grave, qui passerait en maintes régions du monde comme l'appel à un renouveau colonialiste, portée là par la sémantique canadienne, se veut au contraire une profession de foi magnanime. Nous serions intrinsèquement bons et capables uniquement du bien. C'est à cette mystification que nous nous attaquons ici. Les effets du Canada, le monde y goûte déjà amplement : ingérence politique et contrats léonins dans la fragile République démocratique du Congo, partenariats avec les seigneurs de guerre, vendeurs d'armes et mercenaires de la région à feu et à sang des Grands Lacs, collusions mafieuses dans l'Ouganda voisin, accentuation des tensions armées autour du pétrole d'Ituri, mineurs enterrés vifs en Tanzanie, corruption au Lesotho, empoisonnement  massif et «génocide  involontaire» au Mali, expropriations brutales au Ghana, transformation des Ivoiriens en cobayes pharmaceutiques, barrages hydroélectriques dévastateurs au Sénégal, privatisation sauvage du transport ferroviaire en Afrique de l'Ouest... (Noir  Canada,  p. 7-8)

10 décembre 2019

«Le mot peut lui aussi être un bâillon.» ~ Stach

«À force de réfléchir on s'abîme dans le piège des vitres. À force de penser vivre ou de se penser vécu, on ne termine pas ses phrases. La perte de la parole est l'implacable rançon de l'entrée en langue. La bulle crève et le souffleur se creuse. Turbulences derrière le bâillon. L'orgueil et le vide s'enlacent, bouillonnent de concert.» (Nourrir querelle, Éd. Obsidiane)

Traite d'enfants (photographe inconnu) 

«C'est seulement dans le regard que nous posons sur le monde qu'est la lumière. Ce n'est peut-être pas de là qu'elle procède physiquement, mais c'est bien là qu'elle tremble ou non. [...] Si le regard est vif, tout peut être lumière.» (Pour personne, Éd. L’Atelier contemporain)

«Tant mieux si je suis perdu. Rien ne sert de s'y retrouver. Comme rien ne sert d'arriver. Ça dessert au contraire. Une fois arrivé on a l'air de quoi. [...] Non, rien ne sert d'arriver. Ni même de partir à point. [...] Non que l'inutile soit beau comme on l'a dit en d'esthètes époques. Mais il est lumineux – autant dire presque vrai. Alors inutilement, mais par l'exercice d'une volonté qui est elle-même le produit d'une joie de l'inutile, aller. Rien ne sert au récit, rien ne sert à la vie d'arriver.» (Pour personne)

~ Cédric Demangeot

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XII
Tu n’as pas aujourd’hui de pouvoir sur demain;
L’anxiété du lendemain est inutile.
Si ton cœur n’est pas insensé, ne te soucie
même pas du présent;
Sais-tu ce que vaudront les jours qu’il te reste à vivre?

~ Omar Khâyyam, poète persan 1048-1131 (Quatrains, Éd. Mille et une nuits)  

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Il voudrait être
la page nue,
la marge blanche,
l'espace entre les lettres,
le repos du lecteur.
Il voudrait être
des millions de lettres qui se pressent,
des phrases rythmées,
des tourbillons d'histoires enchevêtrés,
le rêve du lecteur.  

~ Rolande Causse (Mots perdus mots retrouvés, Actes Sud Junior)

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Lumière
qui déverrouille les portes du non-dit
qui se lave dans l'eau des fontaines
où vient boire la mémoire
qui grimpe l'échelle du temps
dont elle cueille les fruits
Lumière
invitant les merles
sur l'arbre de la haute vie
maquillant ses nids
pour le passage du possible
[...]
Elle accroche des soleils
aux cimaises du hasard

(Démesurément la lumière, Éd. L'arbre à paroles)  

Changer le monde, j’y passe un de ces temps.
Fermer les centrales, donner plus d’ailes au vent,
parler à une étoile, qu’elle reste au levant,
protester dans la rue, rire partout ailleurs,
changer le monde avant
que se comptent les heures, que je devienne grand.
En fait, ça m’arrangerait
que vous changiez le monde avec moi.

(D’îles en ailes, Éd. Couleur livres)

~ Anne-Marielle Wilwerth

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Mots cueillis sur :

8 décembre 2019

Il adorait les chats

À quand un vrai registre des armes à feu au Canada?! Ça paraît invraisemblable parce que ce qui nous sépare des États-Unis n’est rien d’autre qu’une passoire à gros trous. Il y a longtemps que les lobbies des armes à feu américains ont colonisé le Canada. Stephen Harper fut un généreux supporteur de la NRA en bannissant le registre.

À quoi servent les armes à feu sinon à blesser et tuer – des animaux et des humains? À des championnats de tir sur des boîtes de conserve? Sans blague...

Lennon et Ono revenaient du studio Record Plant, le 8 décembre 1980 vers 22h50, lorsque Chapman a sorti un revolver et tiré cinq balles sur le musicien. Il a utilisé un revolver calibre 38 Special Charter Arms et des balles dum-dum – des munitions conçues pour se dilater lorsqu'elles touchent la peau et déchirer davantage de tissus en traversant la cible; ainsi, les organes atteints avaient été pratiquement détruits lors de l'impact. Je ne vois pas comment les chirurgiens auraient pu le sauver.

Donc, à 23h15, les urgentistes du St. Luke’s Roosevelt Hospital Center annonçaient la mort de Lennon à Yoko Ono.

Une prémonition? 
Au studio, le couple avaient travaillé sur un single d’Ono intitulé “Walking on Thin Ice”.

Marchant sur de la glace fine  
Je paie le prix  
Pour avoir lancé les dés en l'air
Pourquoi devons-nous l'apprendre à nos dépens
Et jouer le jeu de la vie avec notre cœur? ...
Je pleurerai peut-être un jour
Mais les larmes sècheront d'une manière ou d'une autre
Et quand nos cœurs deviendront poussière  
Ce ne sera qu'une histoire
Ce ne sera qu'une histoire
Ce ne sera qu'une histoire.


La nouvelle de son assassinat avait suscité une réaction de la même magnitude que celui de John F. Kennedy. On avait aussi évoqué un complot. En 1971, la chanson de Lennon «Give Peace a Chance», et sa présence en territoire américain pour une tournée de concerts devant des jeunes qui manifestaient contre la guerre du Vietnam, avait déclenché la paranoïa chez Nixon. De sorte que le musicien fut surveillé en permanence par le FBI, sous prétexte qu’il était un potentiel ennemi de l’État; le service de l’immigration et de la naturalisation tenta de l’expulser. On connait la suite de l’histoire. C’est sans doute pourquoi plusieurs ont supposé que Chapman avait été un instrument du pouvoir et qu’on avait brodé une histoire abracadabrante autour de ses motivations. On ne saura jamais la vérité.

Parmi les chats de Lennon


John Lennon adorait les chats, et même s'il a possédé quelques chiens (Sally et Bernard) au fil des ans, il était plus connu pour sa complicité avec ses amis félins. Il en a adopté plusieurs.

1 : ELVIS

La mère bien-aimée de Lennon, Julia, avait baptisé un chat Elvis (en hommage à Presley), dont Julia et John étaient tous deux fous. Les Lennon ont réalisé plus tard qu'ils avaient mal nommé Elvis quand «il» a donné naissance à une portée de chatons dans le placard. Mais ils n'ont pas changé son nom à cause de cette petite erreur.

2 et 3 : TICH et SAM

Il a eu deux autres chats quand il était enfant à Liverpool : Tich et Sam. Tich est décédé alors que Lennon était parti à l'école d'art (qu'il a fréquenté de 1957 à 1960), et Sam a été nommé d'après le célèbre diariste britannique Samuel Pepys.

4 : TIM

Un jour, John Lennon a trouvé un chat errant dans la neige, que sa tante Mimi lui a permis de garder. (La tante de John l'a élevé jusqu'à la fin de son adolescence, et il l'a affectueusement surnommée la «femme aux chats»). Il a nommé le chat demi-persan couleur marmelade Tim.
   Tim est resté le favori de John. Chaque jour, il sautait sur son vélo Raleigh et se rendait chez M. Smith, le poissonnier local, où il achetait quelques morceaux de poisson pour Tim et ses autres chats. Même après que John soit devenu célèbre en tant que Beatle, il appelait souvent pour savoir comment Tim allait. Tim a vécu heureux et assez longtemps pour célébrer son 20e anniversaire.

5 et 6 : MIMI et BABAGHI

John et sa première femme, Cynthia, avaient un chat nommé Mimi en hommage à sa tante Mimi. Ils ont vite trouvé un autre chat, un tigré surnommé Babaghi. John et Cynthia ont continué d’adopter des chats, jusqu’à en posséder une dizaine.

7 : JESUS

Le groupe des Beatles existait, lorsque John a baptisé un de ses chats Jesus. Le nom était très probablement une réponse sarcastique à sa déclaration controversée «les Beatles sont plus célèbres que Jésus (ou le Christ)» de 1966. Mais il n'était pas le seul membre du groupe à avoir appelé un chat Jesus : Paul McCartney a eu un jour un trio de chatons qu’il a baptisés Jesus, Mary, Joseph.

8 et 9 : MAJOR et MINOR

Au milieu des années 1970, John a eu une liaison avec sa secrétaire, May Pang. Un jour, la réceptionniste du studio a apporté une boîte de chatons dans le studio d'enregistrement où se trouvaient John et May. «Non, dit immédiatement John à May, on ne peut pas, on voyage trop.» Mais elle a pris un des chatons et l'a mis sur son épaule. Puis John a commencé à caresser le chaton et a décidé de le garder. À la fin de la journée, le seul autre chaton qui restait était un petit chaton blanc qui était si bruyant que personne d'autre n'en voulait. Ils l'ont donc adopté aussi et ont nommé le couple Major et Minor.

10 et 11 : SALT et PEPPER

John possédait une paire de chats noirs et blancs avec sa femme Yoko Ono. Comme il convient au sens de l'humour décalé de John, on rapporte qu'il a baptisé le chat blanc Pepper et le chat noir Salt.

12 et 13 : GERTRUDE et ALICE

John et Yoko avaient aussi deux chats bleus russes, Gertrude et Alice, qui ont chacun connu une fin tragique. Après une série de maladies, Gertrude a été diagnostiquée avec un virus qui pourrait devenir dangereux pour leur jeune fils, Sean. John a dit plus tard qu'il tenait Gertrude dans ses bras et qu'il pleurait quand elle a été euthanasiée.
   Plus tard, Alice a sauté d'une fenêtre ouverte de l'appartement du septième étage (six mètres de hauteur sous plafond par étage...) du Dakota Building; elle est morte à la suite de sa chute. Sean était présent au moment de l'accident, et se souvenait que c’était la seule fois où il avait vu son père pleurer.

14, 15 et 16 : MISHA, SASHA et CHARO

Plus tard, John possédait aussi trois chats qu'il appelait Misha, Sasha et Charo. Artiste dans l'âme, John aimait dessiner ses nombreux chats, et il a utilisé certaines de ces images pour illustrer ses livres.

Cet article a été publié à l'origine en 2012.

5 décembre 2019

Souvenons-nous du 6 décembre 1989, c’est essentiel

Ce que nous faisons à la nature et aux animaux, nous le faisons à nos semblables.

Comme disait mon bien-aimé Mark Twain (antiracisme, féministe, et militant pour les animaux avant l’heure) : «Les humains commettent des atrocités que les animaux ne font même pas, l’espèce humaine étant la plus haineuse qui ait jamais existé sur terre. Au cours de mes expériences, j’ai acquis la conviction que de tous les animaux, l’homme est le seul qui a recours aux insultes et aux injures, les rumine, attend qu’une occasion se présente, et se venge. L’indécence, la vulgarité et l’obscénité sont strictement spécifiques à l’homme; il les a inventées.» (Extrait de Letters from the Earth, Damned Human Race, 1909)

Photo : Mark Twain et John T. Lewis

Si Mark Twain vivait aujourd’hui, on peut imaginer sa consternation en voyant se métastaser les tendances sociales et politiques malignes dont il avait observé les développements initiaux. Que de cibles il trouverait : les hypocrites et menteurs richissimes de la Maison-Blanche et du Congrès, les avaricieux compulsifs de l'aristocratie corporative, les éditeurs patriotiques justifiant la réémergence du colonialisme et du racisme, les prédicateurs évangéliques millionnaires, les journalistes de Fox News et leur propagande mensongère, les experts corrompus de la «croissance économique», et tous les autres détrousseurs de la population «tous mûrs – dans les mots de Twain – pour un enclos chauffé en enfer». 

Caricature : Jonathan Schmock (satiriste politique américain)

Le lien suivant inclut la satire de Mark Twain sur la nature humaine où il fait la démonstration que les animaux sont supérieurs aux humains. On peut en rire, mais son côté «téléréalité» laisse pantois :

Depuis 30 ans, on a cherché à comprendre, expliquer, rationnaliser et psychanalyser de toutes les façons possibles la tuerie perpétrée par Marc Lépine. En réalité, l’unique motif de ce crime était la haine. Le gène de Caïn ne disparaîtra qu’avec l’extinction de l’espèce humaine. Lépine aurait pu assouvir sa rage contre n’importe quel groupe – les musulmans, les homosexuels, les anglophones, etc. – les choix ne manquent pas. Mais il a choisi les femmes, en particulier les féministes (1).
   La domination masculine sur les femmes s'est imposée dans toutes les grandes traditions historiques. Quand on étudie la misogynie qui suinte dans les textes religieux, on constate que pendant les millénaires qui nous ont menés jusqu’au 21e siècle, tous les prétextes furent bons pour soumettre la femme à la volonté de l’homme. La «culture du viol» est en lien direct avec les cultures religieuses, superstitieuses et politiques transmises de génération en génération. Monothéismes comme polythéismes n’ont jamais accepté que les femmes occupent un rang égal aux mâles dans leurs sociétés. Les accuser sournoisement des perversions masculines fut le meilleur rempart contre l’aspiration à leurs droits légitimes.
   Nos démocraties ont encore du chemin à faire car à l’heure actuelle, on remarque une propagande masculiniste haineuse qui se répand comme la gangrène. Nous ne pouvons pas sous-estimer leur influence néfaste. Diable, de quoi ont-ils peur? Au Canada des politiciennes de toutes tendances sont de plus en plus victimes de menaces, d’attaques personnelles et de commentaires misogynes sur les plateformes en ligne, en particulier Twitter. Plusieurs en reçoivent aussi par la poste ou se font même apostropher en public, comme l’a été Mme McKenna à la sortie d’un cinéma en compagnie de ses enfants. La police a même cru nécessaire de renforcer pendant un temps la sécurité autour d’elle. En Grande-Bretagne, plus d’une quinzaine de députées ont décidé de ne pas se représenter aux élections du 12 décembre prochain. Plusieurs ont invoqué l’anxiété que leur causent les menaces et la violence en ligne : insultes, harcèlement, commentaires sexistes, voire menaces de mort. La politique reste un milieu essentiellement dominé par les hommes. Certes, les femmes sont davantage présentes dans les parlements, assemblées élues, organes gouvernementaux et partis politiques, mais tandis qu’elles avancent et défient les normes de genre qui les ont historiquement exclues de la politique, elles sont confrontées à des actes d'hostilité et de violence au sein même de ces institutions.

«La société est toujours plus dure envers les femmes que les hommes – encore plus celles racisées. Il n’y a pas d’exception sur Internet, quelle que soit la plateforme», déclare Mélanie Millette, de l’Institut de recherches et d’études féministes à l’UQAM et professeure au Département de communication sociale et publique. «Les critiques visant les femmes sont plus violentes, s’attaquant à leur personnalité et leur physique. Une politicienne qui fait une annonce se fera traiter sur les médias sociaux de grosse, de moche, de stupide ou d’hystérique. Un homme qui fait la même annonce se fera juger sur les mots utilisés ou sur le sujet de son annonce. C’est inquiétant parce que ces femmes ont un rôle important pour la démocratie, soit parce qu’elles représentent le peuple ou bien parce qu’elles sont les chiens de garde de la démocratie.» (Le Devoir, 18 décembre 2018)

C’est pourquoi, il importe d’en parler et de dénoncer sans relâche, car rien n’est jamais acquis – l’histoire ne se répète pas, elle continue...

Photo : Bernard Brault / Archives La Presse

Commémoration du 6 décembre 2019 : Faisceaux lumineux sur le Mont-Royal par le Comité Mémoire et Polytechnique Montréal

Le 6 décembre 2019 | Belvédère Kondiaronk, Parc du Mont-Royal, à Montréal
À 17 h 10, heure où les premiers coups de feu ont été tirés, 14 faisceaux illumineront le ciel au-dessus du Mont-Royal (création de Moment Factory). Les faisceaux seront allumés un à la fois, à quelques secondes d’intervalle, à l’appel du nom des 14 victimes.
   Après une minute de silence, un chœur composé de 150 personnes interprétera deux pièces de musique pour clore la cérémonie.
   Pour ce 30e anniversaire, 14 universités d’ingénierie de Vancouver à Halifax allumeront également chacune un faisceau pour cet hommage.

Très touchant ce documentaire. De la tristesse, oui, mais aucune amertume.

Polytechnique : un documentaire pour passer du déni collectif à la réconciliation

Angie Landry
ICI Radio-Canada. 3 décembre 2019

Il y a 30 ans, 14 jeunes femmes tombaient sous les balles de Marc Lépine. Le 6 décembre 1989, ce sont aussi des batailles gagnées et l’idée d’une paix sociale qui ont basculé. S’il a fallu près d’un quart de siècle pour parler haut et fort de l’événement comme d’un féminicide, c’est qu’il fallait collectivement sortir du déni, dit la documentariste Judith Plamondon, qui présente Polytechnique : ce qu'il reste du 6 décembre.
   «On dit que la tuerie de Polytechnique, c’est comme le 11 septembre 2001. Chacune se souvient où elle était au moment du cataclysme», raconte la comédienne Karine Vanasse, qui assure la narration de ce documentaire dirigé par Judith Plamondon.
    Ce sont des images de gens patinant candidement sur une glace extérieure qui ouvrent le film de la réalisatrice de 31 ans. Un peu comme si on voulait montrer le paisible «avant» pour être capable de parler de l’indicible «après».
   Polytechnique – le drame, pas le film sorti en 2009 –, Judith Plamondon n'en avait entendu parler que partiellement, au fil des années ou des commémorations seulement. En fait, lors des événements du 6 décembre 1989, elle avait tout juste 1 an. «Je savais que 14 femmes étaient mortes cette journée-là et que le tueur était Marc Lépine, mais je n’en savais pas plus.»
   C’est un désir de comprendre davantage les tenants et les aboutissants de l'attentat qui l’a poussée, pour ce film, à rassembler différentes personnes touchées par l’événement : des survivantes, des étudiants témoins, un professeur, un policier et des journalistes.
   Francine Pelletier et Monique Simard, toutes deux visées par l’auteur de la tuerie dans sa lettre de suicide, ont d’ailleurs accepté de témoigner.

Parce qu’elles étaient des femmes

Judith Plamondon l’avoue d’emblée : pour ce documentaire, elle voulait éviter de tomber dans le venin d’un débat d’idées autour de la question féministe ou de rendre trop larmoyants les témoignages bouleversants des intervenants. Mais elle soutient fermement l’importance – voire la nécessité – qu'elle ressentait de revenir sur cette lente prise de conscience par rapport à la dénomination des crimes perpétrés par Marc Lépine.
   Entre autres, Monique Simard, vice-présidente de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) en 1989, appuie cette notion pendant le film. «L’interprétation publique du geste m’a heurtée personnellement, parce que dans les médias, [dans] les voix officielles de la société, on ne voulait pas dire que c’était contre les femmes.»
   Catherine Bergeron, la sœur de Geneviève Bergeron (morte à 21 ans dans cette tragédie antiféministe), va dans le même sens. Elle croit qu’il faut continuer à parler de ce qui s’est passé – même après 30 ans, et peu importe la douleur – pour nommer les choses comme il se doit.
   «Ma sœur est décédée parce que c’était une femme, alors qu’on s’était toujours fait dire que tout était possible.» Catherine Bergeron
   «Je voulais parler de ce déni, mais sans le juger», ajoute la réalisatrice Judith Plamondon. Elle le fait en donnant la parole aux personnes de tous azimuts, mais intimement liées par la tragédie, pour passer du désaveu collectif à la résilience d’un peuple. «Je ne soupçonnais pas à quel point ça avait été un événement douloureux pour la société en général», avoue-t-elle.
   C’est donc dans un esprit de réconciliation qu’a été construit Polytechnique : ce qu'il reste du 6 décembre. À la fois en revoyant les interprétations de la tragédie et en tendant la main à des témoins de la tuerie, comme Stéphane Chayer ou Jean-Pierre Lalonde. Tous deux étudiants à l'École polytechnique en 1989, présents dans cette classe où Marc Lépine a tiré à bout portant sur leurs consœurs, ils représentent des voix encore peu entendues depuis la tragédie, estime la réalisatrice.
   «C’était important de donner la parole aux hommes. Pour atteindre l’égalité entre les hommes et les femmes, il faut travailler ensemble.» Judith Plamondon

Après le déni, le devoir de mémoire

Le documentaire s’amorce en mentionnant que «le 6 décembre 1989, le Québec est un endroit où il fait bon vivre». En entrevue, la réalisatrice fait remarquer que «1989» peut facilement être remplacé par « 2019 ». Parce que, selon elle, les acquis du féminisme – ces droits qui semblaient pourtant être à portée de main à l’aube des années 1990 – se sont envolés en un claquement de doigts lors de la tuerie de Polytechnique. Et que les choses basculent quand on s'y attend le moins.
   «On vient de revivre des débats entourant l’avortement cet été, aux États-Unis, mais aussi pendant la campagne fédérale. On n’aurait pas cru ça. Mais on n’aurait pas cru ça, non plus, tout juste avant Poly, avec Chantal Daigle et sa victoire pour l’avortement. Le message, au fond, c’est qu’il faut demeurer vigilants.»
   Figure importante de cette part d'histoire du Québec, Nathalie Provost, survivante de Polytechnique, se fait d’ailleurs la gardienne de cette prudence tout au long du film. «C’est fragile. Ça prend une personne qui bascule. Il faut donc se le rappeler pour ne pas être obligés de se rendre à l’hécatombe.»


POLYTECHNIQUE
Ce qu’il reste du 6 décembre
Diffusé sur ICI Tou.tv (série Grands reportages).
Réalisatrice : Judith Plamondon
Narratrice : Karine Vanasse
Production : Nathalie Brigitte Bustos, Entourage Télévision IV Inc.
Pays : Canada


Au fil des ans, les roses blanches sont devenues les symboles des activités de commémoration de la tragédie.

Entrevue avec Judith Plamondon :

Le vendredi 6 décembre marquera les 30 ans de la tuerie de Polytechnique, geste antiféministe que la collectivité a mis beaucoup de temps à nommer ainsi, affirme Judith Plamondon, réalisatrice du documentaire Polytechnique : Ce qu’il reste du 6 décembre. La Presse l’a rencontrée.
   Durant ses recherches pour le tournage d’un documentaire sur Polytechnique, Judith Plamondon a constaté que la collectivité avait longtemps qualifié la tragédie de «geste isolé» et Marc Lépine de «tireur fou» au lieu d’évoquer un féminicide, un geste antiféministe et politique.



(1) Lettre de Marc Lépine. Cette lettre datée du 6 décembre a été retrouvée dans l'une des poches de chemise de l'assassin. Son message ne portait pas à équivoque.

Excusez les fautes. J'avais 15 minutes pour l'écrire

Veillez noter que si je me suicide aujourd'hui 89/12/06 ce n'est pas pour des raisons économiques (car j'ai attendu d'avoir épuisé tout mes moyens financiers refusant même de l'emploi) mais bien pour des raisons politiques. Car j'ai décidé d'envoyer Ad Patres les féministes qui m'ont toujours gaché la vie. Depuis 7 ans que la vie ne m'apporte plus de joie et étant totalement blasé, j'ai décidé de mettre des bâtons dans les roues à ces viragos.
   J'avais déjà essayés dans ma jeunesse de m'engager dans les Forces comme élève-officier, ce qui m'aurais permit de possiblement pénétrer dans l'arsenal et de procédé Lortie dans une rassia. Ils m'ont refusé because associàl. J'ai donc attendu jusqu'a ce jour pour mettre à exécution mes projets. Entre temps, j'ai continué mes études au grès du vent car elles ne m'ont jamais intéressée sachant mon destin à l'avance. Ce qui ne m'a pas empécher d'avoir de très bonnes notes malgré ma théorie de travaux non remis ainsi que la carence d'étude avant les examens.
   Même si l'épitète Tireur Fou va m'être attribué dans les médias, je me considère comme un érudit rationnel que seul la venu de la Faucheuse on amméné à posé des gestes extrèmistes. Car pourquoi persévéré à exister si ce n'est que faire plaisir au gouvernement. Etant plûtot passéiste (Exception la science) de nature, les féministes ont toujours eux le dont de me faire rager. Elles veulent conserver les avantages des femmes (ex. assurances moins cher, congé de maternité prolongé précédé d'un retrait préventif, etc.) tout en s'accaparant de ceux des hommes.
   Ainsi c'est une vérité de la palice que si les Jeux olympiques enlevaient la distinction Homme/Femme, il n'y aurait de Femmes que dans les compétitions gracieuses. Donc les féministes ne se battent pas pour enlever cette barrière. Elles sont tellement opportunistes qu'elles ne négligent pas de profiter des connaissances accumuler par les hommes au cours de l'histoire. Elles essai toutefois de travestir celles-ci toute les fois qu'elles le peuvent. Ainsi l'autre jour j'ai entendu qu'on honoraient les canadiens et canadiennes qui ont combattus au front pendant les guerres mondiales. Comment expliquer cela alors que les femmes n'étaient pas autorisés à aller au front??? Va-t-on entendre parler des légionnaires et galériennes de César qui naturellement occuperont 50% des effectifs de l'histoire malgré qu'elles n'a jamais exister. Un vrai Casus Belli.

Désoler pour cette trop compendieuse lettre.

Marc

La dernière page de son document était une «liste rouge» de 19 noms de femmes suivie de ces mots : «Ont toutes Failli disparaître aujourd’hui. Le manque de temps (car je m’y suis mis trop tard) à permis que ces féministes radicals survives. Alea Jacta Est.»
Toutes ces femmes étaient reliées au monde politique, policier, syndical et des communications.

Gamil Rodrigue Liass Gharbi, alias Marc Lépine, était né d’une mère québécoise et d’un père algérien. Il avait changé de nom à l’âge de 14 ans, pensant pouvoir s’éviter d’être la cible de remarques racistes, et souhaitant également s’affranchir d’un géniteur dangereux, qui le violentait depuis ses plus jeunes années.