27 novembre 2019

Noircir des pages d’écriture pour entretenir la flamme

Un album posthume «Thanks for the Dance» s’ajoute à la collection Leonard Cohen. Je m’en réjouis car cela le ressuscite un peu... Un immense merci à son fils Adam qui a aussi réuni des textes inédits dans un ouvrage intitulé «The Flame».  
   Leonard Cohen considérait que noircir des pages d’écriture était une «mission» à laquelle il ne pouvait se soustraire. Il a rempli une multitude de carnets de notes tout au long de sa vie; c’est ainsi qu’il a maintenu la flamme vivante jusqu’à la fin, et je dirais qu’elle lui survit.
   «Au début des années 1990, il y avait des casiers de rangement pleins de boîtes de carnets témoignant d’une vie dédiée à la chose qui définissait le plus l'homme. L'écriture était sa raison d'être. C'était le feu qu'il entretenait, la flamme la plus importante qu'il attisait. Elle ne s’est jamais éteinte. ‘You want it darker, we kill the flame’, entonnait-il sur son dernier album, son album de départ. Il est mort le 7 novembre 2016. Il fait plus sombre maintenant, mais la flamme n'a pas été tuée. Chaque feuille de papier qu’il a noircie était la preuve indéniable d’une âme toujours embrasée.»
~ Adam Cohen, 18 février 2018  

Tiré de la préface disponible sur le net [traduction-maison] :

Leonard et Adam Cohen

Les grands écrivains et poètes ont habituellement du vécu, et c’est sans doute ce qui leur permet de traduire les sentiments et les émotions du commun des mortels. Par exemple, l’expérience monastique zen de Cohen a modifié sa perception de la religion, de la spiritualité, du monde, et peut-être aussi de l’amour.
   Sa poésie a quelque chose d’universel, d’immortel. Dans tous les domaines de la vie, il y a des êtres exceptionnels qui voient plus clair et plus loin que nous. Des visionnaires, des sages, des héros. Ils vivent parmi nous, attentifs à ce qui se passe, et proposent des rêves dans un monde où règne l’indifférence. Bien sûr, nous ne sommes pas comme eux, mais nous pouvons nous inspirer des œuvres qu’ils laissent en héritage.

Un journaliste avait demandé à Cohen s’il croyait à «une vie après la mort» :
«Non, pas au sens traditionnel du terme. Bien sûr, la mort met un terme définitif à tous les problèmes de l'existence. Mais je me demande si après la mort, on peut vraiment vivre une existence exempte de tous problèmes. J'en doute beaucoup.»

«J'ai toujours eu un grand sens de la composition, parce que mes chansons m'ont aidé à surpasser beaucoup de ressacs et de relations humiliantes. Quand j'écoute quelques-unes d'entre elles à la radio je pense qu'elles sont réellement bonnes. C'est merveilleux de les avoir faites, et encore plus qu'elles aient élu domicile dans le coeur des gens.» 

Photo : Hugo-Sébastien Aubert / Archives La Presse. Murale en hommage à Leonard Cohen, Tower of Songs par Miles (El) Mac et Gene Pendon (Montréal, 2017)

Album Thanks for the Dance



The Hills
Leonard Cohen (1934-2016)

I can't make the hills
The system is shot
I'm living on pills
For which I thank G-d

My animal howls
My angel’s upset
But I'm not allowed
A trace of regret

For someone will use
The thing I could not be
My heart will be hers 
Impersonally

She’ll step on the path
She’ll see what I mean
My will cut in half
And freedom between

For less than a second
Our lives will collide
The endless suspended
The door opened wide

And she will be born
To someone like you
What I left undone
She will certainly do

I know she is coming
And I know she will look
And that is the longing
And this is the hook

I can’t make the hills
The system is shot
I'm living on pills
For which I thank G-d

My page was too white
My ink was too thinned 
The day wouldn’t write
What the night penciled in

But I know she's coming
And I know she will look
That is the longing
This is the hook

I know she is coming
And I know she will look
That is the longing
This is the hook

I can't make the hills
The system is shot
I'm living on pills
For which I thank G-d

I sailed like a swan
I sank like a rock
But time is long gone
Past my laughing stock 

I can't make the hills
The system is shot
I'm living on pills
For which I thank G-d

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Le mois des morts vit ses dernières heures, enfin! La chute des feuilles multicolores, la pluie, le froid, la grisaille et des célébrations religieuses comme la Toussaint le 1er novembre, le Jour des Morts le 2 novembre, puis, le Jour du Souvenir (commémoration de la fin de la Grande guerre 14-18) le 11 novembre, contribuent à perpétuer l'appellation. Le mois le plus moche de l’année à mon avis. Si je pouvais choisir le mois de ma propre mort, ce serait novembre, comme ça j’éviterais un dernier hiver... de trop.

Le Mois des morts
Victor De Laprade

Extraits

Novembre a mis, comme un suaire,
Sa longue robe de brouillards;
Le soleil, dans nos cieux blafards,
Semble une lampe mortuaire.

Tu n’aurais là d’autre cortège
Qu’oiseaux noirs et loups aux abois;
L’hiver a changé dans les bois
Vos lits de mousse en lits de neige.

Voici l’heure où le souvenir
Peuple seul la forêt discrète;
Sans y troubler aucune fête,
Les morts peuvent y revenir.

Voici les berceaux familiers
Où, dans la mousse et les pervenches,
Les baisers chantaient par milliers,
Comme les oiseaux sur les branches.

Mais, ces arbres et ces soleils,
S’ils t’ont prêté l’ombre et la flamme,
S’ils t’ont donné leurs fruits vermeils,
Ont pris tous des parts de ton âme.

Tu la jetais à tous les vents,
Pour un mot, pour un regard tendre...
Mais, viens, et les morts vont te rendre
Ce qu’ont emporté les vivants.

Car, là-haut, sur les mêmes grèves,
Dans ces astres peuplés d’esprits,
Flottent à la fois les débris
Et les germes de tous nos rêves.

Là-haut, dans l’immatériel,
Tout va perdre et retrouver l’être;
Quand les morts descendent du ciel,
C’est pour nous aider à renaître.

Les Voix du silence; 1865

25 novembre 2019

Partis, mais inoubliables

Inoubliables pour de bonnes raisons...

Je cherchais un poème en pensant à notre bien aimée comédienne Andrée Lachapelle, décédée le 21 novembre (1). Sur le site Esprits nomades j’ai découvert Michel Baglin, et ce poème. Il y a encore des coïncidences qui me renversent.

Les vivants qui s’absentent
Michel Baglin

Qu’on regarde au dehors, le dedans vous reprend.
On voudrait être au monde, on ne sait qu’échapper.
Et tous ceux-là qu’on croise et voudrait arrêter
ont le pas trop rapide et sont pris par l’élan.

Qui parle des lointains évoque une autre vie.
Et c’est pour mieux tromper ce sentiment de n’être
qu’en exil ici-bas, un voyageur peut-être
mais qui ne pèse pas et reste sans appui.

Nous avons des manies de vivants qui s’absentent,
qui pour prendre enfin pied s’accrochent à des leurres
en faisant reculer l’horizon qu’ils s’inventent.

Partir est toujours une façon d’être là,
lever l’ancre encore un rêve de pesanteur,
et c’est pour aller plus loin qu’on ne s’en va pas.

In De chair et de mots, © Le Castor Astral, 2012



À propos de l’auteur :
«C’est avec une immense tristesse que nous avons appris la mort de notre ami, notre “frère de Terre", Michel Baglin. Il nous a quittés ce 8 juillet 2019 emporté par un cancer, il avait 68 ans. Lui qui aimait passionnément la marche, refusait de n’être qu’un passant. Romancier, nouvelliste, poète, journaliste, pour lui, la vie et l’écriture allaient de pair. C’était un homme engagé, d’une immense générosité. Son rire chaleureux et complice résonne aux oreilles de tous ceux, et ils sont nombreux, qui l’aiment.» (Clément Solyn, ActuaLitté)

Il aimait le vagabondage dans les rues, et s'efforçait à ce que la vie et l'écriture soient le moins possible dissociées. Parmi ses thèmes récurrents, le voyage et les faux-départs, les trains, la quête du paysage, l’amour du réel malgré la difficulté à l’habiter et à être présent au monde, la recherche de l’échange avec autrui par le langage poétique, les petits bonheurs qui font la nique à la déréliction, comme «l’éclair d’un sourire dans une file d’attente».
   Romancier (Lignes de fuite et Un sang d’encre), il est aussi l’auteur de plusieurs recueils de nouvelles (dont Des ombres aux tableaux), de récits (Entre les lignes, à La Table Ronde.) de deux essais (Poésie et Pesanteur et La Perte du réel) et de plusieurs recueils poétiques dont L’Alcool des vents et «Les mots nous manquent» (poèmes inédits, 2019).

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(1) Les amis et collègues d’Andrée Lachapelle lui ont rendu hommage les yeux humides et les sanglots dans la voix, en proie à une vive émotion. Ils étaient tous unanimes : elle était un modèle tant au niveau professionnel que relationnel – une rebelle éprise de liberté, vive, attachante et toujours bienveillante.

Andrée Lachapelle : une comédienne au grand cœur s’éteint

Par Marc-André Lussier et Janie Gosselin, avec la collaboration de Luc Boulanger
La Presse, 22 novembre 2019

La comédienne Andrée Lachapelle s’est éteinte, jeudi, à l’âge de 88 ans. Ses rôles, à la télévision, au cinéma comme au théâtre, ont marqué le Québec. Souffrant d’un cancer, la comédienne a demandé l’aide à mourir pour partir sereinement, entourée de ses proches, quelques jours après son anniversaire.  

Crédit photo : Filmoption, archives La Presse. Michel Langlois et Andrée Lachapelle lors du tournage du documentaire Anne des vingt jours.

Son humanité et son ouverture d’esprit ont touché ceux qui l’ont côtoyée

«C’était un cadeau du bon Dieu à l’humanité souffrante, a répété hier à La Presse le metteur en scène André Brassard. C’était une beauté en dehors et en dedans. [Ne lui cherchez pas d’ennemis, elle n’en n’a pas.]»
   «Cette espèce de grand souci de l’humanité qui la caractérisait à chaque minute de sa vie... C’était vraiment quelqu’un d’exceptionnel. Ce n’est pas pour rien qu’elle était belle comme ça, ça émanait d’une beauté intérieure profonde. Peu importent les personnages – même des chipies, des femmes méchantes ou amères – je savais qu’Andrée Lachapelle allait leur insuffler une dose d’humanité», confiait le metteur en scène René Richard Cyr qui a travaillé avec elle à quelques reprises et l’a dirigée pour son dernier rôle sur scène, dans Les innocentes, en 2014.

Un dernier grand rôle

Le dernier grand rôle d’Andrée Lachapelle aura été celui qu’elle joue dans Il pleuvait des oiseaux, le très beau film que Louise Archambault a tiré du roman de Jocelyne Saucier.
   Au cours d’un entretien accordé à La Presse en marge de la sortie du film, la comédienne a évoqué un «cadeau du ciel» en parlant de son personnage, Marie-Desneiges, une octogénaire qui, après avoir été injustement internée toute sa vie, se reconstruit auprès de deux vieux ermites vivant dans le bois.
   Même si l’état de santé précaire de Mme Lachapelle était connu, la réalisatrice ne s’attendait pas à ce qu’elle choisisse de quitter ce monde aussi subitement. «Avec Rémy [Girard] et Gilbert [Sicotte], on avait planifié aller la voir très bientôt, confie Louise Archambault, visiblement émue. Elle est partie un peu trop tôt. J’avais envie d’un dernier câlin! Andrée était d’une gentillesse et d’une générosité incroyables.»
   «Pendant le tournage du film, qui a eu lieu dans un endroit isolé, nous avons eu l’occasion de nous raconter nos vies. J’ai été frappée de voir comment Andrée ne gardait de ses souvenirs que les aspects positifs, malgré les épreuves qu’elle avait traversées. Elle était aussi très drôle. Jamais de chichis avec elle!»
   La réalisatrice s’estime extrêmement privilégiée d’avoir pu côtoyer cette femme d’exception, inspirante, qui laissera une marque immense dans sa vie. Elle évoque aussi la fierté de l’actrice d’avoir joué dans un film où il est question de résilience, de vieillesse et des choix de vie qu’elle entraîne, jusqu’à la façon de mourir. «Nous avons fait ce film ensemble, ajoute Louise Archambault. Le départ d’Andrée me rend très triste, mais en même temps, je suis en paix avec son choix. Avec elle, avec Gilbert et Rémy aussi, nous avons beaucoup discuté de l’aide médicale à mourir sur le tournage. J’ai senti Andrée sereine face à ce choix-là. Elle trouvait ça bien.»
   «J’espère qu’elle est heureuse, a de son côté déclaré Gilbert Sicotte, aussi ému. Nous sommes évidemment tous tristes, on l’aimait tous tellement... Andrée était tellement attachante, tellement chaleureuse.»
   L’acteur, qui a joué avec Andrée Lachapelle une scène d’amour aussi délicate qu’émouvante dans Il pleuvait des oiseaux, a évoqué une première rencontre professionnelle avec l’actrice dans un téléfilm de Michel Langlois, tourné en 1991, dans lequel il jouait son fils. «Avant de rencontrer Andrée, j’admirais évidemment la grande comédienne qu’elle était, mais j’avais quand même en tête l’image de cette très belle femme, élégante, un peu distante qu’on lui prêtait. Or, je me suis retrouvé face à quelqu’un de très chaleureux, très drôle, quelqu’un de party qui aimait l’esprit de troupe. Andrée tenait à ce que tout le monde se retrouve pour aller manger ensemble après le tournage, et elle voyait à ce que tout le monde soit bien et heureux sur le plateau.»
   L’acteur se rappelle aussi toutes les discussions qui ont eu lieu lors du tournage d’Il pleuvait des oiseaux, un film où il est beaucoup question du choix de sa mort.
   «Apprendre qu’elle a choisi de quitter ce monde de cette façon me laisse croire – je le souhaite – qu’elle se sent maintenant libérée. Mais je suis très triste de perdre Andrée. Allons l’embrasser.» (Gilbert Sicotte)

Bande annonce «Il pleuvait des oiseaux»  


Entre deux scènes :

Une longue carrière 

La comédienne a commencé sa carrière dans les années 50. Elle a multiplié les rôles au théâtre et à l’écran au fil des décennies.
   L’artiste s’est aussi impliquée dans de nombreuses causes sociales. «Des gens me pensent snob, alors que je ne l’ai jamais été de ma vie», a déjà déclaré Mme Lachapelle. La comédienne venait d’un quartier populaire de Montréal et s’est impliquée auprès d’organismes venant en aide aux familles dans le besoin ou de gens du milieu carcéral. Elle est aussi devenue porte-parole d’Amnistie internationale. [«Je suis une passionnée pour la bonté dans le monde», disait-elle.]
   Sur les réseaux sociaux, personnalités publiques comme admirateurs anonymes lui ont rendu hommage. [...]
   «Une étoile, la plus belle, la plus brillante est maintenant là-haut!», a écrit la comédienne Guylaine Tremblay.


Anecdotes, vidéos, interview avec Louise Archambault (et d’autres liens) :

Le vieil âge et le rire avec Fernand Dansereau, Gérard Poirier, Andrée Lachapelle, Kim Yaroshevskaya, Aubert Pallascio et Marcel Sabourin.

20 novembre 2019

Alternatives à la réfection routière récurrente

@Twittakine – Imaginez le nombre d’emplois et l’économie en machinerie lourde qui non seulement encombre les rues mais les défoncent année après année. Fini les cônes oranges et les contrats sous la table avec les plus bas soumissionnaires. C’est une possibilité à laquelle il faudrait réfléchir sérieusement : 

 

Images via The power of story, Mitch Teemley – Street Art  

Montréal n’est rien d’autre qu’un chantier de construction et de réfection et... un paradis de fissures et de nids-de-poule.

Ce n'est pas un secret, les rues de Montréal sont dans un état lamentable. Et ça ne va pas en s'améliorant. Dans le cadre de l'initiative de «ville intelligente», la ville de Montréal cherche des solutions technologiques aux problèmes d’entretien. La commission Charbonneau sur la collusion dans l'industrie de la construction, avait notamment révélé qu’en 2010 / 2012, on utilisait du ciment de moindre qualité pour l'asphaltage. En 2015, les segments routiers non restaurés continuaient à se dégrader.

Avant la fusion du début des années 2000, lorsque les arrondissements étaient des villes indépendantes, celles-ci utilisaient des techniques d'asphaltage différentes : les rues étaient construites avec une fondation flexible composée de matériaux granulaires, ce qui rendait les routes plus résistantes à l'usure.

Le budget octroyé pour la réfection des routes en 2017 était de 218 millions de dollars, soit cinq fois plus que le budget alloué en 2010.

Roberto Rocha, Radio-Canada Info | juillet 2017

Genèse des nids-de-poule

Photo : Annik MH De Carufel Le Devoir

Le printemps, pour les automobilistes, rime avec nids-de-poule. Nombreux sont ceux qui ont l’impression que ces trous prolifèrent chaque année, sur des chaussées toujours plus négligées. Qui est responsable de l’état de nos routes? Le climat nordique, le sous-financement, la faible densité de population, la mafia...? Explications.​

Routes sexagénaires. Comme les écoles, la majorité des routes nationales du Québec ont été construites entre les années 1950 et 1970, et elles sont nombreuses à avoir été négligées. [...]

Dégel extrême. Même pour une chaussée, la vie dans le nord n’est pas de tout repos. Depuis une dizaine d’années, le Québec connaît des dégels en décembre, en janvier et même en février. la chaussée subit chaque année des écarts de température de 60 à 70 degrés, cause de sérieuses répercussions sur le réseau routier et provoque la création des nids-de-poule. [...]

Le poids d’un camion. Le passage d’un seul camion peut créer un dommage équivalant à celui de 10 000 automobiles et suffit parfois à former un trou béant dans la chaussée gelée. Au printemps 2013, durant la période de dégel déterminée par le gouvernement, Contrôle routier Québec a constaté plus de 2800 infractions relatives à la surcharge. [...]

Le bitume, la corruption et la mafia. Un témoin à la commission Charbonneau a levé le voile, en mai 2013, sur un système de collusion dans le monde de l’asphalte. Selon l’entrepreneur Gilles Théberge, un cartel d’entreprises, dont certaines liées à la mafia, aurait convenu de se répartir le territoire à Montréal, faisant exploser le prix du bitume dans les années 2000. Durant cette période, le témoin a constaté une baisse de la qualité de l’enrobé bitumineux produit par les raffineries, sans être en mesure de confirmer que la corruption est responsable de cette situation. [...]

La faible densité. Plusieurs disent que c’est une question de perception, que l’herbe est toujours plus verte chez le voisin. N’empêche, les routes de l’État américain du Vermont, comme celles de l’État de New York, semblent souvent bien mieux entretenues que celles du Québec. Est-ce réellement le cas? [...]

Le piètre état des routes québécoises a l’avantage de pousser les chercheurs à faire preuve de créativité. À Québec, l’Institut national d’optique a développé un système de laser capable d’ausculter efficacement et rapidement les infrastructures routières, à 100 km/h.

Daphnée Hacker-B., Le Devoir | 7 avril 2015

10 novembre 2019

Il meurt lentement

Pablo Neruda

Il meurt lentement
celui qui ne voyage pas,
celui qui ne lit pas,
celui qui n’écoute pas de musique,
celui qui ne sait pas trouver
grâce à ses yeux.
Il meurt lentement
celui qui détruit son amour-propre,
celui qui ne se laisse jamais aider.
Il meurt lentement
celui qui devient esclave de l'habitude
refaisant tous les jours les mêmes chemins,
celui qui ne change jamais de repère,
Ne se risque jamais à changer la couleur
de ses vêtements
Ou qui ne parle jamais à un inconnu
Il meurt lentement
celui qui évite la passion
et son tourbillon d'émotions
celles qui redonnent la lumière dans les yeux
et réparent les coeurs blessés
Il meurt lentement
celui qui ne change pas de cap
lorsqu'il est malheureux
au travail ou en amour,
celui qui ne prend pas de risques
pour réaliser ses rêves,
celui qui, pas une seule fois dans sa vie,
n'a fui les conseils sensés.
Vis maintenant!
Risque-toi aujourd’hui!
Agis tout de suite!
Ne te laisse pas mourir lentement!
Ne te prive pas d’être heureux!

J’ai découvert Leo Kottke à Dessine-moi un dimanche. Merci à Jim Corcoran qui ne tarissait pas d’éloges, disant qu’il l’aimait énormément, mais qu’il était une source de frustration pour lui parce qu’il ne sait pas ce qu’il fait avec sa main droite. «Il a un style bien à lui. Avant les réseaux sociaux il circulait partout dans le monde grâce à son grand talent et au bouche à oreille. Il a le même âge que moi, mais lui, il est encore en tournée. En 1997, j’ai entendu une pièce bouleversante, d’une grande beauté. J’étais troublé. Et je le suis encore plus maintenant que je connais, seulement depuis la semaine dernière, la source de son inspiration. La pièce Across The Street s'inspire de l'histoire d'une famille yougoslave dont le père avait été emprisonné par l'État. Il voyageait beaucoup en Yougoslavie, et en 1995, il a rencontré une jeune lithographe à Ljubljana en Slovénie.

Lors d'un concert au Cambridge Folk Festival (England) Leo Kottke a raconté son histoire :   
«Quand je l’ai revue l’année suivante elle m'a dit : «Je ne peux pas rester pour le spectacle, mon père est rentré à la maison, il est malade, je ferais mieux d'y retourner pour m'occuper de lui.»  J'ai dit : «Je suis désolé d'entendre ça.» L'année suivante, elle est venue au spectacle et je lui ai demandé : «Comment va ton père?», reprenant la conversation là où nous l'avions laissée. Elle m'a répondu «Il est mort». J'ai dit : «Oh.»  Elle m’a demandé : «Aimeriez-vous voir certaines choses qu'il a faites?» J'ai répondu : «Oui.»
   Le lendemain, elle m'a emmené au centre-ville de Ljubljana et m'a montré, entre autres choses, un pont qu'il avait construit – il était ingénieur et architecte. Et pendant qu'elle me montrait ce pont, elle a dit qu'il avait été arrêté et emprisonné quand elle avait trois ans. Et j'ai demandé : «Oh, pourquoi?» Une question que vous ne poseriez pas si vous aviez vécu en Yougoslavie. Elle l'a ignorée et m'a montré le pont, qui était superbe. J’ai compris pourquoi il avait été arrêté. Puis, elle m'a raconté ce qui s'était passé. Elle disait qu'il avait été incarcéré pendant 26 ans, et qu’on ne leur avait jamais dit – à elle, sa sœur et sa mère – où, pourquoi et pour combien de temps il avait été emprisonné. «On nous écrivait parfois pour dire qu'il était encore vivant. C'est tout ce nous savions. Quand il est tombé malade, ils l'ont laissé sortir. C'est alors que j'ai su qu'il avait été emprisonné de l'autre côté de la rue, en face de notre maison. Et que pendant 26 ans, il nous avait regardées grandir et jouer sur le balcon de notre appartement, ma sœur et moi, à travers les barreaux d’une fenêtre de sous-sol; c’était sa cellule.»

Leo Kottke, né le 11 septembre 1945 à Athens dans l'État de Géorgie (États-Unis), est un guitariste acoustique qui utilise des techniques de fingerpicking, s'inspirant de genre musicaux comme le blues, le jazz et la musique folk, avec ses rythmes syncopés et les sons polyphoniques qu'il arrive à produire avec ses guitares signature à six et douze cordes. Il se sert très souvent de l'accordage en open tuning.

Une pièce troublante en effet, qui touche l'âme dès les premières notes. J’aime entendre le «bruit» des cordes d’une guitare acoustique. Aujourd’hui, tous les enregistrements sont épurés, dépouillés du moindre son «vivant» et réaliste. Que c’est froid, plat, ennuyant!

Across The Street – Album Standing In My Shoes
Leo Kottke

8 novembre 2019

Du gaz dans mes épinards!

En fin de semaine dernière il y avait des pannes d’hydro partout. Repas aux chandelles. En craquant une allumette au-dessus de mes épinards crus pour allumer la chandelle, ils ont pris en feu. Plus besoin de grands chefs pour nous concocter des plats flambés...

Dure semaine pour la Coalition avenir Québec. Mais, l’élection d’une majorité de députés caquistes a prouvé une chose : il ne faut pas hésiter à postuler pour un job même quand on n’a ni expérience ni compétence.

«Comme vous le savez, mon ex-conjoint était anthropologue. Il disait à propos de la politique : les hommes ne descendent pas de paisibles primates arboricoles, mais d’une espèce plus primaire sur terre, qui chassait en meutes et brisait le crâne de ses proies avec une massue.» (Elizabeth Keane, Homeland)

Caricature : Dan Piraro. «Hé Einstein! Pourquoi ne pas chercher un médicament contre l’insensibilité envers les autres espèces?»

Billets de Francis Lagacé

L’illusion responsable

Que tout le monde composte et recycle ne mettra pas fin à l'obsolescence programmée, ne mettra pas fin à l'utilisation du glyphosate et autres pesticides dans l'agriculture, ne mettra pas fin au suremballage, à l'abondance excessive de sucre dans les aliments, à l'utilisation de l'huile de palme dans les produits transformés et donc à la destruction des forêts, à la publicité pour les automobiles consommatrices de pétrole, à la vente sous pression des VUS, à la généralisation des concours, lesquels surstimulent la consommation et produisent l'effet de mode, à l'extraction minière des terres rares nécessaires pour la production des téléphones et tablettes stupides présentées comme intelligentes, au tourisme destructeur dans les habitats fragiles, à l'utilisation des hydrocarbures, à la surpêche des ressources halieutiques, à la compétitivité entre les États pour attirer les entreprises les plus polluantes et les plus destructrices, à l'utilisation des plastiques dans toutes les productions, à la surexploitation des sources d'eau, etc. La liste est infinie.

Caricature : Godin, La Presse, 18 juin 2018

Aucune mesure individuelle ne remplacera des lois et règlements gouvernementaux qui obligeront les industries à restituer l'environnement dans son état premier et à inclure ces coûts dans les coûts fixes d'opération. Aucune mesure individuelle ne remplacera la transformation des processus de production en processus respectueux de l'environnement et l'obligation de la production agricole écosociale. Rien de tout cela ne peut se faire sans intervention étatique. Et cela exige une pression sociale importante. Contrairement à ce que prétendent les fondations philanthrocapitalistes, il n'est pas toujours vrai que tout seul ça va plus vite et qu'ensemble on va plus loin, il arrive qu'ensemble, on aille mauditement plus vite parce que la responsabilité individuelle ne sera jamais aussi efficace que des obligations législatives. Il faut savoir penser collectif et systémique.

Le 8 mars 2019

Capitalisme vert = écocide

Il importe d'informer nos jeunes qui manifestent courageusement pour le climat afin qu'elleux ne se laissent pas berner par ces chantres du «faire la part des choses», qui voudraient bien les cantonner dans des revendications isolées sans remettre en cause le capitalisme mortifère. En effet, il n'y a pas de «part des choses» : le mode de production capitaliste est responsable de la catastrophe écologique et on n'en sortira pas sans mettre à mal l'absurde théorie de la croissance.

Caricature : Dan Piraro (Bizarro)

Il y a aussi ces rétrogrades qui en sont restés au XXe siècle et qui nous objectent le régime soviétique de Staline chaque fois qu'on parle de s'attaquer au mode de production capitaliste. Ils n'ont jamais entendu parler d'écosocialisme et leur pensée étriquée est incapable de concevoir des modes de production respectant les deux règles de base d'une production écosociale : on ne prend pas plus à la terre que ce qu'elle peut donner; tous les éléments (terre, air, eau) qui entrent dans le processus de fabrication doivent en ressortir traités au niveau de qualité où ils y sont entrés.

Quant à nos gouvernants, nos sociétés d'État et notre bonne bourgeoisie, ils nous prennent pour des quiches avec leurs mesurettes destinées à jeter de la poudre aux yeux pendant qu'ils amplifient la prédation des ressources. Il convient de dégonfler sans pitié deux mythes monstrueux du prétendu verdissage du capitalisme. J'ai nommé la bourse du carbone et la taxe carbone.

1. La bourse du carbone
Ce système a été inventé pour permettre aux entreprises polluantes de polluer le plus possible en ayant l'air vertueuses. Le principe est très simple. On attribue à chaque pays, région ou entité politique un crédit carbone revendable à d'autres qui peuvent l'acheter. Chaque pays, région ou entité politique ne doit pas dépasser son statut carbone. Alors, qu'est-ce qu'on fait? Des pays qui ne polluent pas vendent leur crédit carbone à ceux qui polluent, ce qui permet de polluer plus. Des entreprises qui polluent énormément délocalisent dans des pays, régions ou entités politiques où le droit de polluer est plus grand parce qu'on n'y polluait pas avant. D'une simplicité et d'une efficacité désarmantes. La bourse carbone est une vente de droits de polluer le plus possible exactement comme les indulgences étaient des droits de commettre des crimes pour l'aristocratie de la Renaissance.

2. La taxe carbone
Oh, la belle arnaque que voilà! Les entreprises polluantes paient une taxe sur leur activité et la refilent au consommateur, qui ne peut pas se passer de son auto pour se rendre au travail vu qu'il n'y a pas de service de transport en commun, et qui ne peut pas se passer de son frigidaire puisqu'on ne vit plus à l'époque des glacières.

Autre version, on applique directement la taxe sur le bien de consommation, comme l'essence, le diésel ou l'emballage plastique. Le consommateur qui n'a pas le choix continue à user de ces biens en payant plus cher et les mieux nantis qui ont le choix se servent de moyens alternatifs et ne se privent pas de polluer par ailleurs. La taxe carbone ne sert à rien. Elle ne fait que pénaliser les consommateurs du bas de l'échelle. Et ne venez pas me parler du versement de ces sommes dans des fonds verts qui, finalement, investissent dans les sables bitumineux.

La taxe carbone est basée sur le principe absurde de la pensée économique néolibérale selon laquelle un bien est moins consommé quand il coûte plus cher, faisant fi de toute contingence. C'est ce même principe qui a été utilisé pour créer ce qu'on a appelé dans le monde de la santé le «ticket modérateur». Les grands penseurs de cette idée estimaient que, si l'accès à la santé était plus cher, les gens seraient moins malades.

La taxe carbone est un piège idéal pour les capitalistes qui veulent attraper les poissons consommateurs que nous sommes. Les conservateurs n'en veulent pas parce qu'ils sont climatosceptiques et les vrais écologistes, celleux qui comprennent comment le système fonctionne, n'en veulent pas non plus parce qu'elle ne résout rien.

De leur côté, les pseudo-progressistes et les environnementalistes qui n'ont pas de vraie pensée systémique, ce qui est malheureusement le cas de la majorité des partis verts de cette planète (il n'y a qu'à voir les passerelles fréquentes entre les Verts et les Libéraux en Amérique et en Europe), sont farouchement pour. Pendant que les conservateurs et les progressistes de pacotille se crêpent le chignon sur une mesure inutile, on ne s'attaque pas aux processus de production et on ne ralentit en rien le réchauffement climatique. Et les fabricants de véhicules énergivores continuent de pousser la vente par un matraquage publicitaire frénétique (avez-vous compté le nombre de pubs pour auto? avez-vous vu de petits véhicules dans ces pubs?) et par une pression indécente chez les concessionnaires. Et les autorités ne font rien pour rendre le transport collectif plus attrayant. Et les autorités ne font rien pour protéger le transport actif (piétons et cyclistes).

Il faudra reparler aussi de la modulation des tarifs d'énergie, pardon de la Tarification dynamique. Comme on donne de jolis noms à ces arnaques poisseuses! Le principe d'augmenter les tarifs dans les périodes de pointe et de les diminuer dans les périodes creuses ne sert qu'à augmenter la consommation au final puisque celleux qui n'ont pas les moyens de réduire leur consommation (les pauvres aux logements mal isolés ne peuvent pas chauffer moins en période de pointe) ne la réduiront pas et celleux qui en ont les moyens vont l'augmenter dans les périodes où ça coûte moins cher (c'est une incitation indirecte à consommer plus pour les ménages mieux nantis). Tout cela est présenté sous de magnifiques bannières de «responsabilisation» et de «choix» du client.

Le capitalisme vert, c'est comme un cannibale végétarien : il met des légumes sur la table; pendant que vous mastiquez votre repas, il se glisse en dessous et vous dévore par le bas de sorte que vous ne pourrez plus vous enfuir.

Le 26 avril 2019