31 juillet 2015

Bon weekend!

L’avantage le plus redoutable du travail autonome ou de la retraite c’est qu’on sait rarement quel jour on est. Ou bien c’est toujours samedi. Mais, on évite l’hystérie du vendredi soir et l’angoisse du dimanche soir. Les prévisions de Miss Météo pour le weekend? Bof. (Boudacool)

Friday night look

«Si un jour on supprime les fonctionnaires, qu'on le fasse au moins un vendredi à 17 heures.» ~ Philippe Geluck

“It's Friday... any plan of being a productive member of society is officially thrown out the window.” (Unknown)

“Weekends don't count unless you spend them doing something completely pointless.” ~ Bill Watterson

“There is little chance that meteorologists can solve the mysteries of weather until they gain an understanding of the mutual attraction of rain and weekends.” 
~ Arnot Sheppard

30 juillet 2015

Industrie du sexe 1 : Séduction et popularité

30 juillet : Journée mondiale de la dignité des victimes de la traite d’êtres humains (ONU)

Pour marquer cette journée j’ai choisi d’aborder une réalité épouvantable : l’exploitation sexuelle. Le marketing dont l’industrie du sexe nous gave (ça déborde dans les canaux d’égouts!) est horrifiant. La sexualité est omniprésente et accablante, une véritable épidémie. On a troqué les interdits et les tabous contre la débauche tous azimuts au point qu’on ne fait plus la différence entre érotisme et porno. Dans l’érotisme, on a encore affaire à des personnes. Dans le porno, on a affaire à des morceaux de viande, à des êtres-objets qu’on peut droguer, torturer et même assassiner en direct et publier sur le Net.

Ces trois articles n’ont pas pour but de nous renvoyer au puritanisme – victorien* ou autre, bien évidemment. Ce sont simplement des repères de réflexion sur une question qui demeure extrêmement troublante car il semble que nous n’ayons pas du tout évolué, mais plutôt régressé en la matière.

Je démarre avec Marilyn Monroe parce qu’elle fut un archétype de glamour et de sex-appeal au début des Soixante Glorieuses de la pornographie. L’industrie du sexe et du cinéma, ainsi que l’establishment politique, se sont payé sa tête, son cœur et son corps, et s’ils avaient pu lui dérober son âme pour la marchandiser, ils l’auraient fait (1).

Séduction et popularité

Une brunette en réalité, avant que l'industrie en fasse une blonde insignifiante (ce qu'elle n'était pas au départ; mais elle l'est devenue à force de brainwashing et de consommation d'alcool et de stupéfiants)

«Une blonde s'adapte inconsciemment à ses cheveux. Surtout si cette blonde est une brune qui se fait teindre en jaune. Elle veut être fidèle à sa couleur et se comporte comme un être fragile, une poupée frivole, une créature exclusivement préoccupée de son apparence, et cette créature exige de la tendresse et des services, de la galanterie et une pension alimentaire, elle est incapable de rien faire par elle-même, elle est toute délicatesse au-dehors et au-dedans toute grossièreté. Si les cheveux noirs devenaient une mode universelle, on vivrait nettement mieux en ce monde. Ce serait la réforme sociale la plus utile que l'on ait jamais accomplie.» ~ Milan Kundera (1929 - )

Le lien entre cette remarque et Marilyn est inévitable. Dans son récit autobiographique «Confession inachevée», écrit en collaboration avec Ben Hecht, celle-ci avoue qu’elle avait choisi la séduction et la popularité pour se prouver qu’elle «existait». On peut supposer  aussi qu’elle avait adopté une apparence et des allures non pas pour susciter l’amour mais plutôt le désir : I guess I am a fantasy (je crois que je suis un fantasme), disait-elle au biographe Donald Spoto en 1959.

Le parallèle avec les selfies de réseaux saute aux yeux. Grâce à internet, la séduction et la popularité ne sont plus le monopole de quelques stars privilégiées – chacun(e) peut jouer, et le nombre de «Like» sera le baromètre. Dans le documentaire Instafame, une psychologue décrit le phénomène ainsi : «Chasing fame without substance» (recherche de popularité sans substance). https://thoughtmaybe.com/instafame/

Cette conversation entre Marilyn et Michael Tchekhov (neveu d’Anton, écrivain et acteur dont elle fut l’élève) exprime bien le conflit identitaire de Marilyn, pour le moins ambigu : 

Il ne m’a pas seulement appris à jouer. Il m’a fait découvrir la psychologie, l’histoire, la beauté dans l’art et ce qu’on appelle le goût. 
   Au milieu de notre scène de La Cerisaie, Michael s’interrompit soudain, puis me considéra, un sourire plein de douceur aux lèvres.
-- Puis-je vous poser une question personnelle? demanda-t-il.
-- Tout ce que vous voulez.
-- Vous me répondrez en toute sincérité? reprit Michael. Étiez-vous en train de penser au sexe pendant que nous jouions?
-- Non, répondis-je, le sexe ne joue aucun rôle dans ce passage. Je n’y pensais pas du tout.
-- Vous n’aviez dans l’esprit aucune image d’étreinte ou de baisers? insista Michael.
-- Aucune. Je me concentrais complètement sur nos répliques.
-- Je vous crois, déclara Michael. Vous dites toujours la vérité.
-- À vous, oui.
   Il se mit à faire les cent pas pendant quelques instants, puis reprit :
-- C’est bien étrange. Pendant tout le temps où vous avez joué cette scène, je n’ai cessé de ressentir des vibrations sexuelles émanant de vous. Comme si vous aviez été une femme dans les affres de la passion. Je me suis arrêté parce que j’ai pensé que vous deviez être trop accaparée par le sexe pour continuer. 

   Je me mise à pleurer. Sans prêter attention à mes larmes, il poursuivit d’une voix intense :
-- Je comprends maintenant les problèmes que vous pouvez avoir au studio, Marilyn, vous émettez réellement des vibrations sexuelles – quoi que vous soyez en train de faire ou de penser. Le monde entier a déjà réagi à ces vibrations. Elles sont retransmises par les écrans de cinéma quand vous y apparaissez. Et vos grands patrons ne s’intéressent qu’à vos vibrations sexuelles. Elles suffisent à leur apporter une fortune. Voilà pourquoi ils refusent de vous considérer comme une comédienne. Tout ce qu’ils veulent, c’est tirer parti du stimulant sexuel que vous représentez. Leurs motifs et leurs projets sont très clairs. 

   Michael Tchekhov me sourit.
-- C’est vrai dit-il. Rien qu’en apparaissant sur l’écran, sans vous donner la peine de jouer, vous pourriez rouler sur l’or.
-- Mais il n’en est pas question! m’écriai-je.
-- Pourquoi? me demanda-t-il avec douceur.
-- Parce que je veux devenir une artiste, répondis-je, pas un gadget érotique. Je ne veux pas être vendue au public comme un aphrodisiaque sur pellicule : regardez-moi et mettez-vous à trembler! C’était acceptable les premières années. Mais, cette fois, les choses vont changer. 

   Je me rendis compte que, tout comme j’avais dû me battre pour faire du cinéma et devenir une actrice, je devrais maintenant me battre pour obtenir le droit d’être moi-même et d’utiliser mes talents. Si je ne me défendais pas, je deviendrais une marchandise bonne à être vendue dans les vitrines des cinémas.
   J’étais décidée à ne pas accepter leur million. Je voulais être moi-même et non pas un vulgaire adjuvant érotique, une pourvoyeuse de fric pour les trafiquants en chair fraîche du studio.


(Extrait de Conversation inachevée)

Marilyn avait une obsession majeure. Très centrée sur son apparence physique, elle avait une peur bleue de devenir grosse et laide. Eh bien, elle n’aura pas eu le temps de le devenir...  

Marilyn a-t-elle été assassinée?
C’est tout à fait plausible. Sex in politics... Dans le documentaire Le commerce du sexe, une travailleuse du sexe déclare que sa clientèle inclut beaucoup de fonctionnaires. 

Quoiqu'on pense de Marilyn, elle a eu une fin odieuse, non méritée à mon humble avis.

«Bobby Kennedy arrive vers 16 heures. Une violente altercation éclate. (Des policiers ont reconnu avoir entendu ces enregistrements et le coiffeur de Marilyn confirme cette visite). Les écoutes avaient enregistré en continu une querelle entre Marilyn et Bobby Kennedy tandis qu'ils passaient d'une pièce à l'autre. «Marilyn et Bobby se disputaient violemment, et elle lui a dit : «J'ai l'impression d'être jetée! J'ai l'impression d'avoir été utilisée.» Elle cria qu'on la traitait comme un «morceau de viande». Earl Jaycox, l'assistant d'Otash, a confirmé que Marilyn hurlait tandis que Bobby Kennedy essayait de la convaincre de lui donner son journal et les papiers dans lesquels elle a consigné les promesses de John et les secrets d'État que Bobby, volubile après l'amour, lui a confiés : «Où est-il? Où est-il?» Elle explose. Bobby la menace. Selon plusieurs sources, elle se disait prête à contacter la presse. C'est l'hallali. «Elle avait une trouille noire, je n'avais jamais vu ça», dit Jefferies. «Elle était incontrôlable», confirma également, enfin, la gouvernante Murray, qui d'urgence rappela le docteur Greenson. Il calma Marilyn. Mais selon Jefferies, vers 21 heures 30, Bobby est revenu avec deux hommes. Elizabeth Polards, une voisine, l'aurai vu aussi. Ils ordonnent aux deux domestiques de «déguerpir». Ils vont chez les voisins. Bobby et ses hommes quittent la villa. À leur retour, Eunice Murray et Jefferies trouvent Marilyn comateuse sur le parquet du pavillon d'amis. Ils appellent le docteur Greenson. Il tente une piqûre d'adrénaline et appelle une ambulance. «Ce fut la folie» se souvient Jefferies. Hall, l'ambulancier, certifie avoir trouvé Marilyn inanimée et l'avoir mise sur le dos pour tenter de la ranimer. Une douzaine de policiers en civil s'agitent dans la maison. Marilyn serait morte peu après la piqûre ou dans l'ambulance (selon le biographe de Peter Lawford) qui rebroussa chemin vers la villa. À minuit passé, «la version d'un suicide en huit clos est adoptée». Ambulance et policiers disparaissent. Bobby quitte Los Angeles. À 4 heures 45, on prévient enfin l'officier de service Clemmons...»

http://www.thinesclaude.com/marilyn--son-assassinat.php

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(1) J’ai vu le documentaire d’Ève Lamont, «Le commerce du sexe», une activité structurellement liée à des mécanismes d’exploitation contrôlés par le milieu criminel et menaçant les droits de la personne et l’intérêt collectif. Une production du Rapide-blanc en collaboration avec l’office National du Film du Canada :
   À qui profite l'industrie du sexe? Prostitution, agences d'escortes, salons de massage, bars de danseuses et tourisme sexuel... La marchandisation sexuelle s'est développée à un rythme effréné depuis une trentaine d'années. Mais au-delà de la banalisation de ce commerce, qui a souvent pignon sur rue, quelle est la réalité de ceux et celles qui en font l'objet? Le commerce du sexe propose une incursion dans cet univers brutal et révèle l'envers du décor d'un nouvel esclavage des temps modernes.

J’ai vu aussi À quoi rêvent les jeunes filles? : la sexualité féminine à l'âge du porno (disponible sur Youtube). Plutôt ambivalent; on se demande s’il ne s’agit pas d’un portrait édulcoré du porno (prétendument) féministe et s’il n’incite pas à le trouver «cool» plutôt qu’à le remettre en question.

De la vie en rose à la dure réalité. Beaucoup de jeunes femmes de 18 à 25 ans s’engagent dans l’industrie du porno dans l’espoir de se sentir libre et de faire beaucoup d’argent. Tout baigne au début, mais comme on dit, when the shit hits the fan, elles sont dans de beaux draps… Toutes les adolescentes devraient voir ce documentaire :  
   Hot Girls Wanted
   Brittany Huckabee, Jill Bauer, Ronna Gradus 2015
   Hot Girls Wanted is an up-close and personal view into the lives of several 18 to 25 year-old girls who are lured into the world of amateur pornography on the Internet. The film sets out to illustrate just some of the many ways the industry really works as opposed to how it appears, as well as providing an insight into the modern recruitment process — the pundits on the inside call it ‘The Game.’ And there are many tricks. According to the teens themselves, many come to porn by the promise of rich extravagant lifestyles, as well as fame and visibility. And while the money can be good for some, at least for a little while, that’s only a small part of the picture. The myths are many and there is a brutal reality of life in the industry, causing high turnovers of girls—once they cotton-on to The Game
https://thoughtmaybe.com/hot-girls-wanted/

Si le sujet vous intéresse voyez : Industrie du sexe 2 Le peak de l’exploitation sexuelle (notes tirées du documentaire Le commerce du sexe) et Industrie du sexe 3 Les Soixante Glorieuses de la pornographie

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* La reine Victoria, n’était peut-être pas «victorienne» en tous points, mais elle n’était assurément pas «féministe». 
   Elle s’éleva énergiquement contre l’ingérence du sexe féminin dans la politique et contre l’activité professionnelle des femmes. C’est ce qui ressort d’une lettre adressée au député libéral William Ewart Gladstone. … En 1869, au Royaume-Uni, les femmes avaient recouvré, pour les élections municipales, un droit de vote partiel aboli plus de trente ans auparavant. L’année suivante, une nouvelle loi accordait aux femmes une forme de droit à la propriété même en cas de dissolution du mariage. En 1870, un autre projet de loi, qui prévoyait d’accorder aux femmes un droit de vote illimité, fut rejeté par Gladstone. … Un débat passionné se déchaîna dans l’opinion publique sur la question de savoir quelle était finalement la véritable sphère naturelle de la femme. L’idée d’une stricte séparation entre vertus privées et publiques fut de plus en plus attaquée. La reine elle-même n’était-elle pas l’illustration de la capacité des femmes à jouer le rôle d’un homme dans le règlement des affaires politiques et sociales? Toutefois Victoria s’éleva énergiquement contre toutes les tentatives d’étendre le champ d’activité de ses consœurs au-delà des œuvres de bienfaisance. 

La reine Victoria à William Ewart Gladstone
[Forme impersonnelle selon protocole royal en vigueur]

Osborne, 6 mai 1870

«Les circonstances se rapportant à la loi qui voudrait donner aux femmes l’égalité des droits pour les élections au parlement conduisent la reine à faire remarquer qu’elle s’est efforcée depuis un certain temps d’attirer l’attention de Mr Gladstone sur les actuels efforts extravagants et complètement démoralisants qui entendent ménager aux femmes les mêmes positions professionnelles qu’aux hommes, entre autres dans le domaine de la médecine. (…) Elle attache beaucoup de prix à faire savoir que non seulement elle réprouve, mais elle abhorre ces tentatives qui mènent à la ruine de toute bienséance et de tout sentiment féminin – car tel serait le résultat inévitable de ces propositions. La reine est femme elle-même et sait combien sa propre position est anormale. Celle-ci peut manifestement s’accorder avec la bienséance et la raison, encore que cela soit terriblement pénible et pesant. Mais supprimer toutes les barrières et proposer que des femmes étudient avec des hommes, et des choses qui ne peuvent même pas être nommées en leur présence, et certainement pas dans une dans une assemblée mixte, signifierait l’oubli de tout ce qui doit être considéré comme faisant partie des lois et principes de la morale. 
   Les sentiments de la reine face à ce cri de guerre dangereux, antichrétien et antinaturel, et à ce mouvement des «droits de la femme» sont si violents (…) qu’il lui importe beaucoup que Mr Gladstone et d’autres entreprennent quelque chose pour écarter ce danger alarmant, en se servant de son nom autant qu’ils le voudront (…).»

Source : Les plus belles lettres de femmes, Laure Adler & Stefan Bollmann; Flammarion 2012

Industrie du sexe 2 : Le peak de l’exploitation sexuelle

30 juillet : Journée mondiale de la dignité des victimes de la traite d’êtres humains (ONU)

Je crois que la majorité des gens ne soupçonne pas l’ampleur des ravages de l’industrie du sexe. Parmi les aspects choquants et révoltants de ce commerce il y a la façon dont les proxénètes, les propriétaires de bars de danseuses et les agences d’escortes traitent leurs «employées», c’est-à-dire comme du raw material (des matières premières ou du bétail). Enfants, adolescents et adultes sont kidnappés ou achetés et revendus à des fins d’esclavage sexuel. La pauvreté et la survie sont parallèlement responsables de ce fléau mondial propagé par l’industrie. 
   Certains adolescents s’engagent volontairement dans cette voie parce qu’ils croient que ce sera un moyen de faire de l’argent rapidement et facilement, et aussi parce qu’ils trouvent ça glamour, cool... Ils ignorent dans quelle sorte de machine infernale ils se jettent. Et puis, il y a une minorité de travailleuses du sexe qui prétend s’adonner à la prostitution par plaisir. Je me permets de douter. 
   Quand on songe qu’un(e) prostitué(e) peut avoir jusqu’à une douzaine de clients qui lui passent sur le corps (au cours d’une seule journée), on se demande comment on peut supporter ça sans se «geler». Faut-il trouver un moyen de se déconnecter de son corps, de réprimer toute sensibilité? Je suppose que la drogue joue ce rôle et que cela explique le mariage prostitution/drogues – des inséparables.

Le peak de l’exploitation sexuelle


Le documentaire Le commerce du sexe nous balance l’ampleur du fléau en pleine figure (accessible sur le site de l’ONF ou de Télé Québec si vous avez accès à la zone : http://zonevideo.telequebec.tv/a-z/392/le-commerce-du-sexe ). 

Quelques commentaires tirés du documentaire

Victor Malarek, journaliste et écrivain. Il a réalisé plusieurs enquêtes sur le sujet et il a publié The Johns: Sex for Sale and the Men Who Buy It, Key Porter 2009 (pourquoi les hommes utilisent-ils les services de prostituées)  

Beaucoup de monde pense qu’un club de danseuses est simplement un club de danseuses, mais c’est faux. Quand on regarde les sites où les clients écrivent, ils  décrivent exactement ce qu’ils obtiennent dans un club :
-- Est-ce qu’il y a une place pour des extras et combien ça coûte pour une pipe? 
-- Tu peux obtenir la totale pour 200$.
Le gars répond :
-- 200$!!
-- Hé, les boys!, il faut négocier. 

Sérieusement... Tu découvres l’existence sur Internet d’une fraternité de clients. Ils sont complices mais personne ne donne son vrai nom parce que ce serait trop gênant de révéler son vrai nom. Parfois tu trouves cette fraternité en train de partager des informations comme celles-là : 
«Elle est ma toute première expérience. Je suis pas mal certain qu’elle sera ma deuxième, aussi.»
«Après cette action, on commence le datty, le bbbj, le cowgirl, le doggy, le 69...» Ensuite  il évalue  son visage : 8; son corps : 10; ses fesses : 10; son service : 10; sa chambre : 9,5.

Tout ce qu’ils font c’est raconter ce qu’ils ont obtenu des femmes pour s’assurer que leurs copains disent : Wow! Ils se vantent constamment, message après message. Le but est de vivre leurs fantasmes; et ce fantasme est strictement d’éjaculer. Mais, si le type ne bande pas, alors il accuse la fille, c’est elle la coupable.

Quand j’ai commencé mon enquête au sujet de l’implication des hommes dans la prostitution, j’étais horrifié par ce que j’ai constaté : leurs propos sur Internet, ce qu’ils me racontaient dans les bars quand je me faisais passer pour un client, ce qu’ils racontaient au cours des interviews. Je les regardais en disant :
-- Mais tu parles d’un être humain! 
-- Non, mon gars, je parle d’une pute, une prostituée.
Les hommes déclarent : «C’est une pute, une prostituée. Elle choisit d’être là pour faire de l’argent facile.»

Ils ont besoin de le croire, de croire que dès qu’un homme donne de l’argent à une femme, elle est consentante, et donc qu’il n’y a pas de viol. Il veut la voir avec le sourire aux lèvres, et puisqu’elle prend de l’argent, lui, il n’éprouve aucun remords.

[Au sujet des Asiatiques] 
Sur Internet, on offre du tourisme sexuel organisé pour les clients à partir de leur propre pays. Ils disent : «Je serai en Thaïlande, aux Philippines, au Cambodge, ou en Indonésie, n’importe où, à telle date.» Et tout est organisé pour eux à l’avance. On peut obtenir les services de ce genre de filles pour une somme variant entre 20$ et 50$ USD pour une nuit complète. 
   Voici un gars qui écrit : «Je fais du tourisme sexuel pendant 39 ans, de 1974 à 2013, et ça me plaît toujours. Des relations saines, sécuritaires avec de jeunes putes, des escortes ou des filles sexy.» 
   Dans le fond, ces filles ont souvent l’âge de leurs filles, ou plutôt de leurs petites-filles. Elles offrent leurs services à ces vieux Blancs gros et laids en provenance du Canada, des États-Unis, de l’Europe...

Qu’elle soit légale ou illégale, la prostitution est étroitement liée au crime organisé. Le crime organisé ne se privera jamais de 20 milliards de dollars au bénéfice d’affaires légitimes. Ce commerce fait tellement de profit que le crime organisé y restera toujours. Quand on découvre qui est derrière la prostitution dans ce pays, par exemple, le Canada, les Hells Angels contrôlent d’énormes réseaux de prostitution. Les Yakuzas au Japon, les Triades en Chine, les mafias albanaises et russes à travers l’Union européenne, contrôlent la prostitution. Ça représente énormément d’argent, au deuxième ou troisième rang derrière les profits de la drogue ou de la vente d’armes dans les pays du tiers-monde.

Tout ça dépend des hommes qui exigent des rapports tarifiés avec des femmes et des enfants. Et si on arrêtait cette folie, on verrait l’explosion du commerce du sexe et de la traite des femmes et des enfants prendre fin! (1)

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Rita Acosta, Mouvement contre le viol et l’inceste 

On sait que la prostitution commence à l’âge de 15-16 ans, même 13-14 ans. Les femmes ont généralement entre 14 et 22 ans. Le recrutement se fait partout, dans les restos, les écoles et sur la rue. C’est un commerce. Quand tu veux démarrer un commerce tu fais une étude marché, tu regardes les possibilités et tu fais du marketing. C’est exactement la même chose sauf que là, ce sont des humains, ce sont des femmes.

Les trafiquants proxénètes ne séquestrent pas les femmes comme tel, mais ils utilisent les menaces, la violence et la manipulation pour les garder sous contrôle.

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Commentaires d’un policier du SPVM, prostitution et traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle. Il chasse littéralement les proxénètes 

Le Canada est considéré par les Américains comme un endroit extraordinaire, en particulier Montréal. Ils disent que Montréal est fantastique : ‘Tu regardes les journaux, ou Internet, et tu choisis ta fille comme une pizza, c’est-à-dire que tu choisis la couleur de ses cheveux, de ses yeux, ses mensurations, sa grandeur, son poids, puis elle va t’être livrée à la maison ou à ton hôtel, à l’heure que tu veux; et tu la payes comme une pizza’.

Vous voyez? Ce proxénète habite un secteur huppé du Vieux-Montréal, dans un condo de luxe qui lui coûte 3000$ par mois. Dans le stationnement c’est plein de voitures de luxe, Porsche, etc. 

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Commentaires de travailleuses du sexe 

Les filles sont enfermées entre 12 et 16 heures par jour à attendre que le proxénète leur envoie des clients. Elles sollicitent sur la rue également. Si elles veulent quitter le milieu, on les menace de mort, on use de violence, ou certains proxénètes réclament des montants compensatoires variant entre 10 000$ et 50 000$. Difficile de sortir du cercle vicieux.

Une travailleuse raconte que son père a commencé à l’abuser sexuellement à l’âge de 5 ans. Quand elle eut autour d’une dizaine d’années, le bonhomme invita des amis de son réseau de pédophiles à participer aux agressions. «Tout ce que tu veux, c’est te ‘geler‘ pour être inconsciente, parce que t’es pas capable de t’en sortir», dit elle. 

«J’ai des clients de toutes les classe sociales : retraités, camionneurs, travailleurs de la construction, hommes d’affaires de l’extérieur.»

«J’ai comme clients des hommes d’affaires, beaucoup d’ingénieurs, des avocats, beaucoup de fonctionnaires, et aussi des gens du milieu de l’humour.»

Une escorte de luxe – L’agence l’envoyait en Californie, à Hawaï, etc., faisant valoir qu’elle pourrait gagner plusieurs milliers de dollars par semaine. Or une fois les frais payés : billets d’avion, vêtements, chambres d’hôtel de luxe et repas, ainsi que le pourcentage de l’agence, c’était loin d’être mirobolant.
   «Tu dois voir plusieurs clients par jour, être toujours souriante, impeccable et fraîche jusqu’au dernier, faire semblant qu’il n’y en a pas eu d’autres avant. ... Le jour où j’ai décidé de cesser c’est parce que j’étais plus capable de vivre avec ça. Ces lourdeurs d’hommes sur mon corps. J’étais plus capable d’être une marchandise. J’étais plus capable de me taire. On ne peut pas exister quand on fait ça. Qu’on soit escorte de luxe ou simplement travailleuse du sexe, c’est impossible de pouvoir se laisser être, se laisser vivre. Se respecter c’est impossible. L’homme achète notre silence, complètement.»

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(1) L’écrivaine et auteur de séries télévisées Janette Bertrand disait : «le sexe c’est comme l’appétit, certains en ont plus que d’autres». Pas faux. Il y a des gens qui ont des fixations sur le sexe, d’autres sur la nourriture, l’alcool, l’argent, le jeu, etc. Nous sommes une civilisation de compulsifs. Les compulsifs ne connaissent pas la satiété. Le marketing a une immense part de responsabilité; le rabâchage publicitaire poussant les gens à une consommation/dépendance effrénée. 
   Je me souviens de l’époque où l’on avait interdit les messages subliminaux en publicité. Ce ne fut jamais respecté. Pour la petite histoire : le message subliminal incorpore un stimulus (images/mots) diffusé à une vitesse telle qu’il ne peut être perçu consciemment; par contre le subconscient l’enregistre. Alors, imaginez ce que nous gobons sur internet en matière de messages subliminaux! Comprendre la façon dont le subconscient est influencé ou même programmé peut aider à éviter certaines influences. Mais, la simple prise de conscience ne suffit pas. Pour se retirer du jeu, il faut cesser de jouer. Il faut rendre l’inconscient conscient, identifier ses pulsions, laisser tomber les mensonges auxquels on croit, éviter de les refiler aux autres et cesser de se mentir et de mentir aux autres.

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La sexualité est notre instinct le plus primaire et de loin le plus facile à exploiter. L’industrie du sexe l’utilise à grande échelle pour faire croître la dépendance, car cela rapporte gros. Par toutes sortes de moyens, l’on invite le mental à se centrer sans relâche sur l’activité sexuelle en la juxtaposant à presque tous les aspects de la vie courante. L’individu qui n’a aucune maîtrise mentale et émotionnelle est facile à droguer et à manipuler (physiquement, chimiquement, émotionnellement, mentalement) et il donnera dans le fast-food sexuel sans hésitation. (L’identification au robot, Parenthèse sur le sexe, Air Karma)

Dans la même veine :

Le viol télépathique
http://artdanstout.blogspot.ca/2014/10/le-viol-telepathique.html

Intimidation et autodéfense
http://artdanstout.blogspot.ca/2014/10/intimidation-et-autodefense.html

Industrie du sexe 3 : Les Soixante Glorieuses de la pornographie

30 juillet : Journée mondiale de la dignité des victimes de la traite d’êtres humains (ONU)

Cinquante nuances de Grey – que je n’ai pas lu ni vu – semble promouvoir les pratiques sexuelles perverses du courant BDSM (bondage, domination, soumission, sadomasochisme). Les adeptes contemporains n’ont rien à envier à Caligula qui disait cyniquement à chaque fois qu’il embrassait la nuque de son épouse ou d’une concubine : «cette si jolie nuque sera tranchée dès que j’en donnerai l’ordre!» 


On ne peut s’empêcher de penser à Jian Ghomeshi. L’ex-animateur de l'émission culturelle Q à la radio de CBC est accusé d'avoir vaincu la résistance de ses victimes par l'étouffement pendant des relations sexuelles à caractère BDSM. Après que CBC ait mis fin à sa relation avec l’animateur en octobre 2014 la police de Toronto a ouvert une enquête criminelle et déposé une série d’accusations à son endroit.

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«Parallèlement à la croissance de la pornographie, il y a eu explosion des violences liées au sexe, y compris des abus domestiques, des viols et des viols en groupe. Un viol est signalé toutes les 6,2 minutes aux USA, mais le total estimé, qui prend en compte les assauts non-rapportés, est peut-être 5 fois plus élevé. Il y a tellement d’hommes qui assassinent leurs partenaires et anciennes partenaires, que nous avons bien plus de 1000 homicides de ce type chaque année – ce qui signifie qu’à tous les trois ans le nombre total de morts est la première cause d’homicides relevés par la police, bien que personne ne déclare la guerre contre cette forme particulière de terreur.»

~ Rebecca Solnit, auteur de «Les hommes m’expliquent des choses» 

Les hommes tuent également leur enfants; encore des meurtres intrafamiliaux récemment. Le manque de maturité émotionnelle et sexuelle est ahurissant : 
   «Je suis horrifiée d’entendre combien de conjoints font référence à l’affaire [Guy] Turcotte pour paralyser les femmes, pour leur inspirer la plus grande peur qui existe, soit celle de voir ses enfants se faire assassiner.»
~ Une intervenante qui a maintes fois entendu cette menace et ressenti la terreur chez les femmes. 
   Il est terrifiant en effet de penser qu'un homme qui a assassiné ses enfants devienne un modèle. À ce propos :
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2014/12/femmes-et-enfants-en-otage.html 
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2014/12/derriere-la-haine-la-colere-et-la.html

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«Les féministes de la troisième vague ont un avis sur les aspects politiques du sexe, articulés sur les questions du pouvoir, du sexe biologique (mâle/femelle) et de la sexualité. Elles pensent aussi que la hiérarchie qui place les hommes au-dessus des femmes est injuste, mais elles ont des idées différentes en ce qui concerne les moyens d’ébranler cette hiérarchie, particulièrement lorsqu’il est question de sexualité. Ainsi, par exemple, elles pensent qu’une femme défie cette hiérarchie lorsqu’elle joue un rôle de dominatrice, ou lorsqu’elle devient consommatrice sexuelle (par ex., en consommant de la pornographie ou en faisant du «lap dance» dans un club de strip-tease) – c’est-à-dire lorsqu’elle adopte le kit de rôles et d’activités sexuelles conformes aux standards masculins. Une femme résiste également, selon cette logique, quand elle use du «pouvoir» de la féminité – sa beauté, son sex-appeal, son piquant, etc. – pour son supposé propre avantage. Selon la troisième vague, une femme peut promulguer une politique sexuelle libératrice et féministe en adoptant une posture sexuelle soit typiquement féminine soit typiquement masculine et se débrouiller avec – tant qu’elle le fait librement et avec de bonnes attitudes et intentions. Ce faux féminisme nourrit davantage qu’il ne heurte la culture porno. 
   Le concept de «préférences adaptatives» est indispensable pour comprendre les dynamiques d’autoreproduction des systèmes oppressifs. Je pense notamment que ceci peut nous aider à comprendre la nouvelle vague du féminisme à laquelle j’appartiens, et que Marcelle Karp et Debbie Stoller considéraient comme représentatives de cette version qu’on appelle parfois «Dome Feminism», mais pour laquelle il y a également un sobriquet moins poli : «Féminisme baise-moi» («Fuck-me Feminism»). Un blogueur le résume comme suit (pas de manière très sympathique mais avec justesse) : «Le ‘féminisme baise-moi’ (…) est un courant de pensée qui propose que les femmes s’autonomisent en reprenant et contrôlant le fait d’être un objet sexuel, en réclamant le pouvoir de la pornographie et de l’industrie du sexe pour elles-mêmes, et en vantant leur désir et leur volonté d’avoir des relations sexuelles. En d’autres termes, être l’objet sexuel d’un homme ne peut pas me faire du mal puisque je souhaite être un objet sexuel; la pornographie et l’industrie du sexe ne peuvent me dégrader si ça me plaît ou si j’en tire profit; l’utilisation sexuelle ne peut me dévaluer puisque je l’utilise aussi; être considérée comme une chatte à baiser ne peut pas me déshumaniser puisque je veux qu’il baise ma chatte.» Il nous faut noter ici ce thème important : selon ce point de vue, et en ce qui concerne cette sorte de féminisme : ce n’est pas ce que je fais qui importe, mais plutôt ce que je veux ou choisis de faire. ... 
   «Aujourd’hui, les choses ont changé. Les gens de ma génération veulent que la sexualité occupe une place importante dans leur vie; ils veulent être libres et ouverts dans leur sexualité. Voilà pourquoi ils veulent faire et consommer du porno». Le commentaire de cette jeune femme présuppose deux choses. Pour qu’une expérience, une activité, soit considérée comme importante, réelle, digne de considération, elle doit être mise en images : il faut prendre en photo, faire tourner la caméra, allumer la webcam. Nous vivons dans une culture basée sur l’image. Tout doit être mis en images et nous tirons notre conception de ce que et de qui nous sommes principalement des images qui nous entourent. En outre, pour qu’une expérience, une activité, soit perçue comme importante, réelle, digne de considération, elle doit être transformée en produit achetable et vendable. On rencontre un phénomène étrange dans de nombreuses discussions sur la pornographie : lorsqu’il est question de sexualité, des personnes progressistes et de gauche prétendent que la mettre sur le marché capitaliste la rendra plus libre (ou serait la preuve qu’on est plus libre ainsi).»

~ Rebecca Whisnant (colloque de la National Feminist Antipornography Conference, Wheelock College de Boston, le 24 mars 2007) Article intégral :
http://sisyphe.org/spip.php?article4191

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«On dit aux femmes qu’elles ont deux choix dans notre société. Elles sont soit baisables soit invisibles. Être baisable signifie se conformer à la culture du porno, avoir l’air sexy, être soumise et faire ce que veut l’homme. C’est la seule façon d’être visible. Vous ne pouvez pas demander aux filles adolescentes, qui aspirent plus que tout à se faire remarquer, de choisir l’invisibilité. 


Le porno a émergé de la culture de la marchandise, du besoin de vendre des produits qu’ont les capitalistes corporatistes. Après la guerre, ce dont [les capitalistes] avaient besoin pour faire démarrer l’économie c’était des gens prêts à dépenser leur argent pour des choses dont ils n’avaient pas besoin. ... Qui a appris aux hommes à dépenser leur argent? Ce fut le génie de Hugh Hefner qui en 1953 lança son magazine Playboy. Il a compris qu’il ne suffisait pas de marchandiser la sexualité, mais qu’il fallait sexualiser les marchandises. Playboy ne promettait pas les filles où les femmes, il disait que si vous achetiez beaucoup, que si vous consommiez au niveau promu par Playboy, alors vous obtiendriez la récompense que sont les femmes. La condition cruciale pour obtenir la récompense était la consommation de marchandises. Il a introduit le porno, qui sexualisait et marchandisait le corps des femmes, dans le manteau de la classe moyenne. Il lui a donné un vernis de respectabilité. 

Marilyn sur la couverture du premier numéro de Playboy Magazine. Appelons un lapin un lapin : Hefner était en fait un proxénète.  

L’Amérique, et la majeure partie du reste du monde, se pornifia. Les revenus de l’industrie mondiale du porno sont estimés à 96 milliards de $, le marché des USA comptant pour environ 13 milliards. Il y a 420 millions de pages porno sur internet, 4,2 millions de sites web porno, et 68 millions de requêtes porno dans les moteurs de recherches chaque jour. 
    Avec un téléphone mobile vous pouvez fournir du porno aux hommes qui vivent dans les zones densément peuplées du Brésil et de l’Inde. Si vous avez un seul ordinateur portable dans la famille, l’homme ne peut pas s’assoir au milieu du salon et se masturber. Avec un téléphone, le porno devient portable. L’enfant moyen regarde son porno sur son téléphone mobile.»

~ Gail Dines, auteur de Pornland: How Porn Has Hijacked Our Sexuality

28 juillet 2015

En harmonie avec la canicule

Marcio Faraco (que j'aime d'amour inconditionnel pour la douceur de sa voix) 
Efemera



Far-niente

Quand je n’ai rien à faire, et qu’à peine un nuage
Dans les champs bleus du ciel, flocon de laine, nage,
J’aime à m’écouter vivre, et, libre de soucis,
Loin des chemins poudreux, à demeurer assis
Sur un moelleux tapis de fougère et de mousse,
Au bord des bois touffus où la chaleur s’émousse.
Là, pour tuer le temps, j’observe la fourmi
Qui, pensant au retour de l’hiver ennemi,
Pour son grenier dérobe un grain d’orge à la gerbe,
Le puceron qui grimpe et se pend au brin d’herbe,
La chenille traînant ses anneaux veloutés,
La limace baveuse aux sillons argentés,
Et le frais papillon qui de fleurs en fleurs vole.
Ensuite je regarde, amusement frivole,
La lumière brisant dans chacun de mes cils,
Palissade opposée à ses rayons subtils,
Les sept couleurs du prisme, ou le duvet qui flotte
En l’air, comme sur l’onde un vaisseau sans pilote;
Et lorsque je suis las je me laisse endormir,
Au murmure de l’eau qu’un caillou fait gémir,
Ou j’écoute chanter près de moi la fauvette,
Et là-haut dans l’azur gazouiller l’alouette.

Théophile Gautier (Premières Poésies) 

http://www.poetica.fr/a-propos/

Une de mes photos modifiée avec FotoSketcher

26 juillet 2015

J’ai grandi


Maintenant j'ai grandi

Enfant,
j'ai vécu drôlement
le fou rire tous les jours
le fou rire vraiment
et puis une tristesse tellement triste
quelquefois les deux en même temps
Alors je me croyais désespéré
Tout simplement je n'avais pas d'espoir
je n'avais rien d'autre que d'être vivant
j'étais intact
j'étais content
et j'étais triste
mais jamais je ne faisais semblant
Je connaissais le geste pour rester vivant
Secouer la tête
pour dire non
secouer la tête
pour ne pas laisser entrer les idées des gens
Secouer la tête pour dire non
et sourire pour dire oui
oui aux choses et aux êtres
aux êtres et aux choses à regarder à caresser
à aimer
à prendre ou à laisser
J'étais comme j'étais
sans mentalité
Et quand j'avais besoin d'idées
pour me tenir compagnie
je les appelais
Et elles venaient
et je disais oui à celles qui me plaisaient
les autres je les jetais
Maintenant j'ai grandi
les idées aussi
mais ce sont toujours de grandes idées
de belles idées
Et je leur ris toujours au nez
Mais elles m'attendent
pour se venger
et me manger
un jour où je serai très fatigué
Mais moi au coin d'un bois
je les attends aussi
et je leur tranche la gorge
je leur coupe l'appétit

Jacques Prévert


(Recueil La pluie et le bon temps, éd Gallimard)

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C’est vrai qu’on peut facilement se laisser bouffer par de grandes et belles idées sur tout et n'importe quoi : Dieu, la justice, le sens de la vie... Des idées parfois avalées rapidement au «buffet à volonté» des opinions toutes faites.

On peut aussi avoir une haute idée de soi ou l’inverse. Plusieurs idées par rapport à nous cohabitent dans notre tête; chacune est membre en règle de notre Conseil d’administration mental et a son propre ordre du jour. Certains membres sont ouverts et honnêtes, d'autres sont plus obscurs et déviants quant à la façon de réaliser des objectifs. Comme le politicien, chaque membre a ses propres partisans et stratégies pour parvenir à ses fins et satisfaire ses intérêts. De sorte que le mental ressemble à un groupe de gens indisciplinés : beaucoup de voix et d'opinions s’opposent quant à ce que nous devrions être et faire.
   L’un des buts de la méditation est de prendre conscience de ces contradictions, seule façon de mettre de l’ordre dans ses idées. La méthode zen, comme la plupart des techniques de méditations orientales, se veut un antidote aux spéculations et aux fantasmes dépourvus de réalité concrète habituellement stimulés par des jugements, des opinions erronées, des émotions récurrentes, des souvenirs déformés et des rêves d’avenir chimériques. Lorsqu’on commence à pratiquer l’observation de nos pensées et de nos émotions, on réalise que 90% de nos préoccupations sont constituées de souvenirs et d’anticipations désagréables ou agréables qu’on entretient sans même s’en rendre compte. Nous vivons rarement dans le présent et toutes nos réactions aux événements s’appuient sur une référence à des expériences passées ou sur des probabilités futures sans fondement. En outre, cette boîte de Pandore mentale contient de nombreuses trivialités : la liste d’épicerie, les comptes à payer, les remarques désobligeantes d’Untel, le look super sexy du voisin ou de la voisine, etc. Quant au 10% restant de nos préoccupations, celui-ci concerne notre créativité, des projets d’envergure ou des relations humaines plus profondes. Cette constatation nous amène à nous demander si nous voulons continuer d’accaparer 90% de notre énergie mentale avec tant de futilités... Le mental peut nous tyranniser si l’on n’y prend pas garde. 
   Une technique simple et efficace pour mettre le doigt sur nos obsessions et vider notre boîte de Pandore consiste à écrire tout ce qui nous passe par la tête (sans censurer) en continu pendant 20 à 30 minutes. On voit plus clair à la fin!

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«Les livres présument que la pensée siège dans le cerveau, la vie prouve que l'homme pense avec ses autres viscères.» ~ Maurice Chapelan

25 juillet 2015

La récup du temps

La semaine dernière j’observais des voisins exténués partir en vacances à la course – pressés d’aller relaxer (ou peut-être pas...) –, véhicule rempli full top. La notion de vacances est bien subjective, tout comme celle du temps perdu...


«[Selon un sondage CROP] seulement un travailleur sur trois profiterait de ses vacances pour se détendre vraiment. S’ils se savaient plus éphémères, peut-être que les gens s’arrêteraient pour regarder pousser les pierres tombales dans les cimetières ~ Josée Blanchette (La liste des choses à ne rien faire, Le Devoir, 24.07.2015)



Mesurer le temps

L’ultime et peut être la plus significative conversion de la réalité en nombre est la mesure du temps. Les horloges font au temps ce que le nom et le nombre font au monde matériel, ils le réduisent, le rende fini. Et qu’est ce que le temps si ce n’est la vie elle-même? Le temps est expérience, processus, le courant de l’être. En mesurant le temps, en le convertissant en nombre, nous lui volons son infinitude et son unicité, exactement de la même façon que les noms et les nombres réduisent le monde physique. La mesure du temps transforme la succession de moments uniques en autant de secondes, minutes et heures, et leur nie la particularité de l’expérience subjective de chaque personne qui en fait l’expérience. 
   ...Comme le mentionne Lewis Munford, «L’horloge, et non le moteur, est la machine clé de l’âge industriel». Plus nous mesurions et divisions finement le temps, en premier lieu en heures, puis en minutes et secondes, moins nous semblions en avoir et plus l’horloge empiéta et usurpa la souveraineté de nos vies, et aujourd’hui nous sommes tous à l’heure.
   Être ponctuel est le devoir de l’esclave envers son maître ou du sujet envers son Roi. Aujourd’hui nous sommes tous assujetti aux horaires imposés par les exigences de précision de la machine, la régularité et la standardisation. Nous voyons les machines comme nos serviteurs, alors que notre empressement pour être à l’heure dit le contraire. Plongé dans la mesure linéaire du temps, il est difficile d’apprécier l’audace de cette division de la journée en unités uniformes d’heures, de minutes et de secondes définies par l’homme, qui sont volontairement dissociées des processus naturels et «objectives». [...]  
   Une vie programmée et accélérée est une vie dont on n’est pas maître, la vie d’un esclave. Le contrôle suprême est de pouvoir commander à quelqu’un de se présenter sur appel : «Quand je te dis viens, tu viendras». Régner sur l’horaire de quelqu’un c’est régner sur sa vie. Dans la société moderne, nous sommes occupés de façon chronique : trop occupés pour faire ce que l’on désire, trop occupés pour s’arrêter et sentir les roses, pour passer une heure à regarder les nuages, pour jouer avec les enfants, trop occupés pour faire autre chose que ce qui est nécessaire. 
   Comme le fait tristement remarquer John Zerzan, l’horloge «rend le temps plus rare et la vie plus courte»; d’où l’obsession compulsive de la vitesse, de l’efficacité et du confort de la société technologique moderne. Pour quel autre motif voudrions-nous y arriver plus vite, le faire plus vite, l’obtenir plus vite, si ce n’est à cause de la croyance que nos jours sont comptés? L’anxiété de la société moderne vient en grande partie du sentiment qu’il n’y a pas suffisamment de temps. «Vous devez toujours être en train de faire quelque chose d’utile. Vous devez être productif à chaque minute de la journée. Si, lorsque vous vous couchez le soir, vous ne pouvez dire que chaque minute de votre temps a été utile, alors une partie de votre vie s’est envolée, perdue à jamais. Vous l’avez gaspillée.» Après tout, chaque instant peut être utilisé pour exercer plus de contrôle sur le monde, pour augmenter la survie et rehausser le confort. Après avoir maximisé toutes ces possibilités, peut-être alors pourrons-nous nous permettre un peu de temps libre et de loisirs. Nous permettre ? N’est-ce pas là une métaphore financière ? «Le temps c’est de l’argent». 

«Jouir de son temps» signifiait à l’origine ne pas être sujet aux contraintes du temps; aujourd’hui, nous programmons nos loisirs comme tout le reste, et la liberté de flâner selon son bon gré semble devenue un rare privilège. Nos temps libres ressemblent davantage aux permissions accordées à un prisonnier. Nous ne sommes plus maîtres de notre propre temps.
[...] 
Le plus ironique et l’indication la plus incontestable de notre servitude se manifeste dans notre aversion pour les longues périodes de temps libre. Le véritable esclave est amené à craindre la liberté. Ainsi, nous remplissons nos temps libres de passe-temps, nous cherchons à être divertis, c’est-à-dire détournés de nous-mêmes. L’anxiété sous-jacente de la vie moderne nous a volé nos moments et nous incite à une activité incessante.

Source des extraits : The Ascent of Humanity by Charles Eisenstein (en français)
Article intégral : http://www.ascentofhumanity.com/2.5-mesurer-le-temps.php

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Dis, au moins le sais-tu
Que tout le temps qui passe
Ne se rattrape guère
Que tout le temps perdu
Ne se rattrape plus

~ Barbara (Dis quand reviendras-tu?, 1962)

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Why I Left Facebook
It’s time for more love and less like

By Matt Steel

(Excerpts)

There are two kinds of digital communication: those that improve our lives, and those that harm. If that seems too black and white for you, consider our second-greatest resource: time. Besides love, time is perhaps the most valuable thing we have

...Spend your time with ruthless discernment.

It can be hard to tell the difference between healthy and toxic communication tools, and many of them have mixed amounts of honey and arsenic. Some digital tools, however, have been around long enough to prove generally unhelpful for society. And for myself and at least one other person who has my utmost respect, Facebook falls squarely into the toxic category.

This is why I’m leaving Facebook for good. I’m certainly not the first to write about such a decision, but hopefully I can contribute something new to the conversation. [...] 

I’ve decided that the time has come to change the way I use Facebook. People interested in the ideas and work being done at Grain (my company) can follow our Facebook page. But I am choosing to stop using Facebook for personal communication with family, friends or clients.

If anyone has glossed over this entire post until now, leaving Facebook doesn’t mean you (or I) have to leave relationships behind. For myself, I’m actively choosing to deepen the real relationships I already have, and create more space for new ones.

https://medium.com/word-lovers-love-letters/why-i-left-facebook-327461fe2afb

24 juillet 2015

Pendant que tu attends


Life While-You-Wait
By Wislawa Szymborska 

Performance without rehearsal.
Body without alterations.
Head without premeditation.
I know nothing of the role I play.
I only know it's mine. I can't exchange it.
I have to guess on the spot
just what this play's all about.
Ill-prepared for the privilege of living,
I can barely keep up with the pace that the action demands.
I improvise, although I loathe improvisation.
I trip at every step over my own ignorance.
I can't conceal my hayseed manners.
My instincts are for happy histrionics.
Stage fright makes excuses for me, which humiliate me more.
Extenuating circumstances strike me as cruel.
Words and impulses you can't take back,
stars you'll never get counted,
your character like a raincoat you button on the run –
the pitiful results of all this unexpectedness.
If only I could just rehearse one Wednesday in advance,
or repeat a single Thursday that has passed!
But here comes Friday with a script I haven't seen.
Is it fair, I ask
(my voice a little hoarse,
since I couldn't even clear my throat offstage).
You'd be wrong to think that it's just a slapdash quiz
taken in makeshift accommodations. Oh no.
I'm standing on the set and I see how strong it is.
The props are surprisingly precise.
The machine rotating the stage has been around even longer.
The farthest galaxies have been turned on.
Oh no, there's no question, this must be the premiere.
And whatever I do
will become forever what I've done.

From Map: Collected and Last Poems – translated by Clare Cavanagh and Stanislaw Baranczak

Via brainpickings.org  

Originaire de Pologne, Wislawa Szymborska (1923-2012) est célèbre entre autres pour sa poésie. Elle préférait la parcimonie, la modestie et la dérision aux grandes envolées lyriques. Elle a reçu le prix Nobel de littérature en 1996.

Traduction personnelle (pas trouvé de traduction officielle

La vie pendant que tu attends

Performance sans répétition.
Corps sans modifications.
Tête sans préméditation.
Je ne sais rien du rôle que je joue.
Je sais seulement que c'est le mien. Je ne peux pas l'échanger.
Je dois deviner sur place
en quoi consiste le rôle.
Mal préparée au privilège de vivre,
j'arrive à peine à suivre le rythme que l'action exige.
J'improvise, bien que je déteste l'improvisation.
Je trébuche sur ma propre ignorance à chaque pas.
Je ne peux dissimuler mes manières paysannes.
Mes instincts me poussent au joyeux cabotinage.
Le trac me fournit des excuses, mais m’humilie davantage.
Les circonstances atténuantes me frappent par leur cruauté.
Tu ne peux pas reprendre tes mots et tes impulsions,
tu ne réussiras jamais à compter les étoiles,
ton personnage est comme un imperméable que tu t’empresses de boutonner –
voilà les résultats pitoyables de toute cette imprévisibilité.
Si seulement je pouvais répéter d’avance un mercredi,
ou répéter un seul jeudi du passé!
Mais voilà vendredi avec un script que je n'ai pas vu.
Est-ce juste, me suis-je demandé
(la voix un peu enrouée, 
puisque je ne pouvais même pas éclaircir ma voix hors scène).
Tu aurais tort de penser que c’est un quiz bâclé
tiré d’accommodements de fortune. Oh non.
Je suis debout sur la scène et je vois à quel point elle est solide.
Les accessoires sont étonnamment précis.
La machine pour faire pivoter la scène est là depuis plus longtemps encore.
Les galaxies les plus lointaines ont été allumées.
Oh non, aucun doute que ce doit être la première.
Et quoi que je fasse
cela deviendra ce que j'ai fait pour toujours.

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I believe in the refusal to take part.
I believe in the ruined career.
I believe in the wasted years of work.
I believe in the secret taken to the grave.
These words soar for me beyond all rules
without seeking support from actual examples.
My faith is strong, blind, and without foundation.

Je crois au refus de participer.
Je crois à une carrière gâchée.
Je crois aux années de travail perdues.
Je crois au secret emporté dans la tombe.
Pour moi ces mots planent au-dessus de toutes les formules
sans avoir à chercher d’exemples concrets.
Ma foi est forte, aveugle, et sans fondement.

(Découverte)

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The world - whatever we might think when terrified by its vastness and our own impotence, or embittered by its indifference to individual suffering, of people, animals, and perhaps even plants, for why are we so sure that plants feel no pain; whatever we might think of its expanses pierced by the rays of stars surrounded by planets we've just begun to discover, planets already dead? still dead? we just don't know; whatever we might think of this measureless theater to which we've got reserved tickets, but tickets whose lifespan is laughably short, bounded as it is by two arbitrary dates; whatever else we might think of this world - it is astonishing.

Le monde – quoiqu’on pense quand nous sommes terrifiés par son immensité et notre propre impuissance, ou aigris par son indifférence à l’égard de la souffrance individuelle des gens, des animaux et peut-être même des plantes, car pourquoi sommes-nous si certains que les plantes n’éprouvent aucune souffrance; quoiqu’on pense de ses étendues percées de rayons d’étoiles, entourées de planètes que nous avons tout juste commencé à découvrir, des planètes déjà mortes? toujours mortes? nous ne le savons pas; quoiqu’on pense de ce théâtre incommensurable pour lequel nous avons réservé des billets, mais des billets d’une durée ridiculement courte délimitée par deux dates arbitraires; en dépit de tout ce qu’on pourrait penser d’autre au sujet de ce monde – il est étonnant.

(Extrait du discours de réception du Nobel de littérature)

Credits: Sentinel-1A/ESA -- An interferogram created by combining two Sentinel-1A radar scenes over the Danube Delta in Romania.
Via The Guardian
http://www.theguardian.com/environment/2015/jul/22/satellite-eye-on-earth-june-2015-in-pictures

Impressionnantes photos de notre monde que nous avons essayé de transformer à notre convenance par tous les moyens possibles. La lutte de l’homme nombriliste contre l’univers est non seulement ridicule mais perdue d’avance! si seulement il pouvait finir par s’en rendre compte...