29 juin 2018

L’intelligence invisible

En 2018, l’espèce humaine se croit encore la plus intelligente qui ait jamais existé. En tout cas, si c’est vrai, ça paraît pas.


Je pense que c'est une perte de temps et d'argent. S'il existe des formes de vie intelligente dans l'espace, pourquoi elles ne nous contactent pas?

Les formes de vie très avancées utiliseraient quelque chose de beaucoup plus rapide et sophistiqué que les signaux radio.

Comme quoi?

La PENSÉE.

Où trouves-tu toutes ces idées? 


24 juin 2018

Le pédiatre social Gilles Julien est scandalisé de la séparation des familles aux É.-U.

Un jour, Trump va frapper un mur : le sien!  

Point de vue du Dr Gilles Julien 
21/06/2018 

Dr Gilles Julien ... un VRAI BON docteur, lui, soucieux de la santé physique et psychologique des enfants, particulièrement dans les milieux défavorisés.

On assiste à un événement des plus troublants par rapport à la politique de séparation des familles à la frontière des États-Unis. On écoute les protestations qui fusent de toutes parts et les dénonciations de ce scandale inédit dans l’histoire de l’humanité. On a lu le parallèle fait avec les grandes épurations raciales du passé qu’on ne pensait plus possible. On en est estomaqué et scandalisé de cette déchéance sociétale.

Le fait est que des centaines d’enfants en bas âge subissent actuellement des traumatismes de séparation inhumains qui les blessent profondément et qui leur laisseront des séquelles pour toute leur vie. On connaît l’impact de ce genre de polytraumatismes sur la santé physique et mentale à court et à long terme ainsi que leurs effets pervers sur le cerveau et le développement. Ils sont à risque de ne pas s’en remettre à vie!

Le lien des parents et des enfants est primordial à un sain épanouissement des enfants. Ce lien, brisé ou coupé pour différentes raisons, est un acte de violence inouïe. En période de grand stress comme celui d’une migration difficile, on peut manquer de soins, de nourriture ou d’abri mais on ne peut pas se passer de ce lien de sécurité essentiel, la «base de sécurité». Pour tous et particulièrement pour les enfants, c’est la référence unique pour envisager des jours meilleurs et se bercer de l’espoir de la lumière au bout du tunnel.

Un parent qui met ce lien en péril est rapidement signalé à la Protection de la jeunesse pour abus et négligence. Une communauté ou une société qui enlève ce lien essentiel devra être accusé de crime contre l’humanité.

Les États-Unis d’Amérique sont le seul pays qui ne reconnaît pas la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. Dans cette triste histoire d’une politique de séparation automatique, ce pays et son président confirme leur insensibilité aux enfants et acceptent ouvertement de bafouer les droits les plus précieux.

Quel désespoir pour l’avenir! L’humanité subit une grande menace.

QUE TOUS SE LÈVENT POUR PROTESTER À LEUR FAÇON.

Gilles Julien, pédiatre social
Président-directeur général Fondation du Dr Julien


Familles séparées à la frontière : des traumatismes à vie   

Magdaline Boutros | Entrevue
La Presse Canadienne Le 23 juin 2018

Se disant interpellé par l'élan de folie qui s'est emparé de nos voisins du Sud, Dr Julien a pris la plume plus tôt cette semaine pour dénoncer cette dérive «troublante».
   Le pédiatre social est sans équivoque : les États-Unis ont fait vivre à ces enfants une torture émotive d'une puissance sans nom. Au nom d'une politique de tolérance zéro à l'endroit de l'immigration illégale, le pays de Donald Trump a érigé en système le pire des traumatismes qu'un enfant peut subir : celui de briser son lien d'attachement avec ses parents.
   Celui qui accompagne depuis 40 ans des enfants ayant subi des traumatismes, rappelle que de rompre ce lien entre un enfant et ses parents est un acte de violence inouïe.

Getty Images 

Des polytraumatismes

Les études sont pourtant là et la littérature scientifique est claire : les enfants qui subissent des blessures émotives brutales à un jeune âge en garderont des séquelles toute leur vie.
   Lorsque ces traumatismes atteignent un certain niveau en matière d'intensité, de durée ou de répétition, le terme «polytraumatismes» est alors utilisé, explique Dr Julien.
   «Tous ces enfants (séparés de leurs parents à la frontière) sont des polytraumatisés, bien que la réaction soit différente d'un enfant à l'autre», glisse-t-il.
   «On sait que plusieurs zones du cerveau sont atteintes dans ces périodes-là. Ça se manifeste ensuite par toutes sortes de symptômes: des blocages, des retards de développement, des troubles de comportement, des troubles adaptatifs et éventuellement des problèmes de santé mentale et de santé physique», détaille-t-il.
   Certains enfants surprennent par la force de leur résilience et parviennent, à la suite de polytraumatismes, à reprendre un parcours de développement presque normal.
   D'autres, toutefois, s'effondrent. Une fois le lien d'attachement brisé, ils tenteront toute leur vie de le ressouder. Une quête inatteignable, puisqu'elle deviendra complètement démesurée.
   «Si cette base de sécurité est rompue, l'enfant aura énormément de difficulté par la suite à faire confiance. Il va toujours chercher une forme de sécurité qu'il ne trouvera jamais. Sa demande devient exagérée et impossible à remplir», explique Dr Julien.
   Une blessure qui s'infuse au niveau du cerveau et qui peut même se transmettre de génération en génération.
   «On pensait avant que les gênes, ça ne changeait pas pendant des décennies. Mais on sait maintenant, avec l'épigénétique, qu'à cause des hormones, il y a des changements qui peuvent s'imprégner dans les gênes et qui peuvent se transmettre», précise Gilles Julien.
   Les séquelles sont ainsi léguées aux générations futures. Les polytraumatisés laissent en héritage une prévalence accrue en termes d'hypertension, de maladies cardiovasculaires, d'obésité et de problèmes psychiatriques, énumère le pédiatre social.
   Des traumatismes qui ont été infligés de manière volontaire à ceux et celles que l'État est censé protéger. Parce que leurs parents ont pris la route pour tendre vers un avenir meilleur. Parce que pour un groupe de décideurs, la fin justifie les moyens. Et parce qu'en détournant le regard, certains parviennent à cautionner le pire.
   «Ça va à l'encontre de toutes formes de soins normaux aux enfants, souligne le pédiatre. Le respect humain est tout simplement en train de foutre le camp.»

22 juin 2018

Aux ARBRES citoyens!

(Adapté de la Marseillaise)  

Allons enfants de la Terre,
Le jour de gloire est arrivé!
Aux ARBRES, citoyens,
Formez vos bataillons,
Marchons, marchons!

Quoi! des cohortes étrangères
Feraient la loi dans nos forêts!
Quoi! ces phalanges mercenaires
Terrasseraient nos fières sentinelles!
Grand Dieu! par des mains enchaînées
De vils despotes deviendraient
Les maîtres de nos terres!

Tremblez, tyrans et vous perfides
Vos écocides vont enfin recevoir leurs prix!
Amour sacré de la Nature,
Conduis, soutiens nos bras vengeurs
Combats avec tes défenseurs!
Que tes ennemis expirants
Voient ton triomphe et notre gloire!

Nous entrerons dans la clairière
Quand nos arbres n'y seront plus,
Nous y trouverons leur poussière,
Et la trace de leurs vertus,
Bien moins jaloux de leur survivre,
Que de partager leur cercueil,
Nous aurons le sublime orgueil,
De les venger ou de les suivre

«On a besoin des plantes à un point qu'on n'imagine pas.» ~ Francis Hallé, botaniste

Médium Large, ICI Radio-Canada Première 20 juin 2018

«Je suis absolument persuadé que nous dépendons des plantes pour notre survie», dit Francis Hallé, botaniste et spécialiste des forêts tropicales. Le scientifique de renommée internationale, de passage à Montréal, déplore le peu d'égards qu'ont les populations de la planète pour les végétaux. «N'importe quel idiot avec une tronçonneuse est capable d'abattre un être vivant qui a 3000 ans», se désole-t-il.
   «Les forêts, bientôt, il n’y en aura plus. Je ne suis pas fondamentalement pessimiste, mais dans ce domaine-là, je n’ai pas beaucoup de raisons d’être optimiste», constate le grand défenseur de la nature, qui trouve regrettable la déforestation constante de la planète.
   «Je n’imagine pas une exaction écologique pire que celle qu’on a faite. […] Quand j’étais un jeune chercheur, il y avait des forêts primaires dans toutes les régions tropicales. Ç'aurait paru insensé de prétendre que tout ça allait disparaître dans la durée d’une vie humaine. Et pourtant, c’est ce qu’on observe.
   Celui qui étudie depuis 50 ans les forêts tropicales et leur «feu d’artifice de biodiversité» lance un cri d’alarme. «S’il n’y avait pas de plantes, nous n’existerions pas. […] On ne pourrait pas vivre sans la photosynthèse. Je commence à comprendre comment est l’être humain : il ne se réveille que quand le drame est là. […] Le jour où l'on aura du mal à respirer, là, ça va commercer à intéresser les gens», dit-il. Et ce jour arrive à grands pas, prévient le botaniste.


L’homme de 80 ans, qui a inventé le Radeau des cimes, un appareil qui permet aux scientifiques de grimper au-dessus du couvert végétal afin d’observer la canopée, ne s’explique pas que la population et les dirigeants ne manifestent aucun intérêt pour la déforestation et la préservation des arbres partout sur la planète, particulièrement ceux de la région équatoriale.
   «La plupart de mes contemporains ne les voient pas, tout simplement. […] Si j’arrivais à faire venir là-haut ceux qui tiennent entre leurs mains l’avenir de ces régions-là, je pense qu’ils n’oseraient plus couper la forêt, mais ils ne viennent pas. […] Ils sont beaucoup trop occupés pour s’occuper de choses "futiles".»
   «Plus que jamais, il est important de s’intéresser aux plantes et aux arbres», plaide Francis Hallé. Il en va de la survie de l’humanité.
   Le Jardin botanique de Montréal présente l’exposition Francis Hallé : carnets d’un botaniste jusqu’au 31 octobre 2018.

Audiofil interview :

Bande-annonce du documentaire Il était une forêt, sorti en 2013 : 


Il était une forêt - Interview de Luc Jacquet et Francis Hallé :

Francis Hallé en train de dessiner dans une forêt primaire. 

L’homme a toujours refusé de s’adapter à la terre – cherchant par tous les moyens possibles à la soumettre à sa propre volonté plutôt que d’opter pour une coopération harmonieuse. Grave erreur : la terre et ses éléments ne réagissent pas aux indices boursiers; par contre, ils réagissent très mal aux saccages répétitifs.

Le roi couvert de paillettes d’or et de diamants est moins utile à la terre qu’un arbre; en réalité, cet homme est un parasite extrêmement nuisible.

«L’arbre n’est l’apanage de personne. Il mérite d’être reconnu comme un patrimoine commun à toute l’humanité, dont la connaissance doit être collective. Quelle est l’ampleur des réalisations des arbres, notamment leurs prouesses biochimiques et génétiques, les communications qu’ils établissent entre eux ainsi que leur sensibilité aux phases lunaires et aux variations du champ magnétique terrestre? Quelle est la place de l’arbre dans les villes et son apport dans nos vies?
   Selon des recherches scientifiques en cours au Japon, les arbres nous permettraient de prévoir les tremblements de terre. Les racines qui sont plus grosses que ce que l'on voit font comme une antenne. Ils mettent une électrode dans le tronc et dans les racines, et ils obtiennent une courbe régulière tant qu'il ne se passe rien et, quand un séisme arrive, la courbe s'emballe. C'est génial ça, et tout à fait passionnant.
   Si on a des émissions toxiques, il faut les arrêter. Ce n'est pas parce que les arbres vont nous rendre le service d'absorber ces émissions que nous avons le droit de les produire. C'est une solution valable, mais pas souhaitable.
   J'ai vu les forêts primaires tropicales disparaître. Quand j'étais jeune chercheur, il y avait de belles forêts primaires partout, personne n'aurait pu penser que 50 ans après c'était fini.» ~ Francis Hallé (Plaidoyer pour l’arbre; Éd. Actes Sud, Arles, 2005)

Francis Hallé rappelle qu'une forêt secondaire a besoin de sept siècles pour revenir à l'état primaire et dénonce le désastre écologique que constitue la déforestation abusive pratiquée par les grands groupes industriels, dont on peut déjà voir les conséquences dans des pays tels que Haïti, le Nigéria, Madagascar ou la Malaisie. Il fait remarquer que les populations forestières des forêts primaires n'ont jamais changé le caractère primaire de celles-ci, et que la déforestation peut être assimilée à un génocide car sans ces forêts ces populations sont perdues.
   En termes d’effondrement de la biodiversité, Francis Hallé rappelle que les forêts primaires contiennent 75 % de la biodiversité mondiale et que d'ici 2020, celles des tropiques auront disparu.
   Animé du souci constant de ne pas détruire les végétaux, il a impulsé la mise au point du Radeau des cimes, un dispositif d’étude original de la canopée des forêts tropicales, dont il a dirigé les missions scientifiques de 1986 à 2003. Les nombreux chercheurs au Radeau des cimes ont permis de multiplier par dix l’évaluation de la diversité biologique, c’est-à-dire du nombre d’espèces vivant sur Terre. (Source : Wikipédia)

Il y a des arbres dans vos vêtements

Did you know that the dress you’re wearing, or the jacket you’re rocking, or the new polo you’re sporting might be destroying orangutan habitats in Indonesia?

Photo by Michael Ruffolo and Michaël Catanzariti

The common clothing material, rayon, is made from ancient and endangered forests around the world. 

In the video below, Michael Ruffolo takes the shirt off rayon: 


The National Observer video transcription: 
https://www.nationalobserver.com/2018/06/18/news/watch-there-are-trees-your-clothes   

Orangutan Tries To Fight Bulldozer Destroying Habitat 

20 juin 2018

Le puritanisme américain : deux poids, deux mesures

S’il y a une affaire qui n’a pas retenu mon attention, c’est bien celle de Clinton/Lewinsky, sauf au moment du scandale. Mais, l’autre jour j’ai buté sur une lettre intéressante de Monica Lewinski publiée dans le magazine Vanity Fair (2014). Elle raconte la profonde humiliation vécue notamment à cause des campagnes de dénigrement à son égard. À chaque nouvelle campagne électorale – et les Américains sont toujours en campagne électorale! – elle se fait harceler à la fois par les républicains et les démocrates. Clinton s’en est très bien sorti : avec de l’argent on peut blanchir n’importe quoi.

Photo : Paul Hunter CBC  

Voici une citation de Donald Trump – comment se fait-il que les ultra chrétiens/puritains du parti républicain ont accepté sa candidature?  

“I did try and fuck her. She was married. I moved on her like a bitch, but I couldn’t get there. And she was married. Then all of a sudden I see her, she’s now got the big phony tits and everything. She’s totally changed her look. I’ve gotta use some Tic Tacs, just in case I start kissing her. You know I’m totally attracted to beautiful ... I just start kissing them. It’s like a magnet. Just kiss. I don’t even wait. And when you’re a star they let you do it. You can do anything... Grab them by the pussy. You can do anything.”

C’est un peu comme les mafieux italiens ultra catholiques qui pendant qu’ils commettent leurs crimes se justifient en se disant que c’est la «volonté de Dieu».
   «Vous n'avez pas besoin de la religion pour avoir de la morale. Si vous ne pouvez pas distinguer le bien du mal, alors vous manquez d'empathie, non pas de religion.» (Auteur inconnu)

Monica Lewinsky: ‘The shame sticks to you like tar’
By Jon Ronson | The Guardian 22 Apr 2016

Nearly 20 years ago, Monica Lewinsky found herself at the heart of a political storm. Now she’s turned that dark time into a force for good. 

https://www.theguardian.com/technology/2016/apr/16/monica-lewinsky-shame-sticks-like-tar-jon-ronson

Photograph: Steve Schofield for the Guardian

Lettre ouverte de Monica Lewinski à Vanity Fair


Monica Lewinski (23 juillet 1973) est sans nul doute l’américaine la plus connue au monde. Sa notoriété, elle la doit à sa liaison avec Bill Clinton, liaison qui entraîna le Président dans une procédure d’impeachement. Si cette relation lui a permis d’être sur le devant de la scène, les médias peuvent aussi être cruels. Dans cette missive à la revue américaine Vanity Fair, Monica revient sur le calvaire qui a suivi cette relation.

2014

Nous étions au début de l’année 2001, à New York. J’étais assise sur une estrade de l’école ­Cooper Union, je participais à une séance de questions-réponses avec les étudiants filmée pour un documentaire de la chaîne HBO. J’en étais le sujet. Et j’étais sous le choc. Des centaines de personnes dans le ­ public, principalement des élèves, me dévisageaient, bouche bée, se demandant si j’aurais le courage de répondre à cette question : «Alors, ça fait quoi d’être la reine de la pipe?»
   Je n’avais pas accepté de participer à ce documentaire pour refaire l’histoire, ni pour ressasser «l’affaire Clinton», mais pour recentrer le débat sur des questions plus pertinentes. L’enquête et la procédure de destitution visant le président Clinton avaient soulevé des problèmes politiques et judiciaires inquiétants. Mais on avait ignoré le plus choquant. Les gens ne s’intéressaient visiblement pas aux enjeux les plus essentiels, comme l’érosion de la vie privée dans la sphère publique, l’équilibre des pouvoirs et l’inégalité hommes-femmes en politique et dans les médias, ou encore l’affaiblissement de la protection juridique assurant que parents et enfants n’aient pas à témoigner les uns contre les autres. Comme j’étais naïve!
   La salle a retenu son souffle. Des membres de l’assistance, flous, sans visage, ont crié : «Ne répondez pas!»
   «C’est blessant et insultant, ai-je répliqué en tentant de me ressaisir. C’est insultant pour moi, mais ça l’est encore plus pour ma famille. Je ne comprends pas pourquoi toute cette histoire a été réduite à une simple fellation. Vraiment pas. Il s’agissait d’une véritable relation… Si elle a été présentée ainsi, c’est sans doute parce que notre société est dominée par les hommes.»
   Rires dans le public. Des spectateurs ont sans doute été surpris de m’entendre prononcer ces mots. Le type qui m’avait posé la question affichait un sourire suffisant. Je l’ai regardé droit dans les yeux : «Vous êtes sans doute mieux placé que moi pour répondre à ça.» Après un silence, j’ai ajouté : «Ça m’a certainement valu un an de psychothérapie supplémentaire.»
   Vous pourriez arguer qu’en participant à un documentaire de HBO intitulé Monica in Black and White, je m’exposais à être une nouvelle fois montrée du doigt et humiliée publiquement. Vous pourriez même penser que j’en avais l’habitude, que ça ne m’atteignait plus. Après tout, cette rencontre à la Cooper Union n’était rien comparée aux 445 pages du rapport Starr, aboutissement des quatre années d’enquête du procureur indépendant Kenneth Starr sur Bill Clinton. Ce document comportait des chapitres et des paragraphes entiers sur mon intimité et mes pratiques sexuelles, ainsi que des retranscriptions de bandes audio qui rapportaient en détail mes conversations privées. Mais cette question sur la «reine de la pipe» – qui s’est retrouvée dans le documentaire lors de sa diffusion en 2002 – m’a hantée longtemps après le départ du public et la fin de l’enregistrement.
   Certes, ce n’était pas la première fois qu’on me stigmatisait à cause de ma liaison avec Bill Clinton. Mais je n’avais jamais été confrontée directement à une description aussi grossière de moi. En acceptant cette invitation et en voulant dire la vérité, je n’avais obtenu qu’une chose : j’allais à nouveau être marquée du sceau de la honte, comme dans La Lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne. Croyez-moi, une fois qu’on le porte, il est difficile de s’en débarrasser.
   Si ce moment gênant à la Cooper Union avait été diffusé quelques années plus tard seulement, après l’avènement des réseaux sociaux, l’humiliation aurait été bien plus terrible. Cette séquence serait devenue virale sur Twitter, YouTube, Facebook, TMZ, Gawker. Elle serait devenue un «mème» sur Tumblr. Son caractère viral lui-même aurait mérité d’être mentionné sur le Daily Beast ou dans le Huffington Post. En l’occurrence, elle était déjà suffisamment diffusée comme ça et, grâce à l’universalité du Web, vous pouvez, douze ans plus tard, la regarder toute la sainte journée sur YouTube si ça vous fait plaisir (mais j’espère sincèrement que vous avez mieux à faire).
   Je sais que je ne suis pas la seule à avoir été humiliée publiquement. Personne, semble-t-il, ne peut échapper au regard sans pitié d’Internet, où les ragots, les demi-vérités et les mensonges prennent racine et prospèrent. Pour emprunter la formule de l’historien Nicolaus Mills, nous avons créé une «culture de l’humiliation», qui non seulement encourage et se réjouit du malheur d’autrui, mais récompense également ceux qui humilient les autres, qu’il s’agisse des paparazzis, des blogueurs spécialistes en gossips, des comiques à la télé, ou des «entrepreneurs» du Web qui s’enrichissent grâce à ces vidéos clandestines.
   Oui, aujourd’hui, nous sommes tous connectés. Nous pouvons tweeter une révolution en direct de la rue, ou rendre compte de nouveaux accomplissements, grands ou petits. Mais nous sommes aussi pris dans le cercle vicieux de la calomnie et de la honte, dans lequel nous sommes à la fois coupables et victimes. Notre société n’est sans doute pas plus cruelle – même si on en a vraiment l’impression –, mais Internet a profondément bouleversé la teneur de nos échanges. Nos appareils électroniques nous permettent de communiquer facilement, rapidement et à distance, mais ils risquent aussi de nous rendre plus froids, plus indifférents et moins conscients des conséquences de nos sales blagues et de nos préjugés. Ayant subi cette humiliation de la manière la plus intime qui soit, je n’en reviens toujours pas que nous ayons tous signé pour cette nouvelle façon de vivre, sans nous poser de questions. Dans mon cas, chaque clic sur ce lien YouTube renforce l’archétype que je suis devenue, malgré tous mes efforts pour y échapper : Moi, la «reine de la pipe». Cette «stagiaire». Cette «vamp». Ou, pour reprendre la formule implacable du 42e président des États-Unis : «Cette Femme.» Cela vous surprendra peut-être, mais je suis une personne.
   En 1998, quand ma liaison avec Bill Clinton a éclaté au grand jour, j’ai probablement été la personne la plus humiliée au monde. À cause de Drudge Report [blog conservateur recensant des articles de journaux], j’ai sans doute aussi été la première personne dont l’humiliation planétaire a été propagée sur Internet.
   Pendant quelques années, j’ai lancé une ligne d’accessoires de mode et pris part à divers projets médiatiques, dont le documentaire de HBO. Puis j’ai principalement fait profil bas (j’ai accordé ma dernière grande interview il y a dix ans). Après tout, parler publiquement m’avait exposée aux critiques : on m’accusait d’essayer de «capitaliser» sur ma «notoriété». Apparemment, que les autres parlent de moi était acceptable; que je m’exprime moi-même ne l’était pas. J’ai décliné des propositions qui m’auraient rapporté plus de 10 millions de dollars (près de 7,5 millions d’euros) parce que ça ne me semblait pas être la meilleure chose à faire. Avec le temps, le battage médiatique est retombé mais il n’a jamais vraiment cessé malgré tous mes efforts pour passer à autre chose.
   Pendant ce temps, je voyais mes amis aller de l’avant. Mariages. Enfants. Diplômes. (Seconds mariages. Nouveaux enfants. Diplômes supplémentaires.) J’ai décidé de tourner la page et de reprendre mes études.
   Je me suis installée en Angleterre – pour aller à l’université, me lancer un nouveau défi, me faire oublier et me construire une nouvelle identité. À la London School of Economics, j’ai eu des professeurs et des camarades formidables – accueillants et respectueux. Je jouissais d’un plus grand anonymat à Londres, sans doute parce que je passais le plus clair de mon temps en cours ou à la bibliothèque. En 2006, j’ai obtenu un master de psychologie sociale. Mon mémoire portait sur les préjugés sociaux au tribunal et était intitulé : «À la recherche du juré impartial : étude sur l’influence de la publicité et des tierces personnes avant un procès». J’aimais plaisanter sur le fait que j’avais quitté la robe bleue pour devenir un bas-bleu. À mes yeux, ce diplôme représentait une base solide pour envisager l’avenir. J’espérais aussi qu’il ouvrirait sur une toute nouvelle vie, plus normale.
   J’ai passé des entretiens d’embauche à Londres, à Los Angeles, à New York et à Portland (Oregon), dans le domaine de la «communication créative» et de la «stratégie de marque», en privilégiant le secteur caritatif. Malgré tout, en raison de ce que mes employeurs potentiels appelaient avec tact mon «passé», je ne «convenais» jamais «vraiment» pour le poste. Dans certains cas, je convenais, mais pour les mauvaises raisons. Par exemple : «Bien sûr, dans le cadre de votre travail, vous devrez participer à nos événements.» Et, bien sûr, la presse serait présente à certains d’entre eux.
   Juste avant la primaire de 2008, j’ai passé un entretien qui s’annonçait prometteur. La conversation a pris un tour intéressant : «Je vous explique, Monica, m’a confié mon interlocuteur. Vous êtes manifestement une jeune femme intelligente et sympathique, mais pour nous – et probablement pour toute organisation tributaire des subventions et des financements gouvernementaux –, c’est risqué. Il nous faudrait d’abord une lettre de caution des Clinton. Après tout, il y a 25 % de chances que Mme Clinton soit la prochaine présidente des États-Unis.» J’ai esquissé un sourire forcé et répondu : «Je comprends.»
   Autre exemple, plus représentatif celui-ci. Je me suis présentée à la réception vide et glaciale d’une agence de pub branchée et déjà prestigieuse de Los Angeles, ma ville natale. Comme toujours, j’affichais mon sourire «je suis sympa, je ne suis pas une diva». Je me suis annoncée : «Bonjour. Monica Lewinsky, j’ai rendez-vous avec Unetelle.» La réceptionniste, âgée d’une petite vingtaine d’années, a remonté ses lunettes de hipster à monture noire : «Monica qui?» Pas le temps de répondre. Un garçon – la vingtaine lui aussi, jean slim, chemise écossaise et nœud papillon – a accouru, l’interrompant : «Mlle Lewinsky.» On aurait dit un maître d’hôtel : «C’est un réel plaisir. Je vais prévenir Unetelle de votre arrivée. Un café au lait de soja? Un thé vert? Une eau filtrée?» Je me suis retrouvée assise à une petite table ronde, en tête-à-tête avec Unetelle, la responsable de la stratégie et de la planification de l’agence. On discutait et elle n’arrêtait pas de grimacer. Ça ne se passait pas très bien. J’essayais de ne pas perdre mes moyens, mais, en plus de faire la moue, elle se raclait maintenant la gorge. C’était de la sueur sur son front? Ça a fait tilt : c’était elle qui était nerveuse, pleine de tics.
   J’ai dû apprendre à gérer toutes sortes de réactions en société et lors de mes entretiens d’embauche. C’est compréhensible : se retrouver face à « cette Femme » doit être déroutant. Il va sans dire que je n’ai pas obtenu le poste. J’ai fini par réaliser que je n’étais peut-être pas faite pour trouver un emploi conventionnel. J’ai réussi à m’en sortir (parfois difficilement) en menant des projets personnels, principalement pour des start-up, ou en empruntant de l’argent à ma famille et à mes amis.
   Lors d’un autre entretien d’embauche, on m’a demandé : «Si vous étiez une marque, ce serait laquelle?» Laissez-moi vous dire que, quand on s’appelle Monica Lewinsky, cette question est lourde de sous-entendus.
   En septembre 2010, une conversation téléphonique avec ma mère m’a permis de replacer ces différentes expériences dans un contexte plus large. Le prisme à travers lequel je voyais le monde avait changé. On parlait de la mort tragique de Tyler Clementi, cet étudiant de 18 ans, en première année à l’université Rutgers. Il avait été filmé à son insu par une webcam alors qu’il était en train d’embrasser un autre garçon. Quelques jours plus tard, après avoir été tourné en ridicule et humilié sur les réseaux sociaux, il s’était suicidé en se jetant du pont George-Washington. Ma mère pleurait. Elle ne cessait de répéter, des sanglots dans la voix : «Ce que ses pauvres parents doivent ressentir… Ses pauvres parents.» C’était une véritable tragédie, et j’avais moi aussi été très émue en apprenant la nouvelle, mais je ne comprenais pas pourquoi elle affectait tant ma mère. Et puis j’ai compris : elle revivait 1998, quand elle ne me quittait jamais des yeux. Elle revivait les semaines où, nuit après nuit, elle était restée à mon chevet car moi aussi, j’avais des tendances suicidaires. La honte et la peur que j’avais ressenties, le mépris dont j’avais été victime lui avaient fait craindre que j’attente à ma vie – elle avait peur, littéralement, que je meure d’humiliation (je ne suis jamais passée à l’acte, mais j’ai pensé au suicide à plusieurs reprises au cours de l’enquête, et deux ou trois fois après).
   Je n’oserais jamais comparer mon histoire à celle de Tyler Clementi. Après tout, si j’ai été mise au pilori, c’est parce que j’ai eu une aventure avec une personnalité de renommée internationale – parce que j’ai fait les mauvais choix. Mais à ce moment précis, en prenant la mesure du désarroi de ma mère, j’aurais aimé parler avec Tyler et lui raconter comment ma vie sentimentale et sexuelle, mes moments les plus intimes et mes secrets les plus personnels avaient fait le tour du monde. J’aurais aimé pouvoir lui dire que je comprenais ce qu’il avait dû ressentir en étant ainsi exposé aux yeux de tous. Et que, même si c’est dur à imaginer, il est possible d’y survivre.
   Après la mort tragique de Tyler, j’ai envisagé ma propre souffrance différemment. Je me suis dit qu’en racontant mon histoire, j’aiderais peut-être les autres victimes d’humiliations à traverser cette épreuve, même dans les heures les plus sombres. La question est alors devenue la suivante : comment trouver et donner un sens à mon passé? Je me prenais pour Prufrock, le personnage du poème de T.S. Eliot : «Oserai-je / Déranger l’univers?» Ou, dans mon cas, l’univers des Clinton.
   Même si j’ai délibérément gardé le silence pendant une dizaine d’années, mon nom a de temps à autre refait surface dans le débat national, presque toujours en lien avec les Clinton. En janvier et février 2014 par exemple, Rand Paul, le sénateur du Kentucky et candidat républicain potentiel à la présidentielle de 2016, a réussi à me mêler à la campagne pré-électorale et son lot de saloperies. Les démocrates accusaient les républicains de mener une «guerre contre les femmes», et il s’est défendu en affirmant que Bill Clinton s’était rendu coupable de «violence» au travail et s’était comporté comme un «prédateur» vis-à-vis d’une «fille de 20 ans qui sortait de l’université». C’est vrai, mon patron a profité de moi, mais je resterai ferme sur un point : il s’agissait d’une relation consentie. C’est après qu’il y a eu «abus», quand on s’est servi de moi comme bouc-­émissaire pour protéger son pouvoir.
   Conclusion : disparaître n’a pas réussi à me faire oublier. On croit me connaître, pour le meilleur ou pour le pire. Tous les jours, on me reconnaît. Tous les jours. Parfois, quelqu’un passe et repasse devant moi, comme si je n’allais pas le remarquer. (Heureusement, 99,9 % des inconnus qui m’adressent la parole me soutiennent et se montrent respectueux.) Tous les jours, on me mentionne dans un tweet ou sur un blog, et pas toujours très gentiment. Tous les jours, semble-t-il, mon nom est cité dans un éditorial ou dans un ou deux articles de presse – et, soit dit en passant, sur des sujets aussi divers que la génération Y, la série Scandal ou la vie amoureuse du président français François Hollande. Miley Cyrus fait référence à moi lors d’un twerk sur scène [elle a mimé une fellation sur un de ses danseurs affublé du masque de Bill Clinton], Eminem parle de moi dans ses chansons et, dans son dernier tube, Beyoncé me fait une petite dédicace. C’est gentil, Beyoncé, mais si tu tenais absolument à créer un verbe, il aurait été plus correct de dire : «Il a Clintonisé ma robe», et non pas «Lewinskisé».
   À chaque fois que je sors avec un homme (oui, ça m’arrive!), 1998 me revient – dans une certaine mesure – en pleine tête. Je dois me montrer extrêmement prudente quand je m’affiche avec quelqu’un en «public». Quelques années après la procédure de destitution, lors d’un match de baseball des Yankees, j’ai quitté ma place au premier rang, près de la ligne de troisième base, en apprenant que mon rencard – un mec dont j’appréciais réellement la compagnie – avait déjà une relation avec quelqu’un. En l’occurrence, il ne s’agissait que d’un mariage blanc, mais je flippais à l’idée qu’on puisse nous photographier tous les deux et qu’on se retrouve dans les pages people d’un torchon. J’ai appris à repérer les hommes qui s’intéressent à moi pour les mauvaises raisons. Heureusement, il n’y en a pas eu beaucoup. Mais tous les hommes qui m’ont été chers ces seize dernières années m’ont aidée à découvrir une nouvelle partie de moi – du moi qui a été détruit en 1998. Voilà pourquoi, malgré le chagrin, les larmes et les désillusions, je leur serai toujours reconnaissante.
   Au début de l’année, en février, à peu près à l’époque où le sénateur Paul m’a remise malgré moi sous les feux des projecteurs, nouveau rebondissement : je suis devenue la «cinglée narcissique», dernier archétype en date. Voilà un aperçu d’un scénario devenu bien trop habituel, alors même que j’essaie d’avancer dans la vie : une sonnerie stridente interrompt le cours de ma journée. L’appel – du portier de l’immeuble où je loge à New York – m’exaspère : «Quoi? Encore?» Ils sont de retour : les paparazzis, comme des hirondelles, ont encore une fois envahi le trottoir en bas de chez moi. Ils font les cent pas, tournent en rond. Je file à l’ordinateur. C’est le moment de me «googliser» (je t’en prie, ne me juge pas, cher lecteur!). Mon cœur se serre. Déchaînement médiatique sur Google News. Je sais ce que ça signifie. Tout ce que j’avais prévu ce jour-là tombe à l’eau. Sortir – et risquer de me faire photographier – n’aurait qu’un résultat : alimenter l’affaire.
   Les appareils photo sont là à cause des gros titres : un site Web conservateur a fouiné dans les archives de Diane Blair, l’une des plus proches amies et admiratrices de Hillary Clinton, ancienne professeure de l’université de l’Arkansas morte en 2000. Il y a déniché des notes datant des années 1990. Dans certaines, Diane Blair cite l’ex-première dame à propos de la liaison que son mari a entretenue avec moi. D’après ses notes, Hillary avait condamné l’inexcusable «écart de conduite» de son mari, mais reconnaissait qu’il avait du mérite car il avait essayé de «gérer une personne qui était de toute évidence une “cinglée narcissique”».
   Je me mets rapidement au courant. Première réaction : si c’est la pire chose qu’elle ait dite à mon sujet, j’aurais vraiment de la chance. Mme Clinton aurait confié à Diane Blair qu’elle se reprochait en partie la liaison de son mari (car elle avait été trop négligente sur le plan affectif) et semblait lui avoir pardonné. Même si elle estimait que Bill avait eu «un comportement dégoûtant et indécent», cette liaison était malgré tout «consentie (et n’était pas une relation de pouvoir)».
   Comme d’habitude, je reçois des appels de mes amis, qui me soutiennent moralement à chaque fois que ces histoires explosives refont surface dans les médias. Ils m’aident à me détendre en me taquinant gentiment : «Alors, on change tes initiales pour C.N.  [cynique et névrosée]?» J’essaie de faire fi des commentaires de l’ex-première dame. Compte tenu de mon expérience avec Linda Tripp, je sais mieux que quiconque ce qu’on ressent quand une conversation privée avec une amie devient publique et est examinée dans ses moindres détails, hors de tout contexte [Linda Tripp, collègue de Monica Lewinsky, avait enregistré les confidences de cette dernière et transmis les bandes au procureur spécial Kenneth Starr]. Malgré tout, ça commence à me tracasser. Je réalise que Hillary Clinton – contrairement à moi quand Tripp m’arrachait mes secrets pour les enregistrer en cachette – était au courant de l’existence de ces documents : d’après les notes, c’est elle qui avait demandé à Blair de consigner leurs discussions à des fins d’archivage.
   Oui, je comprends tout. Hillary Clinton voulait une preuve qu’elle s’en prenait à la maîtresse de son mari. Bien qu’elle ait critiqué le comportement déplacé de son époux, je trouve gênant qu’elle rejette la faute sur la – Femme – pas seulement sur moi, mais sur elle. Et bien trop facile : à chaque fois qu’une infidélité est exposée sur la place publique – et le principal protagoniste est souvent un homme politique –, comme par hasard, c’est la femme qui finit par porter le chapeau. Certes, les Anthony Weiner et autres Eliot Spitzer font tout pour avoir l’air humiliés sur les chaînes d’information du câble. Ils se retirent un temps de la vie publique, mais reviennent à tous les coups, ayant fait table rase du passé. Les femmes mêlées à ces affaires, elles, ont plus de mal à retrouver une vie normale. Mais ici, il y a une dimension supplémentaire et ça me hérisse le poil : narcissique? Cinglée?
   Vous vous souviendrez peut-être que cinq jours seulement avant que le monde entier n’entende mon nom pour la première fois, le FBI – après que mon amie Linda Tripp ait contacté le bureau du procureur – m’a tendu un terrible piège dans le centre commercial de Pentagon City. Le 16 janvier 1998, âgée de 24 ans, je me suis retrouvée enfermée dans une chambre d’hôtel avec des interrogateurs principalement masculins qui obéissaient aux ordres de Starr. Ces derniers m’ont dissuadée de contacter mon avocat et menacée de prendre vingt-sept années de prison pour avoir, entre autres, déclaré sous serment ne pas avoir eu de liaison avec Clinton. Si j’acceptais de mettre mon téléphone sur écoute et de porter un micro lors de mes conversations avec deux amis proches du président, et peut-être avec le président lui-même, je bénéficierais d’une immunité. J’ai refusé. Je m’étais confiée à Linda Tripp, et ça s’était malgré moi transformé en trahison. Mais ça, ce fut la plus grande des trahisons. Je ne pouvais m’y résoudre. Courageuse, stupide, peut-être, mais narcissique et cinglée ?
   Ces descriptions de moi, vieilles de seize ans, ont réveillé d’anciennes angoisses, en particulier le souvenir du mépris des femmes. Vous vous demandez peut-être : mais où étaient les féministes à l’époque? Cette question me taraude toujours. J’espérais un signe de leur part, une preuve de leur compréhension. La bonne vieille solidarité féminine aurait été la bienvenue. Mais je l’attends toujours. Vu les problèmes soulevés – inégalités hommes-femmes, sexe au travail –, on aurait pu croire qu’elles prennent position. Ça n’a pas été le cas. Je comprenais leur dilemme : Bill Clinton était un président «favorable» à la cause des femmes.
   Dans mon cas, il n’y a pas eu «harcèlement sexuel», et ça ne m’a pas aidée. Paula Jones s’est chargée de cette accusation et a poursuivi Bill Clinton en justice. Depuis peu, grâce aux féministes, on ratissait plus large dans le cas d’enquêtes comme celle-ci : voilà pourquoi mon nom est apparu. La droite s’est emparée de l’affaire Jones pour répondre aux féministes, favorables aux Clinton, et les taxer d’hypocrisie : pourquoi n’encourageraient-elles pas une enquête sur un cas de harcèlement sexuel ? Et si le président avait été républicain ?
   Quelques représentantes du mouvement féministe moderne sont intervenues, indirectement. Mais, à la place d’un véritable engagement, voici ce qui s’est passé.
30 janvier 1998. Neuvième jour du scandale. Cocktail au Bernardin, à Manhattan. Présentes : les écrivaines Erica Jong, Nancy Friday, Katie Roiphe et Elizabeth Benedict ; Patricia Marx, qui écrit pour le Saturday Night Live; Marisa Bowe, rédactrice en chef de Word, un magazine en ligne; la créatrice de mode Nicole Miller; l’ancienne dominatrice SM Susan Shellogg; et leur hôtesse, Maguy Le Coze, copropriétaire du Bernardin. The New York Observer a réuni cette assemblée de sorcières pour qu’elles partagent leurs points de vue sur «l’affaire Clinton», le tout enregistré par Francine Pose.

Oh, comme j’aurais aimé assister à ce cocktail :

– Marisa Bowe : Toute sa vie n’est qu’une histoire de contrôle, d’intelligence. Et sa femme est très intelligente, toujours dans le contrôle. Je peux comprendre ce qu’il y a d’excitant à s’envoyer en l’air avec une femme peu brillante dans le Bureau ovale.
– Moi imaginaire : Je ne dis pas que je suis brillante, mais qui vous dit que je ne le suis pas? Mon premier boulot en sortant de la fac, c’était à la Maison Blanche.
– Susan Shellogg : D’après vous, c’est terriblement égoïste? Égoïste et avilissant, un rapport oral sans réciprocité. Je veux dire... elle n’a jamais dit : «Eh bien, vous savez, il m’a satisfaite moi aussi.»
– Moi : Et où est-ce que je ne l’ai pas «dit»? Dans quelle déclaration publique que je n’ai pas faite? Dans quel témoignage qui n’a pas été publié?
– Katie Roiphe : Selon moi, ce qui choque les gens, c’est l’apparence physique [de Monica Lewinsky], et c’est un point intéressant. On aime imaginer nos présidents comme des sortes de dieux : du coup, quand JFK a une liaison avec Marilyn Monroe, ça reste dans le royaume des demi-dieux... Je veux dire, ce qui revient le plus, c’est que Monica Lewinsky n’est pas si jolie que ça.
– Moi : Merci! La première photo de moi qui est parue était celle de mon passeport. Vous aimeriez que votre photo de passeport soit reprise dans les publications du monde entier comme celle qui vous définit le mieux? Vous dites aussi que la principale qualité qu’une femme doit avoir pour entretenir une relation intime avec un homme de pouvoir, c’est d’être attirante. Si ça ne s’appelle pas faire reculer la cause, je ne sais pas ce que c’est.
– Erica Jong : Mon dentiste m’a fait remarquer qu’elle souffrait d’une gingivite de stade 3.
– Shellogg : Vous pensez qu’il va [lui] arriver quoi? Je veux dire, elle va se contenter de disparaître tranquillement, elle va écrire un livre? Ou les gens l’auront oubliée dans six mois?
– Nancy Friday : Elle peut toujours louer sa bouche.
– Moi : (Sans voix.)
– Jong : Vous savez, ça plaît aux hommes d’approcher la bouche qui a côtoyé le pouvoir. Imaginez un peu le fantasme, ce qu’il se passe dans la tête d’un homme quand elle lui fait une gâterie : «Oh mon Dieu!»
– Elizabeth Benedict : Fais-moi ce que tu as fait au président. Fais-le moi.
– Moi : (Toujours sans voix.)
– Jong : Je pense que ça montre que notre société a progressé, qu’on ne dénigre pas Monica Lewinsky.

Cette petite causerie est parue sous le titre : «Les super nanas de New York aiment ce coquin de président» («La chose la plus embarrassante que j’aie lue depuis longtemps», écrira la journaliste Marjorie Williams dans Vanity Fair). Selon moi, cet article illustre un aspect troublant de la culture de l’humiliation, que la thérapeute féministe Phyllis Chesler identifie dans son ouvrage Woman’s Inhumanity to Woman (L’Inhumanité de la femme envers la femme) : les femmes elles-mêmes ne sont pas à l’abri d’une certaine misogynie. On le voit bien aujourd’hui à la façon qu’ont les «garces» du lycée de rôder sur Internet, le terrain de jeu moderne, toujours prêtes à en rajouter (mais on les voit aussi à l’œuvre dans les débats de spécialistes à la télé, ou dans les restaurants français).
   J’éprouve toujours un profond respect pour le mouvement féministe. Je lui suis reconnaissante pour les énormes progrès qu’il a permis en matière de droits des femmes ces dernières décennies. Mais mon nom ressort toujours dans les discussions de comptoir sur les inégalités hommes femmes, alors je ne me considère pas comme une féministe avec un grand F. Pendant la chasse aux sorcières de 1998, la position des responsables du mouvement allait à l’encontre de la femme. Quant aux «super nanas de New York», elles auraient facilement pu se pâmer devant le président sans m’attaquer personnellement et me couvrir de honte. Au lieu de ça, elles ont pris part à l’humiliation collective.
   Je regrette profondément ce qui s’est passé entre le président Clinton et moi. Laissez-moi répéter ceci : Je. Regrette. Profondément. Ce. Qui. S’est. Passé. À l’époque – du moins selon moi –, il s’agissait d’une relation authentique, il y avait de l’affection, des visites fréquentes, des projets, des coups de téléphone et des cadeaux. J’avais une vingtaine d’années, j’étais trop jeune pour comprendre les conséquences qu’aurait cette histoire dans la vie réelle, trop jeune pour voir que j’allais être sacrifiée par opportunisme politique. Aujourd’hui, quand j’y repense, je me demande, incrédule : qu’est-ce que j’avais – qu’avions-nous – dans la tête? Je donnerais tout pour pouvoir revenir en arrière.
   Je pense souvent, comme beaucoup d’Américains, à Hillary Clinton. Je me demande ce qui arrivera si elle se présente à la présidentielle de 2016? Et si elle gagne – puis gagne un second mandat? Nous aurions enfin une femme à la Maison Blanche, mais ça ne se limite pas à ça d’après moi. On se souvient tous du cri de ralliement de la deuxième vague du féminisme : «Le privé est politique.» De nombreuses personnes (moi comprise) ont déclaré que ma relation avec Bill Clinton relevait de la sphère privée et n’avait pas sa place dans une guerre politique aux enjeux majeurs. Quand j’entends parler de la candidature possible de Hillary Clinton, je ne peux m’empêcher de craindre le nouveau déferlement de paparazzis, le nouveau déferlement d’articles intitulés : «Où est-elle aujourd’hui?», la prochaine référence à ma personne dans les reportages que Fox News consacrera à la primaire. Planifier ma vie en fonction du calendrier politique commence à me démoraliser. Pour moi, dans ce scénario, le privé et le politique sont impossibles à séparer.
   En 2008, quand Hillary était candidate à la présidence, je vivais quasiment recluse – même si la presse me sollicitait constamment. En 2012, j’ai attendu que l’élection soit passée pour annoncer divers projets médiatiques (ceux-ci ont ensuite été annulés – et, non, on ne m’a jamais proposé 12 millions de dollars pour tout déballer dans un livre salace, contrairement à ce qu’on raconte dans la presse). Et depuis peu, je me retrouve à nouveau sur mes gardes, craignant de «devenir un problème» si elle décide d’accélérer sa campagne. Mais devrais-je mettre ma vie entre parenthèses pendant encore huit ou dix ans?
   Comme je suis démocrate – et pleinement consciente du fait que la droite comme la gauche peuvent m’instrumentaliser –, j’ai gardé le silence pendant dix ans. Si bien, en réalité, que, selon la rumeur qui courait dans certains cercles, les Clinton avaient dû acheter mon silence. Sinon, qu’est-ce qui aurait bien pu m’empêcher de m’exprimer? Je vous assure que rien n’est plus éloigné de la vérité. Alors, pourquoi le faire aujourd’hui? Parce que l’heure est venue.
   J’ai fêté mes 40 ans l’année dernière et il est temps que j’affronte mon passé – et l’avenir des autres. Je suis résolue à écrire une fin différente à mon histoire. J’ai enfin décidé de sortir du bois pour me réapproprier mon passé et lui donner un sens (j’en découvrirai vite le prix à payer). Même si certains journaux prétendront le contraire, ici, il ne s’agit pas du tout de Moi contre les Clinton. Ils sont passés à autre chose. Ils sont puissants et jouent un rôle important sur la scène mondiale. Je ne leur veux aucun mal. Et je comprends parfaitement que ce qui m’est arrivé et mon avenir ne les concernent pas.
   Cela nous ramène aussi à la question du privé et du politique. J’ai été confrontée à de nombreux problèmes devenus centraux dans le débat national depuis 1998 : jusqu’où doit-on autoriser l’État à entrer dans la chambre à coucher? Comment réconcilier le droit à la vie privée et la nécessité de révéler les scandales sexuels? Comment nous protéger d’un gouvernement trop zélé qui exige nos données et nos informations personnelles? Et, plus important à mes yeux, comment lutter contre le petit jeu de l’humiliation à l’ère d’Internet? Aujourd’hui, mon objectif est de m’impliquer activement dans la défense des victimes de harcèlement en ligne, et d’évoquer ce sujet dans des conférences.
   Jusqu’à présent, je n’ai jamais réussi à me défaire de la première description qu’on a faite de moi : «cette Femme». J’ai été la «harceleuse déséquilibrée» (expression véhiculée par la Maison Blanche de Clinton elle-même), la «poule idiote», la «pauvre innocente» qui n’y connaissait rien. Le gouvernement Clinton, les sbires du procureur spécial Starr, les responsables politiques des deux camps et les médias ont réussi à me coller une étiquette. Et cette étiquette m’a collé à la peau, car elle avait l’odeur du pouvoir. Je suis devenue un symbole, une toile sur laquelle tout le monde pouvait projeter ses incertitudes sur la question des femmes, du sexe, de l’infidélité, de la politique et du corps.
   Contrairement aux autres parties concernées, j’étais trop jeune pour avoir une identité bien définie à laquelle me raccrocher. Je n’ai pas laissé cette histoire «me définir» – je n’avais tout simplement pas l’expérience nécessaire pour trouver ma propre identité en 1998. Quand on n’a pas découvert qui on est, il est difficile de ne pas accepter l’image horrible que les autres créent de vous – voilà pourquoi j’éprouve de la compassion pour tous les jeunes qui se font humilier sur le Net. Je me suis souvent remise en question, j’ai suivi une thérapie et j’ai exploré différentes voies, mais je suis malgré tout restée prisonnière de cette histoire pendant de trop nombreuses années.
   Ce temps-là est révolu. Le moment est venu de brûler le béret et la robe bleue. Et d’aller de l’avant.

13 juin 2018

L’art d’assumer

«La plupart de mes problèmes n’ont pas de solution, ou bien les solutions sont pires que les problèmes eux-mêmes.» ~ Ashleigh Brilliant

L’autre jour, un appareil (made in China) a lâché – obsolescence programmée, achetez, jetez, achetez, jetez? Heureusement, c’est arrivé juste avant l’expiration de la garantie de trois ans; on l’a remplacé par un équivalent. Pas la fin du monde, mais c’est frustrant et scandaleux. Voyez-vous, ces appareils autrefois fabriqués au Canda, duraient plus de 15 ans et l’on pouvait même les réparer. Il n’y avait pas de gadgets électroniques, on appuyait sur les bons boutons et ça marchait rondement. Ce temps-là est révolu, et tenter de contourner le système est une lutte héroïque à armes inégales avec les commerces (1). Quand je vois made in China, mes cellules grises disjonctent et la boucane me sort par les oreilles.

La situation m’a fait réaliser que les irritants domestiques sapaient plus mon moral que les gros pépins auxquels je réagis généralement avec stoïcisme. Bizarre. Je pense que les catastrophes humanitaires et les grosses bourdes politiques font planter mon processeur cérébral/émotionnel.

Bref, j’ai ouvert mon «Soyez zen» usé, corné, annoté.
La pratique requiert une bonne dose de persévérance, mais la récompense vaut l’effort.


D’accord j’assume!

L’éveil spirituel, l’illumination, est le but primordial de toutes les religions. Pourtant, presque tout le monde se fait des idées bizarres là-dessus et s’imagine qu’il s’agit de devenir un être parfait, quelqu’un de bien gentil, calme et effacé, et qui accepte sans broncher. Or, rien n’est plus loin de la vérité!
   Je vais vous présenter une série de situations fictives et pénibles, et je voudrais que vous vous demandiez comment vous réagiriez si cela vous arrivait à vous, personnellement. Je ne dis pas qu’il ne faudrait rien faire pour éviter des problèmes douloureux ou pour les résoudre, ou qu’il faudrait que vous vous interdisiez toute émotion, mais je vous propose de laisser de côté cet aspect-là des choses pour le moment, et de vous intéresser uniquement à votre réaction. Vous verrez comme c’est instructif.

Si l’on me disait que je n’ai plus qu’une journée à vivre, serais-je prête à l’assumer? Et vous?
Si j’avais un terrible accident et qu’on doive m’amputer des quatre membres, serais-je prête à l’assumer? Et vous?
Si je devais ne plus jamais entendre la moindre parole d’amitié ou d’encouragement, serais-je prête à l’assumer? Et vous?
Si, pour une raison quelconque j’étais condamnée à rester clouée et à souffrir pour le restant de mes jours, serais-je prête à l’assumer? Et vous?
– Si je me ridiculisais totalement, au plus mauvais moment possible, serais-je prête à l’assumer? Et vous?
Si l’amour dont je rêve ne se matérialisait jamais, serais-je prête à l’assumer? Et vous?
Si les circonstances faisaient que je sois obligée de vivre en clocharde, au froid, sans abri, et obligée de mendier pour survivre, serais-je prête à l’assumer? Et vous?
Si je devais perdre quelque chose ou quelqu’un que j’aime, serais-je prête à l’assumer? Et vous?

Personnellement, je serais incapable de répondre oui, ne serait-ce qu’à une seule de ces questions, et je pense que ce serait pareil pour vous, si vous êtes honnête avec vous-mêmes. Il faudrait être complètement éveillé pour répondre : «D’accord, j’assume.» Qui plus est, encore faudrait-il savoir ce qu’on entend par assumer.
   Assumer ne veut pas dire encaisser les coups passivement, sans pleurer, sans crier ni protester ou s’insurger contre la situation. Les pleurs et les gémissements sont une forme d’expression légitime pour évacuer. Que signifie assumer, être éveillé? Être éveillé c’est ne plus ressentir de distance entre son vécu et soi, quelles que soient les circonstances de la vie.
   Bien sûr, les exemples que j’ai choisis sont particulièrement douloureux. J’aurais pu vous demander : «Seriez-vous d’accord pour recevoir un milliard de dollars.» Et vous m’auriez répondu oui avec enthousiasme, sans vous rendre compte que, pour alléchante qu’elle soit, une telle situation ne serait peut-être pas plus facile à vivre que l’état de clochard. Quoi qu’il en soit, l’important est de savoir si vous êtes prêts à assumer tout ce que la vie vous apporte. Ce qui ne veut pas dire que vous deviez accepter passivement votre sort, ou que, si vous êtes malade, vous ne deviez rien faire pour essayer de guérir. Mais il y a parfois des situations ou des événements inévitables et auxquels on ne peut rien changer. Vous sentez-vous prêts à les assumer, le cas échéant?
   Vous pourriez m’objecter que quelqu’un qui accepte tout ne serait pas un humain, et dans un certain sens, vous auriez raison. D’un autre côté, on pourrait dire au contraire qu’une telle personne serait un être humain à part entière et vraiment digne de ce nom. Il est sûr qu’un être humain qui n’éprouverait aucune aversion envers qui que ce soit, ou quoi que ce soit, trancherait nettement sur le reste de l’humanité. J’ai connu quelques rares individus proches de cet état-là, qui est celui de l’éveil, c’est-à-dire la faculté d’assumer tout ce qui se présente à soi – le bon comme le mauvais. Il ne s’agit pas de devenir un saint mais d’accéder – même partiellement et souvent au prix d’une terrible lutte intérieure – à cet état d’acceptation de la réalité des choses et de soi. Prenons l’exemple de la mort; il ne s’agit pas de se préparer à mourir en brave, mais plutôt de vivre de telle sorte que l’on n’ait pas besoin de mourir héroïquement. En généralisant, on pourrait en déduire une ligne de conduite intéressante.
   Plutôt que de se préparer à agir de telle ou telle manière en fonction d’une situation donnée, mieux vaut faire en sorte de ne pas avoir besoin d’étudier et de calculer ses réactions en fonction des circonstances, quelles qu’elles soient.
   La plupart des thérapies servent à ajuster ses désirs et ses besoins à ceux des autres, afin d’assumer un minimum d’harmonie à la vie collective. Maintenant, imaginez que je n’aie plus aucun désir ou aucun besoin particuliers, et que je n’objecte en rien aux vôtres, parce que les choses me semblent très bien comme elles sont. Dans ces cas-là, plus besoin d’ajuster ou d’harmoniser quoi que ce soit. Vous vous dites peut-être qu’il faudrait être très bizarre pour répondre oui à toutes mes questions de tout à l’heure. Eh bien, je ne crois pas; je pense que si vous rencontriez une telle personne, vous ne lui trouveriez rien de bizarre. Au contraire, vous seriez sans doute frappés par l’extraordinaire sentiment de paix qui émanerait d’elle. Vous sentiriez l’amour qui se dégage d’un être qui a cessé de se préoccuper de lui-même et qui assume les choses telles qu’elles sont, en lui et chez les autres. Cependant, n’allez pas imaginer une sorte d’amour aveugle et béat : autant une telle personne saurait être douce ou encourageante si c’était ce dont vous aviez vraiment besoin à ce moment-là, autant elle pourrait se montrer dure et inflexible, si c’était le meilleur moyen de vous aider. Mais comment pourrait-elle savoir ce qui vous convient le mieux? N’étant plus séparée de vous par la barrière d’un ego, elle ressentirait ce que vous ressentez, elle serait vous.
   Je pense qu’il est important d’essayer de comprendre l’état d’esprit dans lequel on doit se trouver pour être capable de dire «oui» à la vie en toutes circonstances. Or, c’est justement ce que nous apprend la pratique du zazen, éventuellement à notre insu ou même à notre corps défendant. On se familiarise avec un état d’ouverture qui nous rend capables d’assumer tout ce qui nous arrive.
   Au moins nous savons dans quel sens travailler. Pour assumer quelque chose, il faut pouvoir s’accepter soi-même, en bloc, sans trier : avec toute sa révolte et ses contradictions internes, avec toute la confusion et la frustration qu’on porte en soi – du fait qu’on n’arrive jamais aux fins que se fixe l’ego. Il faut aussi accepter de continuer à se débattre dans cet état de trouble, de peine, de confusion, un peu comme nous le faisons en sesshin. Ainsi pourrons-nous, peu à peu, commencer à discerner un peu mieux ce qui se passe. «Oui, voilà ce que j’éprouve et cela ne me plaît pas du tout – je donnerais cher pour être ailleurs! – mais c’est comme ça, et j’assume.» Graduellement cette attitude s’affermira en vous. ... Imaginez par exemple que vous soyez très amoureux et très sûr que, cette fois-ci, ce sera la bonne, quand tout à coup, ce compagnon ou cette compagne de vos rêves vous quitte. Vous serez sans doute fou ou folle de douleur, mais c’est cette peine-là qu’il faudra assumer et expérimenter sans l’esquiver.
   Vivre la souffrance à fond pour s’en libérer : voilà le paradoxe de la vie, le grand kôan, que le zazen nous aide à résoudre.
   Avec le temps vous comprendrez qu’il n’y a pas besoin de changer quoi que ce soit à tout ce qui vous arrive, qu’il n’y a qu’à prendre les choses comme elles viennent ... même si elles vous paraissent insupportables et que vous devez vous faire violence pour y faire face. Vous allez peut-être penser que je place la barre trop haut, que c’est trop difficile à pratiquer. ... Les gens qui savent vivre sans rien attendre de la vie sont ceux qui en profitent le mieux. Qu’ils aient des déboires ou des mésaventures – que la plupart d’entre nous considéreraient comme des catastrophes –, et les voilà qui pestent, qui tempêtent et se débattent comme de beaux diables, certes, mais sans que cela leur gâche la vie pour autant. Ils continuent à la croquer à belles dents, car ils savent prendre les choses comme elles se présentent.
   J’avoue que j’aurais beaucoup de mal à me résigner à ne plus jamais entendre de paroles amicales ou bienveillantes. Serais-je prête à l’assumer? Non, bien sûr que non; mais que devrais-je en déduire? Et si tout à coup, j’étais kidnappée et emprisonnée dans un pays hostile? Nous n’aurons jamais pour la plupart à supporter de pareilles horreurs, et tant mieux. Ce qui n’empêche que chacun a ses propres drames et voit souvent ses espérances voler en miettes, quand la vie prend une tout autre tournure que celle qu’on avait prévue. Dans ce cas-là, de deux choses l’une : ou bien l’on encaisse et on fait face à ses difficultés qu’on prend comme des occasions de pratiquer et de mûrir. Ou bien on tourne le dos au problème et on l’esquive, de sorte qu’on n’aura rien appris et qu’on se retrouvera encore en plus mauvaise posture qu’avant.
   Alors, comment mener une existence plus féconde et plus paisible? Il faut apprendre – lentement et souvent à contrecoeur – à prendre la vie comme elle vient, à l’expérimenter telle quelle.
   Je dois vous avouer que, la plupart du temps, je n’en ai pas la moindre envie, et je suppose que c’est pareil pour vous. C’est néanmoins pour apprendre cela que nous sommes ici. [...]
   Plus nous serons capables d’assumer la vie sous toutes ses formes, et moins nous serons tentés de lâcher la proie pour l’ombre en nous détournant du présent pour courir après une vulgaire illusion de perfection.

Charlotte Joko Beck
Soyez sen ... en donnant un sens à chaque acte à chaque instant
Pocket 1990

Dans la même veine, libellé «Joko Beck» :  
https://situationplanetaire.blogspot.com/

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(1) Ils sont fabriqués pour ne pas durer. Et c’est fait exprès pour que nous en rachetions…

La réduction de la durée de vie de nos appareils


L’«obsolescence programmée», ou «désuétude programmée», c’est la fabrication de biens de consommation faits pour une durée limitée dans le but d’être remplacés rapidement. Volontairement, des astuces sont utilisées par les fabricants pour rendre les biens moins durables. Par exemple, l’utilisation de matériaux de moins bonne qualité, des pièces de rechange dispendieuses ou aucun accès pour certaines pièces. Les appareils électroménagers achetés aujourd’hui vont durer de 8 à 10 ans, malgré un avancement technologique qui ne cesse de croître. Souvent, il est moins dispendieux pour un consommateur de remplacer un appareil que de le faire réparer ou il est simplement impossible de le faire réparer! Il en résulte une quantité de déchets énormes. Bien que certains puissent être recyclés, le chemin parcouru et l’énergie requise pour le recyclage ne sont pas négligeables.
   Il faut aussi ajouter que le fabricant n’est pas le seul joueur dans la partie. Le consommateur d’aujourd’hui a aussi tendance à vouloir renouveler ses biens, bien avant qu’ils ne soient plus fonctionnels. Selon une étude de l’Office de l’efficacité énergétique, au cours des cinq dernières années, deux millions de Québécois sur huit auraient renouvelé leurs électroménagers. La moitié d’entre eux pour acheter des appareils moins consommateurs d’énergie et d’eau. Le reste pour les caractéristiques, la fiabilité et le prix. Au nom de l’efficacité énergétique, on peut être amené à changer un peu trop souvent d’appareil et à remplir les sites d’enfouissement, puisque tout n’est pas recyclable… Le débat est complexe.

Le mauvais bilan environnemental des électroménagers

La majorité des appareils électroménagers sont fabriqués en Asie ou en Amérique centrale. ... Non seulement, le transport requis pour les électroménagers venant de loin produit des gaz à effet de serre, mais l’énergie utilisée pour la production dans ces pays est plus nocive pour l’environnement que l’hydroélectricité. Le charbon et le gaz naturel sont les ressources énergétiques souvent utilisées pour produire l’électricité et ils contribuent aux changements climatiques. Souvent, dans l’analyse du cycle de vie d’un produit fabriqué en Asie versus au Québec, c’est dans la production plutôt que dans le transport que les dommages environnementaux sont les plus lourds en impact.