26 août 2019

Pas défendu de rire même si ça va mal

@ Twittakine Le nom des auteurs (citations) disparaissent au fil des transferts. Dommage. C’est comme les criminels, ils disparaissent soudainement de la circulation juste avant leur procès, comme par magie.

«J'ai atteint l'âge où le happy hour est une sieste.»

«Dormir est ce que j’aime le plus au monde. C’est la raison pour laquelle je me lève le matin.» ~ Ross Smith

«J'ai survécu aux années 60... deux fois.»

«Mon corps est comme un temple... vieux et en ruine.» 

«Je suis sur la liste d'attente des espèces en voie de disparition.»

«Le docteur ne m'a donné que trois mois à vivre. Alors j'ai tiré sur le docteur, et j'ai pris 30 ans.»

«Penser est un travail exigeant; c’est pourquoi on voit peu de gens qui le font.» 
~ Sue Grafton

«Je pense, donc je suis surqualifié.»

«Obtenez d'abord les faits. Vous pourrez les déformer plus tard.»

«Le sarcasme est la défense naturelle de l'esprit contre la stupidité.»

«Une moitié du monde ne comprend pas l'autre moitié, et peu importe dans quelle moitié vous êtes.»

«Sur notre merveilleuse planète il y a une espèce qui est totalement imprévisible, irréfléchie, inconséquente, et surtout tellement abrutie qu’elle ne remarque même pas que la moitié des études disponibles sur un sujet vont contredire l’autre moitié.»  
~ Andrew Draw (internaute)

«La différence entre un homme et un enfant, c’est que l’enfant on peut le laisser seul avec la baby-sitter.» 


24 août 2019

Quand les souvenirs s’emmêlent

[...] voilà la vraie et seule raison d'être de l'amitié : procurer un miroir dans lequel l'autre peut contempler son image d'autrefois qui, sans l'éternel bla-bla de souvenirs entre copains, se serait effacée depuis longtemps. ~ Milan Kundera (L'identité)


Les souvenirs
Henri Bataille

Les souvenirs, ce sont des chambres sans serrures,
Des chambres vides où l'on n'ose plus entrer,
Parce que de vieux parents jadis y moururent.
On vit dans la maison où sont ces chambres closes.
On sait qu'elles sont là comme à leur habitude,
Et c'est la chambre bleue, et c'est la chambre rose...
La maison se remplit ainsi de solitude,
Et l'on y continue à vivre en souriant...
J'accueille quand il veut le souvenir qui passe,
Je lui dis: «Mets-toi là... Je reviendrai te voir...»
Je sais toute ma vie qu'il est bien à sa place,
Mais j'oublie quelquefois de revenir le voir,
Ils sont ainsi beaucoup dans la vieille demeure.
Ils se sont résignés à ce qu'on les oublie,
Et si je ne viens pas ce soir ni tout à l'heure,
Ne demandez pas à mon coeur plus qu'à la vie...
Je sais qu'ils dorment là, derrière les cloisons,
Je n'ai plus besoin d'aller les reconnaître;
De la route je vois leurs petites fenêtres,
Et ce sera jusqu'à ce que nous en mourions.
Pourtant je sens parfois, aux ombres quotidiennes,
Je ne sais quelle angoisse froide, quel frisson,
Et ne comprenant pas d'où ces douleurs proviennent,
Je passe...

Or, chaque fois, c'est un deuil qui se fait
Un trouble est en secret venu nous avertir
Qu'un souvenir est mort ou qu'il s'en est allé...
On ne distingue pas très bien quel souvenir,
Parce qu'on est si vieux, on ne se souvient guère...
Pourtant, je sens en moi se fermer des paupières.

Henri Bataille (1872-1922) est un dramaturge et poète français. Il a écrit 25 pièces de théâtre, dont certaines ont connu leur heure de gloire. Son oeuvre poétique est malheureusement passée au second plan.


18 août 2019

L’ubiquité du capitalisme

Le capitalisme est comme «dieu» : tout partout. Même dans les pays dits «communistes» comme la Chine,  la Russie et autres... Tant dans les démocraties que les dictatures, la main d’œuvre bon marché (cheap labour) fait rouler le système économique et la surconsommation.

Prévert s’est toujours fait le défenseur des plus faibles, notamment de la classe ouvrière.

Certains seront peut-être choqués de lire le mot «nègre» dans son poème. Je comprends le principe du «politiquement correct» contemporain, mais faudrait-il indexer tous les ouvrages ou les films qui incluent des mots désormais bannis, à raison? Il n’y a pas si longtemps les Français voulaient censurer tous les films où les acteurs fumaient pour éviter d'influencer les jeunes. Franchement. Ça me rappelle l’époque où le clergé québécois avait une longue liste de livres à l’index – tout le monde les lisait.  

L’effort humain
Jacques Prévert

L’effort humain
n’est pas ce beau jeune homme souriant
debout sur sa jambe de plâtre
ou de pierre
et donnant grâce aux puérils artifices du statuaire
l’imbécile illusion
de la joie de la danse et de la jubilation
évoquant avec l’autre jambe en l’air
la douceur du retour à la maison
Non
l’effort humain ne porte pas un petit enfant sur l’épaule droite
un autre sur la tête
et un troisième sur l’épaule gauche
avec les outils en bandoulière
et la jeune femme heureuse accrochée à son bras
L’effort humain porte un bandage herniaire
et les cicatrices des combats
livrés par la classe ouvrière
contre un monde absurde et sans lois
L’effort humain n’a pas de vraie maison
il sent l’odeur de son travail
et il est touché aux poumons
son salaire est maigre
ses enfants aussi
il travaille comme un nègre
et le nègre travaille comme lui
L’effort humain n’a pas de savoir-vivre
l’effort humain n’a pas l’âge de raison
l’effort humain a l’âge des casernes
l’âge des bagnes et des prisons
l’âge des églises et des usines
l’âge des canons
et lui qui a planté partout toutes les vignes
et accordé tous les violons
il se nourrit de mauvais rêves
et il se saoule avec le mauvais vin de la résignation
et comme un grand écureuil ivre
sans arrêt il tourne en rond
dans un univers hostile
poussiéreux et bas de plafond
et il forge sans cesse la chaîne
la terrifiante chaîne où tout s’enchaîne
la misère le profit le travail la tuerie
la tristesse le malheur l’insomnie et l’ennui
la terrifiante chaîne d’or
de charbon de fer et d’acier
de mâchefer et de poussier
passée autour du cou
d’un monde désemparé
la misérable chaîne
où viennent s’accrocher
les breloques divines
les reliques sacrées
les croix d’honneur les croix gammées
les ouistitis porte-bonheur
les médailles des vieux serviteurs
les colifichets du malheur
et la grande pièce de musée
le grand portrait équestre
le grand portrait en pied
le grand portrait de face de profil à cloche-pied
le grand portrait doré
le grand portrait du grand divinateur
le grand portrait du grand empereur
le grand portrait du grand penseur
du grand sauteur
du grand moralisateur
du digne et triste farceur
la tête du grand emmerdeur
la tête de l’agressif pacificateur
la tête policière du grand libérateur
la tête d’Adolf Hitler
la tête de monsieur Thiers
la tête du dictateur
la tête du fusilleur
de n’importe quel pays
de n’importe quelle couleur
la tête odieuse
la tête malheureuse
la tête à claques
la tête à massacre
la tête de la peur

Paroles (Gallimard, 1946)

Photo : Emmanuel de Burriel / Périscope  

Dès qu’il est question de capitalisme sauvage et de collapsologie, j’embraie – l’excellente chronique d’Odile Tremblay Le capitalisme pour les nuls (et les révoltés) ci-après, a tourné la clef dans le démarreur...

Chapitres de la Chute, Saga des Lehman Brothers d’après le roman de Stefano Massini 

La pièce relate l’échafaudage de l’entreprise Lehman en Amérique. La célèbre famille juive originaire d’Allemagne a émigré aux États-Unis au milieu du 19e siècle. Jetant d’abord son dévolu sur le coton, puis sur le café, le combustible et les chemins de fer, l’entreprise a éventuellement rejoint le secteur de la finance. On observe les personnages, dévorés par la cupidité, cheminer vers un enrichissement matériel toujours plus considérable. (Bible urbaine)

Le krash de 2008 avait dix ans, et la pièce fut présentée deux fois plutôt qu’une à l'automne 2018. D’abord en septembre au Théâtre Périscope sous la direction d’Olivier Lépine, puis en octobre au Théâtre de Quat’Sous dans une mise en scène de Marc Beaupré et Catherine Vidal. Des mises en scène et des décors différents toutefois.

Lehman Brothers “partners' room,” 1957. Center for Creative Photography, The University of Arizona. Photo by Dan Weiner; Copyright John Broderick.

Pour mieux comprendre la faillite de Lehman Brothers et le krash de 2008 :
Documentaire de Jennifer Deschamps (France/Canada).
Coproduction: ARTE GEIE, KM, Radio-Canada, Intuitive Pictures.


Résumé : La chute, en 2008, de Lehman Brothers, a plongé la planète dans une gigantesque récession. Dans une enquête captivante, Jennifer Deschamps se penche sur ce qui a causé la perte d'une banque au-dessus de tout soupçon. Le 15 septembre 2008, Lehman Brothers est officiellement déclarée en faillite. Lâchée par le gouvernement et sans repreneur, la vénérable banque d'investissement, fondée à New York en 1850, disparaît en laissant à ses créanciers une dette de plusieurs centaines de milliards de dollars. Lancée depuis plusieurs années dans une course folle au profit, cette grande institution financière, dirigée par Richard Fuld, a développé des prêts hypothécaires à risques, rapidement devenus emprunts toxiques. Accordés à des ménages modestes voire sans revenus, ces subprimes ont permis à des centaines de milliers d'Américains de devenir propriétaires de leur logement. Mais en 2007, lorsque la bulle immobilière éclate, la remontée des taux d'intérêts gonfle les traites que les emprunteurs ne peuvent pas rembourser. Une vague de saisies s'abat sur les États-Unis, et notamment sur la Californie... (1)

Le capitalisme pour les nuls (et les révoltés)

Odile Tremblay
Le Devoir | 27 octobre 2018 | Chronique

Ainsi, en ces temps de mutations, alors que les changements climatiques s’invitent au quotidien et que la mondialisation part en vrille, les piliers du système économique mondial montrent d’inquiétantes fissures.
   Faut dire que le salut de la planète et des humains perchés dessus commanderait des mesures contraires aux intérêts commerciaux des nations et au confort des consommateurs électeurs. Les politiciens légifèrent par-ci pour tempérer l’inquiétude collective face à l’avenir sans ralentir la croissance, ferment les yeux par-là afin de soutenir la machine. Et filons tous ensemble vers demain…
   Pas moyen de plaider l’ignorance. Le cynisme de nos propres régimes s’étale de façon virale à pleins médias. On a tous les mains couvertes de sang. Malaise, quand tu nous étreins.
   L’horrifique polar entourant la torture et le meurtre du journaliste du Washington Post Jamal Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul ravive ce trouble. Du feuilleton sanglant surgit le ballet diplomatique de bien des dirigeants occidentaux, entre homélies sur les droits de la personne et arguments économiques en appels du pied. Armes vendues d’un bord, pétrole acheté de l’autre, cris d’indignation sous couvert de vertu, récupération de «l’événement» à des fins politiciennes par le moindre calife sur fond d’accords secrets entre compères. Trump a soulevé une tempête qui lui claque au front. Alliés avec le diable, nous? Il a tant de visages, celui-là.

Dragon moderne

On rumine ces pensées devant la pièce Chapitres de la chute de l’Italien Stefano Massini, adaptée de son propre roman, mise en scène par Marc Beaupré et Catherine Vidal au Théâtre de Quat’Sous, qui remonte les sources du système. À travers la saga des frères Lehman sur plusieurs générations, de l’arrivée des frères juifs bavarois commerçants de coton en Alabama jusqu’à la faillite de leur banque d’investissement à New York en 2008 qui fit trembler Wall Street, en passant par le krach de 1929, c’est la toile du capitalisme qui se tisse et se déchire sous nos yeux.
   On ne vous jouera pas la note marxiste. Ce régime a montré ses failles béantes. Et quelle solution de rechange proposer hors des voies du dépouillement volontaire? Reste que la course au profit du capitalisme industriel, avec absence d’éthique et de vision écologique à long terme, semble lancée sur un train fantôme sans gare au bout. L’échec de son réseau tentaculaire impliquant l’alliance avec les tyrans de ce monde, au mépris des besoins planétaires et des droits de la personne, entre migrations massives et replis identitaires, est programmé d’avance. On le sait. La pièce en démonte les rouages organiques.
   Stefano Massini fait du destin des Lehman un dragon moderne qui avale ses scrupules et des couleuvres avant d’engloutir ses propres enfants.
   D’une durée de quatre heures et demie, la soirée théâtrale. On s’était promis de lever le camp au cours d’un des entractes, avant de rester tétanisée devant ces six comédiens et comédiennes jouant indifféremment monsieur ou madame, maître ou domestique, sans décor, sinon des chaises comme dans la pièce d’Ionesco. Par-delà quelques épivardages de fin de parcours, cette leçon de capitalisme entre cimes et abîmes fait son effet.
   À la sortie, se confondent en nous toutes ces têtes de Lehman avec les visages à double face de Trump, de Trudeau, de Macron, du dictateur turc Erdogan, du perfide prince saoudien Mohammed ben Salmane. Le théâtre s’offre parfois une salutaire fonction de manifeste.
(...)

--- 
(1) Ces individus et leur relève sont d'une cupidité inouïe, uniquement intéressés à amasser de l'argent tout comme les Koch Brothers, la famille Walton (Wal-Mart), etc.
   Sans la cupidité globalisée, il n’y aurait pas de destruction massive. Sans la cupidité, ni la vie animale ni les grandes forêts ne seraient en train de disparaître. Et sans cette cupidité, il n’y aurait pas eu de répression du génie; il y aurait eu davantage de démonstrations ingénieuses et d’inventions basées sur autre chose que les carburants fossiles. Il est impossible de mettre au point de nouvelles sources d’énergie : les grandes idées sont mises en veilleuse à cause de la cupidité.
   Le déversement de plastique et de poisons dans les cours d’eau, les lacs et les océans existe depuis si longtemps que des bancs complets de poissons et de mammifères marins en meurent et échouent sur les rivages. Sans la cupidité, on n’assisterait pas à la mort des forêts vierges. Sans la cupidité, on aurait un climat normal et la nature suivrait son évolution naturelle sans éruptions intermittentes.


À chaque fois qu’on démarre sa voiture et qu’on appuie sur l’accélérateur, le gaz d’échappement monte et est retenu dans la stratosphère, dans la bande de pollution qui entoure la terre. On est accablés, mais on ne peut rien y faire, on doit continuer à se déplacer. À chaque fois que la technologie modifie des structures moléculaires et crée des produits chimiques, où vont les vapeurs toxiques? Elles s’accumulent dans cette bande. Faute de l’équilibre normalement assuré par les arbres majestueux et le feuillage des grandes forêts, les dioxines ont atteint un tel niveau de concentration dans la stratosphère qu’elles atteignent la couche inférieure.
   À chaque fois qu’on achète un hamburger, on favorise la destruction des forêts autour du monde. En effet, ces forêts doivent être détruites pour que les bestiaux puissent paître dans le but de satisfaire cet appétit insatiable pour les hamburgers. Et à chaque fois qu’on jette le contenant du hamburger, tous les gaz contenus dans cette boîte se libèrent et vont se loger dans la stratosphère. Mais c’est un contenant jetable. Alors pourquoi s’en faire? 
   Quand il n’y a plus de choix possible, quand le monde entier arrive à une impasse, quand la capacité de choisir s’effondre, et c’est l’objectif dissimulé du gouvernement mondial, alors le temps s’arrête. Mais ce moment pourrait aussi signaler la fin de l’ère des tyrans – rois, monarques, aristocrates, gouvernements, financiers. Toute initiative pour sortir de la léthargie représente une menace pour leur fortune. Les charlatans, les profiteurs et les escrocs projettent de dominer le monde et de casser les reins de la classe moyenne en se servant du système monétaire – une de leurs ambitions les plus chères. Ces individus sagaces et astucieux connaissent la nature humaine; ils savent combien les humains sont esclaves de leurs désirs. Ils savent ce que les gens veulent entendre et ne pas entendre. Ils savent flatter et menacer. Ils savent jouer avec les notions de patriotisme, de liberté et de prospérité (croissance économique). Grâce à leurs services dévoués, nous pourrions vivre un combiné du krach d’octobre 1929 à celui de l’automne 2008. Ajoutez à cela quelques catastrophes, naturelles ou causées par l’homme, et nous sommes cuits. Si l’économie va trop bien, on crée de l’inflation ou l’on déclenche une guerre – ça remet les choses en place. Le pouvoir que nous pourrions exercer, et surtout, la possibilité redoutable de devenir des êtres éclairés est une menace pour l’élite.
   Or personne ne pourra stopper les soubresauts de la nature. Pas même une nation entière ne pourrait l’arrêter. Quand la terre entreprendra de se nettoyer, ce faisant, elle pourrait détruire l’autoroute numérique et le système bancaire mondial. Si la nature entre en jeu et intervient, les failles sismiques en-dessous des centrales se disloqueront – un tsunami et une faille sismique ne se préoccupent pas de ce qu’il y a au-dessus. Les chamboulements climatiques sont en train de changer dramatiquement la terre. Si les volcans entrent en éruption, beaucoup de gens périront, c’est toujours ainsi quand la nature gronde. Quel que soit le plan ultime des gérants de la planète, la nature l’emportera.
   La terre se retrouve actuellement dans une position précaire. La terre était un grand jardin, mais elle a été violée, saccagée et mal utilisée, par ignorance. La nature est le souffle de vie en toutes choses. Tout est vivant. Ce n’est pas parce qu’un arbre ne parle pas qu’il n’est pas vivant. Une plante est un être vivant. Le grand rocher est vivant. Mais en ce moment, ils étouffent, ils passent par la chambre à gaz. La terre et toute la nature nous servent des avertissements, comme ces dauphins et ces baleines magnifiques qui échouent sur les plages pour y mourir. À chaque fois qu’une grande baleine échoue sur les côtes, elle envoie un message.
   Tout cela ne passe pas inaperçu. Qui se débrouillera pour prendre soin du vivant? Si l’humain refuse de changer, alors que restera-t-il de la vie?
   Mais les humains préfèrent regarder des guignols faire semblant de régler les ravages qu’ils causent...

Gif : Head Like an Orange https://headlikeanorange.tumblr.com/ 

12 août 2019

Tout est éternel, sauf dans le temps

«Tout est éternel, sauf dans le monde du temps où il y a un début, une durée et une fin – les glaciers de l’Arctique, les fleurs, toi et moi…», m’écrivait un ami.

Quand on observe lucidement ce qui se passe n’est-il pas évident que l’humanité s’achemine irrémédiablement vers un congé sans solde? Plusieurs situations sont devenues irréversibles. Savoir sans comprendre fait basculer dans la négation. Lorsqu’on nie une chose, on ne peut rien y faire car c’est comme si elle n’existait pas. Je pense que cette attitude d’autoprotection est tout à fait normale compte tenu de l’ampleur du cul-de-sac et de notre cuisant échec.

Illustration: Steve Cutts. Junk-tree, make the best of what you have

«Nos progrès techniques ne résisteraient pas à l’usure d’une longue guerre; nos voluptueux eux-mêmes se dégoûtent du bonheur. L’adoucissement des mœurs, l’avancement des idées au cours du dernier siècle est l’œuvre d’une infinie minorité de bons esprits; la masse demeure ignare, féroce quand elle le peut, en tout cas égoïste et bornée, et il y a fort à parier qu’elle restera toujours telle. Trop de procurateurs et de publicains avides, trop de sénateurs méfiants, trop de centurions brutaux ont compromis d’avance notre ouvrage; et le temps pour s’instruire par leurs fautes n’est plus donné aux empires pas plus qu’aux hommes. Là où un tisserand rapiécerait sa toile, où un calculateur habile corrigerait ses erreurs, où l’artiste retoucherait son chef-d’œuvre encore imparfait ou endommagé à peine, la nature préfère repartir à même l’argile, à même le chaos, et ce gaspillage est ce qu’on nomme l’ordre des choses.»
Mémoires d'Hadrien; Marguerite Yourcenar, Gallimard  (p. 251)

Créer du neuf avec du vieux, ou recycler, a ses limites; parfois il vaut mieux repartir à zéro...

Illustration : Steve Cutts. Murica

TABLE RASE [du monde]
Par Jane Roberts

[Traduction maison]

Nous rassemblons-nous parfois
Pour faire table rase du monde,
(Adieu Babylone et Atlantide)
Et regarder la lune toucher
Des vignobles familiers pour la dernière fois,
Dire au revoir à tous nos édifices,
À nos pots à fleurs en pierre
Sur le rebord des fenêtres des gratte-ciels,
Dire au revoir aux statues
Des héros publics dans les parcs des villes, 
Sentant dans nos cœurs
Que ce que nous avons fait
Était spectaculaire mais sans issue,
Avec des imperfections soudainement
Multipliées au delà de tout contrôle,
Et que nous devions
Pour clarifier notre vision une fois de plus,
Déchirer la civilisation jusqu’à la moelle,
Libérer les rêves ensevelis
Sur lesquels notre monde avait été édifié?

Savons-nous parfois 
Ce qui doit être fait,
De par un vieil instinct animal,
Que nous avons oublié,
Un besoin qui soulève la nature
À notre commandement,
Conjurant séismes et avalanches
Pour  faire le boulot à notre place, car nous savons
À quel point nos mains hésiteraient,
Et qu’au dernier moment,
Aucun de nous ne pourrait détruire
Un monde si méticuleusement élaboré?

Ainsi, en un éclair, les vieilles croyances
Et les superstitions s’effondrent,
Avec toutes les structures
Érigées en leur nom,
Dieux et temples anciens,
Arts et sciences,
S’effritent et le grand coup de balai de la nature
Fait table rase, nettoie partout.   

Ensuite, les âges, où nos esprits tournent avec les saisons,
Contemplant des visions plus parfaites,
Jusqu’à ce que, encore une fois, nos désirs
Deviennent des pensées et commencent
À faire tourner de nouveaux mondes.

“If We Live Again” (1982), Jane Roberts (1929-1984)

WORLDSLATE

Sometimes do we all get together
And wipe the world slate clean,
(Good-bye Babylon and Atlantis)
And watch the moon touch
Familiar vineyards for the final time,
Say good-bye to all our edifices,
And stone flowerpots
On skyscraper windowsills,
Wave farewell to statues
Of public heroes in city parks,
Feeling in our hearts
That what we’ve made
Was spectacular but closed-ended,
With flaws suddenly
Multiplied beyond control,
And that we needed
To clear our vision once again,
Rip civilization down to its bone,
Release the buried dreams
That our world was once based upon?

Do we sometimes know
What must be done,
With some ancient animal instinct
We’ve forgotten,
A need that rouses nature
To our command,
Conjuring earthquakes and avalanches
To do the job for us, for we know
How our own hands would falter,
And at the last,
Which one of us could destroy
A world so painstakingly made?

So in a flash, old beliefs
And superstitions topple,
With all the structures
Risen in their names,
Old gods and temples,
Arts and sciences
Crumble and nature’s vast sweep
Everywhere sweeps clean.

Then, ages, where our minds turn with the seasons,
Contemplating more perfect visions,
Till once again, our desires
Turn into thoughts and begin
To spin new worlds.

7 août 2019

Brésil : objectif zéro arbre, zéro autochtone

Le criminel environnemental Jair Bolsonaro qualifiait la forêt amazonienne de «territoire improductif et désertique [sic] qui gagnerait grandement à être intégré au système économique national; les Indiens y vivent dans des conditions préhistoriques et entravent la croissance économique du pays».

Pour répondre aux objectifs du clan conservateur (la Bancada BBB Bible, Bœuf, Balle dont il est la marionnette) qui regroupe des parlementaires liés aux intérêts de la police militaire, des églises évangélistes et de l’agro-industrie, Bolsonaro doit construire une autoroute traversant la forêt amazonienne, répondre au lobby agroalimentaire en ouvrant des droits à la culture du soja et à l'élevage bovin, ouvrir les territoires des communautés indigènes aux entreprises minières, assouplir les lois relatives à la protection de l'environnement et interdire les ONG écologistes. C’est donc le ministère de l’Agriculture qui gère désormais les délimitations des terres indigènes.

Photo : Apu Gomes / AFP. Un indigène Wayapi près du village de Manilha, dans la région de l’Amapa au Brésil, en octobre 2017  

Le Monde, 28 juillet 2019 – Au Brésil, des orpailleurs suspectés du meurtre violent d’un indigène dans une réserve protégée. L'indifférence du président Jair Bolsonaro à l'égard de la mort du cacique Wayapi, tué le 23 juillet, illustre son mépris envers les indigènes. Ils ont parlé d’une cinquantaine d’orpailleurs clandestins, armés de fusils automatiques, prêts à les massacrer au nom d’une fortune aussi éphémère qu’illusoire, relatant la capture, la torture et la mort d’un des leurs. (1)

“Cut, burn, dig, drill & kill” ~ God  
Vous trouverez dans cet article des citations de Bolsonaro qui révèlent sa vision dictatoriale et meurtrière de la gouvernance :

Chutes d’Iguazu. Au cœur de la forêt amazonienne, entre la province de Misiones en Argentine et l’État de Parana au Brésil, 275 cascades se déversent dans le Rio Iguazu, un affluent du fleuve Parana.

Ocelot. Presque totalement décimé dans les années 1970 – on vendait 200 000 peaux par année pour vêtir les poules de luxe des riches. Quelle bande de décérébrés...

Photo : Anne-Marie Kalus. Un Jaguarondi dans les copeaux. Il est menacé par la déforestation et les trappeurs.

Photo : Ricardo Funari / Brazil Photos / Getty. Au Brésil c’est un peu plus de 984 000 hectares qui disparaissent chaque année malgré un recul de 16 % de la déforestation entre juillet 2016 et août 2017.  

Cratères et déchets miniers, monoculture de soja, immenses parcs à bestiaux, main-d’œuvre d’esclaves empoisonnés, voilà ce qui remplacera le paysage de l’ancienne forêt amazonienne. Il n’existe pas de mots pour qualifier ces crimes contre les humains et la nature.

Brésil : la déforestation multipliée par quatre
Agence France-Presse à Sao Paulo 7 août 2019

Photo: Raphael Alves / AFP. Cette photo prise en octobre 2014 montre une zone déforestée; une exploitation de bois illégale au milieu de la jungle amazonienne.

La déforestation au Brésil en juillet a été quasiment quatre fois supérieure au même mois de 2018, selon des chiffres officiels publiés mardi, confirmant un état des lieux préoccupant, mais mis en cause de façon régulière par le président d’extrême droite Jair Bolsonaro.
   L’Institut national de recherche spatiale (INPE) brésilien, l’organisme public chargé de mesurer la déforestation en Amazonie, a fait état de 2.254 kilomètres carrés de zones déforestées dans le pays le mois passé, contre 596,6 kilomètres carrés en juillet 2018, soit une augmentation de 278% sur un an.
   Les dernières données de l’INPE faisaient état d’une augmentation de 88% de la déforestation au Brésil en juin par rapport à ce qui avait été recensé pour le même mois l’année dernière. Les zones déforestées atteignent 6.833 kilomètres carrés sur les 12 mois écoulés, en augmentation de 40%, selon le même organisme.
   Le gouvernement Bolsonaro a limogé récemment le directeur de l’INPE, Ricardo Galvao, accusé de fournir des chiffres «mensongers» pour «faire le jeu des ONG».
   Pour le chef de l’État, climatosceptique notoire, les données montrant une augmentation récente de la déforestation «ne correspondent pas à la réalité» et «portent préjudice à l’image du Brésil».


France Culture, 9 février 2019 – La forêt amazonienne qui occupe 4 millions de km2 sur sa partie brésilienne, soit la moitié de la surface du pays, n’a jamais été vraiment considérée par les Brésiliens. Sans autre intérêt à leurs yeux que d’abriter des indigènes n’ayant pas pris le train de la modernité, cet espace représentant huit fois la France est devenu un terrain à exploiter dès la deuxième moitié du XXe siècle.
   Comme la forêt du bassin du Congo ou celles d’Asie du Sud-est, l’Amazonie, est un immense «piège à CO2». Ou plutôt «était». Car selon des études scientifiques, la destruction ou la dégradation déjà entamées des grandes forêts tropicales du globe font qu'aujourd'hui elles rejettent plus de dioxyde de carbone qu'elles n'en absorbent.
   La catastrophe du barrage minier de Brumandinho (Sud est) le 25 janvier dernier, causant la mort de plus de 100 personnes et la disparition de 200 autres a réveillé le souvenir récent du drame de Mariana et rappelé qu'aujourd'hui encore la société Vale, propriétaire des mines, n'a toujours pas payé pour ce «Fukushima brésilien». Le 5 novembre 2015, la rupture de deux barrages dans la région du Minas Gerais tuait une vingtaine de personnes et, déversant 60 millions de tonnes de boues issues de mines de fer, provoquait la plus grande catastrophe écologique du Brésil. «Ces ruptures ont tué biologiquement le Rio Doce, explique Florent Kohler. Plus de trois ans après, l'entreprise Vale (propriétaire également des mines de Brumandinho) n'a toujours pas payé l'amende de plusieurs milliards de dollars ni dédommagé les habitants.»

Source de la photo : Reporterre. La rupture de deux barrages en novembre 2015 dans l'état du Minas Gerais avait libéré des boues détruisant la vie biologique de tout un fleuve. La coulée a frayé inexorablement son chemin vers l’océan, provoquant un désastre sur les écosystèmes. Un air de fin du monde...!

(1) Les environnementalistes risquent leur vie pour sauver la planète
Democracy now! 1er août 2019

164 assassinats d'écologistes et de défenseurs de la terre et de l'eau ont eu lieu en 2018, répertoriés dans un nouveau rapport intitulé «Les ennemis de l'État? Comment les gouvernements et les entreprises font taire les défenseurs de l'environnement».  Publié par Global Witness, une organisation internationale à but non lucratif qui œuvre pour la protection des droits de l'homme et de l'environnement en luttant contre la corruption, le rapport note que «le chiffre réel risque d'être beaucoup plus élevé, car les cas ne sont souvent pas enregistrés et très rarement examinés».
   Le rapport est d'envergure mondiale. Parmi les endroits les plus dangereux pour les défenseurs des terres en 2018 se trouvaient les Philippines, le Guatemala et le Brésil. Le rythme de la violence au Brésil ne fait qu'accélérer depuis l'arrivée à la présidence, en janvier dernier, de l'extrémiste de droite Jair Bolsonaro, qui nie l'existence des changements climatiques.
   «Jair Bolsonaro a été élu en promettant une campagne anti-environnementale. Aujourd'hui, il livre, malheureusement», a déclaré Carlos Rittl, secrétaire exécutif de l'Observatoire du climat, un réseau d'organisations de la société civile brésilienne, à l'heure des nouvelles de Démocracy now!. «Le département responsable de la lutte contre la déforestation, le ministère de l'Environnement, a été fermé.»
   Depuis l'arrivée au pouvoir de Bolsonaro, le taux de destruction de la forêt amazonienne a augmenté de près de 40 %. La forêt tropicale joue un rôle vital dans la régulation du climat mondial. En mai, huit anciens ministres brésiliens de l'environnement ont averti : «Nous sommes confrontés au risque d'une déforestation galopante en Amazonie». Comme on l'a dit, le Brésil est en train de devenir un «exterminateur» du futur de la planète.
   Fin juillet, Emyra Wayapi, un chef de la tribu indigène Wayapi en Amazonie, a été assassiné par un groupe de 10 à 15 hommes armés qui participaient à une opération minière illégale. La Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Michelle Bachelet, ancienne présidente du Chili, a qualifié son assassinat de «tragique et condamnable en tant que tel. C'est aussi un symptôme inquiétant du problème croissant de l'empiètement sur les terres autochtones – en particulier les forêts – par les mineurs, les bûcherons et les agriculteurs au Brésil».


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«Quand la nature aura passé, l’homme la suivra.» ~ Roger Heim

«Admirons la sagesse de ceux qui rêvent d’habiter la lune après avoir rendu la terre inhabitable.» ~ Lanza del Vasto

Vivre de peu
Joseph Delteil (1894-1978)  

La civilisation moderne, voilà l’ennemi. C’est l’ère de la caricature, le triomphe de l’artifice. Une tentative pour remplacer l’homme en chair et en os par l’homme robot. Tout est falsifié, pollué, truqué, toute la nature dénaturée. Voyez ces paysages métallurgiques, l’atmosphère des villes corrompue (les poumons couleur Louvres), les airs et leurs oiseaux empestés d’insecticides, les poissons empoisonnés jusqu’au fond des océans par les déchets nucléaires, partout la levée de substances cancérigènes, la vitesse hallucinante, le tintamarre infernal, le grand affolement des nerfs, des cœurs, des âmes, à la chaîne vous dis-je… Telle est la vie industrielle, la vie atomique. Le grand crime de l’homme moderne! Oui, ceci n’est qu’un cri : Au feu! Au fou! À l’assassin! 

Quant à l’alimentation… Le pain, le vrai pain est mort. Vous savez comment on dégerme, énerve, décervelle le brave blé (après quoi il reste il est vrai l’amidon, sans doute pour les lavandières du Portugal). Comment on sophistique toutes choses, à force de bromures, de carbonates de magnésie, de persulfates d’ammonium, etc. Vous consommez le lait conservé à l’aldéhyde formique, les épinards verdis au sulfate de cuivre, le jambon au borax, le vin fuschiné, etc. C’est l’alimentation chimique. 

Ils appellent ça le progrès. Mais entre l’hippopotame dans son marigot, le lézard au soleil et l’Homme au fond de sa mine, où est le progrès? 

Il s’agit de faire front, de retrouver terre, de redevenir sauvages, vierges de sens et d’esprit comme au premier matin… 

Source :
Cent poèmes pour l’écologie
Choisis par René Maltête
Le cherche midi éditeur; 1991