31 octobre 2018

Aimez-vous les polars noirs?

Allons-y, après tout c'est l’Halloween.

Quand je songe à l’Amérique du Sud, je vois des paysages grandioses. Certains ont été épargnés, mais ils sont sur le point de passer au bulldozer. 
   L’élection de Bolsonaro à la présidence du Brésil est une catastrophe tant pour les Brésiliens que pour la planète en matière d’environnement. Membre du clan conservateur dit de la «Bancada BBB» (pour «Bible, Bœuf, Balle») qui regroupe des parlementaires liés aux intérêts de la police militaire, des églises évangélistes et de l’agro-industrie, Bolsonaro entend construire une autoroute traversant la forêt amazonienne, répondre au lobby agroalimentaire en ouvrant des droits à la culture du soja et à l'élevage bovin, ouvrir les territoires des communautés indigènes aux entreprises minières, assouplir les lois relatives à la protection de l'environnement et interdire des ONG écologistes.
   Le jour où nous n’aurons plus de grandes forêts boréales et tropicales sur terre, nous pourrons blâmer Dieu – car il paraît que c’est lui qui guide les dirigeants politiques de sa main invisible. Dieu doit aimer les riches, le bœuf et les fusils et détester les pauvres, les végétariens et les pacifistes. Étrange quand même. 

Vu le climat politique au Brésil, j’avais envie de lire un auteur de polar sud-américain. J’ai choisi l’écrivain chilien Ramón Díaz Eterovic, que je ne connaissais pas. Son roman Negra Soledad (titre original La música de la soledad) me semblait approprié :
   Heredia, le détective privé des quartiers populaires de Santiago, apprend que son ami avocat, Alfredo Razetti, a été retrouvé mort. Il avait été engagé par les habitants d’un village du nord du Chili, aux prises avec une exploitation minière polluante bien décidée à exproprier tout le monde. Tandis qu’il enquête sur la mort de son ami, Heredia découvre l’ampleur des problèmes environnementaux au Chili et leurs dénouements souvent tragiques : soif de lucre des entreprises, contamination des sols, indulgence coupable des autorités, spoliation des paysans et complicité du clergé.

J’aime l’alter ego de l’enquêteur Heredia – son chat Simenon avec lequel il dialogue – ainsi que le sens de l’humour de l’écrivain.

Extrait 

– L’exploitation du cuivre a changé notre vie. Au début, quand ils construisaient le barrage, on a cru que ce serait un progrès pour le village. Le commerce a repris, des pensions ont vu le jour pour donner à manger aux ouvriers et aux employés de l’entreprise, ils ont même refait les rues et les chemins conduisant à la mine. Par la suite, on s’est rendu compte que ce progrès apparent n’assurait pas l’avenir de la communauté. Tout a commencé quand, peu après la fin des travaux, on a découvert une infiltration qui a provoqué un écoulement de liquide pollué dans la rivière. Cette année-là, la récolte de fruits a été moins bonne et, après un long procès, on a obtenu une indemnisation minime pour les victimes. Le bon côté de cet épisode, c’est que cela a alerté les habitants et certains ont pris conscience du danger représenté par le barrage.
– Et que disent les autorités?
– La plupart des autorités font des courbettes devant l’argent.
   En regardant à travers la vitre, j’ai vu une petite place fleurie avec, au centre, une grande plaque de béton où on pouvait lire : Bienvenue à Cuenca. Le bus a pris une rue goudronnée débouchant sur ce qui devait être la place principale. Tout autour les maisons étaient peintes de couleurs criardes et éclatantes, et les rues bien propres.
– ...Ne vous laissez pas tromper par les apparences. Pour tout ça, il faut beaucoup d’argent, et la mine en a beaucoup ... pour gagner l’estime des gens.
(p. 55-56)

– Nous n’avons pas pu empêcher la construction du barrage, mais nous avons l’espoir d’obtenir l’arrêt de son exploitation ou au moins l’adoption de mesures de sécurité. Nous avons demandé l’ouverture d’une procédure au sujet des eaux polluées et la construction d’un mur de protection entre le barrage et le village. Ce serait un moyen d’éviter que les déchets ne nous tombent dessus en cas d’infiltrations ou de fissures provoquées par un tremblement de terre. Je ne raconte pas d’histoires. En 1985, dans un village italien de Val di Stava, la barrage construit par l’entreprise minière installée là-bas a cédé, provoquant une avalanche de boue toxique qui a recouvert une bonne partie du village et entraîné la mort de centaines d’habitants. Et il y a le cas du « lavage » de minerais qui a pollué la rivière Opamayo, à Huancavelica, une des régions les plus pauvres du Pérou. Vingt mille mètres cubes de déchets se sont déversés dans la rivière à la suite de l’effondrement du barrage. Ces deux exemples concernent l’exploitation minière, mais il y a aussi d’autres désastres dus à des défauts de sécurité dans les plates-formes nucléaires et les entreprises hydroélectriques.
– Que contient ce «lavage»?
– L’eau, la boue et les matières toxiques qui restent après le traitement du cuivre.
(p. 65)

Photo : Edward Burtynsky. Nickel Tailings, Sudbury, Ontario, Canada 1996. Résidus miniers toxiques.  


Et quand je songe à l’Amérique du Sud, fatalement, je finis toujours par penser à Astor Piazzolla (1921-1992).

Soledad
Astor Piazzolla & Friends
Auteurs-compositeurs : Astor Piazzolla, Horacio Ferrer 

22 octobre 2018

Twain et le charlatanisme «médical»

Avec la légalisation du cannabis, une compétition féroce entre les multinationales pharmaceutiques et le crime organisé (qui produira du cannabis «légal», voire médicinal) est à prévoir. Plusieurs consommateurs ont affirmé qu’ils continueront de s’approvisionner auprès de leur pusher habituel en qui ils ont confiance. D’autres disaient qu’ils préfèrent consommer un produit approuvé par Santé Canada. Les compagnies légales vont pulluler. L’âge permis varie entre 18 et 21 ans selon les provinces. Ça va changer quoi? Un jeune disait «si tu veux du pot, t’as qu’à aller dans un Cégep». On peut toujours compter sur la crédulité des gens pour faire de l'argent. Nous devrions imiter Mark Twain. À un moment donné, assez c'est assez!


Si Mark Twain était là pour écrire à Donald Trump, ce serait jouissif, considérant le ton de cette lettre adressée au distributeur d’un remède «miraculeux», pompeusement appelé Élixir de vie. Il était furieux.  

Un idiot du trente-troisième degré

Mark Twain à J.H. Todd – 20 novembre 1905

Mark Twain, l’auteur des Aventures de Tom Sawyer et de Huckleberry Finn, a été confronté à la maladie tout au long de sa vie. En 1872, son fils de dix-neuf mois, Langdon, est terrassé par la diphtérie; en 1896, une méningite emporte sa fille Susy; puis en 1904, c’est sa femme, Olivia, qui décède d’une insuffisance cardiaque. Un an plus tard, Twain reçoit la brochure d’un vendeur d’«Élixir de vie», un médicament magique censé soigner toutes les maladies citées et bien d’autres encore. On n’a pas de peine à imaginer sa colère; aussitôt, le romancier décide de répondre au charlatan, avec fureur et style. La version présentée ici est le brouillon que Mark Twain a immédiatement dicté à sa secrétaire.

30 novembre 1905

J.H. Todd
1212 Webster Street
San Francisco, Californie

Cher Monsieur,

Votre lettre représente pour moi un puzzle insoluble. L’écriture est bonne et dénote beaucoup de caractère, et il se trouve même des traces d’intelligence dans ce que vous dites, mais la lettre et les publicités qui l’accompagnent se révèlent être signées d’une même main. Celui qui a rédigé les publicités est sans nul doute l’individu le plus ignare de la planète; il ne fait pas non plus le moindre doute qu’il est aussi un idiot, un idiot du trente-troisième degré, héritier d’une ancestrale procession d’idiots remontant jusqu’au chaînon manquant [entre le singe et l’homme]. Tenter de comprendre comment la même main a pu construire votre lettre et vos publicités me laisse ébahi comme devant un puzzle. Or les puzzles m’angoissent, ils m’ennuient, ils m’exaspèrent; et durant un moment ils provoquent toujours en moi un état d’esprit peu amène à l’égard de celui qui les a conçus pour me décontenancer. Il ne sera pas longtemps avant que mon ressentiment se dissipe et passe, et j’irai probablement prier pour vous; mais tant que j’en ai le loisir, je me hâte de souhaiter que vous preniez par erreur une dose de votre poison, et que céans vous souffriez la damnation à laquelle vous et tous les autres charlatans assassins vous êtes livrés sans remords, et que vous avez si simplement méritée.

Adieu, adieu, adieu!

Mark Twain

Source : Au Bonheur Des Lettres, Recueil de courriers historiques inattendus et farfelus; rassemblés par Shaun Usher, traduction de Claire Debru; Éditions du sous-sol, Seuil 2014

~~~

Mark Twain’s Hilarious, Furious Letter to an Idiot
           
Here’s the story: in the winter of 1905, Mark Twain received a package and handwritten letter from a “doctor” out of California named J.H. Todd. After a cursory look at the items, Twain recognized that Todd was nothing more than a salesman peddling a rather deceptive snake oil – a cure-all pompously called The Elixir of Life – which purported to, among other things, instantly “cure all ailments of the human, animal, and fowl.” Such patent ridiculousness would not have ruffled the feathers of the otherwise unfazed Twain, except for the lingering presence of three relevant facts. Twain’s wife had died suddenly while on vacation the previous year; moreover, meningitis and diphtheria, which the Elixir proudly claimed to cure, had previously taken the lives of Twain’s daughter and 19-month-old son. With these memories now triggered in his mind, Twain sat down to pen a screed against charlatanism. Here’s his customer service complaint for the ages:  

Nov. 20. 1905

J. H. Todd
1212 Webster St.
San Francisco, Cal.

Dear Sir,

Your letter is an insoluble puzzle to me. The handwriting is good and exhibits considerable character, and there are even traces of intelligence in what you say, yet the letter and the accompanying advertisements profess to be the work of the same hand. The person who wrote the advertisements is without doubt the most ignorant person now alive on the planet; also without doubt he is an idiot, an idiot of the 33rd degree, and scion of an ancestral procession of idiots stretching back to the Missing Link. It puzzles me to make out how the same hand could have constructed your letter and your advertisements. Puzzles fret me, puzzles annoy me, puzzles exasperate me; and always, for a moment, they arouse in me an unkind state of mind toward the person who has puzzled me. A few moments from now my resentment will have faded and passed and I shall probably even be praying for you; but while there is yet time I hasten to wish that you may take a dose of your own poison by mistake, and enter swiftly into the damnation which you and all other patent medicine assassins have so remorselessly earned and do so richly deserve.

Adieu, adieu, adieu!

Mark Twain

Source: JRBENJAMIN in History, Humor | Thursday Mar 2014

Vous trouverez copie complète de la publicité sur le site ci-haut. La liste des maux est stupéfiante. 


L’usage de stupéfiants – héroïne, cocaïne, opium – était courant dans les potions magiques. C'est encore le cas aujourd'hui, on n'a qu'à penser au Fentanyl. 

Exemple : posologie du Paregoric, à base d’alcool et d’opium : bébé de 5 jours – 5 gouttes; bébé de deux semaines – 8 gouttes; enfant de 5 ans – 25 gouttes; adulte – 1 cuillerée à thé.

Des gouttes à la cocaïne pour les maux de dents :


Un vaporisateur à base d’alcool et d’opium :


Dans les années 50/60, on disait que le DDT était bon pour la santé...!  

Citation du jour :

«Je soutiens que mon corps est ma propriété, du moins je l'ai toujours considéré comme tel. Si je le détériore en l'expérimentant, c'est moi qui souffre, pas l'État.»
~ Mark Twain (Discours à l'Assemblée générale de New York, 1901)

15 octobre 2018

Le vécu immédiat

Forêt de bouleaux blancs, Owl Creek, Aspen CO

Quand on compare nos soucis quotidiens aux graves problèmes auxquels l’espèce humaine et la nature font face globalement, on relativise, bien sûr. Nous savons que la vie est faite de contradictions – plaisir et souffrance, succès et échec, gain et perte, joie et peine, naissance et mort... Une vie sans aspérités ça n’existe pas. On règle un problème, mais voilà qu’un autre surgit aussitôt. Parfois, on essaie vigoureusement d’esquiver les ennuis, ce qui souvent en crée davantage.

«Il existe un lien étroit entre la liberté et l’attitude que nous adoptons face à la douleur et à la souffrance. La douleur est ce qu’on ressent quand on prend la vie directement en pleine figure, quand on l’expérimente telle qu’elle est, sans rien y changer. Quoique, d’un autre côté, le mot joie pourrait aussi bien décrire ce vécu immédiat et intense. Lorsque, à l’inverse, on tente de se soustraire à la douleur qu’engendre ce vécu brut, on connaît la souffrance. C’est pour se prémunir de la douleur qu’on construit les remparts de l’ego, mais – ironie des choses – c’est cela même qui nous fait souffrir.
   La liberté, c’est l’acceptation du risque. On accepte d’être vulnérable face à la vie, on accepte de vivre ce que chaque instant nous apporte d’agréable ou de pénible. Il faut être prêt à se donner complètement à la vie. Et lorsqu’on sait s’abandonner totalement, sans ménager ses arrières ni se garder de porte de sortie, la souffrance n’existe plus. Il n’y a que l’expérience, brute, totale et immédiate. Et la douleur prend la couleur de la joie quand on sait pleinement l’éprouver.»
~ Charlotte Joko Beck (Soyez zen... en donnant un sens à chaque acte à chaque instant; Pocket, 1990)

En complément :

MES FÊTES À MOI SONT DES INSTANTS

Christian Vézina
3 septembre 2017

[...] J’ai 58 ans, et c’est pas une raison pour mettre du crémage partout. J’en parle parce que je m’en fous. [...]

Les anniversaires m’énervent depuis que je suis petit. [...]

Alors comme plusieurs, je n’aime pas tellement qu’on célèbre mon anniversaire. Cela dit, attention, comme tous ces autres qui n’ont «pas besoin de ça», soyons honnêtes, je ne voudrais tout de même pas qu’on l’oublie. [...]

Au fond, ce que je n’aime pas, ce sont les fêtes obligées... [...]

Mes fêtes à moi sont des instants. Je suis fêté cent fois par jour par mon corps et par des regards, des mouvements, des ombres, des mouvements d’ombres, des reflets, des paroles; je suis fêté par des suites de mots, des chansons, des tableaux, même des photos que nul n’a prises. Le seul vers que j’ai écrit, et dont je suis vraiment absolument et complètement content, se dit comme suit :

«Faste est l’instant»

Je le veux gravé sur ma tombe. Et je le veux recto verso de mon vivant.

Septembre est un bon mois pour les instants : la peinture s’écaille sur le paysage, la chlorophylle s’étiole, les feuilles s’affolent, le ciel a ses premiers frissons avant que d’avoir froid, dans ta nouvelle école tu croises Hélène de Troie, le tambour de ton cœur d’un coup t’a réveillé, les blés sont mûrs et la terre est mouillée, ça sent l’automne, Newton en aura pour sa pomme, c’est le retour du roi, emmailloté de laine, les mains froides un instant sur la tasse brûlante où fume son café dans la paix combattante, dans la maison sur le tapis les pitreries d’un chat heureux, la tête penchée d’un chien curieux et le vol des outardes parmi la nostalgie, la foudre d’un souvenir, des instants, mes amis, des instants, une nouvelle syllabe dans la bouche d’un enfant.

Moi, je préfère l’instant au calendrier, au temps quadrillé. Je préfère même l’instant à l’éternité. L’instant c’est léger; l’éternité j’trouve ça pesant. Et puis ça sent l’encens. Et le vieux curé. L’instant, ça sent pas toujours la même chose. Non, ça sent pas toujours la rose. Mais c’est l’éternité du pauvre. Du pauvre milliardaire frémissant sous la pluie des secondes depuis trois, quatorze ou 58 ans!

Source :
Un dimanche à ma fenêtre; Christian Vézina, préface de Normand Baillargeon; Éditions Somme toute 2018 (p. 120)

Il s’agit d’un recueil de textes entendus à «Dessine-moi un dimanche» (ICI Radio-Canada Première). L'acteur et poète Christian Vézina participe toujours à l’émission.

La pilule miracle «DénieTout»

Les moqueries du colosse aux pieds d’argile (Donald Trump) à l’endroit du Dr Christine Blasey Ford sont ignobles. La nomination de Brett Kavanaugh à la Cour suprême des États-Unis, en dépit des allégations de violence sexuelle qu’il a niées bien sûr, est tout aussi inacceptable.

«Le ressac contre #MoiAussi constitue le dernier effort du patriarcat pour écraser un mouvement qui menace son existence. Les témoignages en ligne ont braqué les projecteurs sur le problème de la violence sexuelle et, avec le temps, ils se traduiront par des changements dans le monde réel.» ~ Jessalynn Keller, professeure en sciences de l'information à l'Université de Calgary  

Je pense qu’on est en droit de nous moquer de ces hommes de pouvoir qui dénient tout et se blanchissent à renfort de parjures et de mensonges, et probablement de compensations monétaires ou de pots de vin, pour éviter toute procédure judiciaire.

DENIETOL (Denie it all – littéralement «DénieTout»)

Un nouveau médicament pour les hommes accusés d’inconduites ou de violences sexuelles. Vous le méritez! Ne laissez pas ces allégations détruire votre vie. N’utilisez pas Denietol si vous avez signé une entente de non-divulgation avec une star porno. Disponible chez Walgreens.

10 octobre 2018

«Blanchis dehors et noirs dedans»

Le poème À des journalistes de robe courte fut écrit lors d’une polémique opposant Victor Hugo, du journal L’Événement dont il était l’un des co-fondateurs, au rédacteur Louis Veuillot, du  journal L’Univers, un organe du «parti catholique». Il s’agit d’une virulente critique du pouvoir religieux amalgamé au pouvoir politique. 

L’ancien pasteur devenu un athée pur et dur, Dan Baker, a écrit : «En fait, dans le quotidien, il n’y a pas de grand mystère à la moralité. C’est une simple affaire de respect, de gentillesse, de bon sens. Dans des situations exceptionnelles où l’on est confronté à un dilemme (intervenir en voyant un homme frapper sa femme, aider une personne en détresse, etc.), la foi ne change rien. La moralité naturelle consiste à éviter et minimiser autant que possible le mal qu’on peut causer aux autres. La moralité est dans notre conscience, notre raison est dans notre conscience. On parle ici de «conscience» comme d’une fonction de notre cerveau, de notre intelligence. Si votre seule motivation à aider les autres, c’est la promesse du paradis, ça montre à quel point vous n’avez pas une haute estime des autres.» 

«Croire que la morale est commandée par Dieu vient corrompre notre moralité. Ça remplace nos motifs profonds (sens du devoir et de la justice, sentiment de générosité, d’empathie, etc.) par un égoïste calcul de la personne qui agit bien dans le but d’obtenir une récompense divine et d’éviter une punition.»
~ J. L. Mackie (The Miracle of Theism: Arguments For and Against the Existence of God, 1982)

Je dédie ce texte aux dirigeants des religions «organisées» de toutes confessions, tout à fait comparables aux organisations criminelles dans leur façon de manipuler les gens par la peur et les menaces, ici, de damnation éternelle. 
   Je le dédie aussi à Brett Kavanaugh, désormais juge à la Cour suprême des États-Unis, et fidèle représentant des États de la Bible Belt. 
   "La constitution américaine fut rédigée par des hommes ouvertement sceptiques et affichant une méfiance se confinant au mépris pour la religion. Entre autres, Thomas Jefferson qui a déclaré : «Le christianisme est le système le plus perverti qui ait jamais terni l'homme.» Benjamin Franklin, quant à lui, a eu ce mot d'esprit qui en dit long sur son appréciation des curés : «Les phares sont plus utiles que les églises.» Les pères de la nation américaine seraient anéantis de constater que le pays de liberté dont ils ont rêvé est devenu le royaume des télévangélistes, des lobbys de chrétiens de droite et des sectes de tous genres." (Michel Morin, Ne dites pas à ma mère que je suis athée)

 
À des journalistes de robe courte
Victor Hugo (1802-1885)

Recueil : Les châtiments (1853).

Parce que, jargonnant vêpres, jeûne et vigile,
Exploitant Dieu qui rêve au fond du firmament,
Vous avez, au milieu du divin évangile,
Ouvert boutique effrontément;

Parce que vous feriez prendre à Jésus la verge,
Cyniques brocanteurs sortis on ne sait d'où;
Parce que vous allez vendant la sainte vierge
Dix sous avec miracle, et sans miracle un sou;

Parce que vous contez d'effroyables sornettes
Qui font des temples saints trembler les vieux piliers;
Parce que votre style éblouit les lunettes
Des duègnes et des marguilliers;

Parce que la soutane est sous vos redingotes,
Parce que vous sentez la crasse et non l'œillet,
Parce que vous bâclez un journal de bigotes
Pensé par Escobar, écrit par Patouillet;

Parce qu'en balayant leurs portes, les concierges
Poussent dans le ruisseau ce pamphlet méprisé;
Parce que vous mêlez à la cire des cierges
Votre affreux suif vert-de-grisé;

Parce qu'à vous tout seuls vous faites une espèce
Parce qu'enfin, blanchis dehors et noirs dedans,
Criant mea culpa, battant la grosse caisse,
La boue au cœur, la larme à l'œil, le fifre aux dents,

Pour attirer les sots qui donnent tête-bêche
Dans tous les vils panneaux du mensonge immortel,
Vous avez adossé le tréteau de Bobèche
Aux saintes pierres de l'autel,

Vous vous croyez le droit, trempant dans l'eau bénite
Cette griffe qui sort de votre abject pourpoint,
De dire : Je suis saint, ange, vierge et jésuite,
J'insulte les passants et je ne me bats point!

Ô pieds plats! votre plume au fond de vos masures
Griffonne, va, vient, court, boit l'encre, rend du fiel,
Bave, égratigne et crache, et ses éclaboussures
Font des taches jusques au ciel!

Votre immonde journal est une charretée
De masques déguisés en prédicants camus,
Qui passent en prêchant la cohue ameutée
Et qui parlent argot entre deux oremus.

Vous insultez l'esprit, l'écrivain dans ses veilles,
Et le penseur rêvant sur les libres sommets;
Et quand on va chez vous pour chercher vos oreilles,
Vos oreilles n'y sont jamais.

Après avoir lancé l'affront et le mensonge,
Vous fuyez, vous courez, vous échappez aux yeux.
Chacun a ses instincts, et s'enfonce et se plonge,
Le hibou dans les trous et l'aigle dans les cieux!

Vous, où vous cachez-vous? dans quel hideux repaire?
Ô Dieu! l'ombre où l'on sent tous les crimes passer
S'y fait autour de vous plus noire, et la vipère
S'y glisse et vient vous y baiser.

Là vous pouvez, dragons qui rampez sous les presses,
Vous vautrer dans la fange où vous jettent vos goûts.
Le sort qui dans vos cœurs mit toutes les bassesses
Doit faire en vos taudis passer tous les égouts.

Bateleurs de l'autel, voilà quels sont vos rôles.
Et quand un galant homme à de tels compagnons
Fait cet immense honneur de leur dire : Mes drôles,
Je suis votre homme; dégaînons!

– Un duel! nous! des chrétiens! jamais! – Et ces crapules
Font des signes de croix et jurent par les saints.
Lâches gueux, leur terreur se déguise en scrupules,
Et ces empoisonneurs ont peur d'être assassins.

Bien, écoutez : la trique est là, fraîche coupée.
On vous fera cogner le pavé du menton;
Car sachez-le, coquins, on n'esquive l'épée
Que pour rencontrer le bâton.

Vous conquîtes la Seine et le Rhin et le Tage.
L'esprit humain rogné subit votre compas.
Sur les publicains juifs vous avez l'avantage,
Maudits! Judas est mort, Tartuffe ne meurt pas.

Iago n'est qu'un fat près de votre Basile.
La bible en vos greniers pourrit mangée aux vers.
Le jour où le mensonge aurait besoin d'asile,
Vos cœurs sont là, tout grands ouverts.

Vous insultez le juste abreuvé d'amertumes.
Tous les vices, quittant veste, cape et manteau,
Vont se masquer chez vous et trouvent des costumes.
On entre Lacenaire, on sort Contrafatto.

Les âmes sont pour vous des bourses et des banques.
Quiconque vous accueille a d'affreux repentirs.
Vous vous faites chasser, et par vos saltimbanques
Vous parodiez les martyrs.

L'église du bon Dieu n'est que votre buvette.
Vous offrez l'alliance à tous les inhumains.
On trouvera du sang au fond de la cuvette
Si jamais, par hasard, vous vous lavez les mains.

Vous seriez des bourreaux si vous n'étiez des cuistres.
Pour vous le glaive est saint et le supplice est beau.
Ô monstres! vous chantez dans vos hymnes sinistres
Le bûcher, votre seul flambeau!

Depuis dix-huit cents ans Jésus, le doux pontife,
Veut sortir du tombeau qui lentement se rompt,
Mais vous faites effort, ô valets de Caïphe,
Pour faire retomber la pierre sur son front!

Ô cafards! votre échine appelle l'étrivière.
Le sort juste et railleur fait chasser Loyola
De France par le fouet d'un pape, et de Bavière
Par la cravache de Lola.

Allez, continuez, tournez la manivelle
De votre impur journal, vils grimauds dépravés;
Avec vos ongles noirs grattez votre cervelle
Calomniez, hurlez, mordez, mentez, vivez!

Dieu prédestine aux dents des chevreaux les brins d'herbes
La mer aux coups de vent, les donjons aux boulets,
Aux rayons du soleil les parthénons superbes,
Vos faces aux larges soufflets.

Sus donc! cherchez les trous, les recoins, les cavernes!
Cachez-vous, plats vendeurs d'un fade orviétan,
Pitres dévots, marchands d'infâmes balivernes,
Vierges comme l'eunuque, anges comme Satan!

Ô saints du ciel! est-il, sous l'œil de Dieu qui règne,
Charlatans plus hideux et d'un plus lâche esprit,
Que ceux qui, sans frémir, accrochent leur enseigne
Aux clous saignants de Jésus-Christ!

Septembre 1850.

5 octobre 2018

Mouvement #metoo : des gains et des pertes

La tournure de l’affaire Kavanaugh me déçoit au plus haut point. Et si par malheur cet homme est nommé à vie, je plains de tout mon cœur les personnes ou les groupes qui feront appel à la Cour suprême si leur cause va à l’encontre des croyances religieuses fondamentalistes, socioculturelles et économiques de Brett Kavanaugh et des autres juges ayant la même idéologie.

«La justice est une si belle chose qu'on ne saurait trop l'acheter.» 
~ Lesage (Crispin rival de son maître)  

Photo : Katarina Bialasiewicz

Comment l'agression sexuelle nuit à la santé de la nation   
Par Michelle Schoffro Cook | Le 28 septembre 2018 | Care2

Au début des années 90, je me suis inscrite à un cours de Women’s Studies à une université voisine. Faire cela à ce moment-là semblait presque un acte de révolution silencieux. Je l'ai rarement mentionné pour ne pas risquer de me soumettre à des blagues sexistes et humiliantes, à des regards injurieux ou à des insultes qui semblaient banales chez ceux qui découvraient mon secret. Ce n'était pas le cours facile («bird» course) comme la plupart des gens le prétendaient; au contraire, il a changé ma vie pour toujours.

Dans l'une des premières conférences, l'une des titulaires a remis un document qui décrivait les différentes formes d'abus. Il était long et, étant plutôt jeune et ignorante en la matière, je fus assez choquée (surprise) à l'époque. Bien sûr, il y avait des formes de violence apparemment bien comprises comme le viol et l'agression physique, mais il y avait aussi d'autres formes comme la violence verbale et la négligence. Cela m'a choquée parce que je me suis retrouvée dans la position surprenante et embarrassante de découvrir des formes d'abus auxquels j'avais été soumise dans cette liste, même si je me considérais forte et indépendante et pas du tout une probable candidate. J'ai découvert que la violence ne concernait pas la victime, mais l'agresseur, et que n'importe qui pouvait être victime de violence.

Cette simple feuille de papier dans un cours non conventionnel, typiquement négligé à ce moment-là, m'a fait réexaminer ma vie sous le regard objectif de quelqu’un de l’extérieur, comme si je m'étais temporairement retirée de mon corps, en dehors des années de conditionnement social, pour en venir à une nouvelle vision de la façon dont je vivais et comment je choisirais de vivre dans l’avenir. Bien que toutes les formes de violence ne soient pas faciles à stopper, je me suis rendu compte que je pouvais être informée au sujet de la violence, m'exprimer contre elle et, ce qui est peut-être le plus important, de me responsabiliser et aider les autres dans la mesure du possible.

Dans un esprit de responsabilisation et à la lumière des nouvelles alarmantes concernant les allégations d'agression sexuelle et de viol portées contre le juge Brett Kavanaugh de la Cour suprême et le récent témoignage courageux du Dr Christine Blasey Ford, il est important de comprendre la violence et ses nombreuses manifestations.

Je suis bien consciente que les hommes sont aussi fréquemment victimes de harcèlement sexuel et d'agression sexuelle, ce qui est tout aussi tragique, mais cet article est destiné à aborder la masculinité toxique et ses effets sur les femmes.

Qu'est-ce que L'agression sexuelle et le harcèlement sexuel?

Selon le Département de la Justice des États-Unis, l'agression sexuelle est tout type de contact ou de comportement sexuel qui se produit sans le consentement explicite du destinataire. Certaines des allégations d'agression sexuelle contre Brett Kavanaugh peuvent sembler évidentes, comme le fait de maîtriser une femme et tenter de la violer, mais beaucoup de gens ne semblent pas réaliser que les allégations selon lesquelles il a mis ses organes génitaux dans le visage d'une femme constituent également une agression sexuelle, ou que peloter une personne ou écraser quelqu'un correspond également à la définition d’un acte criminel.

Tout type de pénétration dans un corps avec un objet ou une partie du corps sans consentement préalable constitue une agression sexuelle. De plus, l'agression sexuelle désigne tout contact avec les seins, les fesses, les organes génitaux ou les parties intimes du corps sans consentement préalable. L'agression sexuelle peut également comprendre l'exposition des organes génitaux, des seins, des fesses ou d'autres parties intimes du corps devant une personne sans son consentement préalable. Oh, et une personne peut retirer son consentement à tout moment, même lors d'actes sexuels. Et, chaque fois que la coercition est utilisée ou que la capacité d'une personne à consentir à des relations sexuelles est compromise par l'influence de l'alcool ou de drogues, la procédure devient un acte de violence et d'agression sexuelle contre elle.

Mais, qu’est-ce que le harcèlement sexuel? De nombreux hommes, dont Donald Trump, tentent de minimiser le dénigrement des femmes par les hommes en le qualifiant de «discours de vestiaires» et cela ne constitue peut-être pas une activité criminelle, mais parfois ce comportement constitue du harcèlement sexuel. Tout aussi important, il contribue toujours à la culture du dénigrement des femmes, entraîne souvent le harcèlement sexuel des femmes, et contribue également à la normalisation de la «culture du viol» une chose qui ne devrait jamais être considérée comme normale et qui touche à la fois les hommes et les femmes.

Le harcèlement sexuel comprend ce que l'on appelle le «harcèlement de genre», qui inclut : la sollicitation à des fins sexuelles, la pornographie en milieu de travail, les gestes obscènes, les commentaires sexistes ou le harcèlement et l'intimidation en ligne – autant d'outils utilisés par certains hommes pour «garder les femmes à leur place» ou les soumettre. Alors que n’importe quelle femme peut être harcelée, les femmes qui s'affirment, qui ont des rôles ou des emplois non traditionnels, ou qui ont des postes de supervision, se trouvent souvent soumises à ce comportement inacceptable.

Le fait demeure : même si cela ne va pas jusqu'à l'activité criminelle, les femmes sont blessées par ce qu'on appelle les «conversations de vestiaires», et cela pourrait surprendre plus d’un homme que nous ne sommes pas des costumes de chair mis sur la planète pour leur plaisir. Cette forme d'hostilité sexuelle déguisée en plaisanterie et amusement a pour effet de banaliser l'agression sexuelle et conduit souvent à blâmer ou à humilier la victime de harcèlement ou d'agression.

L’effet Donald Trump

Depuis la diffusion en 2016 de la bande sonore de Donald Trump où il déclare :
«Je l'ai draguée comme une salope, mais je n'ai pas pu y arriver. Et elle était mariée. Tu sais que je suis automatiquement attiré par la beauté je commence juste à les embrasser. C'est comme un aimant. Juste un baiser. Je n'ai même pas attendre. Et quand tu es une star, elles te laissent faire. Vous ne pouvez rien faire. Saisissez-les par la chatte.», le réseau Rape, Abuse, Incest National Network (RAINN) indique que l'organisation a vu une augmentation choquante de 33 % des appels d'urgence signalant le harcèlement sexuel ou l'abus sexuel. La National Sexual Assault Hotline a enregistré une augmentation de 201 % des appels au cours de l'audience de Kavanaugh, jeudi.

Selon une étude publiée dans la revue Personnel Psychology, 58 % des femmes déclarent avoir été victimes de harcèlement sexuel en milieu de travail. Cela n'inclut pas les femmes qui n'ont pas signalé de harcèlement sexuel ou celles qui ont été harcelées par des amis, des connaissances, des propriétaires ou d'autres hommes.

Comment la violence et l'agression sexuelles détruisent la santé et le bien-être

Les recherches publiées dans la revue médicale Trauma, Violence, and Abuse montrent que le viol et l'agression sexuelle ont souvent pour effet de causer aux victimes l'anxiété à long terme, la dépression, l'abus de drogues ou d'alcool, le syndrome de stress post-traumatique (SSPT), ou des pensées ou des tendances suicidaires. Bien que les effets à long terme du harcèlement sexuel sur la santé physique et émotionnelle soient rarement étudiés, j'ai personnellement été témoin d'effets similaires.

Bien qu'il puisse être commode pour certaines personnes de supposer que je dois être une féministe qui déteste les hommes, je ne le suis pas. Je déteste tout simplement la culture de la violence que tant d'hommes (et de femmes) appuient, tolèrent ou promeuvent. J'ai beaucoup d'excellentes amitiés et relations professionnelles avec des hommes et je suis mariée depuis près de 21 ans à l'homme le plus étonnant que j'ai jamais rencontré. Non seulement il est grandement intelligent, confiant et fort, mais il se trouve qu'il est aussi la personne la plus gentille et la plus attentionnée que je connaisse. Nous nous décrivons tous les deux fièrement comme des féministes, et nous le ferons jusqu'à ce que les femmes jouissent d'une pleine égalité, y compris la fin de la violence à leur égard.

Tandis que beaucoup de gens associent encore à tort machisme et bravade à force et confiance, ces attitudes ne sont ni masculines ni fortes. Machisme et bravade sont les outils de la brute et du criminel qui, lâchement et artificiellement, renforce leur faible estime de soi au détriment des femmes, soit par des «conversations de vestiaires», soit par des actions criminelles comme le harcèlement sexuel ou l'agression. Le temps est venu pour ces hommes toxiques de réfléchir à leurs propres défauts et faiblesses en tant qu'êtres humains et de trouver un moyen de corriger ces comportements dominateurs et venimeux, sans le faire au détriment des femmes.