10 octobre 2018

«Blanchis dehors et noirs dedans»

Le poème À des journalistes de robe courte fut écrit lors d’une polémique opposant Victor Hugo, du journal L’Événement dont il était l’un des co-fondateurs, au rédacteur Louis Veuillot, du  journal L’Univers, un organe du «parti catholique». Il s’agit d’une virulente critique du pouvoir religieux amalgamé au pouvoir politique. 

L’ancien pasteur devenu un athée pur et dur, Dan Baker, a écrit : «En fait, dans le quotidien, il n’y a pas de grand mystère à la moralité. C’est une simple affaire de respect, de gentillesse, de bon sens. Dans des situations exceptionnelles où l’on est confronté à un dilemme (intervenir en voyant un homme frapper sa femme, aider une personne en détresse, etc.), la foi ne change rien. La moralité naturelle consiste à éviter et minimiser autant que possible le mal qu’on peut causer aux autres. La moralité est dans notre conscience, notre raison est dans notre conscience. On parle ici de «conscience» comme d’une fonction de notre cerveau, de notre intelligence. Si votre seule motivation à aider les autres, c’est la promesse du paradis, ça montre à quel point vous n’avez pas une haute estime des autres.» 

«Croire que la morale est commandée par Dieu vient corrompre notre moralité. Ça remplace nos motifs profonds (sens du devoir et de la justice, sentiment de générosité, d’empathie, etc.) par un égoïste calcul de la personne qui agit bien dans le but d’obtenir une récompense divine et d’éviter une punition.»
~ J. L. Mackie (The Miracle of Theism: Arguments For and Against the Existence of God, 1982)

Je dédie ce texte aux dirigeants des religions «organisées» de toutes confessions, tout à fait comparables aux organisations criminelles dans leur façon de manipuler les gens par la peur et les menaces, ici, de damnation éternelle. 
   Je le dédie aussi à Brett Kavanaugh, désormais juge à la Cour suprême des États-Unis, et fidèle représentant des États de la Bible Belt. 
   "La constitution américaine fut rédigée par des hommes ouvertement sceptiques et affichant une méfiance se confinant au mépris pour la religion. Entre autres, Thomas Jefferson qui a déclaré : «Le christianisme est le système le plus perverti qui ait jamais terni l'homme.» Benjamin Franklin, quant à lui, a eu ce mot d'esprit qui en dit long sur son appréciation des curés : «Les phares sont plus utiles que les églises.» Les pères de la nation américaine seraient anéantis de constater que le pays de liberté dont ils ont rêvé est devenu le royaume des télévangélistes, des lobbys de chrétiens de droite et des sectes de tous genres." (Michel Morin, Ne dites pas à ma mère que je suis athée)

 
À des journalistes de robe courte
Victor Hugo (1802-1885)

Recueil : Les châtiments (1853).

Parce que, jargonnant vêpres, jeûne et vigile,
Exploitant Dieu qui rêve au fond du firmament,
Vous avez, au milieu du divin évangile,
Ouvert boutique effrontément;

Parce que vous feriez prendre à Jésus la verge,
Cyniques brocanteurs sortis on ne sait d'où;
Parce que vous allez vendant la sainte vierge
Dix sous avec miracle, et sans miracle un sou;

Parce que vous contez d'effroyables sornettes
Qui font des temples saints trembler les vieux piliers;
Parce que votre style éblouit les lunettes
Des duègnes et des marguilliers;

Parce que la soutane est sous vos redingotes,
Parce que vous sentez la crasse et non l'œillet,
Parce que vous bâclez un journal de bigotes
Pensé par Escobar, écrit par Patouillet;

Parce qu'en balayant leurs portes, les concierges
Poussent dans le ruisseau ce pamphlet méprisé;
Parce que vous mêlez à la cire des cierges
Votre affreux suif vert-de-grisé;

Parce qu'à vous tout seuls vous faites une espèce
Parce qu'enfin, blanchis dehors et noirs dedans,
Criant mea culpa, battant la grosse caisse,
La boue au cœur, la larme à l'œil, le fifre aux dents,

Pour attirer les sots qui donnent tête-bêche
Dans tous les vils panneaux du mensonge immortel,
Vous avez adossé le tréteau de Bobèche
Aux saintes pierres de l'autel,

Vous vous croyez le droit, trempant dans l'eau bénite
Cette griffe qui sort de votre abject pourpoint,
De dire : Je suis saint, ange, vierge et jésuite,
J'insulte les passants et je ne me bats point!

Ô pieds plats! votre plume au fond de vos masures
Griffonne, va, vient, court, boit l'encre, rend du fiel,
Bave, égratigne et crache, et ses éclaboussures
Font des taches jusques au ciel!

Votre immonde journal est une charretée
De masques déguisés en prédicants camus,
Qui passent en prêchant la cohue ameutée
Et qui parlent argot entre deux oremus.

Vous insultez l'esprit, l'écrivain dans ses veilles,
Et le penseur rêvant sur les libres sommets;
Et quand on va chez vous pour chercher vos oreilles,
Vos oreilles n'y sont jamais.

Après avoir lancé l'affront et le mensonge,
Vous fuyez, vous courez, vous échappez aux yeux.
Chacun a ses instincts, et s'enfonce et se plonge,
Le hibou dans les trous et l'aigle dans les cieux!

Vous, où vous cachez-vous? dans quel hideux repaire?
Ô Dieu! l'ombre où l'on sent tous les crimes passer
S'y fait autour de vous plus noire, et la vipère
S'y glisse et vient vous y baiser.

Là vous pouvez, dragons qui rampez sous les presses,
Vous vautrer dans la fange où vous jettent vos goûts.
Le sort qui dans vos cœurs mit toutes les bassesses
Doit faire en vos taudis passer tous les égouts.

Bateleurs de l'autel, voilà quels sont vos rôles.
Et quand un galant homme à de tels compagnons
Fait cet immense honneur de leur dire : Mes drôles,
Je suis votre homme; dégaînons!

– Un duel! nous! des chrétiens! jamais! – Et ces crapules
Font des signes de croix et jurent par les saints.
Lâches gueux, leur terreur se déguise en scrupules,
Et ces empoisonneurs ont peur d'être assassins.

Bien, écoutez : la trique est là, fraîche coupée.
On vous fera cogner le pavé du menton;
Car sachez-le, coquins, on n'esquive l'épée
Que pour rencontrer le bâton.

Vous conquîtes la Seine et le Rhin et le Tage.
L'esprit humain rogné subit votre compas.
Sur les publicains juifs vous avez l'avantage,
Maudits! Judas est mort, Tartuffe ne meurt pas.

Iago n'est qu'un fat près de votre Basile.
La bible en vos greniers pourrit mangée aux vers.
Le jour où le mensonge aurait besoin d'asile,
Vos cœurs sont là, tout grands ouverts.

Vous insultez le juste abreuvé d'amertumes.
Tous les vices, quittant veste, cape et manteau,
Vont se masquer chez vous et trouvent des costumes.
On entre Lacenaire, on sort Contrafatto.

Les âmes sont pour vous des bourses et des banques.
Quiconque vous accueille a d'affreux repentirs.
Vous vous faites chasser, et par vos saltimbanques
Vous parodiez les martyrs.

L'église du bon Dieu n'est que votre buvette.
Vous offrez l'alliance à tous les inhumains.
On trouvera du sang au fond de la cuvette
Si jamais, par hasard, vous vous lavez les mains.

Vous seriez des bourreaux si vous n'étiez des cuistres.
Pour vous le glaive est saint et le supplice est beau.
Ô monstres! vous chantez dans vos hymnes sinistres
Le bûcher, votre seul flambeau!

Depuis dix-huit cents ans Jésus, le doux pontife,
Veut sortir du tombeau qui lentement se rompt,
Mais vous faites effort, ô valets de Caïphe,
Pour faire retomber la pierre sur son front!

Ô cafards! votre échine appelle l'étrivière.
Le sort juste et railleur fait chasser Loyola
De France par le fouet d'un pape, et de Bavière
Par la cravache de Lola.

Allez, continuez, tournez la manivelle
De votre impur journal, vils grimauds dépravés;
Avec vos ongles noirs grattez votre cervelle
Calomniez, hurlez, mordez, mentez, vivez!

Dieu prédestine aux dents des chevreaux les brins d'herbes
La mer aux coups de vent, les donjons aux boulets,
Aux rayons du soleil les parthénons superbes,
Vos faces aux larges soufflets.

Sus donc! cherchez les trous, les recoins, les cavernes!
Cachez-vous, plats vendeurs d'un fade orviétan,
Pitres dévots, marchands d'infâmes balivernes,
Vierges comme l'eunuque, anges comme Satan!

Ô saints du ciel! est-il, sous l'œil de Dieu qui règne,
Charlatans plus hideux et d'un plus lâche esprit,
Que ceux qui, sans frémir, accrochent leur enseigne
Aux clous saignants de Jésus-Christ!

Septembre 1850.

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