30 novembre 2014

Laboratoire de langues

Ou : french kiss et bactéries font bon ménage


«Nous pouvons apprivoiser le monde à l'aide de nos mathématiques, mais cela ne l'empêche pas d'être étrange, plus étrange même que tout ce que peut nous proposer notre imagination.» ~ Heinz Pagels (1939-1988)

Au chapitre des recherches scientifiques étranges...

Bactéries et virus peuvent se transmettre par les fluides biologiques; si nous ne le savions pas, le virus de l’Ébola nous l’a appris.

Des chercheurs du Musée Micropia d’Amsterdam ont réalisé une étude sur le transfert de bactéries entre personnes qui s’embrassent pendant 10 secondes. Jusqu’à 80 000 bactéries partagées, dont certaines resteront sur la langue tandis que d’autres se logeront dans le corps. Les bactéries sont à peu près identiques sur la langue des couples et moins sur celle des partenaires étrangers.

Globalement, il semble que le french kiss soit «de santé» car il contribuerait à renforcer le système immunitaire et à améliorer la résistance à certains micro-organismes, selon le chercheur Remco Kort. On a même créé un Kiss-o-Meter pour évaluer la teneur en bactéries lors des échanges de baisers. On pourrait donc sélectionner ses partenaires en fonction de leur production bactérienne «positive». Kioute. Nul doute que plusieurs vont se lancer dans le kiss-o-thon.

Rudoph Valentino; The Son of The Sheik. En tout cas, les acteurs doivent accumuler une belle palette de bactéries et développer des systèmes immunitaires à toute épreuve... 

Nous sommes quand même enfermés dans une bizarre (merveilleuse diront certains) de machine biologique :

- nous produirons au cours de notre vie environ 23 660 litres de bave, assez pour remplir deux piscines (amplement de stock pour pratiquer le french kiss – sortez vos bavettes!) 

- le nombril abrite des milliers de bactéries qui forment un écosystème complet aussi riche que celui d’une forêt pluviale tropicale (!)

- nous perdons environ 18 kilos de peaux mortes au cours de notre vie.

Cet aspect scientifique de la chose est plus ou moins palatable, selon l’appréciation qu’on peut avoir des corps physiques...

Des bactéries, il y en a partout / dans tout. Elles ont survécu à toutes les extinctions et survivrons à la 6e. En réalité, Dieu pourrait fort bien être une grosse bactérie.

Enfin, si vous craignez les bactéries, vous ne pourrez pas les éviter, même en vous isolant comme Howard Hugues. Par ailleurs, si vous n’avez pas de partenaire de french kiss, ne vous en faites pas, vous n’avez qu’à manger des aliments qui contiennent des probiotiques et/ou beaucoup de fruits et légumes pour combler un potentiel manque de bactéries «positives».
       Et puis, on créera peut-être des banques de bave comme pour les ovules et le sperme, et même l'urine (certains chercheurs affirment que le pipi pourrait sauver la planète!). Nous allons donc pomper l'urine comme pour le Premarin (pour produire ce médicament, il faut, en permanence, 75 000 juments qui urinent jour et nuit et qu'on pompe sans arrêt jusqu'à ce qu'elles en crèvent -- une véritable horreur). L'urine entre dans la fabrication de nombreux cosmétiques et même les dentifrices de marques conventionnelles. Par ailleurs, les Chinois, que rien ne rebute, collectent et vendent l'urine des enfants qui, selon eux, aurait des propriétés curatives. Après l'or bleu et l'or noir, l'or jaune?


Et qu’arrive-t-il si un chien, un chat ou un cheval nous lèche la face?! On n’en meurt pas.

-------

Le versant plus romantique du baiser (mu par l’attirance ou l’amour) :

«Il en est des baisers comme des confidences : ils s’attirent, ils s’accélèrent, ils s’échauffent les uns par les autres. En effet, le premier ne fut pas plus tôt donné qu’un second le suivit; puis, un autre : ils se pressaient, à peine enfin laissaient-ils aux soupirs la liberté de s’échapper.» ~ Dominique Vivant Denon (Point de lendemain)

«Arrivés à trois mètres de distance, sans faire un seul effort, ils tombèrent brusquement l’un contre l’autre, comme deux aimants, et s’embrassèrent avec dignité et reconnaissance, dans une étreinte aussi tendre que celle d’un frère ou d’une sœur. Les désirs charnels suivirent de près cette démonstration d’amitié.» ~ Lautréamont (Les Chants de Maldoror)

Mais aussi :

«Saisir une main, c'est à chaque fois mettre ses doigts dans une prise électrique et aussitôt connaître l'intensité qui circule sans bruit sous la peau de l'autre.»
~ Christian Bobin

28 novembre 2014

“The gate is open!”

Black Friday : quand la folie s'empare des acheteurs compulsifs...

«Le bonheur est où on le trouve, et rarement où on le cherche.» (Anonyme)

Pour bien des gens, la période des Fêtes est une course contre la montre passée à braver les foules. Et une source de stress vu la multitude de réceptions. Stress parfois jumelé à un sentiment d’obligation ou de culpabilité si l’on ne dit pas oui à tout le monde.

La joie devrait être votre boussole. ~ Alan Cohen

Cocktail Mad Men 

- Si vous aimez vos collègues, allez-y au party de bureau! sinon, abstenez-vous.

Le classique party de Noël en famille : say cheeeeese.

- Si vos partys de famille virent immanquablement  en beuveries, en joutes de sarcasmes ou carrément en pugilat, il n’y a aucune raison valable de saper votre moral en y allant.
Célébrez avec vos animaux de compagnie à la place... votre autre famille.
"Parce que les chiens ne couchent pas avec leurs secrétaires." 
 
«À Noël elle sera plus heureuse avec un Hoover.» Bien sûr...! 

- Les gros cadeaux/objets ne sont pas synonymes d’amour. L’argent et l’amour n’ont rien à voir l’un avec l’autre de toute façon. Si vous êtes parmi celles et ceux qui n’aiment pas le côté extrêmement mercantile des Fêtes et qui ont envie d’offrir quelque chose de plus «humain», il y a des alternatives. Par exemple : un abonnement à un centre de ski ou au réseau SÉPAQ, à une saison de théâtre ou à une série de concerts, une invitation à un repas dans restaurant de qualité, ou encore offrir de son temps, etc. Les possibilités ne manquent pas. Les moments agréables passés entre personnes qui s’apprécient ne s’oublient pas; les objets (quelle que soit leur valeur monétaire) ne remplaceront jamais les contacts chaleureux qui laisseront de meilleurs souvenirs.

«Le bonheur réside dans le goût, non pas dans les objets : c’est en possédant ce que nous aimons que l’on est heureux, pas en possédant ce qui plaît aux autres.» 
~ François de La Rochefoucauld (1613-1680)

Dans la veine des Fêtes :

L’art de refuser
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2013/01/lart-de-refuser.html

Survivre aux réunions de famille
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2012/12/survivre-aux-reunions-de-famille.html

La saison de l’ivresse
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2011/12/la-saison-de-livresse.html

Anesthésiant onéreux

26 novembre 2014

Niente Senza Gioia

Niente Sensa Gioia«rien sans la joie» : maxime d’une école municipale de Reggio Emilia (nord de l’Italie), fondée en 1963 par Loris Malaguzzi, psychologue et pédagogue. Les écoles ludiques ont proliféré depuis, et c’est une excellente chose car on offre aux enfants (de deux à six ans) toutes les ressources nécessaires pour faire germer leur créativité :

«Cette approche favorise le développement intellectuel des enfants  grâce à une démarche systématique de représentation symbolique par les mots, le mouvement, le dessin, la peinture, la construction, la sculpture, le théâtre d’ombres, le collage, le jeu dramatique et la musique, ce qui conduit les enfants à des niveaux surprenants de communication,  de compétence symbolique, et de créativité. De cette façon, ils rendent leur pensée visible à travers leurs nombreux ‘langages naturels. Le jeu est reconnu comme l’outil le plus puissant pour l’apprentissage des enfants. Les enfants ont de nombreuses occasions d’apprendre dans la nature ainsi que dans la salle de classe. Leur apprentissage vient de leur imagination et de leur curiosité.»

À mon avis, l’expression artistique (quelle que soit la forme) ne devrait pas être une option, mais une priorité!


Le livre : un cœur qui bat

«L'objet que nous appelons livre n'est pas un vrai livre, mais que son potentiel, comme la partition musicale ou la semence. Il n’existe pleinement que s’il est lu; et sa vraie place est dans la tête du lecteur, là où la symphonie s’entend, là où la semence germe. Le livre est un cœur qui bat dans la poitrine d’un autre.

Écrire c’est dire à personne et à tout le monde les choses qu’on ne peut dire à quelqu'un. Écrire c’est dire à personne des choses si subtiles, si personnelles et si obscures que je ne n’arrive pas à m'imaginer en parler avec mes proches. Parfois, j'essaie, mais je trouve que ce qui se transforme en guimauve dans ma bouche je peux l’écrire pour de purs étrangers. La langue échoue-t-elle là où les doigts arrivent à dire des vérités si élaborées et nuancées qu'il est presque impossible de les exprimer à voix haute?

J'ai écrit en silence, aussi discrètement que j’avais lu, et puis, les gens on lu mes écrits; certains lecteurs sont entrés dans mon monde ou m’ont attirée dans le leur. J'ai commencé dans le silence et j’ai voyagé jusqu'à ce que ma voix porte loin, la voix silencieuse qui ne pouvait qu’être lue.»

~ Rebecca Solnit (The Faraway Nearby) http://rebeccasolnit.net/


L’incontournable imagination 

Les images naissent dans «l'imagination», que je considère le lieu de rencontre entre l’esprit pensant et le corps sensible... Dans l'imagination nous pouvons partager une capacité d'acquérir de l'expérience et une compréhension de la vérité bien supérieure à la nôtre. Les grands écrivains partagent leur âme avec nous – littéralement. […]

L'intellect ne peut pas faire le travail de l'imagination; les émotions ne peuvent pas faire le travail de l'imagination; ni l’un ni l’autre ne peut faire grand chose dans le domaine de la fiction sans l'imagination.

Là où l'écrivain et le lecteur se rencontrent pour réaliser un travail de fiction est peut-être, par-dessus tout, dans l'imagination; la création conjointe d’un monde fictif. 

~ Ursula K. Le Guin http://www.ursulakleguin.com/

Illustration : Carla Sonheim, Junk Mail Artist’s Book

Dépasser les obstacles

Les limites m'empêchent de me prendre (ou mon art) trop au sérieux. Elles ont aussi comme effet de relâcher la pression de ne pas savoir ce que je dessinerai, et de foncer. Voilà le paradoxe : si vous disposez d’une totale liberté, vous gelez et ne faites rien.

Voyons ce que certains créateurs célèbres ont dit :

Plus on s’impose de contraintes, plus on se libère des chaînes qui entravent l'esprit. ~ Igor Stravinsky

Les limites donnent forme à l'infini. ~ Pythagore

Moins l'artiste impose des limites à son travail, moins il a de chance de d’avoir du succès. ~ Alexandre Soljenitsyne

Le problème avec l'art n'est pas de chercher plus de liberté, mais de chercher des obstacles. ~ Richard Togers

S’il n’y a pas limites, il n'y a pas de jeu. ~ Rem Koolhaas 

~ Carla Sonheim The Art of silliness http://www.carlasonheim.com/

Cette artiste propose plein de trucs pour libérer notre créativité par le dessin, notamment dans ce livre. Jai été littéralement séduite – un superbe cadeau ‘pour tous les âges’ à offrir aux Fêtes ou à s'offrir) : 
Drawing Lab for Mixed-Media Artists:
52 Creative Exercises to Make Drawing Fun
(Lab Series)

25 novembre 2014

En quête d'âme et de beauté


«Nous savons de science certaine que dans quelques milliers d'années il ne restera plus rien de ces chefs-d’œuvre qui sont le patrimoine précieux de l'humanité. Des révolutions, qu'elles soient sociales ou terrestres, les auront anéantis. Cette perspective ne doit cependant pas décourager l'artiste. Au milieu des réalités attristantes et des luttes cruelles de la vie, lui seul peut sourire et se féliciter, car il a trouvé contre elles un refuge. Du haut de l'Idéal il plane au-dessus des misères et des laideurs de ce monde ; bien plus, il a ressaisi, par un simple acte d'intuition personnelle, quelques lignes des formes harmonieuses et pures de la pensée universelle.» ~ Louise Ackermann
(Photo : Lac Carrera, Patagonie)  

Thomas Moore, LE SOIN DE L’ÂME; J’AI LU, 1994

Loin des modes, Thomas Moore nous rappelle les vertus apaisantes du rêve, de l’intuition, de la fantaisie, de l’imagination et des petites choses du quotidien qui conviennent mieux à notre âme que la quête effrénée de l’argent. 
       Nos sociétés modernes ont remplacé la sagesse par l’efficacité, l’utilité, l’information. Rendons plutôt la beauté à notre environnement et à nos villes saccagées et défions-nous de ceux qui nous promettent la lune.

«La terrible maladie du XXe siècle, celle qui participe à tous nos problèmes et nous affecte individuellement et socialement, c’est la perte de l’âme. Quand nous négligeons notre âme, elle ne disparaît pas pour autant : nous la retrouvons sous forme de symptômes dans les obsessions, les dépendances, la violence et la déchéance des sens. Nous sommes tentés d’isoler ces symptômes ou d’essayer de les supprimer les uns après les autres, mais le mal s’est enraciné : nous avons perdu la sagesse de l’âme, nous avons perdu tout intérêt pour elle. (...) La tradition nous enseigne que l’âme se trouve à mi-chemin entre le conscient et l’inconscient, qu’elle n’utilise ni l’esprit ni le corps, qu’elle sert plutôt l’imaginaire.» ~ T. M. (Introduction)

Le modernisme psychologique (p. 234-237)
La psychologie professionnelle a créé un catalogue des troubles, le DSM, que les médecins et les compagnies d’assurances utilisent pour diagnostiquer avec précision et normaliser les problèmes émotionnels et comportementaux. Il existe, par exemple, une catégorie de problèmes appelés «troubles de l’adaptation». L’ajustement à la vie, sain selon toute apparence, peut parfois nuire à l’âme. Un jour, j’aimerais créer mon propre DSM avec la liste des «troubles» que j’ai rencontrés tout au long de ma pratique. J’aimerais ainsi y inclure «le modernisme psychologique», une acceptation béate des valeurs du monde moderne. Ce trouble comprend une fois aveugle en la technologie, un attachement démesuré aux gadgets et au confort, une acceptation ravie de la marche du progrès scientifique, une dévotion aux médias électroniques, et un style de vie dicté par la publicité. Cette orientation existentielle tend aussi à saisir de manière rationnelle et mécanique les questions du cœur. 
       Dans le symptôme moderniste, la technologie sert de métaphore maîtresse quand vient le moment de faire face aux problèmes psychologiques. L’individu résolument moderne se présentera à la thérapie en disant : «Écoutez, je ne veux pas d’analyse à long terme. Si quelque chose cloche, voyons cela. Dites-moi quoi faire, et je le ferai.» Ce genre de personne balaie du revers de la main la possibilité que la cause d’un problème relationnel se trouve dans un sens des valeurs déficient ou dans l’incapacité de faire face à la mortalité. Il n’existe pas de modèle de pensée pour la vie moderne. Celle-ci n’accorde presque pas de temps à la réflexion et suppose que la psyché possède ses pièces de rechange, un manuel du propriétaire et des mécaniciens bien formés appelés «thérapeutes». La philosophie se trouve à la base de tous les problèmes du quotidien, mais il faut une âme pour réfléchir à sa vie avec un sérieux philosophique authentique. 
       Le syndrome moderniste pousse les gens à se procurer les plus récents équipements électroniques pour se brancher aux nouvelles, aux spectacles et aux rapports météorologiques minute par minute. Il est vital de ne rien manquer. Voici d’ailleurs quelques exemples extrêmes. J’ai rencontré un homme qui passait la majeure partie de sa journée devant plusieurs écrans pour suivre les nouvelles du monde. Professionnellement, il n’avait pas besoin de toutes ces informations, mais il avait l’impression que sa vie serait vide s’il n’arrivait pas à suivre toutes les nouvelles. J’ai aussi fait la connaissance d’une femme qui dirigeait une firme d’informatique et connaissait tous les plus récents traitements médicaux mécaniques et chimiques. Elle pouvait vous réciter les effets secondaires de tous les médicaments que vous preniez. Pourtant, dans le privé, elle se sentait anéantie par son incapacité de ramener sa vie sur la bonne voie et de trouver l’équilibre. Sa maladie ne relève pas des médicaments qu’elle connaît si bien : son ennui est un trouble de l’âme. 
       On dirait parfois qu’il existe une relation inversement proportionnelle entre l’information et la sagesse. On nous inonde d’informations quant à la manière de vivre en bonne santé, mais nous avons perdu la sagesse de notre corps. Nous pouvons écouter les bulletins de nouvelles et savoir ce qui se passe dans tous les coins du monde, mais nous ne possédons pas la sagesse nécessaire pour faire face aux problèmes mondiaux. Dans le domaine de la psychologie professionnelle, nos programmes académiques sont très exigeants; les pays, les provinces et les États régissent sévèrement la pratique de la psychothérapie, mais nous manquons tout de même gravement de sagesse pour ce qui concerne les mystères de l’âme. 
       Le syndrome moderniste a également tendance à rendre littéral ce qui se rapporte à lui. Anciennement, les philosophes et les théologiens enseignaient que le monde est un animal cosmique, un organisme au corps et à l’âme unifiés. Nous pensons aujourd’hui que nous vivons dans un village mondial. C’est la fibre optique qui a créé l’âme du monde, pas un démiurge semi-divin de l’Antiquité. Dans la petite municipalité rurale où je vis, on peut voir, dans les arrière-cours des petites maisons, d’énormes soucoupes qui apportent aux villageois et aux campagnards tous les événements sportifs et culturels de la Terre. Notre âme recherche la communauté, l’appartenance et la vision cosmique. Au lieu de les chercher avec la sensibilité de nos cœurs, nous les cherchons avec des équipements. Nous voulons tout savoir des gens qui habitent loin, mais nous ne voulons pas nous sentir liés à eux du point de vue des émotions. Paradoxalement, notre passion pour le savoir anthropologique tient de la xénophobie. Pour cette raison, nos études sur les cultures du monde n’ont pas d’âme; elles remplacent les liens communs aux hommes et la sagesse partagée par des éléments d’information qui n’ont pas la capacité de nous entraîner loin, de nous nourrir et de transformer notre sens de l’identité. Parce que nous avons plus fondé l’éducation sur le talent et sur l’information que sur la profondeur des sentiments et sur l’imagination, nous avons extrait l’âme à la source.


La beauté, la face de l’âme (p. 310-313)
Tout au long de l’histoire nous retrouvons certaines écoles de pensée qui se sont attachées à l’âme, comme celle des platoniciens de la Renaissance ou des poètes romantiques. Il est intéressant de noter que ces auteurs partageaient certains thèmes. La parenté, le détail, l’imagination, la mortalité et le plaisir, entre autres. Et puis la beauté. 
       Dans un monde qui néglige l’âme, la beauté figure en dernier sur la liste des priorités. Dans les activités orientées vers le développement intellectuel de nos écoles, l’étude des sciences et de la mathématique occupe une grande place, parce que ces dernières permettent le développement accru de la technologie. Quand on doit procéder à des coupures budgétaires, les arts écopent en premier, avant même les sports! Le message est clair : on ne peut pas vivre sans technologie, mais on peut vivre sans beauté. 
       L’idée que la beauté soit accessoire et optionnelle montre que nous ne comprenons pas l’importance de donner à l’âme ce dont elle a besoin. La beauté nourrit l’âme. La nourriture est au corps ce que sont les images saisissantes, complexes et agréables à l’âme. Quand notre psychologie s’enracine dans une vision médicale du comportement humain et de la vie émotionnelle, la valeur que nous privilégions le plus est la santé. Mais quand nous fondons la psychologie sur l’âme, nos efforts thérapeutiques visent la beauté, notre âme souffre probablement de troubles familiers : dépression, paranoïa, absence de sens et dépendance. L’âme a faim de beauté. Sans elle, l’âme souffre de ce que James Hillman appelle la «névrose de la beauté». 
       La beauté aide l’âme à vivre. ... Pour l’âme, il importe de sortir du courant de la vie pratique ... – une vacance de l’activité ordinaire à la faveur d’un moment de réflexion et d’émerveillement. Vous conduisez sur une autoroute lorsque soudain un paysage vous coupe le souffle. Vous arrêtez la voiture, descendez quelques minutes et contemplez  la grandeur de la nature. Voilà le pouvoir saisissant de la beauté! Quand vous vous arrêtez pour vous abandonner à ce besoin soudain de l’âme, vous lui donnez ce dont elle a besoin. Les discussions qui portent sur la beauté peuvent parfois sembler éthérées et philosophiques mais, du point de vue de l’âme, la beauté fait nécessairement partie de la vie ordinaire. Tous les jours, l’âme cherche l’occasion d’apercevoir la beauté. (...) Le moment où nous sommes saisis est celui où nous donnons à l’âme sa nourriture favorite : une vision qui l’invite à la contemplation. La beauté se passe de joliesse. ...
       Nous apprécions la beauté quand nous nous ouvrons au pouvoir qu’ont les choses d’émouvoir l’âme. Si la beauté peut nous toucher, notre âme vit et grandit, parce que l’âme est très douée pour tout ce qui la touche. (...)

Les choses réanimées (p. 313 et 318)
(...) Tant que nous laisserons le soin de l’âme en dehors de notre quotidien, nous souffrirons de solitude dans un univers froid, mort et lointain. Nous pouvons « progresser » au maximum tout en subissant l’altération d’une existence divisée. Nous continuerons d’exploiter la nature et notre capacité d’invention, mais elles continueront toutes deux de nous dominer tant que nous ne réussirons pas à les approcher avec suffisamment de profondeur et d’imagination. 
       Pour sortir de la névrose, nous devrons abandonner nos divisions modernes et tirer des leçons des autres cultures, de l’art et des nouveaux mouvements philosophiques qui soutiennent qu’il est d’autres de percevoir le monde. Nous pouvons remplacer notre psychologie moderniste par le soin de l’âme et commencer une culture sensible aux questions du cœur.

-------
La beauté c’est comme la pornographie : on a du mal à la définir, mais dès qu’on la voit, on la reconnaît tout de suite.

23 novembre 2014

Désintox numérique

D'entrée de jeu, j’aimerais dire que je n’ai rien contre les gadgets électroniques, d'autant plus que ces bidules tiennent compagnie à bien des gens seuls – c’est leur chien, leur chat, leur famille élargie... (Je n’ai pas de téléphone intelligent simplement parce que cette nouvelle forme de tyrannie omniprésente me rebute.)

Cependant, j’en ai contre l’abrutissement et l’esclavage, et particulièrement la goujaterie, qui en découlent.


“Slipping for a moment into paranoia, imagine that the artificial being already exists, perhaps even unbeknownst to its creators... has the AI [Artificial Intelligence] found us good to eat? If so how does such a being feed? How would it "eat" us? Are we being enslaved, domesticated? Are we being culled?
       What got me thinking in this line was sitting in a sidewalk cafe watching a crowded street filled with people bumping into each other while they stared fixedly at their cellphone screens, tapping them rapidly, their ears plugged with earphones, totally oblivious to the reality (cars, bicycles, sharp objects, other humans) around them.”
~ David Seaton, journaliste politique américain (vivant à Madrid, Espagne)

En octobre dernier, une chroniqueuse de Care2 a participé à un camp de désintoxication numérique : «À moins qu'une désintox numérique ne me soit imposée, je n'arrive pas à me priver de connexion pendant plus d'une soirée. Comment est-ce que je sais que suis accro? Les symptômes durent depuis neuf ans.»

Voici les principaux symptômes dont elle pris conscience durant son séjour, et ses trucs pour ‘traiter’ sa relation malsaine avec la technologie.

Symptôme 1 : J'ai payé une énorme facture de chiropraticien l'an dernier à cause de la mauvaise posture de mon cou adoptée en utilisant l'ordinateur et l'iPhone.
Traitement : J’ai surélevé mon portable à la hauteur des yeux, j’utilise une souris et je limite mon temps d’utilisation.

Symptôme 2 : L'iPhone avait remplacé mon réveil, donc, il était devenu la dernière chose que je regardais le soir et la première que je regardais le matin.
Traitement : J’utilise un vieux réveil et le téléphone n’entre pas dans la chambre.

Symptôme 3 : Les factures de téléphonie cellulaire ont considérablement augmenté en raison de l'ajout du service international à chaque fois que je quitte le pays.
Traitement : Je débranche pendant le voyage. (Je travaille toujours là-dessus car les voyages font partie de mon travail.)

Symptôme 4 : Une journée sur la route (ordinaire, sans nécessairement être en voyage) peut inclure de nombreux messages sur Facebook, Twitter et Instagram.
Traitement : Je consacre un moment spécifique de la journée aux médias sociaux, de sorte que cela ne dévore pas tout mon temps.

Symptôme 5 : Toutes les relations – romantique et autres – ont escaladé et pris le chemin des messages texte.
Traitement : Je m’efforce de rencontrer les gens en personne. Ou, s’ils ne sont pas à proximité, j’envoie des lettres avec un timbre, comme dans le bon vieux temps!

Symptôme 6 : Consulter ses messages signifie maintenant vérifier sa messagerie vocale, ses e-mails, messages textes, Facebook, Twitter, Instagram, Pinterest, Pages, Messenger, etc.
Traitement : J’alloue une seule période par jour pour vérifier tous ces messages de sorte que la communication électronique ne devienne pas la principale préoccupation de la journée.

Symptôme 7 : Parfois, j’en sais plus sur les gens que j’ai fréquentés au secondaire (que je n'ai pas vus depuis 25 ans) que sur ma meilleure amie (locale) parce qu’elle n’est pas sur Facebook.
Traitement : Je vois mes meilleurs amis (locaux) en personne et je passe moins de temps sur Facebook.

Symptôme 8 : J'ai réactivé trop de romances (qui auraient dû rester où elles étaient – dans la corbeille) après m’être réabonnée à Facebook.
Traitement : Il vaut mieux utiliser les réseaux de rencontre pour trouver une relation pouvant déboucher à un engagement.

Symptôme 9 : Je ne profite pas d’un concert, d'une expérience ou d’une excursion parce que je suis trop occupée à essayer de prendre la photo parfaite que je pourrai publier sur Facebook, Twitter ou Instagram.
Traitement : Je vais au concert, je participe à une expérience ou à une excursion en laissant mon périphérique fermé.

Symptôme 10 : J’ai souvent les bleus parce qu’Unetelle ou Untel semble avoir plus de chance et de succès que moi dans la vie, d’après ce qu'elle/il publie sur Facebook.
Traitement : N'oublions pas que la vie sur Facebook n'est pas réelle et que chacun a de bons et de mauvais jours ainsi que des expériences extraordinaires et très terre à terre.

Symptôme 11 : J'utilisais mon iPhone pour vérifier l'heure et je me laissais happée par autre chose.
Traitement : Je porte une montre ordinaire.

Symptôme 12 : La première chose que je fais le matin est de vérifier mes e-mails après être passée à la salle de bain.
Traitement : Je vais à la salle de bain, je prends un café, je m’assois sur mon coussin de méditation avant de toucher un quelconque appareil numérique pour donner le ton à la journée.

Même si je suis hyper consciente de ma dépendance, les traitements n’atteignent pas toujours le but. Mais, comme pour le yoga, il faut pratiquer. Je garde toujours l'ordinateur portable et le téléphone hors de portée quand mon mari et moi partageons un repas. La chambre à coucher reste une zone libre de téléphone. Et, jamais de messages textes en conduisant – ou à vélo – jamais. Bien prendre soin de soi doit maintenant inclure la désintoxication numérique. Ce soir, je vais me brosser les dents, laisser mon téléphone se charger dans le bureau de la maison et puis rêver d'un anniversaire rempli de cartes qui nécessitent des timbres mais pas de connexion internet!

Retour aux souches 

Photo : Myriam Fimbry. «Il faut bien se débrouiller sans Internet pour retrouver les paroles des chansons.»

Des centres, tels que «Retour aux souches» dans les Laurentides (QC), offrent à des adultes consentants une désintoxication numérique d'un week-end. Il faut laisser son téléphone à l'entrée et se laisser guider de jeux d'équipe en feux de camp, histoire d'observer ce qui se passe quand on prend conscience de notre dépendance... et qu'on y survit! 
       Le temps d'une fin de semaine, seriez-vous prêts à laisser votre téléphone intelligent, votre tablette ou tout autre appareil qui vous donne accès à Internet? C'est l'expérience que proposent les Oeuvres du Père-Sablon en février prochain, dans un camp de vacances des Laurentides. Après une 1re édition en juin, une 2e avait lieu en septembre.

Reportage de Myriam Fimbry ‘Un camp pour décrocher’ :
http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2014/11/14/007-retour-aux-souches-desintox-numerique.shtml

Notre rapport avec les écrans et le temps

À l'heure où nous rentabilisons chaque seconde en consultant à tout propos nos messageries, fils de nouvelles et sites préférés, l'ONF et France Télévisions présentent ces jours-ci une application mobile pour perdre notre temps. En serions-nous capables? Le designer et scénariste spécialiste des médias interactifs Dominic Turmel est derrière le produit. Il explique que son équipe a développé, avec Le Cancer du Temps, une façon ludique de réfléchir à nos rapports troubles avec l'ennui, la surcharge d'informations... et les humains en chair et en os qui nous entourent.

Téléchargement de l’application :
http://www.cancerdutemps.com/index-fr.html

http://blogue.onf.ca/blogue/2014/10/23/onf-ridm-2014/
http://ici.radio-canada.ca/emissions/desautels_le_dimanche/2014-2015/

What if you stopped going outside?
Asap Science

22 novembre 2014

Chacun sait

           Zazzle Flair Mouse pad
 
Chacun sait
qu'il est stupide de prendre ses désirs
pour des réalités,
tragique de renoncer à ses désirs
au nom de la réalité,
et vain d'espérer transformer
tous ses désirs en réalités ...
 
(Aphorisme zen)  
 

20 novembre 2014

En hommage à Kerouac...

Plutôt bel homme, geez...

Si vous avez un crush sur Kerouac (à l’époque on disait avoir un crush sur qqn au lieu de béguin), je vous suggère d'écouter :
Sur les traces de Kerouac
Le vendredi de 14h à 15h
Du 21 novembre au 12 décembre 2014
Sur ICI Radio-Canada Première

L'animateur Franco Nuovo, l'auteur Gabriel Anctil et le réalisateur Jean-Philippe Pleau se sont intéressés à la quête de Jack Kerouac pour retrouver ses origines québécoises et françaises. Le trio est donc parti sur les routes du Québec et des États-Unis à la rencontre des personnes qui l'ont connu ou qui ont été marquées par l'oeuvre de l'auteur américain. Leur périple a commencé dans le Bas-Saint-Laurent pour se poursuivre à Lowell, au Massachusetts, et s'est terminé par une découverte à New York.

Si vous n’avez pas accès à la chaîne radio, vous pouvez télécharger gratuitement le livre numérique sur iBooks ou en format PDF :
Créé autour du documentaire sur Jack Kerouac, ce livre numérique permet d'explorer un peu plus l'univers de cet écrivain marquant et de comprendre sa quête identitaire. Concept original de l'équipe de contenu et de design d'ICI Radio-Canada.ca, ce récit, enrichi de photographies et d'illustrations, est divisé en cinq chapitres. Il comprend des extraits des livres de Jack Kerouac, des documents d'archives radio et télé, et les épisodes de la série radiophonique.

J’ai feuilleté rapidement le PDF pour avoir une idée : excellent visuel et contenu.
http://ici.radio-canada.ca/emissions/sur_les_traces_de_kerouac/2014-2015/

---

Une vidéo dénichée sur Brain Pickings http://www.brainpickings.org/

“More than half a century after Kerouac penned that beautiful letter, director Sergi Castella and filmmaker Hector Ferreño transformed the writer’s words into a magnificent cinematic adaptation for Dosnoventa Bikes, with a haunting, Johnny-Cashlike voiceover by James Phillips and beautifully curated music by Pink Floyd and Cash himself. As an intense lover of both bikes and literature, it makes my heart sing in multiple octaves.” 
~ Maria Popova (Brain Pickings)  

WE WERE NEVER BORN
By Dosnoventa (dosnoventabikes.com) Superbe pub de vélos en tout cas!



“I have lots of things to teach you now, in case we ever meet, concerning the message that was transmitted to me under a pine tree in North Carolina on a cold winter moonlit night. It said that Nothing Ever Happened, so don’t worry. It’s all like a dream. Everything is ecstasy, inside. We just don’t know it because of our thinking-minds. But in our true blissful essence of mind is known that everything is alright forever and forever and forever. Close your eyes, let your hands and nerve-ends drop, stop breathing for 3 seconds, listen to the silence inside the illusion of the world, and you will remember the lesson you forgot, which was taught in immense milky way soft cloud innumerable worlds long ago and not even at all. It is all one vast awakened thing. I call it the golden eternity. It is perfect.

We were never really born, we will never really die. It has nothing to do with the imaginary idea of a personal self, other selves, many selves everywhere: Self is only an idea, a mortal idea. That which passes into everything is one thing. It's a dream already ended. There's nothing to be afraid of and nothing to be glad about. I know this from staring at mountains months on end. They never show any expression, they are like empty space. Do you think the emptiness of space will ever crumble away? Mountains will crumble, but the emptiness of space, which is the one universal essence of mind, the vast awakenerhood, empty and awake, will never crumble away because it was never born.”

(D’une lettre adressée à sa femme)  
Il a également dit à son sujet : «Mon amour pour Maggie est si fort que j'accepte même l'idée qu'elle puisse un jour ressembler à sa mère, devenir grosse.»
(in Maggie Cassidy)

Une autre vidéo dénichée sur http://www.openculture.com

Jack Kerouac – AMERICAN HAIKUS



In the spring of 1958 Jack Kerouac went into the studio with tenor saxmen Al Cohn and Zoot Sims to record his second album, a mixture of jazz and poetry called Blues and Haikus. The haiku is a traditional Japanese poetry form with three unrhyming lines in five, seven, and five syllables. But Kerouac took a freer approach. In 1959, the year Blues and Haikus was released, he explained: 
       “The American haiku is not exactly the Japanese Haiku. The Japanese Haiku is strictly disciplined to seventeen syllables but since the language structure is different I don’t think American Haikus (short three-line poems intended to be completely packed with Void of Whole) should worry about syllables because American speech is something again . . . bursting to pop. 
       Above all, a Haiku must be very simple and free of all poetic trickery and make a little picture and yet be as airy and graceful as a Vivaldi Pastorella.” 

The opening number on Blues and Haikus is a 10-minute piece called “American Haikus.” It features Kerouac’s expressive recitation of a series of poems punctuated by the improvisational saxophone playing of Cohn and Sims. The video is animated by the artist Peter Gullerud.

---

Liens d’intérêt :

The Kerouac Center at UMass Lowell 
http://www.jackkerouac.com/

The Jack and Stella Kerouac Center for the Public Humanities
http://www.uml.edu/Research/Kerouac-Center/

19 novembre 2014

La banque magique

J'estime les animaux. Voyez l'écureuil : il se réveille, broute les jeunes pousses, fait l'amour, guette les noisettes, en croque, en cueille dont il emplit son nid, grimpe aux arbres, redescend, bondit, joue; venu le froid, il s'endort.
-- Mais l'homme n'est pas un écureuil!
-- L'homme est un écureuil prétentieux.

~ Rémy de Gourmont (Des pas sur le sable...)

(Photographe inconnu)

Quelques dollars de mon compte à votre profit…

-------
Imaginez que chaque matin, une banque dépose un montant de 86,400 $ dans votre compte, mais à deux conditions.

Premièrement, tout ce que vous n'aurez pas dépensé dans la journée sera retiré le soir. Vous ne pourrez pas tricher en virant cet argent dans un autre compte; vous devrez le dépenser la journée même. Cependant, la banque déposera ce montant de 86,400 $ à tous les jours.

Deuxièmement, la banque pourrait interrompre le «jeu» à n'importe quel moment. Elle pourra décider en tout temps de fermer le compte sans préavis.

Que feriez-vous de cet argent?

Vous choisiriez sans doute de l’utiliser pour vous faire plaisir et offrir des cadeaux aux gens que vous aimez. Chaque dollar servirait à vous apporter du bonheur ainsi qu’à votre entourage.

Photo : Agence France/Presse

Cette banque magique existe vraiment : c'est le temps!

Chaque matin au réveil, on nous crédite de 86,400 secondes de vie pour la journée, et lorsque nous nous endormons le soir, il n'y a pas de report. Ce qui n'a pas été vécu dans la journée est perdu, hier vient de passer.

À chaque matin, la magie recommence. Nous jouons avec cette règle incontournable : la banque peut fermer notre compte sans préavis. À tout moment, la vie peut s'arrêter. Alors que faisons-nous de nos 86,400 secondes quotidiennes?

«La vie est courte, même pour ceux qui passent leur temps à la trouver longue» ... Alors profitez-en!

(Auteur inconnu; 2004)

J’ai retrouvé ça dans mon vieux portable. Un bon départ pour réfléchir à nos investissements quotidiens : pendant que certains perdent leur temps, d’autres le prennent. 

17 novembre 2014

Crains-tu de vivre?

Photo : Denis Stock, New York; 1950

Crains-tu le vent?

Crains-tu la force du vent,
La pluie cinglante?
Affronte-les et lutte,
Redeviens sauvage.
Aies faim et froid comme le loup,
Patauge dans la boue comme la grue :
Les paumes de tes mains épaissiront
La peau de tes joues brunira
Tu seras éreinté et fatigué et basané,
Mais tu marcheras comme un homme!

~ Hamlin Garland (Do you fear the wind?)

---

«Si tu es coincé quelque part et que tout se retourne contre toi, au point où tu as l’impression que tu ne tiendras pas une minute de plus, ne lâche pas car c’est exactement à ce moment-là que le cours des événements changera.»

~ Harriet Beecher Stowe

Source (traduction maison) :
Elbert Hubbard’s Scrap Book
W.M. H. Wise & Co., Inc.
New York; 1955

-------

Il y a très peu de choses dans la vie sur lesquelles nous avons du pouvoir. Par exemple, nous ne pouvons rien contre les forces déchaînées de la nature et de la férocité humaine. Mais, succomber à la terreur ne résoudra rien. Nous mettons tellement d’énergie à tout prévoir pour nous garer de la moindre difficulté, qu’au moment où survient une vraie catastrophe, nous n’en n’avons plus pour y répondre de manière appropriée.

Le trois fois rien

[Extrait]

(...) Qu’est-ce que la terreur? Une manière parfois très subtile de prévenir sans cesse l’action en la neutralisant, en la rendant impossible. Manière inquiète et angoissée de vivre, la terreur juge tout à l’aune de la catastrophe imminente. Elle focalise son attention sur cette part accidentelle de l’existence, érigée en absolu, en absolue nécessité. C’est comme si de sortir et de vivre dans le monde, bref, d’exister, nous étions condamnés de toutes les façons, à subir, c’est-à-dire à mourir. Le possible est nié comme possible, le caractère aventurier de la vie miné avant tout commencement et déploiement. Prévenir n’est alors qu’une machine à faire fonctionner la peur en nous et en dehors de nous. Que cette machine soit à usage privé ou à usage politique, elle généralise son système d’inertie («ne vis pas, tu vas mourir») et tue la dynamique de la liberté. N’osant risquer, n’osant voir qu’il y a des choses qui nous échappent, elle résiste de toutes ses forces à vivre et à accueillir ce qui vient. 
        Ce qu’ignore la peur, c’est que la vie, l’existence humaine est l’expérimentation immédiate de la vulnérabilité. En naissant, l’homme est nu de peau. Vulnérabilité et imprévisibilité. En langage des signes (c’est peut-être le Je ne sais quoi d’autre et Presque rien de Jankélévitch), ce qui est vulnérable se montre dans ce geste du «trois fois rien», ce geste de poussière, de ce qui glisse et s’échappe du bout des doigts, évanouissement qui dit combien toute chose et tout être sont fragiles et méritent notre attention. Mais sans terreur. 
       Or, face à cette vulnérabilité, il y a l’autre bout des conduites et des attitudes, celle qui fonce devant et qui fait exploser tous les périmètres de sécurité autour de l’action. Hardiesse folle qui provoque les occasions de risquer enfin quelque chose. Il y a peut-être du désespoir en elle, de la lassitude, du grand ennui, enfer ou ciel qu’importe! dit le poète. Alors celui ou celle qui est sans peur et sans conscience se fait presque un devoir de ne pas penser, et de toujours agir d’abord. 
       Qui sait? On se prend parfois pour Don Quichotte.

(p. 137-138)

Marie-Noëlle Agniau
MÉDITATIONS DU TEMPS PRÉSENT
La philosophie à l’épreuve du quotidien 2
L’Harmattan; 2008

16 novembre 2014

La difficulté d’être «vrai»

«Nous sommes tous bons quand cela nous convient; il avait l'habitude de dire : cela ne compte pas. C'est quand vous tenez absolument à faire quelque chose de mal – quand vous êtes sur le point de faire fortune grâce à une transaction malhonnête, ou d'embrasser les jolies lèvres de la femme de votre voisin, ou de dire un mensonge pour vous sortir d'un terrible pétrin – c'est là où vous avez besoin de règles. Votre intégrité est comme une épée; il disait : vous ne devriez la brandir qu’au moment de la mettre à l’épreuve.»
Un Monde sans fin, Ken Follett

Certains considèrent que l’authenticité est une utopie. Notamment en raison de nos peurs, de nos propres intérêts, de l’autoprotection, du conditionnement, du chantage émotif, etc.

Il s’agit d’un bel idéal, peut-être irréalisable en effet, mais vers lequel on peut tendre, sans se flageller si l’on dévie. «Si tu n’as rien fait de concret jusqu’à présent pour atteindre un but, réaliser un projet, il probable que tu ne le désires pas vraiment ou qu’il ne soit pas réellement important. Alors, autant voir la réalité en face et carrément le rayer de la liste de tes obsessions, ou bien attendre le jour où tu seras prêt à y mettre de l’énergie. Et d’ici là, lâche prise.» (Auteur inconnu)

«Les hommes sont toujours sincères, ils changent de sincérité, voilà tout», disait Tristan Bernard. Autrement dit, ne nous faisons pas d'illusion sur nous-mêmes...

Jean-Philippe Pleau et Serge Bouchard ont consacré deux émissions à ce thème. 
Audio fil  8 / 15 novembre «C’est fou...» :
http://ici.radio-canada.ca/emissions/c_est_fou/2014-2015/archives.asp?date=2014-11-08

Résumés

Catherine Voyer-Léger remet en question l'existence même de l'authenticité. Selon elle, il faut arrêter de s'imaginer qu'on va y parvenir. Dans la société d'aujourd'hui, l'authenticité est vue comme le Saint-Graal ou un diamant brut que l'on cherche et que l'on espère trouver au fond de soi. Comme s'il suffisait d'enlever quelques pelures d'oignon pour en arriver à trouver son soi pur!

Pour l'essayiste, il en va tout autrement. Le soi présocial n'existe pas. Tout au long de l'existence, les êtres humains sont en interaction les uns avec les autres. Il leur est impossible de se débarrasser de tout ce dont ils sont construits, car cela les mènerait au néant. Ils doivent plutôt tenter de comprendre les multiples discours qui les habitent et trouver où se situer dans ce discours.

«L'authenticité, c'est une mouvance. C'est en faisant des choses, en étant dans le mouvement, qu'on arrive à se mettre en contact avec les autres et avec soi», ajoute Catherine Voyer-Léger.

André Sauvé, humoriste :
«Dans mes numéros, j'exerce une forme d'authenticité en me montrant tel que je suis. Je me révèle de toutes sortes de façons et ça fait écho auprès du public. Mais dans la vie, c'est plus difficile à faire. Le personnage de scène que je me suis créé est beaucoup plus permissif et dit des choses que je n'oserais pas dire. L'authenticité, c'est engageant et je m'y exerce quotidiennement».

L'authenticité d'André Sauvé est devenue en quelque sorte sa marque de commerce. Selon lui, il y a deux sortes d'authenticité. L'une d'elles est dans l'humour, l'autre dans le quotidien.

Charles Taylor, philosophe :
Autrefois, les rôles de chacun étaient codifiés en société. On assiste depuis plus de 50 ans à une rébellion contre cette conformité au nom de l'originalité. «Les gens pensent : "J'ai ma propre façon d'être humain et je dois la découvrir. Ni mes parents ni la société ne me forceront à me conformer à un modèle généralisé, consacré par la tradition", explique Charles Taylor. C'est tout le problème de la découverte de soi, de la résistance envers les forces qui nous entraînent vers un certain conformisme

Le concept actuel d'authenticité est un thème de l'ère romantique du 18e siècle. C'est à partir de 1960 que cette tendance s'est accentuée et que chaque individu est devenu important.

Mais que devient le collectif dans tout ça?

«Les laissés pour compte, ceux qui sont dans l'aliénation ne s'y retrouvent plus», affirme le philosophe. «Ils se disent que ça n'a plus de sens et que ça ne sert à rien. C'est une réaction en spirale dangereuse. Dans 50 ans, être authentique, ce sera l'homme du juste et du milieu

-------

«Je dois dire un mot sur la peur. C'est le seul adversaire réel de la vie. Il n'y a que la peur qui puisse vaincre la vie. C'est une ennemie habile et perfide, et je le sais bien. Elle n'a aucune décence, ne respecte ni lois ni conventions, ne manifeste aucune clémence. Elle attaque votre point le plus faible, qu'elle trouve avec une facilité déconcertante. Elle naît d'abord et invariablement dans votre esprit. Un moment vous vous sentez calme, en plein contrôle, heureux. Puis la peur, déguisée en léger doute, s'immisce dans votre pensée comme un espion. Ce léger doute rencontre l'incrédulité et celle-ci tente de le repousser. Mais l'incrédulité est un simple fantassin. Le doute s'en débarrasse sans se donner de mal. Vous devenez inquiet. La raison vient à votre rescousse. Vous êtes rassuré. La raison dispose de tous les instruments de pointe de la technologie moderne. Mais, à votre surprise et malgré des tactiques supérieures et un nombre impressionnant de victoires, la raison est mise K.-O. Vous sentez que vous vous affaiblissez, que vous hésitez. Votre inquiétude devient frayeur.»
~ Yann Martel (Histoire de Pi)

Image iStock

Alors, paraître à notre meilleur ou donner notre meilleur? En définitive, voilà peut-être l’unique question... L'un et l'autre exigent du travail sur soi :-)

«On sous-estime la poursuite de l’authenticité. On nous a appris à nous présenter de diverses façons afin d’obtenir l'approbation des autres. Nous avons peut-être été la proie des fabricants d'images qui nous disent comment nous habiller, quelles sont «nos» couleurs et comment être politiquement corrects. La pression pour se conformer est très forte, mais pas très brillante. Les gens que nous admirons le plus, ceux et celles qui ont contribué à notre plus grand avancement, étaient des personnes qui ont toujours refusé de se conformer! Il s’agit invariablement de penseurs radicaux, d’individus qui n’ont pas peur, mais qui en même temps permettent aux autres de se démarquer. ... Nous sommes tous uniques, et nous avons tous quelque chose de différent à apporter à l’ensemble.»
~ Carol Carnes (Awakin.org)

«L’argumentation efficace jaillit quand nous retrouvons la capacité de nous révéler, d'exposer nos sentiments, et de demander simplement ce que nous voulons.»
~ Gerry Spence (avocat)

«Passerez-vous votre vie à essayer de faire bonne figure et à créer l'illusion que vous avez du pouvoir sur les événements, ou allez-vous goûter la vie, l’apprécier et en profiter pour découvrir qui vous êtes?»
~ Anne Lamott

«Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs. Chacun y joue successivement les différents rôles d'un drame en sept âges.»
~ William Shakespeare

«Ne vous laissez jamais tomber. Ainsi, vous ne laisserez pas tomber les autres.»
~ Pema Chödrön

«Vous êtes ce que vous pensez ... ouille! c'est effrayant.»
~ Lily Tomlin

14 novembre 2014

Est-ce possible?!


Ma foi, empressons-nous de distribuer des dictionnaires et remercions leurs rédacteurs!

Apprendre des nouveaux mots stimule la même partie du cerveau que le chocolat, le sexe et les drogues 

Si vous aimez le sexe, le chocolat ou la drogue (ou toutes ces choses à la fois), vous devriez aimer apprendre de nouveaux mots. Non mais, sérieusement, apprendre est aussi stimulant et passionnant que l'une ou l'autre de ces activités. L’idée n’est pas de faire l’éloge des drogues, bien sûr, mais simplement de mentionner que Lorsqu’on apprend quelque chose de nouveau on peut atteindre le même niveau d'euphorie que procure la drogue. Et l'orgasme n’est pas plus efficace à cet égard.

Il semble qu’un processus extraordinaire se déclenche lorsqu’on découvre un nouveau mot. Si nous étions attentifs lorsque la connexion se produit entre le mot et le cerveau nous remarquerions que notre bouche s'ouvre légèrement et que nos narines se dilatent. Ce sont là des indices irréfutables de plaisir. Examinons cela de plus près. 

Quel est l’enjeu?

Qu’est-ce qui nous différencie des autres créatures? Le langage. C’est une caractéristique unique qui nous distingue des autres êtres. En apparence, les mots ne semblent pas si extraordinaires que ça, mais quand on sait ce qu’ils produisent à l'intérieur du corps, on découvre leur véritable valeur.

Le fait que nous communiquions les uns avec les autres est tout simplement stupéfiant. Certaines personnes ont avancé qu’apprendre les mécanismes du langage stimulait les circuits du plaisir dans le corps. Ce n’est qu’une théorie, mais elle recèle peut-être un grand mystère.

La théorie testée

Des chercheurs allemands et espagnols se sont associés pour étudier le cerveau de 36 adultes. À l’aide de l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMF), on a étudié les participants pendant qu’ils s’adonnaient à deux activités différentes – le jeu (gambling) et l’apprentissage de nouveaux mots.

Le striatum ventral est une région du cerveau qui régule le système «récompense / motivation / survie». Cette région corticale affecte de nombreuses activités dopaminergiques telles que le sexe, la consommation de drogues, et d’autres activités de base telles que manger des aliments savoureux. Selon les résultats de l'expérience, lorsqu’on apprend de nouveaux mots, le striatum ventral se synchronise avec la région corticale du langage, renforçant ainsi l’association au plaisir. Les gens qui maintiennent une forte et fréquente connexion entre ces régions ont plus de facilité à apprendre le langage.

Tandem plaisir / évolution

De tels résultats pointent aussi vers autre chose : peut-être que la capacité d’éprouver du plaisir en apprenant a poussé l’évolution vers un destin qu’on n’aurait pas découvert autrement. Il est possible que ce que nous sommes aujourd'hui découle de ce lien entre apprentissage et plaisir.

Antoni Rodriguez, principal auteur de cette étude, dit que les résultats portent à croire que l'émotion pourrait avoir joué un rôle très important dans le développement du langage. Non seulement la capacité de développer l’intellect s’est-elle produite, mais il se peut très bien qu’elle ait été une activité populaire. Il se peut que parallèlement à l’euphorie obtenue par les rapports sexuels et les repas riches et copieux, nous ayons également apprécié l’euphorie de la connaissance.

Alors, apprendrons-nous quelque chose de nouveau aujourd’hui?

Par Sherrie (via learning-mind.com)

12 novembre 2014

L’idéalisation du couple

S’il y a un domaine où l’on nous vend de l’illusion à bon marché, c’est bien la romance. Dans les années 40/60 le mariage idéal à vie (coûte que coûte...) faisait partie du «rêve américain» (ou occidental). (1) Le célibat choisi était considéré comme une maladie, une tare : «c’est quoi son problème?». Même si les connaissances en psychologie nous ont aidés à réviser ce cliché socioculturel, il en reste encore des traces, en fond d’écran mental... comme indélébile.

Poster vintage : http://www.shorpy.com/

«... quand on y réfléchit, comment peut-on jamais être sûr de connaître quelqu'un? On jure devant Dieu, on promet d'être honnête et franc, mais les vérités vraies sont celles qu'on ne dit à personne, peut-être pas même à soi-même. Ce que l'autre voit, c'est ce qu'on lui laisse voir : des vérités mêlées à des demi-vérités, de pieux mensonges et parfois des inventions pures et simples. À la fin, on est obligé d'accepter ces écrans de fumée, ce jeu de miroirs, on lance les dés en espérant tirer un bon numéro, à moins d'être prêt à passer le reste de sa vie tout seul.» ~ Chris Mooney (L'enfant à la luge)

«Vous ne pouvez avoir de l'amitié pour quelqu'un qui n'a pas d'amitié pour vous. Ou elle est partagée, ou elle n'est pas. Tandis que l'amour semble au contraire se nourrir du malheur de n'être pas partagé. L'amour malheureux, c'est le ressort principal de la tragédie et du roman.» ~ Michel Tournier (Le miroir des idées)

«Tout homme aime deux femmes; l’une est création de son imagination, l’autre n’est pas encore née.» ~ Khalil Gibran

Le rêve :
Photo : Rodney Smith

«Est-ce qu'on est maître de devenir ou de ne pas devenir amoureux? Et quand on l'est, est-on maître d'agir comme si on ne l'était pas? Tous les jours on couche avec des femmes qu'on n'aime pas, et l'on ne couche pas avec des femmes qu'on aime...»
~ Denis Diderot (Jacques le Fataliste et son maître)

La réalité –  «Je t’ai presque aimé» : 
Photo : Nikita Gate

«Entre époux il y a une autre communauté que celle de la table et du lit, c'est celle de la pensée. Eh bien, le plus souvent, ces deux êtres matériellement accolés habitent, quant à l'esprit, des mondes différents et parfois même hostiles!»
~ Louise Ackermann (Pensées d'une solitaire)

---
(1) Source : Les Nouvelles Solitudes, Marie-France Hirigoyen; La Découverte, 2007

L’Illusion de la recherche du partenaire idéal (p. 29-30) 

Le célibat devient de plus en plus fréquent, mais la suspicion qui l’entachait perdure et amène certain(e)s célibataires à s’inventer une relation amoureuse cachée, afin de ne pas être étiqueté «cœur sec» ou «invalide affectif». En effet, si la négativité associée à la solitude s’est atténuée, l’image générale en est rarement franchement positive, la norme reste toujours le couple et la famille. Et la communication à l’intention des célibataires suggère presque toujours que cet état ne durera pas. C’est plutôt : «En attendant de rencontrer l’âme sœur...» 
       Dans nos cabinets de consultation, les patients viennent d’ailleurs rarement se plaindre directement de solitude, mais beaucoup plus de la difficulté à rencontrer un partenaire avec qui construire un avenir, quelqu’un sur qui compter : le vrai problème n’est pas celui de la rencontre, mais de la durée de la vie en commun. Si j’observe le mode de vie de mes patients, je vois se développer d’autres arrangements que celui du couple marié «pour la vie» : couple fusionnel, couple autonome, couple non cohabitant, personne seule ayant une relation amoureuse, seule avec des aventures ponctuelles, etc. Mais surtout, ce qui est nouveau, une part significative de mes patients, principalement les femmes, on fait le choix de vivre seuls. 
       Bien sûr, on pourra m’objecter que cet échantillon est celui d’une consultation psychiatrique ou psychothérapeutique, et que ces personnes sont donc en crise ou en questionnement par rapport à leur parcours de vie. Je dirais plutôt qu’elles sont en avance, justement parce qu’elles se remettent en question. 
       Certain(e)s cherchent dans le couple une issue à leur solitude, mais cette quête est souvent celle de l’illusion, car l’autre ne leur évite pas nécessairement la solitude, il peut simplement les y accompagner. Ils et elles sont parfois prêts à tout pour y échapper, aux rencontres sans illusion, au sexe qui laisse un arrière-goût de tristesse après l’étreinte. Chacun(e) cherche un(e) autre avec qui établir des liens, si possible amoureux, tout en se méfiant d’un éventuel attachement. On veut du lien, mais à condition de pouvoir se désengager au moindre doute. Je constate dans mes consultations l’affirmation d’une double aspiration : d’un côté, celle du repli sur le couple et, de l’autre, celle de l’épanouissement personnel dans un monde dur de performance et d’individualisme. Comment concilier les deux? La difficulté consiste à trouver un ajustement entre la fusion nécessaire à l’amour romantique et l’espace d’autonomie permettant un accomplissement individuel. 
       Le mariage, lien social par excellence, ne constitue plus une valeur sûre. En France, près d’un mariage sur deux se termine par une rupture, et c’est en milieu urbain que les séparations interviennent le plus fréquemment. Le fait d’avoir un ou plusieurs enfants retarde souvent le divorce, car certains couples attendent que ceux-ci soient autonomes pour se séparer. Mais les divorces surviennent à tous les âges, après deux ou trois ans de mariage ou après le départ des enfants. Selon l’Ined (Institut national d’études démographiques), le nombre de divorces de personnes de plus de 60 ans a doublé entre 1985 et 2005.
       Ce qui est nouveau également, c’est que les femmes sont largement à l’origine du changement : dans près de 70% des cas, ce sont elles qui demandent la séparation. Autrefois, les femmes hésitaient à demander le divorce, car elles y perdaient leur statut social et financier. Désormais, elles n’hésitent plus à se séparer très tôt en cas de violence psychologique ou d’infidélité du conjoint ou, plus tard, quand elles estiment avoir accompli leur travail de mère et de protection de la famille. 
       Pour les femmes de la génération du Baby boom, la sécurité était assimilée au fait de vivre en couple. Ce n’est plus le cas depuis les années 2000 pour nombre d’entre elles, et plus encore pour les plus jeunes, qui la recherchent plutôt dans l’autonomie. Si on ne croit plus vraiment au couple tout en le recherchant, c’est qu’hommes et femmes ont changé : sous l’influence de la norme dominante, celle de l’idéalisation du couple, nos contemporains cherchent toujours le partenaire idéal pour former un couple parfait; mais une si forte exigence a entraîné un certain désenchantement et un risque plus grand de solitude – qui n’est pas pour autant toujours synonyme de mal-être.

---
Les désenchantements de la vie tuent l’illusion et inspirent la compassion.