30 septembre 2018

Le temps autogène

25 septembre. J’ai vu une maison où les lumières de Nôwel étaient déjà suspendues au balcon. On n’est même pas proche de l’Halloween! S’ils reculent d’un mois (août, juillet...) à chaque année, un jour ils tomberont pile sur le 25 décembre. Crampant. 

Ah le temps. Moi ce qui me dégoûte c’est le départ des oiseaux, la disparition des fleurs et la grisaille qui s’annonce. 

Crédit gif -- Marinus, Head like an orange :



Les rhododendrons

La façon dont le temps s'en va, vraiment ça me dégoûte.
L'instant qu'on croit vivre on dirait l'avoir vécu déjà,
Et ceux qu'on a cru vivre, qui nous les désagrégea
Si bien qu'il n'en reste qu'une ombre? On vit coûte que coûte,

Mais où, mais quand, comment, puisque tout ce que l'on ajoute
Est aussitôt soustrait? À quoi bon poursuivre? Qu'ai-je à
M'agiter de la sorte? À me jeter comme un goujat
Sur chaque minute qui passe et me laisse en déroute

Entre une espérance déçue et le prochain regret?
Je suis sûr cependant qu'il existe un endroit secret,
Jusque dans cette ville où tout sans arrêt change et bouge,

Où le temps s'est mangé lui-même. – Alors nous reviendrons
Pour le trouver peut-être à la Butte du Chaperon Rouge,
En mai sous les massifs éclatants de rhododendrons.

~ Jacques Réda, La course : nouvelles poésie itinérantes et familières (1993-1998), Gallimard, 1999.

La pensée

Je pense qu'en ce moment
personne peut-être ne pense à moi dans l'univers,
que moi seul je me pense,
et si maintenant je mourais
personne, ni moi, ne me penserait.

Et ici commence l'abîme,
comme lorsque je m'endors.
Je suis mon propre soutien et me l'ôte.
Je contribue à tapisser d'absence toutes choses.
C'est pour cela peut-être
que penser à un homme
revient à le sauver.

~ Roberto Juarroz, Poésie verticale, trad. de l'espagnol (Argentine) et présenté par Roger Munier, coll. Points, p. 24


La première version de L’Homme Invisible, d’après le roman de H.G. Wells, fut réalisée par James Whale en 1933.

25 septembre 2018

«Grillons atomiques et cigales hertziennes»

Keith Kouna : le doigt sur le bobo...

«[...] Il ne passe pas par quatre chemins et tire sur tout ce qui peut ressembler à un semblant d’institution : le gouvernement, la droite radicale (La meute, Éric Duhaime et autres crétins du genre) et la religion. [...]
   Entre les salves contre les travers de notre société occidentale, il y a quelques moments de repos. Dans cette catégorie, on peut ranger Doubidou, une pièce aux influences jazz qui chante notre amour de l’argent et de cet asservissement qu’on accepte volontiers. Oui, même dans les moments plus légers, Kouna trouve le moyen de nous rappeler ce qui ne tourne pas rond. Bonsoir Shérif est un album contestataire. [...] Mais c’est bien fait. Et c’est écrit d’une plume qui réussit à créer de la poésie à travers les déchets.»

Louis-Philippe Labrèche | Le Canal Auditif



À la fin du monde
Au silence des âges
Il n’y aura qu’une montre
Sur le carrelage

Elle tournera sa langue
Et roulera des aiguilles
Les pupilles absentes
Et les deux pieds dans le vide

Au milieu des décombres
Et des restes anonymes
Où ronronnent les ondes
Dans les ténèbres tranquilles

Les grillons atomiques
Et les cigales hertziennes
Chantant l’Apocalypse
Dans le Jardin D’Éden

Entre les somnifères
Et l’envie de tout détruire
Les orgasmes et la bière
Et les hormones en délire

Les instincts qui s’évadent
Comme des animaux
Ou qui rasent les vagues
Et courbent courbent le dos

Plouf les sirènes
Et pouffes à magazines
Aux lèvres en meringue
À la sortie de l’usine

Minets et écolières
Étendus dans le sable
À la morgue à la mer
À la guerre ou à la plage

Graisse la manivelle
Et le manège à bobines
Qui repasse les chaînes
Et les mêmes chemises

L’horizon rend les armes
Et accepte l’inutile
Le cul dressé dans l’espace
Et la langue dans la flaque d’huile

En caressant ses jouets
En écoutant ses machines
En achetant sa paix
Et en pensant être libre

Et passent les hirondelles
Perdues dans le firmament
Qui vont et vont et viennent
En attendant le beau temps

Entre les prières
Et le chant des garagistes
Les parfums de civières
Et les valets de service

Princes et coqs-à-ciel
Aux parades d’émeraude
Bâfrent le banquet du soleil
Et crachent les restes dans l’auge

En attendant l’enfer
Et les nains du paradis
Les trompettes dernières
Et les cavaliers de la nuit

Le Christ et Lucifer
Se font les bons apôtres
Se partagent la Terre
En s’échangeant les pauvres

En remontant mon verre
Comme une ruse de sans abri
Derrière l’horloge grand-père
Qui grince dans la pharmacie

Qui radote sa haine
Et sa vieille berceuse
Aux oreilles en peine
Et aux épaves heureuses

Sa connerie militaire
Et ses bondieuseries
Ses idoles et ses prêtres
À l’autel de l’économie

J’égraine ma mélodie
Dans son engrenage
Et moissonne la nuit
En pelletant ses nuages

Crédits : album Bonsoir shérif, paru le 6 octobre 2017
© Tous droits réservés


Note biographique
Keith Kouna, de son vrai nom Sylvain Côté, est un auteur-compositeur-interprète né à Saint-Augustin-de-Desmaures, près de Québec, en 1974.    
   Il commence son parcours musical en chantant dans les rues, les tramways, les bars et les squats en Europe de 1997 à 1999 et voyage beaucoup. C’est au cours de ces deux années qu’il écrit en majeure partie les chansons de son premier disque qui paraîtra en 2008. Il revient au Québec, travaille comme intervenant social de rue et fonde le groupe Les Goules avec des amis. Le premier album du groupe paraît en 2002, suivi de deux autres en 2005 et 2007. Le groupe prend ensuite une pause et revient en 2016 avec un quatrième disque.
   Entre-temps il lance trois albums : Les Années Monsieur, Du Plaisir et des Bombes et Le Voyage d’Hiver, une réécriture originale du dernier cycle de lieders de Franz Schubert Winterreise.
   À cheval entre le punk et la chanson, reconnu pour la qualité de ses textes, son audace, sa voix atypique et son énergie scénique, il a récolté une multitude de prix et de nominations, tant avec Les Goules qu’avec son projet solo.  En octobre 2017, il lance un quatrième disque solo Bonsoir Shérif. 
(Source : Wikipédia)

De sorte que la «question de l'urne» reste :

Que voulons-nous? 

Ça (sables bitumineux, Alberta) :


Ou ça (Bonaventure / Percé, Gaspésie) :


20 septembre 2018

La machine à créer du passé

Le temps 

Jean d’Ormesson (1925-2017)
Source : C’était bien; Gallimard 2003

L’univers est une machine à créer du passé à partir de l’avenir. La mission de l’avenir est de se changer en passé. Entre l’avenir et le passé flotte un truc stupéfiant que nous appelons le présent. Présent! Le présent est absent. À peine l’avenir s’est-il changé en présent que le présent tombe dans le passé. C’est un piège perpétuel, une trappe qui se ferme et se rouvre en même temps, un tour de magie noire et blanche dont nous sommes les victimes, un enchantement sans fin dont nous sommes les témoins aveuglés par eux-mêmes. La totalité de l’histoire, qui n’est faite que du souvenir du passé et de l’attente de l’avenir, se joue dans le présent. Nous vivons dans un éternel présent toujours en train de s’effacer et toujours en train de se récrire.


Ne vous laissez pas abuser.
Souvenez-vous de vous méfier.
Et même de l’évidence : elle passe son temps à changer.
Ne mettez pas trop haut ni les gens ni les choses.
Ne les mettez pas trop bas.
Non, ne les mettez pas trop bas.
Montez.
Renoncez à la haine :
elle fait plus de mal à ceux qui l’éprouvent
qu’à ceux qui en sont l’objet.
Ne cherchez pas à être sage à tout prix.
La folie aussi est une sagesse.
Et la sagesse, une folie.
Fuyez les préceptes et les donneurs de leçons.
Jetez ce livre.
Faites ce que vous voulez.
Et ce que vous pouvez.
Pleurez quand il faut.
Riez.
J’ai beaucoup ri.
J’ai ri du monde et des autres et de moi.
Rien n’est très important.
Tout est tragique.
Tout ce que nous aimons mourra.
Et je mourrai moi aussi.
La vie est belle.

17 septembre 2018

«La liberté vis-à-vis de la force et du mensonge»

Lettre d’Anton Tchekhov à propos de la censure

Médecin et écrivain de talent, Anton Tchekhov (1860-1904) est l’un des plus célèbres écrivains russes de la fin du XIXe siècle. Dans la lettre suivante, Tchekhov écrit à Alexeï S. Souvorine, un éditeur et journaliste d’opinion influent, avec qui il avait sillonné l’Europe centrale au début des années 1890. L’allusion à la spoliation du morceau de terre peut venir des préoccupations de l’écrivain : à la date de cette lettre, Tchekhov vient d’acquérir un terrain à Yalta, en Crimée, sur lequel il s’apprête à faire construire sa fameuse «Datcha blanche».

Source image : http://www.my-chekhov.ru/ / Russian journalist and publisher A. S. Suvorin (1834-1912), Niva magazine, 1912 © Creative Commons

4 mars 1899

Comme partout, on parle beaucoup ici des désordres estudiantins et on s’indigne du mutisme des journaux. D’après les lettres en provenance de Saint-Pétersbourg, l’opinion est favorable aux étudiants. Vos lettres sur les désordres n’ont satisfait personne. Il ne peut en être autrement, car on ne peut porter des jugements dans la presse que si on peut toucher les choses du doigt.

L’État vous a interdit d’écrire, il interdit de dire la vérité. C’est de l’arbitraire. Or vous dissertez à ce propos d’une âme légère sur les droits et les prérogatives du gouvernement et c’est ce que j’ai du mal à admettre. Vous parlez du droit de l’État mais sans vous placer du point de vue du droit. Pour l’État, les droits et la justice sont les mêmes que pour toute personne juridique. Si l’État me retire à tort un morceau de terre, je m’adresse au tribunal qui me rétablit dans mes droits. Ne doit-il pas en aller de même quand l’État me donne des coups de cravache? Ne dois-je pas, en cas de violence de sa part, hurler à la violation de mes droits?

Le concept d’État doit être fondé sur des rapports juridiques définis. Dans le cas contraire, il n’est qu’un épouvantail, une inanité destinée à effrayer les imaginations... 


Photo : Marten Lange © Dreizackreisen. La Datcha blanche devenue Musée Tchekhov.   

Lettre à son collègue Plechtchéev  

Avec des œuvres dramatiques qui déchirent le voile des illusions, l’écrivain interroge la condition humaine dans ce qu’elle a de plus absurde et vain. Mais comme en témoigne cette lettre, le «chantre de la désespérance» qu’était Tchekhov gardait malgré tout une foi indéfectible en l’amour et la liberté.

4 octobre 1888

Je voudrais être un artiste libre [...]. Je hais le mensonge et la violence sous toutes ses formes et je trouve également répugnants les secrétaires du consistoire. [...] Le pharisaïsme, la stupidité et l’arbitraire ne règnent pas seulement dans la demeure des marchands et dans les mitards, je les vois dans la science, la littérature, parmi la jeunesse...

C’est pourquoi je n’ai de penchant particulier ni pour les gendarmes, ni pour les bouchers, ni pour les savants, ni pour les écrivains, ni pour les jeunes. Je tiens les étiquettes et les marques de fabriques pour des préjugés. Mon saint des saints, c’est le corps humain, la santé, l’intelligence, le talent, l’inspiration, l’amour et la liberté la plus absolue, la liberté vis-à-vis de la force et du mensonge, où qu’ils se manifestent.



J’ai bu une gorgée de vie
Emily Dickinson

J’ai bu une gorgée de vie
Savez-vous ce que j’ai payé
Le prix, ont-ils dit, du marché.

Ils m’ont pesée, grain par grain de poussière
Ont mis en balance pellicule contre pellicule,  
Puis m’ont donnée la valeur de mon Être
Une unique goutte de ciel.

~~~

La nuit lave l’esprit
Mario Luzi

Ensuite, on est ici, tu le sais bien,
des files d’âmes au loin de la corniche,
l’une au bond prête, l’autre presque dans les chaînes.

Quelqu’un sur le feuillet de la mer
trace un signe de vie, inscrit un point.
De loin en loin, un goéland paraît.

14 septembre 2018

Le mur de Trump : problème résolu


Fear - Trump in the White House : un polar captivant qui pourrait s'intituler "Les couilles dans le potage", signifiant : dépassé par les événements, haut niveau de déconfiture ou dans la merde jusqu'au cou! 

Caricature : Serge Chapleau, La Presse, le 6 septembre 2018

Citation du jour :

«Vivez CHAQUE JOUR comme si c’était le dernier, et vous serez mort... de fatigue le soir venu.» (Los Angeles Times Syndicate).

9 septembre 2018

Amour vs sexe : créativité vs logique

Comment réagit notre cerveau au sexe et à l'amour
Par Zoe Blarowski | Care2

Sexe sans amour ou amour sans sexe? Selon la croyance populaire, l’un ne devrait pas aller sans l’autre. Mais des recherches ont révélé que psychologiquement notre cerveau ne fait pas de connexion entre les deux.

Getty Images 

Réactions biologiques à l'amour et au sexe

Des études ont démontré que l'amour améliore la vision d’ensemble et la pensée créative, tandis que le sexe améliore le processus logique et le raisonnement analytique.

Récemment, des chercheurs européens ont demandé à des jeunes de sexe masculin et féminin de penser à des situations impliquant soit l'amour soit le sexe. Le premier groupe devait imaginer une longue promenade avec un partenaire aimé ou idéal. Le second groupe devait imaginer des relations sexuelles occasionnelles avec un partenaire qui les attire mais qu’ils n’aiment pas.

On a ensuite testé la créativité et le raisonnement analytique chez les deux groupes.

Le groupe branché sur l'amour montrait davantage d’intuition créative. En revanche, le groupe branché sur le sexe réussissait mieux les tâches analytiques. En outre, le groupe branché sur l’amour était plus centré sur des désirs, des buts et des contextes orientés vers l’avenir. Le groupe branché sur le sexe semblait plus centré sur le présent.

On a obtenu les mêmes résultats avec d’autres groupes exposés à des messages subconscients. On leur a présenté très brièvement sur un écran des mots liés soit à l'amour soit au sexe. Ils n'avaient pas le temps d’analyser consciemment la portée des mots.

Le fait que les résultats soient les mêmes – contextes imaginés ou messages subconscients – laisse supposer que les réactions du cerveau sont gérées à un autre niveau que la conscience ordinaire.

Qu'est-ce que cela signifie pour nos relations?

Selon les chercheurs l'amour et le désir sexuel suivraient une logique évolutionnaire et c’est pourquoi chacun nous affecterait de façon différente.

Quand nous sommes en amour, au lieu de nous concentrer sur des détails mineurs, nous avons une vue d'ensemble qui incite à construire un avenir commun. Et quand nous sommes dans un partenariat sexuel, nous nous concentrons sur les détails du présent plutôt que sur l’ensemble de la vie quotidienne.

On a également démontré que le fait d'être en amour pouvait créer une perception excessivement positive du partenaire, qui ne s'estompera qu’au moment d’une crise relationnelle. Autrement, le concept de l'amour demeure positif, abstrait, et porte sur le désir d'établir un engagement et des objectifs à long terme.

De l’autre côté, on a démontré que le désir sexuel se vit dans le présent. On se concentre sur les résultats immédiats, les caractéristiques physiques du partenaire ou les étapes spécifiques de la séduction.

Les chercheurs reconnaissent que nous sommes évidemment beaucoup plus complexes et pas uniquement contrôlés par nos réactions biologiques. Notre passé, notre sexe, notre culture et nos croyances personnelles influencent nos réactions face à l'amour et au sexe.

Mais savoir comment fonctionne notre subconscient peut nous aider à prendre davantage conscience de notre comportement dans une relation.

Permettez-vous à quelqu'un de vous maltraiter parce que vous êtes tellement en amour que vous ne voyez pas ses travers? Vos choix sexuels sont-ils dangereux parce que vous êtes uniquement centré sur le moment présent?

Ces connaissances peuvent aussi servir à remettre en question certaines croyances culturelles contemporaines. De nombreux experts en relation de couple affirment que si les partenaires s’aiment, ils devraient conséquemment avoir beaucoup de relations sexuelles. Si l'amour et le sexe dépendent de fonctions psychologiques différentes, ce serait faux.

Une relation saine pourrait potentiellement inclure seulement le sexe ou seulement l'amour. Les mariages basés sur le sexe ou asexués ne sont peut-être pas aussi problématiques qu'on l’a laissé entendre.

Nous pouvons également utiliser ces tendances naturelles à notre avantage. Essayez d’imaginer une relation sexuelle la prochaine fois que vous étudierez pour un examen important ou que préparerez votre déclaration de revenus. Et, cultivez des pensées d'amour si vous travaillez sur un projet artistique ou planifiez des vacances amusantes en famille.

Nous sommes tous des individus uniques, beaucoup plus grands que notre biologie, mais il n'y a pas de mal à la faire travailler à notre avantage quand c’est possible.

4 septembre 2018

Quand on existe par le regard des autres

Un sujet très important quand on parle des femmes : la confiance en soi; on est encore très nombreuses à dire que c’est pas quelque chose qui nous habite de façon spectaculaire... «La confiance ne fait pas partie de notre ADN. Depuis le début de l’humanité, je pense que c’est ainsi. Le propre de la gente féminine c’est d’attendre d’exister dans le regard d’autrui, c’est pour ça qu’on a un genre, qu’on a été mises au monde... pour avoir cette permission-là d’exister dans le regard d’autrui. Alors, le premier regard c’est tes parents, pis après ça, ben c’est ton petit chum. Pis après ça, c’est ton employeur, pis après c’est toujours par le regard des autres que t’existes.» ~ Sophie Lorain (comédienne, réalisatrice et productrice)

Source : Plus on est de fous, plus on lit : des conseils pour survivre à l’adolescence.
Segment : La série L’Académie, entrevue avec Sarah-Maude Beauchesne

Vient un moment où l’on cesse de s’identifier à des symboles de beauté, de succès, de richesse, d’intelligence ou autres. Se détacher des choses qui nous tiennent en laisse est extrêmement libérateur, et ça peut arriver à n’importe quel âge; c’est souvent la sagesse acquise par l’expérience qui nous y conduit (1).

Elle est peut-être la personne la plus âgée du monde, mais à 117 ans elle est trop occupée pour s'en soucier

Photo : Juan Karita / AP. Julia Flores Colque, 117 ans, regarde la caméra alors qu'elle est assise devant chez elle à Sacaba, en Bolivie, le 23 août. Sa carte d'identité nationale, vérifiée par le gouvernement, dit qu'elle est née le 26 octobre 1900 dans un camp minier des montagnes boliviennes.

Au cours de sa longue vie, elle a été témoin de deux guerres mondiales, de révolutions dans sa Bolivie natale, et de la transformation de sa ville rurale Sacaba qui, en cinq décennies, est passée de 3000 habitants à 175 000. (...)
   Ces jours-ci, elle apprécie la compagnie de ses chiens et chats, et de son coq. Elle est lucide et pleine de vie. Elle aime les bons gâteaux et les chants folkloriques en quechua, qu’elle chante à quiconque vient la visiter à sa maison qu'elle partage avec sa petite-nièce de 65 ans. (...)
   «Elle a toujours été active, facile à vivre et amusante», dit la petite-nièce, Agustina Berna.

Seattle Time, August 29, 2018  

Ma vie
Mireille Bergès

J’ai eu vingt ans et bientôt trente,
les quarante ont suivi et aussi les cinquante,
avec quelques unités pour perturber les comptes.
J’ai lu des magazines qui parlaient de mes rides,
de bouchers qui taillaient dans les bides
et remontaient des seins à la file
comme dans les usines pour les automobiles.
Rester jeune, peu importe le prix!
Info, intox, il paraît même que le botox...
Alors, là, moi, j’dis stop.
Remonter le temps? Avoir encore vingt ans?
Ça va pas, non? Tu sais quoi? J’ai pas le temps.
                
Demain, dans un mois, dans un an,
j’irai me balader pas très loin sur la plage
et je ramasserai des galets arrondis
que je colorierai aux couleurs du bonheur.
Je lirai des légendes, écouterai des contes
et puis les offrirai à qui voudra entendre.
Je me ferai des amis, au hasard
sur la toile, dans la rue ou au bar;
on discutera jusqu’au bout de la nuit
de la vie, de l’amour et de la mort aussi.

Demain, dans un mois, dans un an,
j’aurai les bras câlins de mes petits enfants
à mon cou enroulés pour mieux me protéger.
Mes enfants seront là et nous nous sourirons,
heureux d’avoir su traverser sans sombrer
les tempêtes, les naufrages et puis quelques orages.
Il m’arrivera encore de chanter, de danser
et de me régaler de gâteaux, de bonbons,
de p’tits plats mijotés
sans penser aux kilos ou bien à ma santé.

Demain, dans un mois, dans un an,
je sortirai la nuit avec tous les hiboux
et verrai le soleil sur la mer se lever.
Je marcherai longtemps en goûtant le silence
j’aimerai les odeurs de la mousse en automne
et du foin en été
et le chant des cigales et le soleil brûlant.
J’écouterai toujours le malheur qui se plaint.
J’éprouverai encore les bouffées de colère
face à la bêtise et la haine étalées.
Jamais ni l’injustice ni l’infamie je n’accepterai
et lèverai en l’air, mon poing avec rage.

Demain, dans un mois, dans un an...
Et si la mort survient,
car elle survient toujours, la garce,
elle me trouvera debout, occupée et ridée.

Une auteure à suivre :

(1) Pour se laisser duper, il faut d’abord se duper soi-même. «[Chacun] s’impose sa propre illusion : nul ne peut faire cela pour lui, c’est lui seul qui le fait. Nous créons notre illusion et en devenons esclaves. Le facteur fondamental de ce processus est notre constant désir d’être quelque chose. Nous en connaissons l’effet dans ce monde : c’est une confusion totale où chacun de nous est en lutte avec les autres, où l’on se détruit au nom de la paix. Vous connaissez les ruses de ce jeu. C’est une extraordinaire façon de nous mentir à nous-mêmes.
   Nous commençons à tricher dès que nous avons cette soif d’être, de devenir, de nous accomplir, d’acquérir l’estime des autres, une situation, du prestige, du pouvoir. Ce désir d’être socialement reconnu, n’est-il pas la raison même pour laquelle nous nous dupons? C’est un des problèmes fondamentaux de notre existence. Est-il possible de vivre en ce monde et de n’être rien? Alors seulement serions-nous affranchis de toute illusion.
   La vérité n’est pas quelque chose qui peut s’acquérir. L’amour ne peut pas venir à ceux qui ont le désir de le posséder ou qui voudraient s’identifier à lui. Mais il peut se produire lorsque l’esprit ne cherche pas, lorsqu’il est complètement tranquille, lorsqu’il ne crée plus des mouvements et des croyances sur lesquelles il puisse s’appuyer ou dont il tire une certaine énergie, symptôme de ses illusions. Et l’esprit ne peut être ainsi immobile que lorsqu’il comprend le processus du désir. Lorsqu’il n’est plus en mouvement pour être ou pour ne pas être, il rend possible l’existence d’un état dépouillé de toute duperie.»
~ Krishnamurti, 1895-1986 (La première et la dernière liberté)