23 février 2018

Sagesse : Anne Barratin et Zadie Smith

Anne Barratin 1832-1915 (ou 1845-1911 ?)

Chemin faisant (Éd. Lemerre, Paris, 1894) :

«On ne se noie pas à la même profondeur de l'eau, on ne se blase pas à la même hauteur de la coupe.» (p. 42)

Pensées in Oeuvres posthumes (Alphonse Lemerre, 1920) :

«C'est savoir aimer que de savoir dire la vérité.» (p. 53)

«La véritable émotion est sans voix.» (p. 184)

«Les conséquences se cachent pour nous laisser libres.» (p. 184)

«Ce qu'on ne peut pas reprocher à la souffrance, c'est le manque de variété.» (p. 187)

«La patience ne meurt pas toujours de mort subite : souvent aussi elle est longtemps malade avant de mourir.» (p. 191)

«Les rêves ont rarement la vie longue, maisils l'ont intense.» (p. 191)

«On peut aimer et détester dans la même heure.» (p. 195)

«On ne console pas une vraie douleur, on lui parle.» (p. 197)

«Je préfère l'espoir qui meurt subitement à celui qui agonise.» (p. 211)

«Si tu ne peux pas faire de grandes choses, fais-en de bonnes.» (p. 221)

Source des citations :


Zadie Smith (Photograph by Dominique Nabokov)

On Optimism and Despair,” originally delivered two days after the 2016 American presidential election as an award acceptance speech in Germany (later adapted for her altogether essay collection Feel Freepublic library.

Excerpt

“All the goodness and the heroisms will rise up again, then be cut down again and rise up,” John Steinbeck wrote to his best friend at the peak of WWII. “It isn’t that the evil thing wins it never will but that it doesn’t die.”

“I find these days that a wistful form of time travel has become a persistent political theme, both on the right and on the left. On 10 November The New York Times reported that nearly seven in ten Republicans prefer America as it was in the fifties, a nostalgia of course entirely unavailable to a person like me, for in that period I could not vote, marry my husband, have my children, work in the university I work in, or live in my neighborhood. Time travel is a discretionary art: a pleasure trip for some and a horror story for others. Meanwhile some on the left have time-travel fancies of their own, imagining that the same rigid ideological principles once applied to the matters of workers’ rights, welfare and trade can be applied unchanged to a globalized world of fluid capital.”

“Only the willfully blind can ignore that the history of human existence is simultaneously the history of pain: of brutality, murder, mass extinction, every form of venality and cyclical horror. No land is free of it; no people are without their bloodstain; no tribe entirely innocent. But there is still this redeeming matter of incremental progress. It might look small to those with apocalyptic perspectives, but to she who not so long ago could not vote, or drink from the same water fountain as her fellow citizens, or marry the person she chose, or live in a certain neighborhood, such incremental change feels enormous.”

“Meanwhile the dream of time travel for new presidents, literary journalists and writers alike is just that: a dream. And one that only makes sense if the rights and privileges you are accorded currently were accorded to you back then, too. If some white men are more sentimental about history than anyone else right now, it’s no big surprise: their rights and privileges stretch a long way back. For a black woman the expanse of livable history is so much shorter. What would I have been and what would I have done or more to the point, what would have been done to me in 1360, in 1760, in 1860, in 1960? I do not say this to claim some pedestal of perfect victimhood or historical innocence. I know very well how my West African ancestors sold and enslaved their tribal cousins and neighbors. I don’t believe in any political or personal identity of pure innocence and absolute rectitude.
    But neither do I believe in time travel. I believe in human limitation, not out of any sense of fatalism but out of a learned caution, gleaned from both recent and distant history.”

“We will never be perfect: that is our limitation. But we can have, and have had, moments in which we can take genuine pride.”

“People who believe in fundamental and irreversible changes in human nature are themselves ahistorical and naive. If novelists know anything it’s that individual citizens are internally plural: they have within them the full range of behavioral possibilities. They are like complex musical scores from which certain melodies can be teased out and others ignored or suppressed, depending, at least in part, on who is doing the conducting. At this moment, all over the world and most recently in America the conductors standing in front of this human orchestra have only the meanest and most banal melodies in mind. Here in Germany you will remember these martial songs; they are not a very distant memory. But there is no place on earth where they have not been played at one time or another. Those of us who remember, too, a finer music must try now to play it, and encourage others, if we can, to sing along.”

19 février 2018

Quand mariage rimait avec sécurité financière

Le mouvement #moiaussi / #metoo éveille les consciences mais aussi la peur des dérapages, comme les possibles fausses allégations.
   Une internaute écrivait que pour porter plainte «Il faut être la victime parfaite (celle du parking et de l’inconnu le soir – autour de 15% des viols rapportés), à défaut être assez crédible – ni trop moche, ni trop pauvre, ni trop légèrement vêtue, ni prostituée, surtout pas droguée/bourrée... j’en oublie, c’est sans fin. Et je ne parle même pas des agressions sur des enfants et des mineur-e-s, qui ne sont pas le fait seulement de méchants malades, mais de proches (dans plus de 80 % des cas). Ne pas vouloir qu’on nous touche c’est être coincée; se défendre c’est être hystérique; dénoncer c’est être excessive; vouloir qu’on nous touche c’est être une salope. Mais on continuera [à dénoncer] puisqu’il le faut.»


Sérieusement, ça fait des millénaires que les hommes s’arrogent le droit «d’importuner», d’intimider, de harceler, de violer, de persécuter, de molester et de violenter les femmes pour les soumettre à leurs dérapages sexuels. Et ça fait des millénaires que les femmes se soumettent par insécurité financière et affective.

Le féminisme des années 1950/60 a complètement perdu son véritable sens. Le but était l’autonomie – droit de vote, droit de disposer de son corps (incluant le droit à l’avortement et de refuser la soumission sexuelle dans le mariage), droit à un salaire équitable permettant l’indépendance financière et une vie décente, etc.
    La fameuse «libération sexuelle» des femmes, qui venait en parallèle, fut récupérée par l’industrie médiatique et cinématographique (gérée par des hommes) pour faire du sexe tout azimut un symbole de prétendue libération. Le modèle culturel puritain passa directement au modèle porno. Le lavage de cerveau visuel allait avoir des répercussions négatives, bien évidemment. La culture du viol et de la brutalité font encore les belles heures du monde artistique – cinéma, spectacle, divertissement, etc. Si les hommes se masturbaient devant le poster d’une star dans les années 1960, aujourd’hui c’est devant une scène de copulation en direct sur le net.
   Les femmes restent des «objets», des produits de consommation; elles s’identifient même en tant que «marques» aujourd’hui. Ça peut être lucratif, comme dans le cas des sœurs Kardashian. Mais à qui profite ce marchandage sinon à l’industrie de la consommation? La fascination morbide pour l’hyper richesse, supposée procurer le bonheur,  a une influence désastreuse à la fois sur les consommateurs et l’environnement. Notre société a atteint un sommet de superficialité probablement inégalé dans toute l’histoire. Voulant imiter les Kardashian, et s’appuyant sur l’illusoire prémisse you can do it, certaines jeunes femmes se sont retrouvées le cul sur la paille.  

Extrait d’une analyse sociologique du phénomène :

Mondialement célèbre pour son fessier, et mariée au rappeur et producteur Kanye West, Kim Kardashian fait la une de la presse people depuis des années. Se mettant en scène avec sa famille dans une téléréalité, cette femme fascine autant qu’elle agace... Guillaume Erner, sociologue décrypte ce phénomène planétaire.
   Pourquoi cette famille suscite tant d’intérêt? – Avec «le phénomène Kardashian» on assiste à la mondialisation d’un people. L’intérêt de cette famille est justement qu’elle n’a aucun intérêt : personne n’est vraiment capable de dire quel métier tel ou tel membre de la famille fait. Mais une grande majorité des Français, toutes générations confondues, a déjà entendu parler des «Kardashian». En réalité, le métier de Kim Kardashian (et de sa famille) est de gérer sa célébrité, et ça se passe à l’échelle planétaire, on est en plein dans «l’art de consommer, de faire consommer», ce n’est ni plus ni moins que du marketing. [...]  
   Cette famille est le reflet de notre société, elle sert d’aiguillon au système capitaliste. Nous sommes dans une société où il n’y a plus réellement de besoins mais majoritairement des envies. Le rôle de Kim Kardashian est de nous guider dans nos choix, de nous inciter à consommer telle ou telle chose. C’est une forme de publicité incarnée, un style de vie à elle toute seule. Une britannique de 24 ans s'est même endettée de 23 000 euros pour ressembler à son idole. Elle renvoie aussi le rêve des personnes aisées, des strass et des paillettes à l’américaine, ces personnes qui ne sont jamais limitées financièrement et qui ne font que suivre leurs envies (ce qui est difficilement réalisable à notre niveau). [...] 
   Chaque personne a ses singularités, mais là, l’idée n’est pas de mettre un talent particulier en avant, mais de faire des «coups» médiatiques. ... Pour ce qui est du couple que forment Kim Kardashian et Kanye West, là on quitte le terrain traditionnel du couple, on ne peut plus vraiment parler de couple d’ailleurs, on est plus dans le groupement d’intérêt économique. Chacun se sert de l’autre pour briller. [...]»
Article intégral :

L’extrait suivant provient d’un rapport de recherche publié en 1976... Il est question du rôle de l’insécurité financière dans la soumission sexuelle des femmes (mariage, concubinage, travail...). Jugez vous-même si nous avons progressé ou non.

Section «Qu’est-ce que l’esclavage sexuel?» – Rubrique «L’économie» (p. 437)  

Non seulement une femme peut craindre de perdre l'amour d'un homme, si elle s’affirme ou le «défie» sexuellement, mais trop souvent la pression économique est aussi en cause. Cela peut prendre plusieurs formes, certaines manifestes, certaines subtiles. La forme la plus évidente de pression économique se produit lorsqu'une femme est totalement dépendante de l'homme avec qui elle a des rapports sexuels afin d’avoir un toit et de la nourriture parce qu’elle n'a pas d’autre alternative, comme avoir un emploi si elle veut – voilà le mariage tel qu’on le définissait  traditionnellement. La série «I Love Lucy» présentait une version caricaturale du lien entre l’affection et la sécurité financière : les mots affectueux et les câlins de Lucy reflétaient la formule standard d’obtenir du conjoint un nouveau canapé, un nouveau chapeau ou des vacances. Plusieurs femmes interrogées pour notre recherche ont relevé la corrélation entre le sexe et la sécurité financière dans leur propre vie, en répondant à la question : «Pensez-vous qu’avoir des rapports sexuels est en quelque sorte politique
   «Dans mon milieu, en général l'homme gagne deux fois plus d'argent que la femme. Cela signifie que si vous aimez votre style de vie votre piscine, vos loisirs, votre maison, votre lave-vaisselle, votre quartier vous n’allez pas tout plaquer pour vous enfuir avec un quelconque surfeur. Je vois beaucoup de mariages qui tiennent non pas en raison d’un réel désir de partager leur vie, mais pour la sécurité financière. Vivement la Révolution! Lorsque les femmes seront aussi bien préparées que les hommes pour gagner leur vie, il y aura beaucoup moins de ces relations féodales.»

Collage : Anne Tainter

«C'est économique. Dans ma relation je suis obligée d’avoir des rapports sexuels à cause des vœux de mariage. Mon mari m’a parfois menacée de me priver d’argent ou de faveurs ou autre si j’osais refuser un rapport sexuel. Donc, je fais semblant. Je m’en fiche. Quand les enfants seront plus âgés je pourrais mettre les cartes sur table.»
   «Je ne sais pas si c’est politique, mais c'est certainement économique. Pendant des années, j'ai réellement senti que je gagnais ma place et ma pension dans le lit; et si je voulais quelque chose, mon mari était plus susceptible de me le donner après une relation sexuelle. Maintenant que je suis autonome, je n'ai plus besoin de jouer ce jeu. Quel soulagement!»
   «Je pense qu’on utilise le sexe pour ‘marchander’. Je sais que je l'ai utilisé pour négocier et avoir un soutien financier à un moment ou un autre. Cela est en train de changer peu à peu, parce que plus d’emplois s’offrent à nous.»
   «Avec mon mari, je me sens parfois obligée, parce que je suis sa femme et qu’il paye pour tout. C'est pourquoi j'aime les relations extraconjugales (bien que je n'en ai pas eue depuis quelque temps) ça rend le sexe plus attirant.»
   «Je ne peux pas expliquer ce que je ressens à propos du sexe. La célébration entre deux êtres humains est très importante pour moi, mais elle se produit rarement. J’ai l’impression que les femmes sont entièrement disponibles et acceptent les caprices sexuels de leurs maris parce que c’est le prix à payer pour la sécurité financière.»
   «Il y a des moments où j'ai l'impression de m'acquitter d’une obligation, comme laver la vaisselle ou repasser. Alors, je me sens comme une prostituée.»

Pub des années 1950

«Pour ma part, je suis heureuse d'avoir vécu assez longtemps pour voir la lumière au bout du tunnel l'espoir qu'un jour les femmes obtiendront l’égalité. Pouvez-vous imaginer le lavage de cerveau d’il y a quarante ans? Vous vous considériez chanceuse d’avoir un mari, même si la plupart du temps vous sentiez que quelque chose n'allait pas. Vous passiez votre vie à vous occuper d’un homme et de vos enfants, et vous mettiez le front par terre s’il ne vous battait pas il était votre pourvoyeur, et vous étiez simplement une domestique non rémunérée. La mort m'a libérée, et j'ai découvert une carrière et une vie de femme. Certaines de mes semblables sont mortes sans jamais savoir qu'il y avait de l'espoir pour les femmes mortes en ignorant tout de la chose.»
   Si une femme dépend d'une autre personne, financièrement et juridiquement (comme les femmes l’étaient traditionnellement et le sont encore dans la majorité des cas), sa précarité et sa vulnérabilité ne lui permettent d’exprimer ses préférences en matière de sexe ou d’affection. La peur ou l’intimidation peut faire en sorte que les femmes font passer la satisfaction des besoins sexuels de leurs maris avant les leurs. De toute évidence, quand une femme est financièrement dépendante d'un homme, elle n'est pas dans une position pour exiger l'égalité au lit. La dépendance financière, même si vous aimez quelqu'un, est un piège très subtil et corrosif.
   Le mariage, juridiquement parlant, exige que la femme ait obligatoirement des rapports sexuels avec son mari. Les codes religieux hébreux et chrétiens ont insisté sur l’obligation de la femme d’avoir des rapports sexuels avec son conjoint. ... Cette position de l’épouse dans le mariage reflète l'attitude traditionnelle du droit britannique et américain qui stipule que la femme, en consentant à se marier, consent irrévocablement à accepter les rapports sexuels selon les exigences du conjoint, même s'il utilise la force ou la violence extrême pour arriver à ses fins. Même dans l’actuel Code pénal américain, la relation sexuelle sans le consentement de l’épouse ne peut jamais être considérée comme un viol, quelle que soit la force ou la violence utilisée pour l’y contraindre.
   Bien sûr, ce n'est pas le mariage lui-même qui est en cause – deux personnes peuvent sincèrement désirer partager leur vie et des objectifs communs. Un contrat de mariage basé sur un amour véritable peut être merveilleux. Cependant, aujourd’hui, la réalité pour de nombreuses femmes est plutôt synonyme de dépendance financière et juridique. Cette dépendance biaise la relation et peut empêcher les femmes de se sentir libres d'explorer et de découvrir leurs propres besoins affectifs et sexuels avec leur conjoint.
   Les femmes célibataires subissent elles aussi une forme de pression économique, mais différente et plus subtile. Une femme décrivait sa situation ainsi : «Depuis la petite enfance, j'avais été programmée par mes antécédents familiaux et la société pour devenir une épouse et une mère, à défaut, je devrais me trouver un boulot insignifiant. Donc, j'ai obtenu des diplômes dans des domaines futiles, et j’ai suivi une formation en secrétariat dans un collège pendant un an. J'ai été secrétaire durant les cinq dernières années. Pendant tout ce temps je me sentais en position d’infériorité, et je suis certaine que cela a eu un impact sur ma sexualité et mon appréciation de ce que je suis. Ma faible estime de soi me rendait vulnérable aux abus sexuels des hommes. Il y a trois semaines, j'ai décidé de quitter mon emploi de secrétaire et de retourner aux études à temps plein. Cette décision a fait des miracles pour moi. Je me sens libre de profiter de mon corps selon mes propres critères, et non pas selon les idées préconçues de certains hommes sexistes. Je ne déteste pas du tout les hommes je suis sûre que j'éprouverai toujours de l’amour envers eux. Sauf que maintenant je peux voir comment nous nous sommes utilisés mutuellement, et comment les rôles attribués aux femmes ont créé de l’injustice dans tous les aspects de leur vie, et je veux changer cela. Je pense que mon attitude est très saine et ne m’empêchera pas d’entretenir de bonnes relations avec les hommes.»
   Même quand les femmes ne sont plus dépendantes financièrement, elles continuent à modifier leur comportement sexuel avec leurs partenaires pour répondre à leurs besoins de base nourriture, logement, protection et sécurité – et la plupart n’ont pas de sens critique par rapport à leur situation. Même si le contexte les rend indépendantes (richesse personnelle, carrière réussie, etc.), elles sont tellement habituées à définir leur structure matrimoniale et sexuelle selon les critères de la société qu’elles ne réévaluent pas leur style de vie, et se conforment aux anciens mythes relatifs aux besoins affectifs et sexuels des femmes.
   Les femmes célibataires font également face à des pressions économiques qui les poussent vers le mariage menant à la même dépendance financière et juridique décrite plus tôt. Une femme de vingt-sept qui travaille dans un bureau explique la situation : «Même avec l'emploi que j’ai obtenu et je suis une très bonne secrétaire je n’ai pas les moyens de me payer un appartement. Je suis donc forcée de d’emménager avec un homme ou des colocataires. En colocation vous n’avez pas de vie privée. Si vous vivez avec un homme un premier type, puis après un an ou deux avec un deuxième, puis un autre, et ainsi de suite c’est horrible. Vous vous sentez comme un travailleur itinérant : vous devez déménager toutes vos affaires d'un endroit à l’autre. C'est humiliant. Alors la pression pour se marier, s'installer et oublier tout ça est très forte. Et (!!) si vous vivez avec un homme uniquement pour le partage soi-disant égal du loyer, devinez qui fait le ménage et la cuisine? Qui est toujours gentille, affectueuse et prête pour le sexe? Et, si vous n’avez pas envie de ça pendant un certain temps – on vous montre la porte! Alors, on finit par penser qu’il vaudrait mieux se marier!»  
   Pour beaucoup de femmes, le mariage est l'un des rares emplois facilement accessibles. Le célibat peut aisément signifier devenir domestique ou employée d'usine ou bénéficiaire de l'aide sociale. Demander aux femmes de «se libérer» en refusant le mariage est biaisé car cela exclut automatiquement la majorité des femmes pour qui un mari est le seul moyen de subsistance.  
   Évidemment, l'amour envers le conjoint et les enfants peut faire partie de l’équation. Néanmoins, la dépendance financière peut éventuellement corroder et subtilement miner les plus beaux sentiments, voire, mener à une sorte d'amour-haine. Mais le mariage pourrait devenir un véritable contrat d'amour si les lois qui rendent la femme juridiquement dépendante étaient changées, et si les femmes avaient la chance d’avoir une réelle autonomie financière.
   L'effet négatif de l’insécurité financière sur la liberté des femmes est dramatique. Selon le ministère du Travail américain, en 1975, les femmes qui travaillaient à plein temps toute l'année (40 pour cent des femmes américaines) gagnaient seulement 60 pour cent du salaire des hommes pour un travail équivalent, et ce chiffre n'avait pas bougé au cours des cinq années précédentes. Les femmes, en dépit de leur éducation et de leurs qualifications, sont encore largement exclues des postes de direction et des professions non-traditionnelles. Les subventions fédérales pour les garderies ont été réduites, et les licenciements ont plus fréquemment touché les femmes puisqu’elles occupent généralement des emplois périphériques. Cela signifie que la plupart des femmes célibataires ou mariées ne sont pas indépendantes financièrement.
   «En tant qu'opprimées, nous les femmes, nous n’avons pas besoin de connaissance (knowledge) ... mais de pouvoir, de pouvoir social, de pouvoir économique, de pouvoir physique. En d'autres mots, ce n'est pas notre ignorance qui nous a condamnées à l'exploitation et à l'insatisfaction sexuelle, mais notre impuissance.» ~ Ellen DuBois, State University of New York at Buffalo

Source: The Hite Report, A Nation Wide Study of Female Sexuality; Shere Hite; Dell Publishing Co. 1976

17 février 2018

«Morte! Froide! Elle ne reviendra pas!»

Image : Jonathan Schmock http://jonathanschmock.com/

Fusillade en Floride – Comme je le disais dans mon message sur SP, l’assassin a sans doute choisi intentionnellement le jour de la Saint-Valentin puisque c’est la journée où l’on célèbre l’amour et l’amitié...


«Honte à vous» : une lycéenne dénonce le silence de Trump sur les armes
Antoni Belchi | Agence France-Presse à Fort Lauderdale | États-Unis


Photo : Rhona Wise Agence France-Presse

Une survivante de la fusillade dans un lycée de Floride qui a fait 17 morts s’en est pris samedi au président Donald Trump, dénonçant avec force ses liens avec la NRA, principal lobby américain des armes.
   «Je viens de voir ma fille, au corps froid comme la glace. Elle a reçu des tirs dans le cœur, dans la tête, dans la main. Morte! Froide! Elle ne reviendra pas!»  ~
Lori Alhadeff, mère d’Alyssa, 14 ans, une des victimes
    «À tous les hommes politiques ayant reçu des dons de la NRA, Honte à vous!», a crié Emma Gonzalez lors d’un rassemblement contre les armes à Fort Lauderdale, après avoir fustigé M. Trump pour avoir reçu le soutien financier du puissant groupe pendant la campagne présidentielle de 2016.
   «Honte à vous», a repris en choeur la foule de plusieurs dizaines de personnes.
   «Si le président me dit en face que c’était une terrible tragédie […] et qu’on ne peut rien y faire, je lui demanderai combien il a touché de la National Rifle Association. Je le sais : 30 millions de dollars», a dit rageusement la jeune fille aux cheveux rasés.
   «C’est ce que valent ces gens pour vous, M. Trump?», a-t-elle lancé en comparant cette somme au nombre de victimes des fusillades qui ont ensanglanté le pays depuis le début de l’année.
   «Le fait d’être autorisé à acheter des armes automatiques n’est pas une question politique, c’est une question de vie ou de mort», a affirmé plus tard à l’AFP la lycéenne.
   Dans une allocution solennelle au lendemain de la fusillade, M. Trump avait insisté sur les problèmes mentaux du tueur, ne disant rien sur le droit de posséder une arme garanti par le deuxième amendement de la Constitution, ni sur les armes semi-automatiques comme l’AR-15 utilisé par le tireur de Floride.
   Emma Gonzalez s’en est également pris aux parlementaires américains «financés par la NRA qui nous disent que rien n’aurait pu empêcher ça […] ou qui disent que des lois plus sévères sur les armes ne font pas baisser la violence par les armes».

Article intégral :

Parmi les financés de la NRA

Les enfants à venir…
Patrice Cosnuau

Dites-moi, professeurs et maîtres de savoir,
Patentés et laïcs, jongleurs fous de programmes,
Êtes-vous ignorants du complot qui se trame
Contre l’humanité de l’homme et son pouvoir?
Quelles valeurs et qualités font notre gloire?
Les paravents du siècle ont jaspé nos neurones
Mais le coeur se grisaille : en ces cités atones
Se crache une douleur sans espoir ni mémoire,
Violente et creusant nos puits d’intolérance.
Dites bien aux enfants le lieu de leur naissance :
La Terre... Ils sauront tôt – n’en déplaise aux pillards –
Qu’un si rare berceau peut devenir tombeau;
Les enfants à venir seront privés d’oiseaux
Si l’on n’arrête pas cette ignoble fanfare...


Au fond, Donald Trump n’est qu’une pitoyable marionnette. Ce sont les membres du parti derrière lui qui sont dangereux...

 

 
Rick Perry, ex-gouverneur du Texas, maintenant secrétaire à l’Énergie depuis mars 2017, est coté A+ par la National Rifle Association. Peut-être un modèle pour les tireurs, mais pas un exemple! Il détient un permis de port d’arme (CCL) et il a signé un certain nombre de projets de loi pour faciliter l'accès au LCH (Light Combat Helicopter). Il est en faveur de la peine de mort, anti avortement, raciste, et j’en passe. Un parfait prototype du méthodiste ou de l'évangéliste texan. Il était question à un certain moment de lui confier l’administration du Homeland Security, voyez-vous ça!

Déjeuner typique du Texan après le service religieux du dimanche, histoire de rendre grâce à "dieu" pour le deuxième amendement :


Changeons de note vibratoire...

Cette pièce d’Andreas Vollenweider me fait encore «vibrer» pour son effet d'entraînement... comme une invitation à nous libérer de la mainmise des pouvoirs psychopathes et assassins qui mènent le monde. Je vois une immense foule de gens s'élever au dessus de cette masse de serpents à cravates. On pourrait l’appeler ‘Ascent from the System’...

Ascent from the Circle – Andreas Vollenweider



Love streaming – Harold Moses – for those who are grieving, now... 

14 février 2018

Pour ou contre le mariage?


@Twittakine – Chateaubriand avait un sens de l’humour particulier. Je trouve cette lettre vraiment drôle; ça change du chocolat rose de la Saint-Valentin.

Anne-Louis Girodet, Portrait de Chateaubriand, Saint-Malo, musée d’Histoire de la Ville et du Pays Malouin.

Chateaubriand (1768 -1848) vit un dernier amour en 1828-1829 avec une jeune femme de 26 ans... Ils se rencontrent uniquement en août 1829 dans la station thermale de Cauterets dans les Hautes-Pyrénées. Cette rencontre, platonique ou non, Chateaubriand l'évoque dans un chapitre des Mémoires d'outre-tombe avec l'expression «la jeune amie de mes vieux ans».

«Je partirai avec tous mes rhumatismes pour vous étrangler.»

Lettre de Chateaubriand à Léontine de Villeneuve

En 1828, à l’âge de soixante ans, l’écrivain François-René de Chateaubriand, est une gloire vivante. Il a écrit les références de la génération romantique que sont René et Atala. Il a aussi été plusieurs fois ministre. C’est alors qu’une jeune femme, Léontine de Villeneuve, de trente-cinq ans sa cadette lui écrit des lettres enflammées. L’une des rares descriptions connues de cette femme est dressée par un certain Monsieur de La Martinière, qui rencontre la belle dans un des salons de la Marquise de Pins, sa meilleure amie, à Toulouse : «C’est une femme capricieuse et attirante au regard prompt, la bouche dédaigneuse et le sourire spirituel». Dans une lettre insolite, Chateaubriand, pourtant chrétien invétéré et auteur du Génie du christianisme, face aux interrogations de sa douce, s’érige contre le mariage.

11 novembre 1828

Allons, je suis fort content de Léontine; elle me traite en voyageur; elle m’envoie un petit journal du 25 septembre au 13 octobre. Il est vrai qu’elle a eu bien de la peine à remplir quatre pages dans dix-huit jours; mais qu’importe! Elle me fait de grandes déclarations qui m’enchantent. Si on lit ses lettres à la poste, comme on ne devinera pas qu’une jeune femme fait toutes ces coquetteries à un vieux bonhomme qu’elle n’a jamais vu, cela me donnera un certain air de conquête auprès des estimables décacheteurs des cabinets noirs.
   Je veux maintenant rassurer ma jeune inconnue sur le grand malheur qu’elle a eu d’inspirer une vraie passion, avec ses yeux que je tiens pour être les plus beaux du monde. D’abord, cette passion est-elle vraie? Si elle est vraie, je plains celui que Léontine n’aurait pas voulu écouter. Sur ce point Léontine me semble trop prude; mais faut-il faire un mariage d’inclination? Je ne le pense pas, puisque tous les mariages de cette nature finissent mal. Voilà pourquoi :
   – Si on épousait une femme jeune et charmante après une longue épreuve, une connaissance approfondie de son caractère et une tendresse jamais démentie, les mariages d’inclination de cette sorte seraient les seuls bons mariages, les mariages heureux. Mais qu’est-ce qu’un mariage d’inclination comme on l’entend? Un jeune homme voit une jeune femme et il en devient sur-le-champ amoureux; la jeune femme se monte la tête. Vite, à l’autel! Ils ne peuvent vivre l’un sans l’autre. Puis, quelques mois ne se sont pas écoulés que l’enchantement disparaît; et l’on est lié pour toujours.
   Supposons que le jeune homme amoureux d’inclination puisse obtenir de la jeune femme tout ce qu’il désire, quand il la voit, sans avoir recours au mariage. N’est-il pas plus clair qu’il le préférerait? Il ne s’est donc marié que pour obtenir un bonheur qu’il n’a pu obtenir autrement; et quand les défauts, les antipathies de caractère viennent à se montrer, il se trouve que le jeune homme a pour femme et la jeune femme pour mari celle et celui qui auraient à peine pu porter l’un avec l’autre des liens d’un jour de durée.
   Voilà, Léontine, un grand commentaire sur votre apitoiement et les mariages d’inclination. J’aurais bien de la peine à vous pardonner, en enrageant, un mariage raisonnable. Mais si vous vous avisez d’aimer quelqu’un et de l’épouser, ma tête grise se présentera à vous la nuit, comme la tête de Méduse, et je partirai avec tous mes rhumatismes pour vous étrangler.


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HAÏKUS


Qu’il est beau
le corbeau d’ordinaire haïssable
ce matin de neige!
   ~ Matsuo Bashô (trad. R. Munier )

Une femme enceinte
Cherche sa monnaie dans la neige
L'autobus patiente
   ~  Eddy Garnier (haïku québécois)

TANKAS

Parce qu'en pensant à lui
Je m'étais endormie
Sans doute il m'apparut.
Si j'avais su que c'était un rêve
Je ne me serais certes pas réveillée.
   ~  Ono no Komachi


Sergey Kononov, Galerie Lazarew

À quoi comparer
Notre vie en ce monde?
À la barque partie
De bon matin
Et qui ne laisse pas de sillage.
   ~  Manzei

11 février 2018

L'art de bien dire : les chroniques de David Goudreault

La promotion du système à la «Reagan / Mulroney / Institut Fraser», cette solution miracle pour «faire grandir l’économie» que Justin Trudeau glorifiait en Californie la semaine dernière, s’intensifie dramatiquement. Peut-être que les tyrans financiers ont la trouille vu la grogne planétaire généralisée, causée par les montagnes d'injustices sociales.

PDF intégral et article sur le néolibéralisme (1) :

1979 à 1984 : Élections. Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, Ronald Reagan aux États-Unis, Bryan  Mulroney  au Canada (droite néolibérale). Déréglementation de l’économie,  augmentation des taux d’intérêt, vague de privatisation, diminution de la protection sociale et coupe dans les programmes sociaux : retraite, santé, éducation supérieure, allocation de chômage, etc.
1984 : Élection de Brian Mulroney (Parti progressiste-conservateur du Canada)
Privatisation : Air Canada, Pétro-canada, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), etc.
1987 : Accord de libre-échange Canada-États-Unis. Vague de délocalisation d’entreprise et effondrement du secteur manufacturier au Québec. 


Le gros Richard et nous
David Goudreault | La Tribune 28 janvier 2018

«L’argent des uns n’a jamais fait le bonheur des autres.» ~ Pierre Dac

CHRONIQUE / L’obésité morbide du gros Richard n’amuse plus personne.

Sous son sourire de bouddha doré à l’entrée d’un buffet chinois se cachent des dents acérées, un appétit sans fond. Il nous fait peur et nous fascine, le gros Richard. Au milieu de la cour de récréation, entouré de ses 82 sacs à lunchs, il se goinfre et nous dévisage avec mépris. On ne peut s’approcher de cet ogre, les surveillants nous l’interdisent et tout un système de sécurité garantit sa protection.

Le gros Richard s’approprie la majorité des jouets de la cour de récré, tous les modules de jeu lui sont réservés, presque la totalité des ressources de l’école lui est consacrée et la direction obéit à ses ordres. La commission scolaire le paye pour qu’il ne déménage pas sa graisse ailleurs. ...

[...]

Pour se justifier, il nous répète qu’on peut devenir opulent comme lui nous aussi, on a juste à faire des efforts. Mais il suffit de regarder la montagne de bouffe qu’il cache derrière son dos, tout l’espace clôturé auquel on n’a plus accès, toutes les magouilles dans lesquelles l’administration trempe avec lui pour se décourager. Richard serait le premier à saboter nos efforts, d’ailleurs. ...

[...]

Nous n’avons jamais autant exploité les ressources de la planète, autant spéculé sur les marchés boursiers, autant produit d’objets et de nourriture. Aucun discours pétri de bonnes intentions ne peut contredire les chiffres; on accélère le pillage des ressources collectives et on s’éloigne d’une juste redistribution des richesses. Faudra pas s’étonner le jour où le gros Richard se fera casser la gueule et voler son lunch.


David Goudreault, travailleur social, poète et romancier. Son écriture caustique lui a valu un nombre considérable de distinctions, dont la médaille de l’Assemblée nationale, la Coupe du monde de poésie, le Grand Prix littéraire Archambault et le Prix des nouvelles voix de la littérature et peut-être d'autres que j'ignore... : http://www.davidgoudreault.org/  

À-côté rigolo : sa chronique à Dessine-moi un dimanche (11/02/2018), incluant un poème sur l'amour composé exclusivement de 100 titres de chansons bout à bout  (aucun additif personnel)
http://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/dessine-moi-un-dimanche   

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(1) PDF de L’R des femmes :


Une petite histoire du néolibéralisme
Par Christopher Pitchon, Département de philosophie, Collège de Maisonneuve