4 mars 2020

Comme au temps de la peste (de Camus)

Il paraît que depuis l’éclosion du COVID-19, le roman d’Albert Camus, La Peste (1947), connaît un important regain de popularité :
«Le roman qui dépeint l'arrivée d'une épidémie contraignant les habitants à rester cloîtrer chez eux, connaît une forte hausse des ventes depuis quelques semaines. Sur nos télés, sur nos ondes, et dans nos journaux, dans nos comportements sociaux… il est absolument partout. Et même dans notre consommation de culture.»
(Les Inrockuptibles)

En 2020 : même problème, mais mondial plutôt que régional. 
Citations tirées du roman.   


Ah! Si c'était un tremblement de terre! Une bonne secousse et on n'en parle plus... on compte les morts, les vivants, et le tour est joué. Mais cette cochonnerie de maladie!
Même ceux qui ne l'ont pas la portent dans leur coeur.

La seule façon de mettre les gens ensemble, c'est encore de leur envoyer la peste.

Le fléau n'est pas à la mesure de l'homme, on se dit donc que le fléau est irréel, c'est un mauvais rêve qui va passer.

Chez les uns, la peste avait enraciné un scepticisme profond dont ils ne pouvaient se débarrasser.

Les fléaux, en effet, sont une chose commune, mais on croit difficilement aux fléaux lorsqu'ils vous tombent sur la tête.

En même temps que les secours envoyés par air et par route, tous les soirs, sur les ondes ou dans la presse, des commentaires apitoyés ou admiratifs s'abattaient sur la cité.

Des imprimeurs de la ville virent très vite le parti qu'ils pouvaient tirer de cet engouement et diffusèrent à de nombreux exemplaires les textes qui circulaient.

Les mesures n'étaient pas draconiennes et l'on semblait avoir beaucoup sacrifié au désir de ne pas inquiéter l'opinion publique.

Beaucoup de gens réduits à l'inaction par la fermeture des magasins ou de certains bureaux emplissaient les rues et les cafés. Pour le moment, ils n'étaient pas encore en chômage, mais en congé.

Les foyers d'infection sont en extension croissante. À l'allure où la maladie se répand, si elle n'est pas stoppée, elle risque de tuer la moitié de la ville avant deux mois.

Si l'épidémie s'étend, la morale s'élargira aussi.

On avait consigné des quartiers entiers pendant vingt-quatre heures afin de procéder à des vérifications domiciliaires.

La situation était grave, mais qu'est-ce que cela prouvait? Cela prouvait qu'il fallait des mesures encore plus exceptionnelles.

Écoutez, dit celui-ci, il faut l'isoler et tenter un traitement d'exception.

Tout d'abord, le préfet prit des mesures concernant la circulation des véhicules et le ravitaillement.

Il était au courant des moindres détails du système d'évacuation immédiate qu'il avait organisé pour ceux qui montraient subitement des signes de la maladie.

Diagnostiquer la fièvre épidémique revenait à faire enlever rapidement le malade.

Ces salles étaient d'ailleurs équipées pour soigner les malades dans le minimum de temps et avec le maximum de chances de guérison.

Les malades mouraient loin de leur famille et on avait interdit les veillées rituelles, si bien que celui qui était mort dans la soirée passait sa nuit tout seul.

Hâtivement, les corps étaient jetés dans les fosses. Ils n'avaient pas fini de basculer que les pelletées de chaux s'écrasaient sur leurs visages et la terre les recouvrait de façon anonyme.

Un arrêté préfectoral expropria les occupants des concessions à perpétuité et l'on achemina vers le four crématoire tous les restes exhumés.

La presse, si bavarde dans l'affaire des rats, ne parlait plus de rien. C'est que les rats meurent dans la rue et les hommes dans leur chambre. Et les journaux ne s'occupent que de la rue.

Tout le monde était d'accord pour penser que les commodités de la vie passée ne se retrouveraient pas d'un coup et qu'il était plus facile de détruire que de reconstruire.

Alors que le prix de toutes choses montait irrésistiblement, on n'avait jamais tant gaspillé d'argent, et quand le nécessaire manquait à la plupart, on n'avait jamais mieux dissipé le superflu.

L'habitude du désespoir est pire que le désespoir lui-même.

Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l'ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n'est pas éclairée.

C'est au moment du malheur qu'on s'habitue à la vérité, c'est-à-dire au silence.

Épilogue :

À l'aube d'une belle matinée de février, les portes de la ville s'ouvrent enfin. Les habitants, libérés savourent mais ils n'oublient pas cette épreuve «qui les a confrontés à l'absurdité de leur existence et à la précarité de la condition humaine». Le narrateur a voulu relater ces événements avec la plus grande objectivité possible. Il sait que le virus de la peste peut revenir un jour et appelle à la vigilance. 

Source des citations tirées du roman :

1 mars 2020

Que de bonnes raisons de l’enseigner

Une chanson de Félix Leclerc à été mise à l’index (bannie) dans une école parce qu’un parent s’est plaint qu’on l’enseignait à des enfants de 3e année. La nouvelle censure littéraire a envahi le milieu de l’éducation, et les parents en profitent pour empiéter sur les compétences des enseignants. Cette chanson n’a rien de malin, c’est juste une satire sur l’assurance-emploi de l’époque.
   Cependant, parmi les cent mille façons de tuer un homme, il y en a une qui les déclasse toutes (1).

Les 100 000 façons de tuer un homme
Félix Leclerc

Sur les cent mille façons de tuer quelqu'un
La plus dangereuse c'est le coup de fusil
La plus onéreuse c'est le coup de canon
Ça demande une équipe entraînée au bruit
Y'a toujours la corde dite pendaison
Pour le noeud coulant faut avoir le don.

Sûre que la noyade attire les moroses
Mais pas garantie parce que l'eau réveille
Y'a le bon vieux poison mais là faut la dose
Pas assez tu dors, un peu trop tu veilles.

Le gaz est plus propre, pas de commentaires
Mais à tout instant gare au courant d'air
Non je crois que la façon la plus sûre de tuer un homme
C'est de l'empêcher de travailler en lui donnant de l'argent.

Le rasoir ma foi cette saloperie
A ses fanatiques parce que c'est tranchant
La hache le couteau et la scie aussi
Mais c'est un domaine bourré d'accidents
Très peu efficace est la collision
Ça brise une face, laisse des lésions
Pour mourir de soif faut la volonté
Le dégoût de l'eau, surtout la santé
Non vraiment j'y tiens la meilleure façon de tuer un homme
C'est de le payer à ne rien faire.

Entre mourir d'amour ou bien mourir de rire
La plus achalandée c'est difficile à dire
Les deux finissent en spasmes en soubresauts en transes
Mais les deux sont jeudis
Le rire toujours comique
Et l'autre romantique.

La chaise électrique c'est très indécent
Sauter dans le vide pas toujours prudent
Étrangler quelqu'un c'est perdre ses sens
Le trancher c'est pire c'est les sans dessus dessous.

Non vraiment je reviens aux sentiments premiers
L'infaillible façon de tuer un homme
C'est de le payer pour être chômeur
Et puis c'est gai dans une ville ça fait des morts qui marchent.

(1) Il existe une ultime façon de tuer un homme : c’est de le faire travailler très dur pour un salaire de famine, voire, sans salaire.



Travail forcé en Érythrée : une minière canadienne pourra être poursuivie au Canada

Timothé Matte-Bergeron
ICI Colombie-Britannique-Yukon / 28 février 2020

Une poursuite intentée contre une compagnie minière canadienne pour violation des droits de la personne pourra être entendue en Colombie-Britannique, même si les actes allégués ont eu lieu en Érythrée, a tranché la Cour suprême du Canada.
   Vendredi, les juges du plus haut tribunal du pays ont débouté l’entreprise Nevsun Resources*, établie à Vancouver, qui plaidait que les cours canadiennes n’ont pas compétence pour entendre le recours civil intenté par trois réfugiés érythréens.
   Ces derniers affirment qu'ils ont été forcés au travail, battus et torturés alors qu’ils travaillaient dans la mine Bisha, en Érythrée, dont la majorité des parts sont détenues par Nevsun Resources.
   Aucune de ces allégations n’a été prouvée en cour. La compagnie minière nie avoir recouru à des conscrits de l’armée érythréenne, dont certains, selon une enquête des Nations unies, sont enrôlés de force par l’État pour un service militaire à durée illimitée, assimilable à de l’esclavage.

* Nevsun Resources appartient, depuis l'an dernier, à la compagnie chinoise Zijing Mining Group.


Quand on parle de minières canadiennes, il faut savoir qu’elles n’ont de canadien que le siège social et qu’elles appartiennent à des fonds étrangers.

Une minière canadienne poursuit la Colombie

Cosigo Resources réclame 22 milliards de dollars, car elle ne peut pas exploiter de l’or sur un territoire autochtone.

Anne Panasuk
Enquête / ICI Radio-Canada, 27 février 2020

Une minière canadienne est au centre d’une dispute qui pourrait coûter cher à la Colombie. La compagnie Cosigo Resources poursuit le gouvernement pour avoir créé un parc national sur un territoire autochtone qu’elle souhaitait exploiter.
   Les Macunas, un peuple de chasseurs-cueilleurs qui se sédentarise peu à peu, vivent le long du fleuve Apaporis, au coeur de l’Amazonie colombienne. C’est sur ce territoire que la minière Cosigo a obtenu une concession d’or, au grand dam des Autochtones qui craignent l’exploitation minière sur des sites sacrés. (...)
   Les chefs de la région se sont unis pour refuser l’exploitation de l’or sur leur territoire.
En 2009, le gouvernement colombien a finalement cédé à la pression populaire et créé un parc national pour protéger le territoire, écartant du même souffle la minière canadienne.
   Mais Cosigo n’avait pas dit son dernier mot : elle a financé un groupe pour s’opposer à la création du parc. La minière fait d’ailleurs présentement l’objet d’une enquête pour ingérence illégale lors d’un processus de consultation.
   Cosigo admet avoir financé l’opposition au parc national, mais soutient que c’était légal.
   Cette affaire s’est rendue jusqu’à la Cour suprême de Colombie. En 2015, le plus haut tribunal du pays a maintenu la création du parc.
   La compagnie réclame maintenant 22 milliards de dollars en dédommagement à la Colombie, même si elle n’a pas sorti une seule pépite d’or de terre. «Cela représente les profits que Cosigo aurait pu réaliser», explique le directeur des opérations de la minière canadienne, Andy Rendle.   
   La réclamation sera entendue devant un tribunal d’arbitrage international.

Les tribunaux d’arbitrage

Nombreux dans le monde, les tribunaux d’arbitrage internationaux entendent les entreprises qui s’estiment lésées par des décisions gouvernementales. (...)
   Les entreprises peuvent poursuivre un pays devant ces tribunaux, mais pas l’inverse.
   Parmi les pays développés, le Canada est le plus poursuivi, surtout par des compagnies des États-Unis. L’Américaine Lone Pine Resources poursuit notamment le Canada pour 320 millions de dollars depuis que le Québec a limité l’exploitation du gaz sous le fleuve Saint-Laurent.

Le Canada, paradis des minières

Même si elle ne possède pas de mines au Canada, la compagnie Cosigo Resources a une adresse postale en Colombie-Britannique, qui fait office de siège social. Elle est aussi enregistrée à la Bourse de Vancouver.
   Elle est donc officiellement canadienne, même si son PDG vit aux États-Unis et que son actionnaire majoritaire est américain.
   Les minières sont attirées par le Canada en raison du taux d’imposition plus faible que dans la plupart des pays développés. Depuis le gouvernement de Stephen Harper, les ambassades ont aussi pour mission d’aider les minières canadiennes à l’étranger.
   Plus de 1000 entreprises minières sont inscrites aux bourses de Toronto et de Vancouver, même si la grande majorité d’entre elles n’opèrent qu’à l’étranger.

Minières canadiennes : les nouveaux conquistadors

Le comportement de certaines minières canadiennes à l’étranger ternit la réputation du Canada. Une équipe d’Enquête s’est rendue au Mexique et en Colombie pour constater les conflits qui opposent des compagnies minières aux communautés et aux gouvernements.

Reportage sur ICI TÉLÉ 


Cheap labour, travail forcé, esclavage

Banksy : titre Rickshaw (huile sur toile 2011). L'esclavage moderne et l'asservissement des enfants du tiers monde par les touristes occidentaux. Deux touristes corpulents, symbolisant l'opulence et l'égocentrisme, tirés en pousse-pousse par un enfant esclave.

La traite des personnes et la lutte contre l’esclavage dans le monde moderne

Bien que l’esclavage soit interdit dans tous les pays du monde depuis 1926, il n’en demeure pas moins que des nations, des réseaux criminels et même des particuliers continuent d’asservir sans vergogne des membres de la population, souvent les plus pauvres. Bien qu’il revête une forme différente de la traite des Noirs, l’esclavage contemporain se poursuit devant le regard détourné des gouvernements.
   En effet, selon l’Organisation internationale du travail (OIT), 40 millions de personnes seraient victimes de cette horreur ou de son dérivé : la traite des personnes.
   Qu’il soit question de prostitution involontaire, de servitude pour dettes, du travail forcé ou de celui des enfants, d’immigration marchandée en échange de l’abnégation de droits fondamentaux, de privation de libertés ou de confiscation de papiers d’identité, encore beaucoup trop de personnes, et en grande majorité des femmes, se voient offerts en pâture au mercantilisme éhonté de certains.
   Malgré les traités internationaux entérinés par les divers États, la traite des personnes n’a pas disparu et sévit encore dans plusieurs régions du monde, Occident inclus. Dans le contexte d’une mondialisation des échanges, le phénomène explose et prend une ampleur nouvelle.
   Les populations les plus pauvres en sont les premières victimes, et il s’avère d’autant plus difficile de le combattre que les pratiques abusives adoptent souvent des formes sournoises.
   Il faudrait reconnaître la responsabilité collective des pays riches, faire amende honorable et considérer la requête africaine concernant l’annulation de sa dette en réparation de l’esclavage.
   Une chose est certaine : des efforts musclés devront être déployés afin de bannir, partout sur le globe et une fois pour toutes, les violations des droits fondamentaux de tout être humain.

Source : Les Productions Vic Pelletier inc.

Organisation internationale du travail (OIT)

25 millions de personnes victimes du travail forcé.
150 milliards de dollars de profits illégaux.

NOUS POUVONS CHANGER L'HISTOIRE
Le Protocole de l’Organisation internationale du Travail sur le travail forcé peut redonner l’espoir et la liberté aux millions de personnes victimes de l’esclavage moderne.

Mais le traité international pour éradiquer l’esclavage moderne doit d’abord être ratifié par les différents pays du monde.

VICTIMES DU TRAVAIL FORCÉ PAR TYPE

Travail forcé imposé par l’État : 2 200 00 (10 %)
Travail forcé aux fins d’exploitation sexuelle : 4 500 000 (22 %)
Travail forcé aux fins d’exploitation de la main-d’œuvre : 14 200 000 (68 %)