30 septembre 2019

Contrariantes contradictions!




Contradictions
Esther Granek

Ils cohabitent en moi.
Se battent sans qu’on le voie :

Le passé le présent
Le futur et maintenant
L’illusion et le vrai
Le maussade et le gai
La bêtise la raison
Et les oui et les non
L’amour de ma personne
Les dégoûts qu’elle me donne
Les façades qu’on se fait
Et ce qui derrière est
Et les peurs qu’on avale
Les courages qu’on étale
Les envies de dire zut
Et les besoins de lutte
Et l’humain et la bête
Et le ventre et la tête
Les sens et la vertu
Le caché et le nu
L’aimable et le sévère
Le prude et le vulgaire
Le parleur et le taiseux
Le brave et le peureux
Et le fier et le veule... 

Pour tout ça je suis seul.

Ballades et réflexions à ma façon, 1978

Cueilli sur : https://www.poetica.fr/

Didier Érasme disait aussi : «Le sage se réfugie dans les livres des Anciens et n'y apprend que de froides abstractions; le fou, en abordant les réalités et les périls, acquiert à mon avis le vrai bon sens.» (Éloge de la folie)

Sur l’état de contradiction 

Krishnamurti
La première et dernière LIBERTÉ
Stock 1954

(p. 75/80)

Nous voyons des contradictions partout en nous et autour de nous; et pace que nous sommes plongés dans la contradiction, il n’y a de paix ni en nous, ni, par conséquent, dans le monde. Nous nous trouvons dans un perpétuel état de négation et d’affirmation entre ce que nous «voulons» être et ce que nous «sommes». Cet état n’engendre  que des conflits, lesquels – c’est un fait simple et évident – ne se résoudront jamais par une paix. Et nous devons nous garder de traduire cette contradiction intérieure dans les termes d’un dualisme  philosophique, car ce serait là une évasion bien facile : en expliquant que cette contradiction est un état de dualité, nous penserions l’avoir comprise, ce qui ne serait évidemment qu’une convention, une voie offerte à la fuite hors du réel.
   Or, qu’entendons-nous par conflit et contradiction, et pourquoi existe en nous cette lutte perpétuelle pour être autre chose que ce que nous sommes? Je suis «ceci» et veux devenir «cela». Cette contradiction est un fait et non une dualité métaphysique. La métaphysique ne nous aide en aucune façon à comprendre ce qui «est». L’on peut discuter sur le dualisme ou même sur son existence; mais de quelle valeur seraient ces discussions, si n’affrontons pas la contradiction qui, en nous, oppose des désirs, des intérêts, des poursuites? Je veux être vertueux et ne peux pas l’être, etc. C’est en nous que ces oppositions doivent être comprises, car elles provoquent des conflits; et les conflits, les luttes, nous empêchent d’être dans un état d’individualité créatrice. La contradiction est une destruction, un gâchis. En cet état, nous ne pouvons rien produire que des antagonismes, de l’amertume et un surcroît de souffrance. Si nous parvenons à comprendre cela pleinement, donc à nous affranchir de l’état de contradiction, une paix intérieure peut surgir, qui créera l’entente entre nous et les autres.
   [...] Pourquoi éprouvons-nous tant de désirs contradictoires? Je ne sais pas si vous êtes conscients de cette contradiction intérieure, de ce vouloir et de ce non-vouloir. Il s’agit d’une chose simple et normale; il n’y a rien là d’extraordinaire. La contradiction est un fait. N’implique-t-elle pas un état non permanent auquel vient s’opposer un autre état également transitoire?
   Je m’imagine avoir un désir permanent; je pose en moi l’idée d’un désir permanent, et un autre surgit qui le contredit; cette contradiction engendre un conflit, un désordre épuisant dû au fait que deux désirs se nient mutuellement, dont les poursuites cherchent, l’une et l’autre à prendre le dessus. Mais «un désir permanent» est-ce que cela existe? Non. Je désire avoir une situation; je la désire comme moyen d’atteindre le bonheur; et lorsque je l’obtiens, je suis insatisfait. Je veux devenir  le directeur, puis le propriétaire, et ainsi de suite. [...]
   Ce perpétuel devenir, ce parvenir à un état succédant à un autre engendre une contradiction. Alors pourquoi ne pas admettre que notre vie ne comporte pas un désir permanent mais est faite d’une suite de désirs fugitifs, s’opposant l’un l’autre? Si je considère la vie non comme un désir permanent mais comme une succession de désirs temporaires qui changent tout le temps, il n’y a plus de contradiction.
   La contradiction n’existe que lorsque l’esprit a un point fixe de désir, c’est-à-dire qu’au lieu de considérer tous les désirs comme étant mouvants, transitoires, il s’empare de l’un d’eux et en fait une aspiration permanente. Alors il y a contradiction aussitôt que surgit un autre désir. Mais tous les désirs sont perpétuellement en mouvement; il n’y a pas de fixation du désir, pas de point auquel il se fixe; c’est l’esprit qui établit ce point parce qu’il se sert de tout pour parvenir à quelque chose, pour obtenir quelque chose et en cette notion de «parvenir» il y a nécessairement contradiction et conflit. [...]
   En abordant les faits tels qu’ils sont, nous voyons que la cause de la contradiction en chacun de nous est notre désir de devenir quelque chose : soit de réussir dans le monde extérieur, de parvenir à un résultat. Or tant que nous pensons en termes de durée, en fonction du temps, la contradiction est inévitable. Après tout, notre esprit est le produit du temps. La pensée est basée sur le «hier», sur le passé; et tant qu’elle fonctionne dans le champ du temps et que nous pensons à un avenir, à un devenir, à un accomplissement, la contradiction est inévitable parce que nous sommes incapables d’affronter exactement ce qui «est». Ce n’est qu’en nous rendant compte de ce qui «est», en le comprenant, sans rien choisir, que nous pouvons nous libérer de ce facteur désintégrant qu’est la contradiction.
   Il est donc essentiel de comprendre la totalité de notre processus de pensée, car c’est là que nous trouvons la contradiction. [...]
   [...] En général, nous ne sommes pas conscients de cette contradiction; ou si nous le sommes, nous ne la voyons pas sous son vrai jour; au contraire, elle agit comme un stimulant, car ce frottement, cette résistance nous donne un sens de vitalité. C’est pour cela que nous aimons la guerre, c’est pour cela que nous prenons plaisir aux batailles des frustrations. Le but que recherche notre désir de sécurité psychologique, en créant en nous une contradiction, empêche nos esprits d’être tranquilles. Et un esprit calme est essentiel pour comprendre la pleine signification de la vie. La pensée ne peut jamais être tranquille; la pensée, qui est le produit du temps, ne peut jamais trouver l’intemporel, ne peut pas connaître ce qui est au-delà du temps. La nature même de notre pensée est contradiction, parce que nous pensons toujours en termes de passé ou de futur; nous n’avons donc jamais la pleine perception du présent.
   Être pleinement conscient du présent est une tâche extraordinairement difficile parce que l’esprit est incapable de faire face à un directement sans illusion. La pensée est le produit du temps et ne peut par conséquent fonctionner qu’en termes de passé et de futur; elle ne peut être complètement consciente d’un fait vécu dans le présent. Tant que la pensée – qui est le produit du passé – essaie d’éliminer la contradiction et ses problèmes, elle ne fait que poursuivre un résultat, chercher à réaliser un but, et une telle pensée ne peut qu’intensifier la contradiction, dont aussi les conflits, les souffrances et la confusion en nous et conséquemment autour de nous.
   Pour être affranchi de la contradiction, l’on doit être conscient du présent, sans rien choisir. Et en effet, peut-il être question de choix lorsqu’on est mis en face d’un fait? Mais la compréhension du fait est rendue impossible tant que la pensée essaye d’agir sur lui en fonction d’un devenir, de changements, de modifications. La connaissance de soi est le début de la compréhension; sans cette connaissance, les contradictions et les conflits existeront toujours. Et pour connaître le processus total de soi l’on n’a besoin d’aucun expert, d’aucune autorité. La soumission à l’autorité n’engendre que la crainte. Aucun expert, aucun spécialiste, ne peut nous montrer comment comprendre le processus de notre moi. Chacun doit s’étudier par lui-même. Nous pouvons mutuellement nous aider en en parlant, mais personne ne peut mettre au jour nos replis secrets, aucun spécialiste, aucun sage ne peut explorer à notre place. Nous ne pouvons être réellement conscients de notre moi qu’au cours de nos relations avec les choses, les possessions, les personnes, les idées. C’est dans l’ordre de ces relations que nous voyons comment la contradiction surgit aussitôt que l’action cherche à se conformer à une idée. L’idée n’est qu’une cristallisation de la pensée en un symbole et l’effort de se conformer au symbole engendre une contradiction.
   Ainsi, tant qu’existe un moule dans lequel vient se couler la pensée, la contradiction continuera; et pour briser ce moule et dissiper la contradiction, la connaissance de soi est nécessaire. Cette compréhension du moi n’est pas un processus réservé à une minorité. Le moi peut et doit être compris au cours de nos conversations quotidiennes, dans la façon dont nous pensons et sentons, dans la façon dont nous nous dévisageons mutuellement. Si nous parvenons à être conscients de chaque pensée, de chaque sentiment, d’instant, nous verrons qu’au cours de nos rapports quotidiens, les façons d’être du moi sont comprises. Alors seulement peut se produire cette tranquillité de l’esprit en laquelle l’ultime réalité peut naître.


À l’époque de Krishnamurti (1895-1986), il y avait certes la télévision, le cinéma et la publicité, mais rien de comparable à Internet, la machine idéale pour semer la pagaille mentale. Il faut être fait fort. Rien de mieux que les réseaux sociaux pour générer les comparaisons, les objectifs irréalistes, les désirs obsessionnels, les compulsions et les contradictions intérieures et extérieures. Il suffit de jeter un coup d’oeil sur les sites des influenceurs pour en avoir une idée.

26 septembre 2019

Un prélude à la campagne de Greta Thunberg?

Hier au 15-18, le chroniqueur Simon Jodoin amenait un élément intrigant à la controverse autour de Greta Thunberg. Certains la diabolisent, d’autres affirment qu’elle est un clone subventionné par les capitalistes du Green New Deal. D’autres la mettent sur un piédestal. Bref, on trouve de tout.

Même si le ton est radical et accusateur à l’égard des générations précédentes, son message pourrait susciter un questionnement, même une prise de conscience sincère chez les négationnistes purs et durs. Dans les années 1950/1960, la biologiste Rachel Carson sonnait l'alarme avec son Printemps silencieux (Silent Spring). Elle y exposait l'impact destructeur des activités humaines sur l'environnement et leurs conséquences pour le futur de la planète. On ne peut certainement pas qualifier ses écrits de "fake green". Et, qu'avons-nous fait? Rien.

Le plus marrant dans cette vidéo référée par Simon Jodoin, c'est que Greta reprend presque littéralement les accusations portées par un adolescent dans un clip publicitaire de Greenpeace d’il y a 12 ans. Simple coïncidence anecdotique?
   La campagne s’intitulait It’s not too late : Paris, 31 janvier 2007. La communauté scientifique internationale, le GIEC, se réunit à Paris pour faire le point sur le réchauffement de la planète. Au cours d’une conférence de presse, le GIEC attire l’attention sur les méfaits irrémédiables de ce réchauffement et prouve que l’activité humaine en est la cause essentielle. Ce film a été projeté à Paris sur la façade de plusieurs monuments dont l’Assemblée Nationale afin d'interpeller le public sur les conséquences du réchauffement climatique et d'inciter les gens à agir. La communauté scientifique est unanime : une augmentation de la température de plus de 2°C aurait des conséquences dramatiques : inondations, famines, exodes, déstabilisation de l'économie, appauvrissement de la biodiversité...



Les climatosceptiques font les gorges chaudes et affirment que rien de tout cela ne s’est produit durant la dernière décennie. Ils sont aveugles à ce qui se passe dans le monde, trop occupés à se regarder le nombril et d’en publier des photos sur le Net.   

Vu mon âge vénérable, je peux vous garantir que l’environnement que j’ai connu il y a une quarantaine d’années a dramatiquement changé, et pas pour le mieux. De grands pans de «La Belle Province» ont été défigurés, déboisés, pour faire place à du bâti commercial et industriel, des parcs immobiliers hideux, de la production intensive de bétail, des monocultures bourrées de pesticides, etc. Que faire? 
   Je n'insiste pas davantage. Si le sujet vous intéresse, visitez le libellé «Série noire» sur le blog Situation Planétaire; entre autres l'article En réponse aux stupidités propagées sur l'alarmisme climatique, 24 septembre 2019   

En complément : 

Climat : «heille, les jeunes, soyez pragmatiques!»
Paul Journet
La Presse, 27 septembre 2019

[...] Pourquoi on se focalise sur le discours d’une adolescente au lieu de parler du sujet lui-même : le climat. Reconnaissons au moins l’efficacité énergétique de la démarche, qui permet d’opiner sans perdre de temps avec les faits. Exagère-t-elle? On ouvre les lignes, jasez!
   Hélas, quand une adolescente montre du doigt ces documents [rapports du GIEC], une soudaine envie nous prend de faire de la sociologie. Est-ce qu’elle nous juge avec son doigt? Pourquoi son doigt ne la rend-il pas heureuse? Qui manipule vraiment ce doigt? Et qu’est-ce que ce doigt dit de notre époque? Est-il alarmiste? Devient-il la nouvelle religion?
   Ces questions sont fascinantes, on le concède. Mais peu importe la réponse, les glaciers continueront de fondre dans leur habituelle indifférence. Le débat reste ouvert quant à savoir s’ils se liquéfient de façon laïque ou alarmiste.
   Le plus absurde, c’est que des politiciens demandent aux jeunes d’être «pragmatiques». Nous aussi, on aime le pragmatisme. C’est une noble tradition philosophique. En gros, elle propose d’utiliser le monde physique comme point de départ. De partir de la réalité puis de s’y adapter. Bref, de s’intéresser moins aux idées qu’on se fait du monde et davantage aux conséquences pratiques de nos gestes.
   C’est précisément ce que font les jeunes dans la rue. Ils partent des faits. Certes, la climatologie est une science probabilistique, mais plus le temps avance, plus ses prévisions deviennent précises et consensuelles.
   La planète se réchauffe, la biodiversité chute et le niveau des océans monte. Pour en minimiser les dégâts, il faut limiter la hausse de la température à 1,5 degré. Et plus on attend, plus ce sera difficile, car les gaz à effet de serre (GES) s’accumulent.
   Des gens meurent et la croissance économique infinie est un leurre, a dit la jeune militante. On l’a ridiculisée. Pourtant, la même semaine, Foreign Affairs titrait que «les changements climatiques nous tuent déjà». [...]
   Mais on préfère approfondir la sociologie du doigt d’une adolescente. C’est plus facile à décrédibiliser. Plus rassurant pour se convaincre que tout va bien.
   Bien sûr, on peut débattre des moyens pour s’attaquer à la crise climatique. Mais ce qui n’est pas raisonnable, c’est de le faire en marge de la réalité physique.
   Un exemple : dire qu’il faut reconnaître qu’en 2050, les gens auront encore besoin de beaucoup de pétrole. C’est vrai, la demande pourrait exister. Mais le CO2 ne cessera pas son effet de serre par pragmatisme pour s’adapter aux besoins des gens. Il va continuer de s’accumuler dans l’atmosphère avec les conséquences prévues par la science. C’est cette prévision qui devrait servir de point de départ à la réflexion. Reste ensuite à savoir si on est prêts à en payer collectivement le prix.
   Voilà le cœur du débat. Il est hyper complexe et les solutions varieront d’une région à l’autre. Mais qu’on soit optimiste ou pessimiste, que le climat représente une menace existentielle ou un simple défi technologique, l’enjeu reste le même : trouver la façon la plus juste et efficace de réduire les GES. Alors lâchez vos adjectifs et montrez vos chiffres.        

Recentrer ainsi le débat permettrait de relativiser les accusations d’«alarmisme». [...]  

Si les jeunes sont surreprésentés dans la rue aujourd’hui, c’est parce qu’ils sont trop pragmatiques pour nier la science et les risques à venir. Parce qu’ils ne veulent pas en subir les conséquences. C’est normal, car pour eux, l’avenir risque de durer longtemps.

18 septembre 2019

Quatre tonnes de déchets repêchés!

“Junk is stuff we throw away. Stuff is junk we keep.”

Caricature : André-Philippe Côté, Le Soleil 25.03.2019  

L’Opération Nettoyage 360° a été fructueuse. Les gens semblent croire que les cours d’eau sont des dépotoirs. Un plongeur a trouvé un revolver... J’imagine qu’il y a plein de cadavres de smartphones au fond du fleuve.

Quatre tonnes de déchets repêchés sur 750 mètres à Lachine

Audrey Ruel-Manseau | La Presse, 16 septembre 2019

Une moto, des vélos, une table, des mégots, des pneus, des pneus et encore des pneus… Samedi et dimanche, les 200 bénévoles et organisateurs de «24 heures pour mon fleuve» ont sorti du Saint-Laurent et retiré de ses berges plus de quatre tonnes de déchets. L’objectif était d’une tonne; il a été largement dépassé. Un résultat mêlant fierté et désarroi.

Photo : Robert Skinner / La Presse.  

L’Opération Nettoyage 360° se tenait à Lachine de samedi midi à dimanche midi. Plongeurs et marcheurs ont ratissé un secteur d’environ 750 mètres, entre le quai de Lachine et la Marina d’escale. Plus de 150 bénévoles terrain ont répondu à l’appel du GRAME, organisateur de l’événement, en plus d’une soixantaine de plongeurs qui se sont joints à l’équipe dirigée par Mme Lasselin, exploratrice et cinéaste sous-marin.

Une moto entière, volée en 2012, a été extirpée du fleuve. Une voiture était aussi dans l’eau. «On a sorti la moto avec les plongeurs et des ballons de levage, puis il y avait des gars en dehors de l’eau qui la tiraient avec des cordes. C’était pesant! raconte Jonathan Théorêt, directeur du GRAME. L’auto, on va la sortir plus tard parce qu’elle se trouve à proximité de la prise d’eau potable de la ville. Alors, on veut être certains de faire les choses correctement.»

Au fond du fleuve, les plongeurs ont aussi trouvé de nombreux vélos. Plus d’une soixantaine de pneus – «Il y en avait des très vieux, mais il y en avait aussi datant de la dernière décennie», de dire M. Théorêt –, une table à pique-nique, des barrières appartenant à la Ville et un nombre incalculable de canettes, de bouteilles, de verres à café... Sur les berges, les mégots de cigarette ont remporté le triste titre du déchet le plus représenté. Les organisateurs les ont réunis dans une boîte de plexiglas laissée à la vue des passants.

«Le chiffre final, c’est 4126 kg, précise Mme Lasselin. Effectivement, c’est beaucoup plus que ce qu’on pensait. On est très contents, mais en même temps, on sait pertinemment qu’il en reste encore. Et on se dit que c’est énorme, ce qu’on peut retrouver sur 750 mètres», témoigne la plongeuse associée à l’événement, qui soulignait du même coup le premier anniversaire de sa traversée sous-marine de la zone métropolitaine du fleuve Saint-Laurent.

Photo : Robert Skinner / La Presse. Jonathan Théorêt (de GRAME) et la plongeuse Nathalie Lasselin.  


Citation du jour 

«Le fait qu'il y ait une autoroute pour l'enfer et seulement un escalier pour le paradis en dit long sur le trafic anticipé.»

14 septembre 2019

Vivre c’est perdre du terrain. ~ Emil Cioran

La force de l'inertie...
Jacques Prévert

La force de l’inertie et la détresse acquise
L’ont guidé jusqu’ici
Déjà demain commence
Mais demain il l’oublie
Comme il oublie hier aujourd’hui et sa vie
Évadé perpétuel de la plus mauvaise chance
Encore une fois il a conduit
Aux abattoirs du rêve et de l’indifférence
Son bétail de souffrance et de petits ennuis.

Les arbres ne sont pas des fleurs!
Diane Gariépy
Le Devoir | 31 août 2019 | Opinions / Lettres

Au printemps dernier, on a reconfiguré la Plaza Saint-Hubert. Résultat : que du béton et du pavé. C’est ahurissant! Plus aucun arbre! On se croirait sur une planète sans vie!

On me dira que bientôt on fera pousser de nouveaux arbres. Ouais... On les mettra dans des pots à fleurs. Des pots en béton. C’est tendance! Ou alors de tout jeunes arbres seront plantés avec seulement un mètre carré de terre pour capter l’eau de pluie. On veut ça «propre»!

Pourtant, nos étés sont devenus torrides. Faut enlever du béton et retrouver le confort d’une large canopée. Pas de bonsaïs dans des pots de béton! Pas de fragiles aménagements horticoles! Les changements climatiques obligent. Ça prend de vrais arbres sur notre Plaza Saint-Hubert.


Arbres en pots


La Plaza Saint-Hubert : un DIX30 en devenir...

Un brin d’histoire en images

Photos : archives de la Ville de Montréal

1937 – La rue Saint-Hubert est plutôt sobre. 

1951 – Ouverture du fameux restaurant St-Hubert BBQ.

1963 – Le rush commercial à l’américaine, avec son délire d'enseignes hideuses.

1984 – Installation des marquises.

1990 – On s’interroge sur la conservation des marquises.

2012 – Après consultation la grande majorité des commerçants souhaitent les conserver.

2019 – Démolir pour reconstruire...

2022 (?) – Style architectural «bunker classique», «jeunes arbres chétifs plantés dans un mètre carré de terre» entouré de béton!

Le Service rapide par bus 

À cause du chantier SRB Pie-IX, un propriétaire perdra l’immense et magnifique arbre qui orne le devant de sa propriété. Après les travaux la Ville le remplacera par un ginkgo biloba, un arbre qui ne fait pas partie des espèces indigènes du Québec ni même des espèces introduites. Pourquoi pas un érable, un chêne blanc, un orme d’Amérique, un bouleau jaune, un marronnier? Bizarre.

Crédit photo : Jimmy Hamelin 

MONTRÉAL 11 juin 2019 – Le propriétaire d’un immeuble situé sur le boulevard Pie-IX refuse que l’arbre devant sa bâtisse soit coupé pour permettre l’élargissement du trottoir, dans le cadre des travaux d’installation du Service rapide par bus (SRB).


Quelque 172 arbres, dont plusieurs matures et imposants, devront être abattus dans le cadre du chantier. C’est moins que les quelque 400 spécimens qui devaient être coupés selon les plans préliminaires, mais l’affaire reste choquante pour le Montréalais Serge Fournier, dont l’immeuble est ombragé par un bel arbre massif.
   «Si tu enlèves ces arbres-là, Pie-IX, ce n’est plus pareil. Il y a déjà du trafic, de la poussière, du bruit... Ce n’est pas ma rue favorite [de Montréal], mais quand j’ai acheté l’immeuble, je trouvais qu’avec l’arbre il y avait un bon compromis», lance M. Fournier, qui a acheté il y a six ans un immeuble locatif près de l’intersection avec la rue Bélanger.
   Comme l’arbre est sur une portion de terrain qui appartient à la ville, M. Fournier n’a su qu’il serait coupé que lorsqu’il a vu un employé marquer l’arbre à la peinture il y a quelques semaines. Il a alors entamé des démarches pour tenter de le préserver, sans succès.
   Lundi, quand deux arbres ont été abattus sur son tronçon de rue, il est sorti de l’immeuble. «J’ai dit à l’émondeur : si tu es pour couper l’arbre, je me mets devant.»
   Mardi, l’arbre était encore intact, mais une ligne rouge semblait toujours le destiner à la coupe. «Les travaux d'abattage d'arbres ne peuvent être annulés», pouvait-on lire dans un courriel que M. Fournier a reçu de la part de l’arrondissement de Rosemont-La Petite Patrie.

446 plantations
La Société de transport de Montréal (STM), qui gère le chantier, assure que le bilan sera «nettement positif» après les travaux, puisque 446 nouveaux arbres seront plan.»  
   «Différentes raisons liées aux travaux nous obligent à abattre certains arbres, dont le réalignement de trottoirs. Parfois, l’arbre peut être en conflit avec le développement du projet», a expliqué Amélie Régis, porte-parole pour la STM.
   C’est le cas de l’arbre de M. Fournier, qui se retrouverait au milieu du futur trottoir, selon les informations que l’arrondissement lui a transmises. Un ginkgo biloba sera planté devant chez lui après les travaux.
   «Ils disent qu’ils vont en planter un autre, mais il ne sera pas comme [celui-là], ça n’a aucun sens», a déploré M. Fournier.

Pourquoi pas un beau marronnier mature au lieu d’un ginkgo biloba? (Le ginkgo est une espèce qui fut naturalisée, il y a très longtemps, dans le sud-est de la Chine; ensuite, elle fut importée en Europe puis aux États-Unis. La plupart des ginkgos plantés en ville sont des mâles obtenus par bouturage pour s'assurer qu'il n'y aura pas de production d'ovules nauséabonds. Pauvre M. Fournier... j'espère qu'ils ne se tromperont pas.) 

Pas d’arbres centenaires
Les arbres qui seront abattus ont un diamètre entre 7 et 69 cm. Aucun d’entre eux ne serait donc centenaire, puisqu’un arbre de cet âge aurait un diamètre d’environ 100 cm, selon la STM.
   Les autobus qui rouleront sur Pie-IX une fois le projet de SRB mis en place circuleront sur deux voies réservées au centre de la rue, de l’avenue Pierre-de-Coubertin jusqu’au boulevard Saint-Martin à Laval. Les passagers attendront l’autobus à des arrêts mis en place au centre de la rue, en bordure de ces voies réservées.
   Les travaux pour la mise en place du SRB Pie-IX s’étaleront sur quatre ans, et celui-ci devrait être mis en service en 2022.


Pour les arbres, vivre c'est perdre du terrain 

En effet, ils en perdent à une vitesse foudroyante. J’ai vu un documentaire horrifiant – un article de fond sera bientôt publié sur Situation planétaire.

«Les arbres sont indispensables pour le maintien de la vie sur terre. Si l’on ne fait rien pour sauver les arbres, nous sommes cuits; c’est la priorité, n’importe quelle autre tentative est vaine. Nos forêts valent tellement plus quand elles sont debout que quand elles sont brûlées pour de l'électricité», déclare un militant dans le documentaire.
   Dans les états du sud des États-Unis on rase des forêts entières pour fabriquer des pastilles de bois expédiées en Europe et utilisées en remplacement du charbon pour produire de l’électricité soi-disant verte. Un carburant propre qui pollue autant que le charbon! Les gens qui vivent à proximité ont de graves problèmes de santé, notamment respiratoires. Voilà ce qu’est l’industrie de la biomasse faussement verte; elle n’a de vert que les billets de banque qu’elle accumule.
   Destruction durable, pourrait-on dire car la psychose industrielle verte n’est pas mieux que la psychose industrielle brune (énergies fossiles); beaucoup d’argent est investi par les mêmes multinationales pour développer de nouvelles industries extrêmement nuisibles en dépit de leurs appellations durables, vertes, bio, carboneutres.

3 septembre 2019

Sondage socio-écologique de Wendell Berry

Plusieurs climatosceptiques affirment que le but des écologistes est de détruire le capitalisme, le mode de vie occidental et entraver les libertés individuelles. Un représentant du réseau CFACT (Committee for Constructive Tomorrow), Marc Morano, concluait en parlant de la COP 21 : «Notre bataille n’est pas perdue – c’est juste de la bullshit – des engagements non contraignants qui ne changeront rien.»
   Le réseau répand l’idée (à coups de milliards de dollars d’investissement) que l’écologie «c’est de l’obscurantisme médiéval». Il propage aussi des croyances qu’aucune preuve scientifique ne corrobore. L'argumentaire est si stupide qu’il est difficile d’admettre que des gens intelligents puissent y adhérer... Le réseau, composé d’avocats, de lobbyistes, directeurs d’entreprises pétrolières, sénateurs, etc., offre des conférences d’information partout aux États-Unis et ailleurs dans le monde. De la propagande libertarienne à l’état pur qui marche, puisque la moitié des Américains nient la crise climatique. En 2016, Marc Morano a produit avec Mick Curran un documentaire virulent contre les environnementalistes, intitulé Climate Hustle pour promouvoir leurs propres croyances.

Les messages anti-corporatifs de Wendell Berry (1) s'enrouent parfois d’indignation, comme dans son poème «Questionnaire», qui imite un sondage auprès de consommateurs.

Le chemin de l'enfer moral est pavé d'auto-laxisme progressif. Sur la pente glissante du pillage mondialisé, ce poème est une poignante protestation contre la destruction et l'injustice qu’il encourt. Une parfaite description de l’individualisme néolibéral : «peu importe ce que mes objets coûtent en vies, souffrances et destruction et que j’aie les mains couvertes de sang, je les mérite!» Business is business.
  
[Traduction/maison – original en anglais à la fin]

QUESTIONNAIRE

1. Quelle quantité de poison êtes-vous prêt
à manger pour le succès du libre-échange
et du commerce mondial? S'il vous plaît
nommez vos poisons préférés.


2. Pour l’amour du ciel, à quel point
êtes-vous disposé à faire du mal?
Remplissez les espaces en blanc
avec les noms de vos actes de malveillance
et de haine préférés.

3. Quels sacrifices êtes-vous disposé à faire
pour la culture et la civilisation?
S’il vous plaît, énumérez les monuments, 
les sanctuaires, et les œuvres d'art 
que vous détruiriez volontiers.

4. Au nom du patriotisme et du drapeau,
quelle part de notre bien-aimée terre
êtes-vous prêt à profaner?
Énumérez dans les espaces en blanc
les montagnes, les rivières, les villes, les fermes
dont vous pourriez vous passer facilement.


5. Exposez brièvement les idées, les idéaux ou les espoirs,
les sources d'énergie, les systèmes de sécurité,
pour lesquels vous tueriez un enfant.
Nommez, s'il vous plaît, les enfants
que vous seriez prêt à tuer.

Wendell Berry, 1934-  (collection de poésie Leavings)

(1) Paysan, écrivain et poète, après des études d’anglais à l’Université du Kentucky, Wendell Berry enseigne la littérature et la création littéraire, à titre de professeur honoraire dans diverses universités du Kentucky, de New York et de la Californie, entre 1957 et 1965. En 1965, il retourne au Kentucky, à Port Royal, et s’établit sur la ferme qu’a occupée la famille depuis 1800. Il y cultive 125 acres selon des méthodes traditionnelles et biologiques, en n’utilisant que des chevaux. L'œuvre de Wendell Berry reflète ses préoccupations, centrées essentiellement sur l'agriculture et la communauté. On y retrouve son amour de la terre ainsi que ses valeurs familiales, communautaires, écologiques et humanistes. Tout en se faisant chronique et critique du déclin de la vie rurale en Amérique et de ce qu’il nomme le «désordre culturel» mondial, son œuvre porte aussi à la conscientisation, à l’attention, à la responsabilisation de l’individu et à l’harmonisation de la relation entre l’homme, sa nature et la nature. Profondément éthique, spirituelle, intime et pratique, l’œuvre de Wendell Berry porte essentiellement sur la santé du monde. (Wikipédia)

Peut-on vivre sans raison d’être?
Pierre Desjardins, philosophe

Notre situation dans l’univers est hallucinante! Pensons-y donc un instant : nous vivons sur une sphère gigantesque suspendue dans l’espace, une sphère de 12 756 kilomètres de diamètre qui, en 24 heures, tourne complètement sur elle-même et qui, de plus, se déplace autour du Soleil à la vitesse vertigineuse de 107 208 km/heure.
   Toutefois, malgré cette situation à la fois extraordinaire et, disons-le, quelque peu précaire, nous nous arrêtons très peu au sens que tout cela peut avoir. Nous penchons plutôt du côté de la beauté gratuite de la Terre et préférons tout simplement en jouir sans trop nous poser de questions.
   Pourtant, nous aussi sommes faits de matière terrestre, de la même matière qui peuple champs et forêts et qui, bien au-delà de la Terre, peuple également l’univers tout entier. Qu’avons-nous donc en commun avec cet univers étrange et pourquoi tenons-nous tant à y vivre, nous qui, sans le vouloir, nous retrouvons confinés dans ce lieu dont l’existence est, d’un point de vue rationnel, tout à fait absurde?
   Car, logiquement, nous n’avons pas plus de raisons d’exister que l’univers en a. Logiquement, nous devrions refuser cette vie truquée d’avance, comme disait si bien Albert Camus. Mais, visiblement, nous ne sommes pas très rationnels et préférons, sans trop savoir pourquoi, profiter aveuglément des plaisirs que nous offre la vie. Sentir le vent, voir le ciel, toucher son enfant, œuvrer avec passion, c’est cela, vivre, dira-t-on! Après tout, pourquoi devrions-nous nous passer des magnifiques plaisirs que la vie nous offre sur un plateau d’argent?
   Aussi, ce qui pourrait passer aux yeux de certains philosophes pour de l’insouciance ou de l’indifférence n’en est pas; bien au contraire, pareille attitude s’explique : en optant pour l’irrationnel, l’humain évite quelque chose qu’il ne peut endurer et supporter, soit le déplaisir de l’angoisse existentielle.
   Au non-sens du monde, l’humain refuse de céder ou de se replier sur lui-même et rétorque en vivant passionnément.
   C’est ainsi qu’à travers la jouissance du monde fabuleux qui nous entoure, ce que nous voyons ou entendons prend forme. La fleur qui se tourne vers le soleil devient le magnifique témoin de la richesse du soleil, de l’eau et de la terre qui la nourrit. L’oiseau qui virevolte dans l’air, le poisson qui s’ébat dans l’eau ou l’ours qui vagabonde sur la banquise en font tout autant. La Terre, à travers l’incroyable diversité chimique de ses composants, est à la fois le gage et le resplendissant écrin de toutes ces merveilles.


Toutefois, on ne peut représenter avec fierté quelque chose que l’on sait condamné d’avance. Que dirait-on, par exemple, d’un avocat qui accepterait de défendre un accusé dont la sentence de mort aurait déjà été prononcée? Or, n’est-ce pas exactement la situation dans laquelle l’humain se retrouve aujourd’hui?
   En cannibalisant la nature, nous sommes en train de détruire le fruit de 3,8 milliards d’années de vie sur Terre, fruit dont il ne restera bientôt plus grand-chose. Et bien que la Terre n’ait aucunement besoin du vivant pour exister (c’est elle qui a permis sa constitution et non l’inverse), sa présence active lui donne l’occasion de déployer sa prolifique somptuosité.
   Survivre à une nature ravagée replacerait l’humain sur une voie qu’il avait pourtant choisi d’éviter dès le départ : celle de se retrouver isolé, aux prises avec le déplaisir de l’angoisse existentielle dans un monde sans aucune autre vie que la sienne. Est-ce cela que nous voulons?
   Mutiler la Terre, c’est donc beaucoup plus que mettre en péril l’existence de l’humanité. C’est d’abord nier le sens ultime de notre existence comme témoin privilégié d’un environnement prodigieux. Vivre sans tenir compte de ce rôle, ce n’est déjà plus vivre, c’est tenter bêtement de survivre sans aucune raison d’être.

Source : OPINION La Presse+ 06/12/2015   


QUESTIONNAIRE
By Wendell Berry

1. How much poison are you willing
to eat for the success of the free
market and global trade? Please
name your preferred poisons.

2. For the sake of goodness, how much
evil are you willing to do?
Fill in the following blanks
with the names of your favorite
evils and acts of hatred.

3. What sacrifices are you prepared
to make for culture and civilization?
Please list the monuments, shrines,
and works of art you would
most willingly destroy.

4. In the name of patriotism and
the flag, how much of our beloved
land are you willing to desecrate?
List in the following spaces
the mountains, rivers, towns, farms
you could most readily do without.

5. State briefly the ideas, ideals, or hopes,
the energy sources, the kinds of security,
for which you would kill a child.
Name, please, the children whom
you would be willing to kill.

~~~
I prefer skin to anatomy, green grass
to buried rocks, terra firma to the view
from anywhere higher than a tree.
(Wendell Berry)

~~~
Best of any song
is a bird song
in the quiet, but first
you must have the quiet.
(Wendell Berry)