Le réseau répand l’idée (à coups de
milliards de dollars d’investissement) que l’écologie «c’est de l’obscurantisme
médiéval». Il propage aussi des croyances qu’aucune preuve
scientifique ne corrobore. L'argumentaire est si stupide qu’il est difficile
d’admettre que des gens intelligents puissent y adhérer... Le réseau, composé
d’avocats, de lobbyistes, directeurs d’entreprises pétrolières, sénateurs,
etc., offre des conférences d’information partout aux États-Unis et ailleurs
dans le monde. De la propagande libertarienne à l’état pur qui marche, puisque
la moitié des Américains nient la crise climatique. En 2016, Marc Morano
a produit avec Mick Curran un documentaire virulent contre les
environnementalistes, intitulé Climate
Hustle pour promouvoir leurs propres croyances.
Les messages
anti-corporatifs de Wendell Berry (1) s'enrouent parfois d’indignation, comme
dans son poème «Questionnaire», qui imite un sondage auprès de consommateurs.
Le chemin de l'enfer moral est pavé
d'auto-laxisme progressif. Sur la pente glissante du pillage mondialisé, ce
poème est une poignante protestation contre la destruction et l'injustice qu’il
encourt. Une parfaite description de l’individualisme néolibéral : «peu importe
ce que mes objets coûtent en vies, souffrances et destruction et que j’aie
les mains couvertes de sang, je les mérite!» Business is business.
[Traduction/maison
– original en anglais à la fin]
QUESTIONNAIRE
1. Quelle
quantité de poison êtes-vous prêt
à manger pour
le succès du libre-échange
et du
commerce mondial? S'il vous plaît
nommez vos
poisons préférés.
2. Pour
l’amour du ciel, à quel point
êtes-vous disposé
à faire du mal?
Remplissez
les espaces en blanc
avec les noms
de vos actes de malveillance
et de haine préférés.
3. Quels
sacrifices êtes-vous disposé à faire
pour la
culture et la civilisation?
S’il vous
plaît, énumérez les monuments,
les sanctuaires, et les œuvres d'art
que vous détruiriez volontiers.
les sanctuaires, et les œuvres d'art
que vous détruiriez volontiers.
4. Au nom du
patriotisme et du drapeau,
quelle part
de notre bien-aimée terre
êtes-vous
prêt à profaner?
Énumérez dans
les espaces en blanc
les
montagnes, les rivières, les villes, les fermes
dont vous pourriez
vous passer facilement.
5. Exposez
brièvement les idées, les idéaux ou les espoirs,
les sources
d'énergie, les systèmes de sécurité,
pour lesquels
vous tueriez un enfant.
Nommez, s'il
vous plaît, les enfants
que vous
seriez prêt à tuer.
Wendell Berry,
1934- (collection de poésie Leavings)
(1) Paysan, écrivain
et poète, après des études d’anglais à l’Université du Kentucky, Wendell Berry
enseigne la littérature et la création littéraire, à titre de professeur
honoraire dans diverses universités du Kentucky, de New York et de la
Californie, entre 1957 et 1965. En 1965, il retourne au Kentucky, à Port Royal,
et s’établit sur la ferme qu’a occupée la famille depuis 1800. Il y cultive 125
acres selon des méthodes traditionnelles et biologiques, en n’utilisant que des
chevaux. L'œuvre de Wendell Berry reflète ses préoccupations, centrées essentiellement
sur l'agriculture et la communauté. On y retrouve son amour de la terre ainsi
que ses valeurs familiales, communautaires, écologiques et humanistes. Tout en
se faisant chronique et critique du déclin de la vie rurale en Amérique et de
ce qu’il nomme le «désordre culturel» mondial, son œuvre porte aussi à la
conscientisation, à l’attention, à la responsabilisation de l’individu et à
l’harmonisation de la relation entre l’homme, sa nature et la nature. Profondément
éthique, spirituelle, intime et pratique, l’œuvre de Wendell Berry porte
essentiellement sur la santé du monde. (Wikipédia)
Peut-on vivre sans raison d’être?
Pierre
Desjardins, philosophe
Notre
situation dans l’univers est hallucinante! Pensons-y donc un instant : nous
vivons sur une sphère gigantesque suspendue dans l’espace, une sphère de 12 756
kilomètres de diamètre qui, en 24 heures, tourne complètement sur elle-même et
qui, de plus, se déplace autour du Soleil à la vitesse vertigineuse de 107 208
km/heure.
Toutefois, malgré cette situation à la fois
extraordinaire et, disons-le, quelque peu précaire, nous nous arrêtons très peu
au sens que tout cela peut avoir. Nous penchons plutôt du côté de la beauté
gratuite de la Terre et préférons tout simplement en jouir sans trop nous poser
de questions.
Pourtant, nous aussi sommes faits de matière
terrestre, de la même matière qui peuple champs et forêts et qui, bien au-delà
de la Terre, peuple également l’univers tout entier. Qu’avons-nous donc en
commun avec cet univers étrange et pourquoi tenons-nous tant à y vivre, nous
qui, sans le vouloir, nous retrouvons confinés dans ce lieu dont l’existence
est, d’un point de vue rationnel, tout à fait absurde?
Car, logiquement, nous n’avons pas plus de
raisons d’exister que l’univers en a. Logiquement, nous devrions refuser cette
vie truquée d’avance, comme disait si bien Albert Camus. Mais, visiblement,
nous ne sommes pas très rationnels et préférons, sans trop savoir pourquoi,
profiter aveuglément des plaisirs que nous offre la vie. Sentir le vent, voir
le ciel, toucher son enfant, œuvrer avec passion, c’est cela, vivre, dira-t-on!
Après tout, pourquoi devrions-nous nous passer des magnifiques plaisirs que la
vie nous offre sur un plateau d’argent?
Aussi, ce qui pourrait passer aux yeux de
certains philosophes pour de l’insouciance ou de l’indifférence n’en est pas;
bien au contraire, pareille attitude s’explique : en optant pour l’irrationnel,
l’humain évite quelque chose qu’il ne peut endurer et supporter, soit le
déplaisir de l’angoisse existentielle.
Au non-sens du monde, l’humain refuse de
céder ou de se replier sur lui-même et rétorque en vivant passionnément.
C’est ainsi qu’à travers la jouissance du
monde fabuleux qui nous entoure, ce que nous voyons ou entendons prend forme.
La fleur qui se tourne vers le soleil devient le magnifique témoin de la
richesse du soleil, de l’eau et de la terre qui la nourrit. L’oiseau qui
virevolte dans l’air, le poisson qui s’ébat dans l’eau ou l’ours qui vagabonde
sur la banquise en font tout autant. La Terre, à travers l’incroyable diversité
chimique de ses composants, est à la fois le gage et le resplendissant écrin de
toutes ces merveilles.
Toutefois, on ne peut représenter avec
fierté quelque chose que l’on sait condamné d’avance. Que dirait-on, par
exemple, d’un avocat qui accepterait de défendre un accusé dont la sentence de
mort aurait déjà été prononcée? Or, n’est-ce pas exactement la situation dans
laquelle l’humain se retrouve aujourd’hui?
En cannibalisant la nature, nous sommes en
train de détruire le fruit de 3,8 milliards d’années de vie sur Terre, fruit
dont il ne restera bientôt plus grand-chose. Et bien que la Terre n’ait
aucunement besoin du vivant pour exister (c’est elle qui a permis sa
constitution et non l’inverse), sa présence active lui donne l’occasion de
déployer sa prolifique somptuosité.
Survivre à une nature ravagée replacerait
l’humain sur une voie qu’il avait pourtant choisi d’éviter dès le départ :
celle de se retrouver isolé, aux prises avec le déplaisir de l’angoisse
existentielle dans un monde sans aucune autre vie que la sienne. Est-ce cela
que nous voulons?
Mutiler la Terre, c’est donc beaucoup plus
que mettre en péril l’existence de l’humanité. C’est d’abord nier le sens
ultime de notre existence comme témoin privilégié d’un environnement
prodigieux. Vivre sans tenir compte de ce rôle, ce n’est déjà plus vivre, c’est
tenter bêtement de survivre sans aucune raison d’être.
Source :
OPINION La Presse+ 06/12/2015
QUESTIONNAIRE
By Wendell Berry
1. How much poison are you willing
to eat for the success of the free
market and global trade? Please
name your preferred poisons.
2. For the sake of goodness, how much
evil are you willing to do?
Fill in the following blanks
with the names of your favorite
evils and acts of hatred.
3. What sacrifices are you prepared
to make for culture and civilization?
Please list the monuments, shrines,
and works of art you would
most willingly destroy.
4. In the name of patriotism and
the flag, how much of our beloved
land are you willing to desecrate?
List in the following spaces
the mountains, rivers, towns, farms
you could most readily do without.
5. State briefly the ideas, ideals, or hopes,
the energy sources, the kinds of security,
for which you would kill a child.
Name, please, the children whom
you would be willing to kill.
~~~
I prefer skin to anatomy, green grass
to buried rocks, terra firma to the view
from anywhere higher than a tree.
(Wendell
Berry)
~~~
Best of any song
is a bird song
in the quiet, but first
you must have the quiet.
(Wendell
Berry)
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