26 février 2013

Encombrement


Certaines personnes collectionnent un peu, d’autres s’encombrent et d’autres encore thésaurisent. La thésaurisation (aussi appelée ramassage compulsif et syndrome de thésaurisation compulsive) est considérée comme une maladie psychologique et qu’on associe également au Trouble de déficit d’attention et d’hyperactivité (TDAH). Si votre niveau d’encombrement tombe dans cette catégorie, il existe des traitements et des groupes de soutien pouvant répondre à vos besoins particuliers.

Par exemple, la thésaurisation peut se manifester par la collecte excessive d'éléments qui ont une valeur limitée ou qui n’en ont aucune, comme des journaux et même des déchets. Les symptômes liés au TDAH incluent la difficulté de terminer ses tâches, d’organiser ses activités, et une aversion des tâches qui nécessitent un effort mental soutenu, souvent perdu au profit d’à-côtés inutiles.

Le groupe de soutien à but non lucratif Clutterless a créé ce questionnaire pour vous aider à déterminer si votre tendance à accumuler perturbe votre vie. Il ne s’agit pas d’un outil de diagnostic comme tel, mais il pourra vous situer.

1. Vous sentez-vous dépassé quand vous pensez à votre encombrement d’objets?

2. Avez-vous essayé de «nettoyer» ou de «vous organiser» à plusieurs reprises, sans résultats durables?

3. Avez-vous honte si vous recevez des gens chez vous?

4. Vous sentez-vous plus confus dans votre maison qu’à l’extérieur?

5. Achetez-vous en plus grande quantité que nécessaire au cas où «les stocks s’épuiseraient?»

6. Avez-vous acheté plusieurs copies d'un même livre, logiciel ou autre, parce que vous n’arriviez pas à retrouver celui que vous possédiez déjà au moment où vous en aviez besoin?

7. Votre partenaire vous a-t-il déjà fait part de son désarroi vis-à-vis de votre façon de vivre?

8. Passez-vous toujours d'une tâche à une autre avec l’impression de ne jamais rien accomplir?

9. Avez-vous plus de facilité à vous concentrer dans une ambiance bruyante?

10. Vous laissez-vous facilement distraire?

11. Lorsque vous commencez à désencombrer, pensez-vous : «à quoi bon, ça va encore s’encombrer!»?

12. Gardez-vous des objets brisés en pensant : «ils seront peut-être utiles un jour» ou «je vais les réparer un jour»?

13. Collectionnez-vous les relations superficielles qui ne vous servent pas en vous disant : «c’est le mieux que je peux faire»?

14. Avez-vous l'impression que vous n’en aurez jamais assez? Croyez-vous que vous ne méritez pas mieux que ce que vous avez?

15. Voyez-vous davantage d’«insuffisance» que de prospérité dans votre vie?

16. Trouvez-vous difficile de trier ce qui est utile de garder et ce qui ne l'est pas?

17. Êtes-vous obsédé par les provisions alimentaires? Avez-vous suffisamment de conserves pour nourrir tout le quartier?

18. Gardez-vous des ordures – des boîtes vides de fastfood, des emballages, de vraies vidanges, des déchets nauséabonds, etc.?

Pointage

4 réponses affirmatives ou moins :
Vous n’êtes probablement pas un ramasseur compulsif  – sauf si vous vous sentez tellement dépassé que vous paralysez.

5 réponses affirmatives ou plus :
Vous êtes peut-être désorganisé de façon chronique : un ramasseur compulsif. Vous auriez probablement avantage à fréquenter un groupe de soutien.

Réponses affirmatives aux questions 8, 9 et 10 :
Voici les tendances les plus typiques du TDAH – même si de nombreux ramasseurs compulsifs n’ont pas ces symptômes, il pourrait être utile d'investiguer la question en profondeur. Pour plus d'informations :  
http://www.cmha.ca/fr/sante-mentale/comprendre-la-maladie-mentale/les-troubles-deficitaires-de-l%E2%80%99attention/

Réponses affirmatives aux questions 17 et 18 :
Vous avez réellement besoin d’aide...

Source : Care2
(Traduction/adaptation maison)

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Photo : Clutter Ninja
(Condensé)

Principales raisons sous-jacentes à l’accumulation de possessions – les plus fréquentes :

1. La sécurité – peur d’une pénurie quelconque.  
2. L’image de soi et la valorisation – vêtements, bijoux, gadgets, accessoires.
3. L’attachement aux souvenirs – albums de photos, mémos, cadeaux, agendas, vieux vêtements reliés à des émotions du passé.
4. L’amour – objets ayant une valeur sentimentale rattachée au passé.
5. L’amélioration de soi – livres, équipement d’exercice ou de sport, symbolisant la possibilité de s’améliorer…
6. Le réconfort – le sentiment de solitude ou de frustration peut pousser à l’achat compulsif d’objets dont on n’a pas besoin – le toutou, le dernier gadget intelligent, l’énième paire de chaussure.
7. La procrastination – nous savons que nous n’avons pas besoin de ces choses, mais nous négligeons de nous en défaire par négligence; il est plus facile d’empiler et de reporter que de tout ramasser et d’aller au centre de recyclage.
8. L’enthousiasme – équipement de camping et de sport, vélos de montagne, vêtements spécialisés, valises, etc., en prévision de futures excursions; des outils, logiciels et jeux vidéo... en espérant un jour avoir du temps et plus de fun.

Par Monique, Clutter Ninja

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COMMENTAIRE

Le ramassage compulsif peut facilement se transposer à l’ordinateur et au téléphone intelligent. Combien de favoris qu’on ne revisite jamais?! Bénéfique de faire un ménage de ce côté-là de temps à autre. 

Si le minimalisme vous intéresse, voyez «Refonte 1 et 2» :
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2012/06/refonte-1.html
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2012/06/refonte-2.html


Et : http://artdanstout.blogspot.ca/2012/07/aimer-sans-posseder.html

25 février 2013

Votre chat complote-t-il pour vous tuer?


Mon chat NE VEUT PAS que je lise ce livre...  

Humour félinofriendly
 

Il vous masse
Vous pouvez croire qu’il s’agit d’une démonstration d’affection, mais en fait votre chat cherche les faiblesses de vos organes internes.
 
Il vomit du gazon
À travers ce processus d’ingestion et de régurgitation, les chats se préparent mentalement au combat.
 
Pelletage excessif de litière
Après avoir utilisé sa litière votre chat envoie de la litière partout autour, de sorte qu’elle se répand dans toute la pièce.
 
Il se cache dans des endroits sombres et vous surveille
Votre chat se cache souvent pour vous étudier dans votre habitat naturel.
 
Compétition "fixer du regard"
Si vous vous faites prendre à compétionner avec votre chat, ne détournez pas les yeux. Regarder ailleurs indiquera à votre chat que vous êtes faible, et une attaque s’ensuivra.
 
Il dort sur vos appareils électroniques  
Les humains sont supérieurs en technologie. Votre chat le sait et il essaiera de vous couper de toute communication avec le monde extérieur.
 
Il vous apporte des animaux morts
Ce n’est pas un cadeau, c’est un avertissement.
 
Il surgit à la vitesse de la lumière dans chaque pièce où vous entrez  
Lorsque votre chat fait cela, il s’agit en fait d’une fausse embuscade.
 

21 février 2013

Rapport «humain»


[]
La loi est celle du plus fort. Du premier venu. Pousse-toi de là que je m’y mette. Ceci est à moi. On s’approprie quelque chose d’extérieur de manière à devenir la chose appropriée. Ceci est à moi ou ceci est moi. Toute atteinte à cette chose, ici, la part de tourte ou le petit gâteau, est une atteinte à ce que nous sommes. Une violence potentielle œuvre en creux des rapports humains. Le buffet commun se transforme en lieu de lutte, de rapports de force, inégal, sans partage. Ceci est à moi – ou comment produire de l’hystérie dans les choses, les territoires. La menace est continuelle. Autrui n’est pas mon semblable. Nous ne sommes plus des consciences. Autrui se réduit à une fonction négative : celui qui peut me prendre ma part. L’intrus. Que faire? Peut-être nous rappeler que cet autre existe au même titre et en même temps que moi, que son existence n’est pas moins légitime que la mienne, que nous avons faim et soif tous deux. Ou alors, c’est succomber à la logique des «suspects». Moi contre toi. Tous contre tous.

[]
Faisons comme si : comme si la table du buffet était l’objet d’un accord commun, antérieur, implicite, accord qui ne voudrait exclure personne sur le mode de la force et de la violence, même civilisées par l’habitude et les contraintes (ou les étiquettes) sociales. Faisons comme si, au moment de manger, nous souhaiterions que tous mangent et mangent dans de bonnes conditions et satisfassent leurs appétits avec mesure, politesse, respect et considération : non seulement de l’autre mais d’une sorte de bien commun, ce contrat lui-même. Admettons dans ce contrat que le désir de chacun ait aussi pour objet la qualité du rapport humain. Un certain sens de l’amitié (on pourrait dire «fraternité» ou «solidarité») et de ce qui convient à soi parce que cela convient aussi et en même temps à tous.

Autre manière de dire avec Orphée que la musique adoucit les mœurs.

Marie-Noëlle Agniau
La guerre des buffets

MÉDITATIONS DU TEMPS PRÉSENT
La philosophie à l’épreuve du quotidien 2
L’Harmattan

19 février 2013

Le cercle du beau

"Moïse, voici Steve. Il va mettre tes tablettes à jour..." 

J’ai tellement ri en entendant ces vérités enrobées d’humour à la radio, hum...

Le cercle du beau
Par Mathieu Héroux**

J'haïs la technologie. Je vais l'haïr jusqu'au jour où j'aurai l'argent pour m'y intéresser. Je suis comme ça avec tout. Profond avant d'avoir les moyens de devenir superficiel. J'haïs les voitures jusqu'à ce que je puisse m'en payer une pas de rouille. J'haïs la mode jusqu'à ce que je reçoive une carte-cadeau du Dix30 pour Noël et que je puisse m'acheter un jeans à 300 $. Je ne suis pas un gars d'apparence. Je suis quelqu'un qui aime la grandeur d'âme jusqu'à ce que j'aie le choix d'aller dans un coin sombre avec une fille d'Occupation double ou une Ph.D.

Je n'ai pas besoin de posséder le beau avant que ce ne soit le beau véritable. Avant qu'il soit légitime que je le possède et que je puisse le saisir à deux mains pour l'étreindre, le serrer d'amour jusqu'à ce qu'il ne respire plus, comme on le fait avec des petits enfants ou des petits animaux qu'on trouve trop trognons.

J'avais un téléphone normal et je ne voulais rien de plus. Il n'était pas intelligent. Je le suis. Et deux entités intelligentes ensemble ça fait des frictions. «Qu'est-ce que tu fais avec ton vieux téléphone? Moi, je peux aller sur Internet.» Fous-moi la paix. Je n'en veux pas. J'ai un téléphone. Un téléphone, c'est fait pour appeler.

Un appel : «Ke-woi?» Vous-m'offrez-le-nouveau-iPhone-gratuitement-avec-un-contrat-de-trois-ans? Juste à moi? Parce que je suis un bon élève! Merci.

Ce qu'on aime, c'est se sentir spécial. On peut dire à une femme qu'elle est la plus craquante jamais vue et, bien qu'elle sache que c'est Sophie Marceau qui tapisse notre fond d'écran d'ordinateur, elle esquissera un sourire gêné parce qu'elle se sentira unique. Et ça, les compagnies de téléphone l'ont compris. Ils ont juste à prononcer les mots : «On vous a choisi».

Trois jours de suite à attendre le facteur avec un verre de lait et des biscuits pour finalement le voir arriver avec la petite boîte. Je signe son papier, on se salue de la tête (un salut qui voulait me dire : bienvenue parmi nous), il boit le verre de lait et mange les biscuits, j'ouvre la boîte. C'est comme avoir le nouveau-né de ton meilleur ami dans les bras. On devient soudainement bête, les mains pleines de pouces comme si c'était la première fois de notre vie qu'on tenait un objet.

J'ai appuyé sur le bouton rond du téléphone et d'immenses ailes blanches me sont poussées dans le dos. Le corps léger, les fenêtres de mon salon se sont ouvertes et je me suis envolé. J'ai survolé Montréal, le GPS de mon téléphone comme sherpa, jusqu'au petit matin. C'est le pouvoir du beau. Ça simplifie la vie, ça crée des rapports, des envolées. Une fois entré dans la communauté du iPhone, dans le cercle du beau, on ne peut plus s'en sortir. À l'instar d'une secte, entre iPhoneux, on se salue discrètement de la main, sachant que nous, nous avons compris la game.

Source : Première Chaîne de Radio Canada, Les années lumière, 13 février 2013
http://zonedecriture.radio-canada.ca/affiche/les-ecrivains-et-la-science/index.html

** Jeune auteur à l'écriture urbaine et cinématographique, Mathieu Héroux termine ses études en écriture dramatique à l'École nationale de théâtre du Canada en mai 2012. Provenant du milieu du rap, il se tourne vers l'écriture dramatique au début de la vingtaine. Il gardera toutefois les traces de son passage dans la chanson en abordant des thèmes durs, en ponctuant ses textes de répliques courtes et de scènes rythmées. Abordant souvent le texte dramatique sous la forme du conte – autant pour enfants que pour adultes , il explore la fuite dans l'imaginaire, un thème omniprésent dans son univers.

«Mathieu Héroux a le tempérament bouillant d'un écrivain qui n'a pas fini de surprendre. Au théâtre, il est doué d'un esprit caustique qui donne à ses personnages une belle complexité; ils sont fragiles en apparence, façonnés avec un humour subtil, qui laisse entrevoir – pour lui donner ensuite toute la place –, une vie intérieure qui nous plonge au cœur de nos propres émotions.»
~ Normand Chaurette

Zzzzzzzzz

Crédit photo : ?

Quelle harmonie de design et de couleurs entre le coussin et le chat!
Irrrrrrrésistible.

Les propriétaires ont-ils acheté le canapé pour matcher avec le minou ou l’inverse? Question existentielle… 

Quant à la maîtrise des postures de sommeil, on peut dire que les chats méritent des médailles d’or. Il fait dodo le petit là...  

Commentaire sous la photo (du pps) :
The Half Sit-up
To achieve the half sit-up, you must begin with the intention of exercising your abs and promptly fall asleep midway through the task. This position is extremely advanced and not recommended for amateur sleepers.

16 février 2013

Musique née du silence

Anouar Brahem Quartet



Anouar Brahem : oud
Klaus Gesing : clarinette basse  
Björn Meyer : basse
Khaled Yassine : percussions
http://www.anouarbrahem.com/
 
Anouar Brahem est un compositeur et improvisateur d’origine tunisienne.
Son instrument : le luth oriental, l’oud pour être précis.
 
Après avoir écouté quelques-unes de ses pièces, je suis envoûtée. Je vous laisse juges de la virtuosité des musiciens…
 
Citations extraites d’une interview avec Anouar Brahem :  
http://www.evene.fr/musique/actualite/anouar-brahem-jazz-astounding-eyes-rita-2484.php :
 
«La musique naît du silence; il en est la base, la toile sur laquelle elle émerge. Plus parlant qu'on ne le pense, le silence me permet de créer du sens, de mettre la musique en perspective. Un peu comme les non-dits dans un film de Bergman, si vous voulez... ou dans la vie courante!»
 
«L'art se situe pour moi dans la coïncidence de deux sensibilités, celle qui émet et celle qui reçoit, sur un pied d'égalité. D'où cette volonté d'équilibre, qui laisse d'ailleurs l'auditeur libre ne pas aimer ce que je fais.»
 
«Cette dimension méditative, liée au silence, en incommode beaucoup ! Pour le comprendre, il suffit d'observer l'usage de la musique dans les cafés, les restaurants, les ascenseurs... Tous ces lieux où elle semble imposée pour combler l'espace mental. Car l'oreille est un organe qui travaille en permanence, et les musiques de centre commercial me paraissent aussi pénibles qu'autoritaires ! Seulement, j'imagine qu'elles répondent à un besoin assez commun, face à une angoisse du vide que je ne partage pas... mais que je ne saurais blâmer.»

Cette vidéo a été créée par Juan Carlos Hernandez, photographe
Blog Life Photographer: http://juancarloshernandezphotographe...
http://juancarloshernandezphotographe.blogspot.ca/

 
Intéressants les messages de ce photographe – exemple :
«Mon père, aujourd'hui ,15 novembre 2012, est mort, il y a 8 ans. Je lui rends hommage. Lui, dont le travail était aussi noble que mal payé : à savoir fabriquer et monter des systèmes de chauffage.
       Je ne peux m'empêcher de penser aussi à l'armée de diplômés universitaires qui actuellement n'ont aucun scrupule à contribuer à la destruction de la société, souvent sans en avoir conscience, en se comportant comme des soldats de la mondialisation en prétextant qu'ils ne font rien d'illégal. A vrai dire, nous sommes beaucoup à faire des choses qui vont contre notre conscience, pour gagner notre croûte. On courbe, on plie l'échine.»

14 février 2013

Un brin de flamme

Je t'aimerai toujours.
Crédit illustration : Le coin cocasse, Carlton

Pour clore la Saint-Valentin en beauté, parmi les grands classiques, ce superbe poème de Jacques Prévert, car après tout, cette fête reste consacrée aux amoureux.

CET AMOUR
Jacques Prévert


Cet amour
Si violent
Si fragile
Si tendre
Si désespéré
Cet amour
Beau comme le jour
Et mauvais comme le temps
Quand le temps est mauvais
Cet amour si vrai
Cet amour si beau
Si heureux
Si joyeux
Et si dérisoire
Tremblant de peur comme un enfant dans le noir
Et si sûr de lui
Comme un homme tranquille au milieu de la nuit
Cet amour qui faisait peur aux autres
Qui les faisait parler
Qui les faisait blêmir
Cet amour guetté
Parce que nous le guettions
Traqué blessé piétiné achevé nié oublié
Parce que nous l'avons traqué blessé piétiné achevé nié oublié
Cet amour tout entier
Si vivant encore
Et tout ensoleillé
C'est le tien
C'est le mien
Celui qui a été
Cette chose toujours nouvelles
Et qui n'a pas changé
Aussi vraie qu'une plante
Aussi tremblante qu'un oiseau
Aussi chaude aussi vivante que l'été
Nous pouvons tous les deux
Aller et revenir
Nous pouvons oublier
Et puis nous rendormir
Nous réveiller souffrir vieillir
Nous endormir encore
Rêver à la mort
Nous éveiller sourire et rire
Et rajeunir
Notre amour reste là
Têtu comme une bourrique
Vivant comme le désir
Cruel comme la mémoire
Bête comme les regrets
Tendre comme le souvenir
Froid comme le marbre
Beau comme le jour
Fragile comme un enfant
Il nous regarde en souriant
Et il nous parle sans rien dire
Et moi j'écoute en tremblant
Et je crie
Je crie pour toi
Je crie pour moi
Je te supplie
Pour toi pour moi et pour tous ceux qui s'aiment
Et qui se sont aimés
Oui je lui crie
Pour toi pour moi et pour tous les autres
Que je ne connais pas
Reste là
Là où tu es
Là où tu étais autrefois
Reste là
Ne bouge pas
Ne t'en va pas
Nous qui sommes aimés
Nous t'avons oublié
Toi ne nous oublie pas
Nous n'avions que toi sur la terre
Ne nous laisse pas devenir froids
Beaucoup plus loin toujours
Et n'importe où
Donne-nous signe de vie
Beaucoup plus tard au coin d'un bois
Dans la forêt de la mémoire
Surgis soudain
Tends-nous la main
Et sauve-nous.

L'amour et la mort

En Espagne... photographe inconnu

Les critiques de Louise Ackermann l’ont souvent qualifiée de pessimiste. Bien sûr, on a toujours confondu «lucidité» avec pessimisme, défaitisme, dépression, etc. Ce qui est tout à fait ridicule. La vraie vie est très différente des fantasmes et des rêves qui nous hantent, mais cela ne lui enlève rien, au contraire. Ackermann exprimait simplement ce qu’elle vivait, voyait et ressentait. C’est tout.

Elle disait dans son autobiographie :
«Quoi qu'il en soit, je n'ai jamais écrit qu'à bâtons rompus, au hasard de mes admirations et de mes émotions, le plus souvent pour moi seule. Mes tentatives de publicité n'avaient pas réussi. [...] Je me taisais donc, ou à peu près. Entre une pièce et l'autre il y avait souvent des années de silence. C'est seulement lorsque j'étais trop fortement saisie par une idée que je me décidais à l'exprimer; je n'avais que ce moyen de m'exprimer; je n'avais que ce moyen de m'en délivrer. [...] Considéré de loin, à travers mes méditations solitaires, le genre humain m'apparaissait comme le héros d'un drame lamentable qui se joue dans un coin perdu de l'univers, en vertu de lois aveugles, devant une nature indifférente, avec le néant pour dénouement. L'explication que le christianisme s'est imaginé d'en donner n'a apporté à l'humanité qu'un surcroît de ténèbres, de luttes et de tortures. [...] Contemplateur à la fois compatissant et indigné, j'étais parfois trop émue pour garder le silence. Mais c'est au nom de l'homme collectif que j'ai élevé la voix; je crus même faire œuvre de poète en lui prêtant des accents en accord avec les horreurs de sa destinée.» (Nice, ce 20 janvier 1874)

Cette poétesse a néanmoins eu l’audace d’écrire, même si sa mère a tenté de l’en empêcher. Louise-Victorine Choquet ne souhaitait pas se marier, mais elle épousa le linguiste français Paul Ackermann qui en était sincèrement amoureux : «Je me serais donc passée sans peine de tout amour dans ma vie; mais rencontrant celui-là, si sincère et si profond, je n'eus pas le courage de le repousser. Je me mariai donc, mais sans entraînement aucun; je faisais simplement un mariage de convenance morale.» Ce mariage fut néanmoins heureux, mais de courte durée car son compagnon mourut à 34 ans.

On peut supposer qu’elle a écrit ce poème après le décès de Paul Ackermann. Il faut dépasser les premières strophes pour y voir autre chose que du soi-disant pessimisme…  

L’amour et la mort
Louise Ackermann 
(à M. Louis de Ronchaud)

I
Regardez-les passer, ces couples éphémères !
Dans les bras l’un de l’autre enlacés un moment,
Tous, avant de mêler à jamais leurs poussières,
Font le même serment :

Toujours ! Un mot hardi que les cieux qui vieillissent
Avec étonnement entendent prononcer,
Et qu’osent répéter des lèvres qui pâlissent
Et qui vont se glacer.

Vous qui vivez si peu, pourquoi cette promesse
Qu’un élan d’espérance arrache à votre cœur,
Vain défi qu’au néant vous jetez, dans l’ivresse
D’un instant de bonheur ?

Amants, autour de vous une voix inflexible
Crie à tout ce qui naît : « Aime et meurs ici-bas ! »
La mort est implacable et le ciel insensible ;
Vous n’échapperez pas.

Eh bien ! puisqu’il le faut, sans trouble et sans murmure,
Forts de ce même amour dont vous vous enivrez
Et perdus dans le sein de l’immense Nature,
Aimez donc, et mourez !

II
Non, non, tout n’est pas dit, vers la beauté fragile
Quand un charme invincible emporte le désir,
Sous le feu d’un baiser quand notre pauvre argile
A frémi de plaisir.

Notre serment sacré part d’une âme immortelle ;
C’est elle qui s’émeut quand frissonne le corps ;
Nous entendons sa voix et le bruit de son aile
Jusque dans nos transports.

Nous le répétons donc, ce mot qui fait d’envie
Pâlir au firmament les astres radieux,
Ce mot qui joint les cœurs et devient, dès la vie,
Leur lien pour les cieux.

Dans le ravissement d’une éternelle étreinte
Ils passent entraînés, ces couples amoureux,
Et ne s’arrêtent pas pour jeter avec crainte
Un regard autour d’eux.

Ils demeurent sereins quand tout s’écroule et tombe ;
Leur espoir est leur joie et leur appui divin ;
Ils ne trébuchent point lorsque contre une tombe
Leur pied heurte en chemin.

Toi-même, quand tes bois abritent leur délire,
Quand tu couvres de fleurs et d’ombre leurs sentiers,
Nature, toi leur mère, aurais-tu ce sourire
S’ils mouraient tout entiers ?

Sous le voile léger de la beauté mortelle
Trouver l’âme qu’on cherche et qui pour nous éclot,
Le temps de l’entrevoir, de s’écrier : « C’est Elle ! »
Et la perdre aussitôt,

Et la perdre à jamais ! Cette seule pensée
Change en spectre à nos yeux l’image de l’amour.
Quoi ! ces vœux infinis, cette ardeur insensée
Pour un être d’un jour !

Et toi, serais-tu donc à ce point sans entrailles,
Grand Dieu qui dois d’en haut tout entendre et tout voir,
Que tant d’adieux navrants et tant de funérailles
Ne puissent t’émouvoir,

Qu’à cette tombe obscure où tu nous fais descendre
Tu dises : « Garde-les, leurs cris sont superflus.
Amèrement en vain l’on pleure sur leur cendre ;
Tu ne les rendras plus ! »

Mais non ! Dieu qu’on dit bon, tu permets qu’on espère ;
Unir pour séparer, ce n’est point ton dessein.
Tout ce qui s’est aimé, fût-ce un jour, sur la terre,
Va s’aimer dans ton sein.

III
Éternité de l’homme, illusion ! chimère !
Mensonge de l’amour et de l’orgueil humain !
Il n’a point eu d’hier, ce fantôme éphémère,
Il lui faut un demain !

Pour cet éclair de vie et pour cette étincelle
Qui brûle une minute en vos cœurs étonnés,
Vous oubliez soudain la fange maternelle
Et vos destins bornés.

Vous échapperiez donc, ô rêveurs téméraires
Seuls au Pouvoir fatal qui détruit en créant ?
Quittez un tel espoir ; tous les limons sont frères
En face du néant.

Vous dites à la Nuit qui passe dans ses voiles :
« J’aime, et j’espère voir expirer tes flambeaux. »
La Nuit ne répond rien, mais demain ses étoiles
Luiront sur vos tombeaux.

Vous croyez que l’amour dont l’âpre feu vous presse
A réservé pour vous sa flamme et ses rayons ;
La fleur que vous brisez soupire avec ivresse :
« Nous aussi nous aimons ! »

Heureux, vous aspirez la grande âme invisible
Qui remplit tout, les bois, les champs de ses ardeurs ;
La Nature sourit, mais elle est insensible :
Que lui font vos bonheurs ?

Elle n’a qu’un désir, la marâtre immortelle,
C’est d’enfanter toujours, sans fin, sans trêve, encor.
Mère avide, elle a pris l’éternité pour elle,
Et vous laisse la mort.

Toute sa prévoyance est pour ce qui va naître ;
Le reste est confondu dans un suprême oubli.
Vous, vous avez aimé, vous pouvez disparaître :
Son vœu s’est accompli.

Quand un souffle d’amour traverse vos poitrines,
Sur des flots de bonheur vous tenant suspendus,
Aux pieds de la Beauté lorsque des mains divines
Vous jettent éperdus ;

Quand, pressant sur ce cœur qui va bientôt s’éteindre
Un autre objet souffrant, forme vaine ici-bas,
Il vous semble, mortels, que vous allez étreindre
L’Infini dans vos bras ;

Ces délires sacrés, ces désirs sans mesure
Déchaînés dans vos flancs comme d’ardents essaims,
Ces transports, c’est déjà l’Humanité future
Qui s’agite en vos seins.

Elle se dissoudra, cette argile légère
Qu’ont émue un instant la joie et la douleur ;
Les vents vont disperser cette noble poussière
Qui fut jadis un cœur.

Mais d’autres cœurs naîtront qui renoueront la trame
De vos espoirs brisés, de vos amours éteints,
Perpétuant vos pleurs, vos rêves, votre flamme,
Dans les âges lointains.

Tous les êtres, formant une chaîne éternelle,
Se passent, en courant, le flambeau de l’amour.
Chacun rapidement prend la torche immortelle
Et la rend à son tour.

Aveuglés par l’éclat de sa lumière errante,
Vous jurez, dans la nuit où le sort vous plongea,
De la tenir toujours : à votre main mourante
Elle échappe déjà.

Du moins vous aurez vu luire un éclair sublime ;
Il aura sillonné votre vie un moment ;
En tombant vous pourrez emporter dans l’abîme
Votre éblouissement.

Et quand il régnerait au fond du ciel paisible
Un être sans pitié qui contemplât souffrir,
Si son œil éternel considère, impassible,
Le naître et le mourir,

Sur le bord de la tombe, et sous ce regard même,
Qu’un mouvement d’amour soit encor votre adieu !
Oui, faites voir combien l’homme est grand lorsqu’il aime,
Et pardonnez à Dieu !

Poésies Philosophiques, publié en 1871 

Il est étrange que, parfaitement certains de la brièveté de la vie, nous prenions tant à coeur les intérêts qui s'y rapportent. Quelle est cette activité, ce mouvement, à l'entour de places et de richesses dont nous aurons si peu de temps à jouir ? Et ces pleurs sur des morts chéris que nous irons rejoindre demain ? L'homme sait tout cela, et cependant il s'agite, il s'inquiète, il s'afflige, comme si la fin de ces empressements et de ces larmes n'était pas prochaine, et nulle philosophie ne peut lui donner sur toutes choses l'indifférence qui convient à un condamné à mort sans espoir ni recours.
~ Louise Ackermann
Pensées d'une solitaire, publié en 1903

9 février 2013

Petit et peureux


“In the end, we are only tiny frightened animals, doing our best to survive amid other tiny frightened animals.” 
~ James Hollis 

[En fin de compte, nous ne sommes que de petits animaux peureux faisant de leur mieux pour survivre parmi d’autres petits animaux peureux.] 

James Hollis, Ph.D., is a licensed Jungian analyst. He has written eight books published by Inner City Books, a Jungian-oriented press located in Toronto, Canada; he has also written three books published by Gotham Press, a division of Penguin, and two books published by academic presses. His books have been translated into Swedish, Russian, German, Spanish, French, Hungarian, Portuguese, Turkish, Italian, Korean, Finnish, Romanian, Bulgarian, Farsi, Japanese, and Czech.
http://www.jameshollis.net/welcome.htm

Dernière publication :
What Matters Most: Living a More Considered Life (2009) 

This book is designed to stir thoughts in the reader, possibly to reorient directions, priorities, and values. If we fail to engage in some form of cogent dialogue with the questions which emerge from our depths, then we will live an unconscious, unreflective, accidental life.... Having a more interesting life, a life that disturbs complacency, a life that pulls us out of the comfortable and thereby demands a larger spiritual engagement than we planned or that feels comfortable, is what matters most.

Recent article: Embracing Mortality, Living Authentically
http://www.huffingtonpost.com/dr-james-hollis/embracing-mortality-livin_b_466666.html

7 février 2013

Le train de l’éveil

Essigny-le-Petit : gare désaffectée
Images de Picardie de CRDP de l’Académie d’Amiens
 
La parabole de Mushin
 
Il y avait une fois un jeune homme qui s’appelait Joe et qui habitait la ville de Bonne-Espérance. Comme Joe se passionnait pour l’étude du dharma*, il avait pris un nom bouddhiste et se faisait appeler Mushin.
 
À part cela, Joe vivait comme tout le monde : il allait travailler tous les jours et il avait une charmante épouse. Cependant, malgré tout l’intérêt que Joe professait pour le dharma, il faut reconnaitre que c’était plutôt un macho, un type assez amer, un m’as-t-vu qui croyait tout savoir. Il finit même par se rendre tellement insupportable au travail qu’un beau jour, son patron le renvoya en lui déclarant qu’il en avait assez. Et voilà notre Joe, chômeur, qui rentre à la maison où il découvre une lettre de sa femme : « J’en ai assez, Joe. Je te quitte. » Et Joe se retrouve tout seul chez lui, en tête à tête avec lui-même.
 
Cependant, notre Joe, alias Mushin, n’étant pas du tout du genre à baisser les bras facilement, ne se démonta pas et jura que, s’il n’avait pas su garder sa femme et son boulot, il réussirait néanmoins à trouver la seule chose qui compte vraiment dans la vie : l’éveil. Et le voilà qui court jusqu’à la librairie la plus proche et qui passe au peigne fin toutes les dernières parutions traitant des moyens d’atteindre l’éveil. Et là, il trouve un livre qui lui parait plus intéressant que les autres, intitulé : Comment sauter dans le train de l’éveil. Joe achète aussitôt le livre et l’étudie à fond, après quoi il rentre chez lui, il liquide son appartement, il met toutes ses affaires dans un sac à dos et part pour la gare qui se trouve à la lisière de la ville. Il a en effet lu dans son livre qu’en suivant bien toutes indications, il trouverait le fameux train et saurait comment s’y prendre pour monter dedans. « Formidable », s’est-il dit.
 
Voilà donc Joe qui arrive à la gare – désaffectée –, qui relit soigneusement son livre et qui apprend par cœur toutes les indications et recommandations diverses. Et puis il s’installe pour attendre. Et il attend : deux jours, trois jours, quatre jours – il attend le grand train de l’éveil, car le livre a bien dit qu’il ne pouvait manquer de venir; et Mushin fait toute confiance à son livre. Enfin, le quatrième jour, il entend un grand bruit, dans le lointain, et le bruit se rapproche de plus en plus. Sachant que ce doit être le fameux train qui arrive, Mushin se prépare. Il est là, si excité de voir le train qui entre en gare; c’est vraiment incroyable! Et puis, soudain, vroom… même pas le temps de dire ouf, et le grand bolide métallique est déjà passé. Parti, envolé. Alors que faire, maintenant? Ce train existe bel et bien, il l’a vu. Mais il n’a pas pu y monter. Alors il se replonge dans son bouquin et se remet à l’étudier d’arrache-pied. Mais, chaque fois que le train arrive, c’est toujours le même scénario…
 
Le temps passant, d’autres gens s’étaient rendus à la librairie et avaient acheté le même livre que Mushin. Joe les vit bientôt débarquer à la gare; il y en eut d’abord quatre ou cinq, puis une vingtaine, puis une trentaine, venus eux aussi pour attendre le fameux train. La température montait, les gens étaient très excités : la Solution était là, enfin, à portée de main. Et bien que personne n’ait réussi à y monter, les gens gardaient quand même l’espoir que quelqu’un finirait bien par y parvenir, un jour, et que cela inspirerait les autres à en faire de même. Ainsi, le groupe grossit-il de jour en jour; l’espoir et l’enthousiasme étaient à leur comble.
 
Quelque temps plus tard, Mushin se rendit compte que certains avaient amené leurs enfants avec eux et, les parents étaient tellement absorbés par l’attente du train qu’ils ne s’occupaient pas du tout de leur progéniture. Les gosses, qui essayaient bien d’attirer l’attention de leur père ou de leur mère, se voyaient rabroués sans ménagement : « Fiche nous la paix, va donc jouer! » Ces petits étaient vraiment sérieusement négligés; et comme Mushin n’était pas vraiment un si mauvais bougre, au fond, il se dit qu’il ne pouvait pas laisser ces gosses comme ça, même s’il préférait continuer à guetter le train comme tout le monde. Alors il entreprit de s’occuper un peu d’eux; il sortit de son sac à dos ses provisions de fruits secs et de chocolat, et les distribua aux gamins et aux gamines, dont certains étaient véritablement affamés. Si les parents ne semblaient pas avoir le temps de sentir leur faim, les gosses, eux, avaient l’estomac dans les talons – sans parler de leurs genoux écorchés! Mushin leur fit des pansements avec du sparadrap trouvé dans son sac, et il se mit à leur lire des histoires dans leurs petits livres.
 
Certes, il allait bien toujours guetter l’arrivée du train de temps en temps, mais les gosses ne tardèrent pas à devenir sa préoccupation numéro un. D’ailleurs, il y en avait de plus en plus, et même toute une bande d’adolescents, au bout de quelque mois. Et comme les ados ont de l’énergie à revendre et qu’elle tourne mal si elle reste inoccupée, Mushin les prit par la main et organisa une équipe de baseball qu’il faisait jouer derrière la gare. Il les mit aussi au jardinage, histoire de les occuper utilement, et encouragea même les plus sages d’entre eux à le seconder dans ses tâches d’organisation. En un rien de temps, il s’était effectivement retrouvé à la tête d’une énorme somme d’activités, si bien qu’il avait de moins en moins le temps d’aller guetter le train. Ce qui le faisait d’ailleurs frémir de rage et verdir d’amertume : l’important se passait là-bas, à guetter le train – ce que faisaient du reste les adultes – mais il fallait que ce soit lui qui se retrouve coincé là, avec les gosses! Il continuait malgré tout à s’occuper d’eux sans relâche, puisqu’il savait qu’il fallait bien le faire.
 
Au fil des mois puis des années, des centaines, puis de milliers de gens affluèrent à la gare pour venir attendre le train avec armes et bagages, enfants et famille élargie. Mushin ne savait plus où donner de la tête avec toutes cette marmaille; il dut même entreprendre d’agrandir la gare. Il dut prévoir de nouveaux locaux pour faire coucher les gens, et finit même par construire une poste et des écoles… Mushin était débordé; il travaillait du matin au soir, il n’avait plus un instant à lui. Et cependant, il restait tenaillé par la colère et le ressentiment. « Tout ce qui m’intéresse, c’est l'éveil, vous savez. Pourtant, tout le monde est là à guetter le train, et pendant ce temps-là, qu’est-ce que je fais, moi? » Mais il persévérait malgré tout…
 
Un beau jour, il se souvint qu’il devait encore avoir un petit livre dans son sac que, par hasard, il n’avait pas jeté avec les autres, en vidant son appartement. Il tira des profondeurs du sac à dos un petit opuscule qui s’intitulait : Comment faire zazen. Encore de nouvelles instructions à étudier, se dit Joe, mais constatant que celles-ci n’avaient pas l’air trop compliquées, il entreprit de les apprendre et se mit à faire zazen tous les matins, assis sur son petit coussin, avant que tout le monde ne se réveille. Au bout d’un certain temps, il constata qu’il arrivait à mieux supporter le poids de toutes les responsabilités épuisantes qu’il avait été amené à prendre sans vraiment le vouloir. Et il se dit qu’il y avait peut-être un rapport entre le zazen et ce sentiment de paix et de tranquillité qu’il commençait à éprouver. Certains autres aspirants-voyageurs, un peu découragés d’attendre un train dans lequel ils n’arrivaient jamais à monter, prirent l’habitude de se joindre à Mushin. Si bien qu’il y eut bientôt tout un groupe de gens qui faisaient zazen tous les matins, tandis que, parallèlement, les candidats au voyage ferroviaire continuaient à affluer et à guetter le fameux train. Tant et si bien qu’il fallut établir une seconde colonie, un peu plus loin, le long de la voie ferrée. Et comme ce nouveau groupe rencontrait les mêmes problèmes qu’avaient connus ceux de la première gare, quelques anciens pionniers allaient de temps en temps prêter main-forte aux nouveaux et les conseiller. Par la suite, il y eut même une troisième colonie… la tâche était infinie.
 
Ils n’arrêtaient plus, du matin au soir : il fallait donner à manger aux enfants, organiser de la menuiserie, faire marcher le bureau de poste, organiser la nouvelle clinique – bref, tout ce qui est nécessaire à la survie et au bon fonctionnement d’une société humaine. Pendant ce temps-là, on ne s’occupait plus du train qu’on entendait encore passer de temps en temps, et s’il y avait bien toujours un peu de jalousie et d’amertume dans les cœurs, elles n’étaient plus aussi virulentes qu’avant – moins solides. Pour Mushin, le vrai virage eut lieu le jour où il essaya d’organiser ce que son petit livre appelait une sesshin*. Il emmena les gens de son propre groupe dans un coin de la gare et ils s’installèrent un peu à l’écart du va-et-vient quotidien pour faire zazen intensivement, pendant quatre ou cinq jours d’affilée. Ils entendaient bien passer le train de temps en temps, dans le lointain, mais ils l’ignoraient et se contentaient de rester assis sur leurs coussins. Par la suite, ils firent aussi connaître cette pratique aux gens des nouvelles gares installées le long de la voie ferrée.
 
Les années passaient, Mushin avait maintenant la cinquantaine bien sonnée, et ça se voyait : il avait l’air d’un homme fatigué et il commençait à se voûter sous le poids de tant d’années de labeur et d’efforts incessants. En revanche, les soucis, les angoisses et les interrogations d’antan s’étaient envolés depuis longtemps. Il y avait longtemps qu’il ne se posait plus les grandes questions philosophiques qui l’avaient hanté, jadis : « Est-ce que j’existe vraiment? La vie est-elle un rêve ou une réalité? » Il était tellement pris par son travail et son zazen que tout le reste avait fini par passer à l’arrière-plan et s’estomper, même les grandes questions métaphysiques, et même l’amertume et la colère; seules comptaient les réalités de chaque jour. Mushin n’avait plus rien à faire qu’à accomplir ses tâches quotidiennes, en fonction des nécessités du moment. Mais il n’avait plus du tout le sentiment d’y être obligé; il faisait ce qu’il y avait à faire – tout simplement.
 
Les gares étaient devenues des endroits très peuplés où vivaient des quantités de gens – qui travaillant et élevant ses enfants, qui se contentant juste d’attendre le train. Certains candidats au voyage ferroviaire finissaient par s’intégrer eux aussi à la vie de la gare, tandis que de nouveaux arrivants leur succédaient à la vigile. Mushin, qui avait fini par se prendre d’affection pour toute cette humanité à l’affût du train, consacrait tout son temps et toutes ses forces à les aider et à les soutenir de son mieux. Les ans passèrent ainsi, tandis que Mushin se faisait de plus en plus vieux et fatigué. À présent, il ne se posait plus la moindre question; il n’y avait plus que Mushin et sa vie – enfin dans la plénitude de sa plus simple expression –, et Mushin faisait exactement ce que la vie exigeait de lui, à chaque instant.
 
Un soir – allez savoir pourquoi –, Mushin se dit : « Ce soir, je vais faire zazen toute la nuit. Pourquoi, je n’en sais rien mais j’en ai envie… » Il y avait déjà belle lurette que Mushin ne cherchait plus monts et merveilles en faisant zazen; c’était devenu un acte très simple pour lui. Il restait assis, tranquillement, sans rien faire si ce n’est s’ouvrir à tout ce qu’il sentait en lui et autour de lui. Ce soir-là, il s’assit donc; il entendait le bruit des voitures qui traversaient la nuit, il sentait la fraîcheur de la brise nocturne, les mouvements subtils qui animaient son corps. Et il resta comme ça tout la nuit. Tout à coup, à l’aube, il entendit le vrombissement du grand train qui se rapprochait de plus en plus. Le train ralentit, ralentit encore, pour s’arrêter pile, devant lui. Et c’est alors que Mushin comprit : il avait toujours été dans le train, depuis le début; il était lui-même ce train. Il n’y avait pas de train à prendre, rien à accomplir, nulle part où aller. Il y avait simplement la vie, dans sa plénitude. Toutes les vieilles questions – qui n’en étaient pas vraiment – trouvèrent spontanément une réponse. Le train s’évanouit comme un mirage, sous le regard paisible du vieux petit bonhomme, tranquillement assis sur son coussin dans la lumière naissante du petit matin.
 
Mushin s’étira et se leva. Il partit faire du café pour tous ceux qui ne tarderaient pas à arriver pour travailler. Une dernière image de Mushin : il est dans l’atelier de menuiserie avec quelques-uns des plus grands garçons, en train de fabriquer des balançoires pour le terrain de jeux des gosses. Voilà donc l’histoire de Mushin. Que croyez-vous qu’il ait trouvé? Je vous laisse juges…
 
Source :
Charlotte Joko Beck
Soyez zen … en donnant un sens à chaque acte et à chaque instant

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* Dharma - dans le contexte du bouddhisme contemporain en Occident, le mot est souvent utilisé dans le sens de mode de vie, manière d'être - conformes aux principes du bouddhisme

* Sesshin : ce terme signifie "entrer en contact avec l'esprit". Il désigne une retraite de méditation intensive qui peut durer de deux à sept jours, voire plusieurs semaines ou plusieurs mois.