[…]
La loi est celle du plus fort. Du premier venu. Pousse-toi
de là que je m’y mette. Ceci est à moi. On s’approprie quelque chose d’extérieur
de manière à devenir la chose appropriée. Ceci est à moi ou ceci est moi. Toute
atteinte à cette chose, ici, la part de tourte ou le petit gâteau, est une
atteinte à ce que nous sommes. Une violence potentielle œuvre en creux des
rapports humains. Le buffet commun se transforme en lieu de lutte, de rapports
de force, inégal, sans partage. Ceci est à moi – ou comment produire de l’hystérie
dans les choses, les territoires. La menace est continuelle. Autrui n’est pas
mon semblable. Nous ne sommes plus des consciences. Autrui se réduit à une
fonction négative : celui qui peut me prendre ma part. L’intrus. Que
faire? Peut-être nous rappeler que cet autre existe au même titre et en même
temps que moi, que son existence n’est pas moins légitime que la mienne, que
nous avons faim et soif tous deux. Ou alors, c’est succomber à la logique des «suspects».
Moi contre toi. Tous contre tous.
[…]
Faisons comme si : comme si la table du buffet était l’objet
d’un accord commun, antérieur, implicite, accord qui ne voudrait exclure
personne sur le mode de la force et de la violence, même civilisées par l’habitude
et les contraintes (ou les
étiquettes) sociales. Faisons
comme si, au moment de manger, nous souhaiterions que tous mangent et mangent
dans de bonnes conditions et satisfassent leurs appétits avec mesure,
politesse, respect et considération : non seulement de l’autre mais d’une
sorte de bien commun, ce contrat lui-même. Admettons dans ce contrat que le
désir de chacun ait aussi pour objet la qualité du rapport humain. Un certain
sens de l’amitié (on pourrait
dire «fraternité» ou «solidarité»)
et de ce qui convient à soi parce que cela convient aussi et en même temps à
tous.
Autre manière de dire avec Orphée que la musique adoucit les mœurs.
Autre manière de dire avec Orphée que la musique adoucit les mœurs.
Marie-Noëlle Agniau
La guerre des buffets
MÉDITATIONS DU TEMPS PRÉSENT
La philosophie à l’épreuve du quotidien 2
L’Harmattan
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