12 novembre 2014

L’idéalisation du couple

S’il y a un domaine où l’on nous vend de l’illusion à bon marché, c’est bien la romance. Dans les années 40/60 le mariage idéal à vie (coûte que coûte...) faisait partie du «rêve américain» (ou occidental). (1) Le célibat choisi était considéré comme une maladie, une tare : «c’est quoi son problème?». Même si les connaissances en psychologie nous ont aidés à réviser ce cliché socioculturel, il en reste encore des traces, en fond d’écran mental... comme indélébile.

Poster vintage : http://www.shorpy.com/

«... quand on y réfléchit, comment peut-on jamais être sûr de connaître quelqu'un? On jure devant Dieu, on promet d'être honnête et franc, mais les vérités vraies sont celles qu'on ne dit à personne, peut-être pas même à soi-même. Ce que l'autre voit, c'est ce qu'on lui laisse voir : des vérités mêlées à des demi-vérités, de pieux mensonges et parfois des inventions pures et simples. À la fin, on est obligé d'accepter ces écrans de fumée, ce jeu de miroirs, on lance les dés en espérant tirer un bon numéro, à moins d'être prêt à passer le reste de sa vie tout seul.» ~ Chris Mooney (L'enfant à la luge)

«Vous ne pouvez avoir de l'amitié pour quelqu'un qui n'a pas d'amitié pour vous. Ou elle est partagée, ou elle n'est pas. Tandis que l'amour semble au contraire se nourrir du malheur de n'être pas partagé. L'amour malheureux, c'est le ressort principal de la tragédie et du roman.» ~ Michel Tournier (Le miroir des idées)

«Tout homme aime deux femmes; l’une est création de son imagination, l’autre n’est pas encore née.» ~ Khalil Gibran

Le rêve :
Photo : Rodney Smith

«Est-ce qu'on est maître de devenir ou de ne pas devenir amoureux? Et quand on l'est, est-on maître d'agir comme si on ne l'était pas? Tous les jours on couche avec des femmes qu'on n'aime pas, et l'on ne couche pas avec des femmes qu'on aime...»
~ Denis Diderot (Jacques le Fataliste et son maître)

La réalité –  «Je t’ai presque aimé» : 
Photo : Nikita Gate

«Entre époux il y a une autre communauté que celle de la table et du lit, c'est celle de la pensée. Eh bien, le plus souvent, ces deux êtres matériellement accolés habitent, quant à l'esprit, des mondes différents et parfois même hostiles!»
~ Louise Ackermann (Pensées d'une solitaire)

---
(1) Source : Les Nouvelles Solitudes, Marie-France Hirigoyen; La Découverte, 2007

L’Illusion de la recherche du partenaire idéal (p. 29-30) 

Le célibat devient de plus en plus fréquent, mais la suspicion qui l’entachait perdure et amène certain(e)s célibataires à s’inventer une relation amoureuse cachée, afin de ne pas être étiqueté «cœur sec» ou «invalide affectif». En effet, si la négativité associée à la solitude s’est atténuée, l’image générale en est rarement franchement positive, la norme reste toujours le couple et la famille. Et la communication à l’intention des célibataires suggère presque toujours que cet état ne durera pas. C’est plutôt : «En attendant de rencontrer l’âme sœur...» 
       Dans nos cabinets de consultation, les patients viennent d’ailleurs rarement se plaindre directement de solitude, mais beaucoup plus de la difficulté à rencontrer un partenaire avec qui construire un avenir, quelqu’un sur qui compter : le vrai problème n’est pas celui de la rencontre, mais de la durée de la vie en commun. Si j’observe le mode de vie de mes patients, je vois se développer d’autres arrangements que celui du couple marié «pour la vie» : couple fusionnel, couple autonome, couple non cohabitant, personne seule ayant une relation amoureuse, seule avec des aventures ponctuelles, etc. Mais surtout, ce qui est nouveau, une part significative de mes patients, principalement les femmes, on fait le choix de vivre seuls. 
       Bien sûr, on pourra m’objecter que cet échantillon est celui d’une consultation psychiatrique ou psychothérapeutique, et que ces personnes sont donc en crise ou en questionnement par rapport à leur parcours de vie. Je dirais plutôt qu’elles sont en avance, justement parce qu’elles se remettent en question. 
       Certain(e)s cherchent dans le couple une issue à leur solitude, mais cette quête est souvent celle de l’illusion, car l’autre ne leur évite pas nécessairement la solitude, il peut simplement les y accompagner. Ils et elles sont parfois prêts à tout pour y échapper, aux rencontres sans illusion, au sexe qui laisse un arrière-goût de tristesse après l’étreinte. Chacun(e) cherche un(e) autre avec qui établir des liens, si possible amoureux, tout en se méfiant d’un éventuel attachement. On veut du lien, mais à condition de pouvoir se désengager au moindre doute. Je constate dans mes consultations l’affirmation d’une double aspiration : d’un côté, celle du repli sur le couple et, de l’autre, celle de l’épanouissement personnel dans un monde dur de performance et d’individualisme. Comment concilier les deux? La difficulté consiste à trouver un ajustement entre la fusion nécessaire à l’amour romantique et l’espace d’autonomie permettant un accomplissement individuel. 
       Le mariage, lien social par excellence, ne constitue plus une valeur sûre. En France, près d’un mariage sur deux se termine par une rupture, et c’est en milieu urbain que les séparations interviennent le plus fréquemment. Le fait d’avoir un ou plusieurs enfants retarde souvent le divorce, car certains couples attendent que ceux-ci soient autonomes pour se séparer. Mais les divorces surviennent à tous les âges, après deux ou trois ans de mariage ou après le départ des enfants. Selon l’Ined (Institut national d’études démographiques), le nombre de divorces de personnes de plus de 60 ans a doublé entre 1985 et 2005.
       Ce qui est nouveau également, c’est que les femmes sont largement à l’origine du changement : dans près de 70% des cas, ce sont elles qui demandent la séparation. Autrefois, les femmes hésitaient à demander le divorce, car elles y perdaient leur statut social et financier. Désormais, elles n’hésitent plus à se séparer très tôt en cas de violence psychologique ou d’infidélité du conjoint ou, plus tard, quand elles estiment avoir accompli leur travail de mère et de protection de la famille. 
       Pour les femmes de la génération du Baby boom, la sécurité était assimilée au fait de vivre en couple. Ce n’est plus le cas depuis les années 2000 pour nombre d’entre elles, et plus encore pour les plus jeunes, qui la recherchent plutôt dans l’autonomie. Si on ne croit plus vraiment au couple tout en le recherchant, c’est qu’hommes et femmes ont changé : sous l’influence de la norme dominante, celle de l’idéalisation du couple, nos contemporains cherchent toujours le partenaire idéal pour former un couple parfait; mais une si forte exigence a entraîné un certain désenchantement et un risque plus grand de solitude – qui n’est pas pour autant toujours synonyme de mal-être.

---
Les désenchantements de la vie tuent l’illusion et inspirent la compassion.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire