Si Mark
Twain était là pour écrire à Donald Trump, ce serait jouissif, considérant le
ton de cette lettre adressée au distributeur d’un remède «miraculeux»,
pompeusement appelé Élixir de vie. Il était furieux.
Un idiot du trente-troisième degré
Mark Twain à J.H. Todd – 20 novembre 1905
Mark
Twain, l’auteur des Aventures de Tom Sawyer
et de Huckleberry Finn, a été
confronté à la maladie tout au long de sa vie. En 1872, son fils de dix-neuf
mois, Langdon, est terrassé par la diphtérie; en 1896, une méningite emporte sa
fille Susy; puis en 1904, c’est sa femme, Olivia, qui décède d’une insuffisance
cardiaque. Un an plus tard, Twain reçoit la brochure d’un vendeur d’«Élixir de
vie», un médicament magique censé soigner toutes les maladies citées et bien d’autres
encore. On n’a pas de peine à imaginer sa colère; aussitôt, le romancier décide
de répondre au charlatan, avec fureur et style. La version présentée ici est le
brouillon que Mark Twain a immédiatement dicté à sa secrétaire.
30
novembre 1905
J.H. Todd
1212 Webster Street
San Francisco, Californie
Cher Monsieur,
Votre
lettre représente pour moi un puzzle insoluble. L’écriture est bonne et dénote
beaucoup de caractère, et il se trouve même des traces d’intelligence dans ce
que vous dites, mais la lettre et les publicités qui l’accompagnent se révèlent
être signées d’une même main. Celui qui a rédigé les publicités est sans nul
doute l’individu le plus ignare de la planète; il ne fait pas non plus le
moindre doute qu’il est aussi un idiot, un idiot du trente-troisième degré,
héritier d’une ancestrale procession d’idiots remontant jusqu’au chaînon
manquant [entre le singe et l’homme]. Tenter de comprendre comment la même main
a pu construire votre lettre et vos publicités me laisse ébahi comme devant un
puzzle. Or les puzzles m’angoissent, ils m’ennuient, ils m’exaspèrent; et
durant un moment ils provoquent toujours en moi un état d’esprit peu amène à l’égard
de celui qui les a conçus pour me décontenancer. Il ne sera pas longtemps avant
que mon ressentiment se dissipe et passe, et j’irai probablement prier pour
vous; mais tant que j’en ai le loisir, je me hâte de souhaiter que vous preniez
par erreur une dose de votre poison, et que céans vous souffriez la damnation à
laquelle vous et tous les autres charlatans assassins vous êtes livrés sans
remords, et que vous avez si simplement méritée.
Adieu,
adieu, adieu!
Mark
Twain
Source :
Au Bonheur Des Lettres, Recueil de
courriers historiques inattendus et farfelus; rassemblés par Shaun Usher,
traduction de Claire Debru; Éditions du sous-sol, Seuil 2014
~~~
Mark
Twain’s Hilarious, Furious Letter to an Idiot
Here’s the story: in the winter of 1905, Mark Twain
received a package and handwritten letter from a “doctor” out of California
named J.H. Todd. After a cursory look at the items, Twain recognized that Todd
was nothing more than a salesman peddling a rather deceptive snake oil – a
cure-all pompously called The Elixir of Life – which purported to, among other
things, instantly “cure all ailments of the human, animal, and fowl.” Such
patent ridiculousness would not have ruffled the feathers of the otherwise
unfazed Twain, except for the lingering presence of three relevant facts.
Twain’s wife had died suddenly while on vacation the previous year; moreover,
meningitis and diphtheria, which the Elixir proudly claimed to cure, had
previously taken the lives of Twain’s daughter and 19-month-old son. With these
memories now triggered in his mind, Twain sat down to pen a screed against
charlatanism. Here’s his customer service complaint for the ages:
Nov. 20. 1905
J. H. Todd
1212 Webster St.
San Francisco, Cal.
Dear Sir,
Your letter is an insoluble puzzle to me. The
handwriting is good and exhibits considerable character, and there are even
traces of intelligence in what you say, yet the letter and the accompanying
advertisements profess to be the work of the same hand. The person who wrote
the advertisements is without doubt the most ignorant person now alive on the planet;
also without doubt he is an idiot, an idiot of the 33rd degree, and scion of an
ancestral procession of idiots stretching back to the Missing Link. It puzzles
me to make out how the same hand could have constructed your letter and your
advertisements. Puzzles fret me, puzzles annoy me, puzzles exasperate me; and
always, for a moment, they arouse in me an unkind state of mind toward the
person who has puzzled me. A few moments from now my resentment will have faded
and passed and I shall probably even be praying for you; but while there is yet
time I hasten to wish that you may take a dose of your own poison by mistake,
and enter swiftly into the damnation which you and all other patent medicine
assassins have so remorselessly earned and do so richly deserve.
Adieu,
adieu, adieu!
Mark
Twain
Source: JRBENJAMIN in History, Humor | Thursday Mar
2014
Vous
trouverez copie complète de la publicité sur le site ci-haut. La liste des maux est stupéfiante.
L’usage
de stupéfiants – héroïne, cocaïne, opium – était courant dans les potions
magiques. C'est encore le cas aujourd'hui, on n'a qu'à penser au Fentanyl.
Exemple : posologie du Paregoric, à base d’alcool et d’opium : bébé de 5
jours – 5 gouttes; bébé de deux semaines – 8 gouttes; enfant de 5 ans – 25
gouttes; adulte – 1 cuillerée à thé.
Des
gouttes à la cocaïne pour les maux de dents :
Un vaporisateur
à base d’alcool et d’opium :
Dans
les années 50/60, on disait que le DDT était bon pour la santé...!
Citation
du jour :
«Je
soutiens que mon corps est ma propriété, du moins je l'ai toujours considéré
comme tel. Si je le détériore en l'expérimentant, c'est moi qui souffre, pas
l'État.»
~ Mark
Twain (Discours à l'Assemblée générale de New York, 1901)
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