Quand
je songe à l’Amérique du Sud, je vois des paysages grandioses. Certains ont été
épargnés, mais ils sont sur le point de passer au bulldozer.
L’élection de Bolsonaro à la présidence du
Brésil est une catastrophe tant pour les Brésiliens que pour la planète en
matière d’environnement. Membre du clan conservateur dit de la «Bancada BBB»
(pour «Bible, Bœuf, Balle») qui regroupe des parlementaires liés aux intérêts
de la police militaire, des églises évangélistes et de l’agro-industrie, Bolsonaro entend construire une autoroute
traversant la forêt amazonienne, répondre au lobby agroalimentaire en
ouvrant des droits à la culture du soja et à l'élevage bovin, ouvrir les territoires des communautés
indigènes aux entreprises minières, assouplir les lois relatives à la
protection de l'environnement et interdire des ONG écologistes.
Le jour où nous n’aurons plus de grandes forêts
boréales et tropicales sur terre, nous pourrons blâmer Dieu – car il paraît que
c’est lui qui guide les dirigeants politiques de sa main invisible. Dieu doit
aimer les riches, le bœuf et les fusils et détester les pauvres, les végétariens et les pacifistes. Étrange quand même.
Vu
le climat politique au Brésil, j’avais envie de lire un auteur de polar sud-américain.
J’ai choisi l’écrivain chilien Ramón Díaz Eterovic, que je ne connaissais pas. Son
roman Negra Soledad (titre original La música de la soledad) me semblait approprié
:
Heredia,
le détective privé des quartiers populaires de Santiago, apprend que son ami
avocat, Alfredo Razetti, a été retrouvé mort. Il avait été engagé par les
habitants d’un village du nord du Chili, aux prises avec une exploitation
minière polluante bien décidée à exproprier tout le monde. Tandis qu’il enquête
sur la mort de son ami, Heredia découvre l’ampleur des problèmes environnementaux
au Chili et leurs dénouements souvent tragiques : soif de lucre des
entreprises, contamination des sols, indulgence coupable des autorités,
spoliation des paysans et complicité du clergé.
J’aime
l’alter ego de l’enquêteur Heredia – son chat Simenon avec lequel il dialogue – ainsi que le sens de l’humour
de l’écrivain.
Extrait
– L’exploitation
du cuivre a changé notre vie. Au début, quand ils construisaient le barrage, on
a cru que ce serait un progrès pour le village. Le commerce a repris, des
pensions ont vu le jour pour donner à manger aux ouvriers et aux employés de l’entreprise,
ils ont même refait les rues et les chemins conduisant à la mine. Par la suite,
on s’est rendu compte que ce progrès apparent n’assurait pas l’avenir de la
communauté. Tout a commencé quand, peu après la fin des travaux, on a découvert
une infiltration qui a provoqué un écoulement de liquide pollué dans la
rivière. Cette année-là, la récolte de fruits a été moins bonne et, après un
long procès, on a obtenu une indemnisation minime pour les victimes. Le bon
côté de cet épisode, c’est que cela a alerté les habitants et certains ont pris
conscience du danger représenté par le barrage.
– Et
que disent les autorités?
– La
plupart des autorités font des courbettes devant l’argent.
En regardant à travers la vitre, j’ai vu une
petite place fleurie avec, au centre, une grande plaque de béton où on pouvait
lire : Bienvenue à Cuenca. Le bus a pris une rue goudronnée débouchant sur
ce qui devait être la place principale. Tout autour les maisons étaient peintes
de couleurs criardes et éclatantes, et les rues bien propres.
–
...Ne vous laissez pas tromper par les apparences. Pour tout ça, il faut
beaucoup d’argent, et la mine en a beaucoup ... pour gagner l’estime des gens.
(p.
55-56)
–
Nous n’avons pas pu empêcher la construction du barrage, mais nous avons l’espoir
d’obtenir l’arrêt de son exploitation ou au moins l’adoption de mesures de
sécurité. Nous avons demandé l’ouverture d’une procédure au sujet des eaux
polluées et la construction d’un mur de protection entre le barrage et le
village. Ce serait un moyen d’éviter que les déchets ne nous tombent dessus en
cas d’infiltrations ou de fissures provoquées par un tremblement de terre. Je
ne raconte pas d’histoires. En 1985, dans un village italien de Val di Stava,
la barrage construit par l’entreprise minière installée là-bas a cédé, provoquant
une avalanche de boue toxique qui a recouvert une bonne partie du village et
entraîné la mort de centaines d’habitants. Et il y a le cas du « lavage »
de minerais qui a pollué la rivière Opamayo, à Huancavelica, une des régions
les plus pauvres du Pérou. Vingt mille mètres cubes de déchets se sont déversés
dans la rivière à la suite de l’effondrement du barrage. Ces deux exemples
concernent l’exploitation minière, mais il y a aussi d’autres désastres dus à
des défauts de sécurité dans les plates-formes nucléaires et les entreprises
hydroélectriques.
– Que
contient ce «lavage»?
– L’eau,
la boue et les matières toxiques qui restent après le traitement du cuivre.
(p.
65)
Photo :
Edward Burtynsky. Nickel Tailings, Sudbury, Ontario, Canada 1996. Résidus miniers
toxiques.
Et
quand je songe à l’Amérique du Sud, fatalement, je finis toujours par penser à Astor Piazzolla
(1921-1992).
Soledad
Astor Piazzolla & Friends
Auteurs-compositeurs : Astor Piazzolla, Horacio
Ferrer
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