15 octobre 2018

Le vécu immédiat

Forêt de bouleaux blancs, Owl Creek, Aspen CO

Quand on compare nos soucis quotidiens aux graves problèmes auxquels l’espèce humaine et la nature font face globalement, on relativise, bien sûr. Nous savons que la vie est faite de contradictions – plaisir et souffrance, succès et échec, gain et perte, joie et peine, naissance et mort... Une vie sans aspérités ça n’existe pas. On règle un problème, mais voilà qu’un autre surgit aussitôt. Parfois, on essaie vigoureusement d’esquiver les ennuis, ce qui souvent en crée davantage.

«Il existe un lien étroit entre la liberté et l’attitude que nous adoptons face à la douleur et à la souffrance. La douleur est ce qu’on ressent quand on prend la vie directement en pleine figure, quand on l’expérimente telle qu’elle est, sans rien y changer. Quoique, d’un autre côté, le mot joie pourrait aussi bien décrire ce vécu immédiat et intense. Lorsque, à l’inverse, on tente de se soustraire à la douleur qu’engendre ce vécu brut, on connaît la souffrance. C’est pour se prémunir de la douleur qu’on construit les remparts de l’ego, mais – ironie des choses – c’est cela même qui nous fait souffrir.
   La liberté, c’est l’acceptation du risque. On accepte d’être vulnérable face à la vie, on accepte de vivre ce que chaque instant nous apporte d’agréable ou de pénible. Il faut être prêt à se donner complètement à la vie. Et lorsqu’on sait s’abandonner totalement, sans ménager ses arrières ni se garder de porte de sortie, la souffrance n’existe plus. Il n’y a que l’expérience, brute, totale et immédiate. Et la douleur prend la couleur de la joie quand on sait pleinement l’éprouver.»
~ Charlotte Joko Beck (Soyez zen... en donnant un sens à chaque acte à chaque instant; Pocket, 1990)

En complément :

MES FÊTES À MOI SONT DES INSTANTS

Christian Vézina
3 septembre 2017

[...] J’ai 58 ans, et c’est pas une raison pour mettre du crémage partout. J’en parle parce que je m’en fous. [...]

Les anniversaires m’énervent depuis que je suis petit. [...]

Alors comme plusieurs, je n’aime pas tellement qu’on célèbre mon anniversaire. Cela dit, attention, comme tous ces autres qui n’ont «pas besoin de ça», soyons honnêtes, je ne voudrais tout de même pas qu’on l’oublie. [...]

Au fond, ce que je n’aime pas, ce sont les fêtes obligées... [...]

Mes fêtes à moi sont des instants. Je suis fêté cent fois par jour par mon corps et par des regards, des mouvements, des ombres, des mouvements d’ombres, des reflets, des paroles; je suis fêté par des suites de mots, des chansons, des tableaux, même des photos que nul n’a prises. Le seul vers que j’ai écrit, et dont je suis vraiment absolument et complètement content, se dit comme suit :

«Faste est l’instant»

Je le veux gravé sur ma tombe. Et je le veux recto verso de mon vivant.

Septembre est un bon mois pour les instants : la peinture s’écaille sur le paysage, la chlorophylle s’étiole, les feuilles s’affolent, le ciel a ses premiers frissons avant que d’avoir froid, dans ta nouvelle école tu croises Hélène de Troie, le tambour de ton cœur d’un coup t’a réveillé, les blés sont mûrs et la terre est mouillée, ça sent l’automne, Newton en aura pour sa pomme, c’est le retour du roi, emmailloté de laine, les mains froides un instant sur la tasse brûlante où fume son café dans la paix combattante, dans la maison sur le tapis les pitreries d’un chat heureux, la tête penchée d’un chien curieux et le vol des outardes parmi la nostalgie, la foudre d’un souvenir, des instants, mes amis, des instants, une nouvelle syllabe dans la bouche d’un enfant.

Moi, je préfère l’instant au calendrier, au temps quadrillé. Je préfère même l’instant à l’éternité. L’instant c’est léger; l’éternité j’trouve ça pesant. Et puis ça sent l’encens. Et le vieux curé. L’instant, ça sent pas toujours la même chose. Non, ça sent pas toujours la rose. Mais c’est l’éternité du pauvre. Du pauvre milliardaire frémissant sous la pluie des secondes depuis trois, quatorze ou 58 ans!

Source :
Un dimanche à ma fenêtre; Christian Vézina, préface de Normand Baillargeon; Éditions Somme toute 2018 (p. 120)

Il s’agit d’un recueil de textes entendus à «Dessine-moi un dimanche» (ICI Radio-Canada Première). L'acteur et poète Christian Vézina participe toujours à l’émission.

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