Forêt de bouleaux blancs, Owl Creek, Aspen CO
Quand on compare nos soucis quotidiens aux graves
problèmes auxquels l’espèce humaine et la nature font face globalement, on relativise,
bien sûr. Nous savons que la vie est faite de contradictions – plaisir et
souffrance, succès et échec, gain et perte, joie et peine, naissance et mort...
Une vie sans aspérités ça n’existe pas. On règle un problème, mais voilà qu’un autre
surgit aussitôt. Parfois, on essaie vigoureusement d’esquiver les ennuis, ce
qui souvent en crée davantage.
«Il existe un lien étroit entre la liberté et l’attitude que
nous adoptons face à la douleur et à la souffrance. La douleur est ce qu’on
ressent quand on prend la vie directement en pleine figure, quand on l’expérimente
telle qu’elle est, sans rien y changer. Quoique, d’un autre côté, le mot joie pourrait aussi bien décrire ce vécu
immédiat et intense. Lorsque, à l’inverse, on tente de se soustraire à la
douleur qu’engendre ce vécu brut, on connaît la souffrance. C’est pour se
prémunir de la douleur qu’on construit les remparts de l’ego, mais – ironie des
choses – c’est cela même qui nous fait souffrir.
La liberté, c’est l’acceptation
du risque. On accepte d’être vulnérable face à la vie, on accepte de vivre ce
que chaque instant nous apporte d’agréable ou de pénible. Il faut être prêt à
se donner complètement à la vie. Et lorsqu’on sait s’abandonner totalement,
sans ménager ses arrières ni se garder de porte de sortie, la souffrance n’existe
plus. Il n’y a que l’expérience, brute, totale et immédiate. Et la douleur
prend la couleur de la joie quand on sait pleinement l’éprouver.»
~ Charlotte Joko
Beck (Soyez zen... en donnant un sens à chaque acte à chaque instant; Pocket,
1990)
En complément :
MES FÊTES À MOI SONT DES INSTANTS
Christian Vézina
3 septembre 2017
[...] J’ai 58 ans, et c’est pas une
raison pour mettre du crémage partout. J’en parle parce que je m’en fous. [...]
Les anniversaires m’énervent depuis que je suis petit. [...]
Alors comme plusieurs, je n’aime pas tellement qu’on célèbre
mon anniversaire. Cela dit, attention, comme tous ces autres qui n’ont «pas
besoin de ça», soyons honnêtes, je ne voudrais tout de même pas qu’on l’oublie.
[...]
Au fond, ce que je n’aime pas, ce sont les fêtes obligées...
[...]
Mes fêtes à moi sont des instants. Je suis fêté cent fois
par jour par mon corps et par des regards, des mouvements, des ombres, des
mouvements d’ombres, des reflets, des paroles; je suis fêté par des suites de
mots, des chansons, des tableaux, même des photos que nul n’a prises. Le seul
vers que j’ai écrit, et dont je suis vraiment absolument et complètement
content, se dit comme suit :
«Faste est l’instant»
Je le veux gravé sur ma tombe. Et je le veux recto verso de
mon vivant.
Septembre est un bon mois pour les instants : la peinture
s’écaille sur le paysage, la chlorophylle s’étiole, les feuilles s’affolent, le
ciel a ses premiers frissons avant que d’avoir froid, dans ta nouvelle école tu
croises Hélène de Troie, le tambour de ton cœur d’un coup t’a réveillé, les blés
sont mûrs et la terre est mouillée, ça sent l’automne, Newton en aura pour sa
pomme, c’est le retour du roi, emmailloté de laine, les mains froides un
instant sur la tasse brûlante où fume son café dans la paix combattante, dans
la maison sur le tapis les pitreries d’un chat heureux, la tête penchée d’un
chien curieux et le vol des outardes parmi la nostalgie, la foudre d’un
souvenir, des instants, mes amis, des instants, une nouvelle syllabe dans la
bouche d’un enfant.
Moi, je préfère l’instant au calendrier, au temps quadrillé.
Je préfère même l’instant à l’éternité. L’instant c’est léger; l’éternité j’trouve
ça pesant. Et puis ça sent l’encens. Et le vieux curé. L’instant, ça sent pas
toujours la même chose. Non, ça sent pas toujours la rose. Mais c’est l’éternité
du pauvre. Du pauvre milliardaire frémissant sous la pluie des secondes depuis
trois, quatorze ou 58 ans!
Source :
Un dimanche à ma
fenêtre; Christian Vézina, préface de Normand Baillargeon; Éditions Somme
toute 2018 (p. 120)
Il s’agit d’un recueil de textes entendus à «Dessine-moi un
dimanche» (ICI Radio-Canada Première). L'acteur et poète Christian Vézina participe
toujours à l’émission.
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