12 août 2019

Tout est éternel, sauf dans le temps

«Tout est éternel, sauf dans le monde du temps où il y a un début, une durée et une fin – les glaciers de l’Arctique, les fleurs, toi et moi…», m’écrivait un ami.

Quand on observe lucidement ce qui se passe n’est-il pas évident que l’humanité s’achemine irrémédiablement vers un congé sans solde? Plusieurs situations sont devenues irréversibles. Savoir sans comprendre fait basculer dans la négation. Lorsqu’on nie une chose, on ne peut rien y faire car c’est comme si elle n’existait pas. Je pense que cette attitude d’autoprotection est tout à fait normale compte tenu de l’ampleur du cul-de-sac et de notre cuisant échec.

Illustration: Steve Cutts. Junk-tree, make the best of what you have

«Nos progrès techniques ne résisteraient pas à l’usure d’une longue guerre; nos voluptueux eux-mêmes se dégoûtent du bonheur. L’adoucissement des mœurs, l’avancement des idées au cours du dernier siècle est l’œuvre d’une infinie minorité de bons esprits; la masse demeure ignare, féroce quand elle le peut, en tout cas égoïste et bornée, et il y a fort à parier qu’elle restera toujours telle. Trop de procurateurs et de publicains avides, trop de sénateurs méfiants, trop de centurions brutaux ont compromis d’avance notre ouvrage; et le temps pour s’instruire par leurs fautes n’est plus donné aux empires pas plus qu’aux hommes. Là où un tisserand rapiécerait sa toile, où un calculateur habile corrigerait ses erreurs, où l’artiste retoucherait son chef-d’œuvre encore imparfait ou endommagé à peine, la nature préfère repartir à même l’argile, à même le chaos, et ce gaspillage est ce qu’on nomme l’ordre des choses.»
Mémoires d'Hadrien; Marguerite Yourcenar, Gallimard  (p. 251)

Créer du neuf avec du vieux, ou recycler, a ses limites; parfois il vaut mieux repartir à zéro...

Illustration : Steve Cutts. Murica

TABLE RASE [du monde]
Par Jane Roberts

[Traduction maison]

Nous rassemblons-nous parfois
Pour faire table rase du monde,
(Adieu Babylone et Atlantide)
Et regarder la lune toucher
Des vignobles familiers pour la dernière fois,
Dire au revoir à tous nos édifices,
À nos pots à fleurs en pierre
Sur le rebord des fenêtres des gratte-ciels,
Dire au revoir aux statues
Des héros publics dans les parcs des villes, 
Sentant dans nos cœurs
Que ce que nous avons fait
Était spectaculaire mais sans issue,
Avec des imperfections soudainement
Multipliées au delà de tout contrôle,
Et que nous devions
Pour clarifier notre vision une fois de plus,
Déchirer la civilisation jusqu’à la moelle,
Libérer les rêves ensevelis
Sur lesquels notre monde avait été édifié?

Savons-nous parfois 
Ce qui doit être fait,
De par un vieil instinct animal,
Que nous avons oublié,
Un besoin qui soulève la nature
À notre commandement,
Conjurant séismes et avalanches
Pour  faire le boulot à notre place, car nous savons
À quel point nos mains hésiteraient,
Et qu’au dernier moment,
Aucun de nous ne pourrait détruire
Un monde si méticuleusement élaboré?

Ainsi, en un éclair, les vieilles croyances
Et les superstitions s’effondrent,
Avec toutes les structures
Érigées en leur nom,
Dieux et temples anciens,
Arts et sciences,
S’effritent et le grand coup de balai de la nature
Fait table rase, nettoie partout.   

Ensuite, les âges, où nos esprits tournent avec les saisons,
Contemplant des visions plus parfaites,
Jusqu’à ce que, encore une fois, nos désirs
Deviennent des pensées et commencent
À faire tourner de nouveaux mondes.

“If We Live Again” (1982), Jane Roberts (1929-1984)

WORLDSLATE

Sometimes do we all get together
And wipe the world slate clean,
(Good-bye Babylon and Atlantis)
And watch the moon touch
Familiar vineyards for the final time,
Say good-bye to all our edifices,
And stone flowerpots
On skyscraper windowsills,
Wave farewell to statues
Of public heroes in city parks,
Feeling in our hearts
That what we’ve made
Was spectacular but closed-ended,
With flaws suddenly
Multiplied beyond control,
And that we needed
To clear our vision once again,
Rip civilization down to its bone,
Release the buried dreams
That our world was once based upon?

Do we sometimes know
What must be done,
With some ancient animal instinct
We’ve forgotten,
A need that rouses nature
To our command,
Conjuring earthquakes and avalanches
To do the job for us, for we know
How our own hands would falter,
And at the last,
Which one of us could destroy
A world so painstakingly made?

So in a flash, old beliefs
And superstitions topple,
With all the structures
Risen in their names,
Old gods and temples,
Arts and sciences
Crumble and nature’s vast sweep
Everywhere sweeps clean.

Then, ages, where our minds turn with the seasons,
Contemplating more perfect visions,
Till once again, our desires
Turn into thoughts and begin
To spin new worlds.

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