Quand on
observe lucidement ce qui se passe n’est-il pas évident que l’humanité s’achemine
irrémédiablement vers un congé sans solde? Plusieurs situations sont devenues
irréversibles. Savoir sans comprendre fait basculer dans la négation. Lorsqu’on
nie une chose, on ne peut rien y faire car c’est comme si elle n’existait pas.
Je pense que cette attitude d’autoprotection est tout à fait normale compte
tenu de l’ampleur du cul-de-sac et de notre cuisant échec.
Illustration: Steve Cutts. Junk-tree, make the best of
what you have
«Nos progrès
techniques ne résisteraient pas à l’usure d’une longue guerre; nos voluptueux
eux-mêmes se dégoûtent du bonheur. L’adoucissement des mœurs, l’avancement des
idées au cours du dernier siècle est l’œuvre d’une infinie minorité de bons
esprits; la masse demeure ignare, féroce quand elle le peut, en tout cas
égoïste et bornée, et il y a fort à parier qu’elle restera toujours telle. Trop
de procurateurs et de publicains avides, trop de sénateurs méfiants, trop de
centurions brutaux ont compromis d’avance notre ouvrage; et le temps pour
s’instruire par leurs fautes n’est plus donné aux empires pas plus qu’aux
hommes. Là où un tisserand rapiécerait sa toile, où un calculateur habile
corrigerait ses erreurs, où l’artiste retoucherait son chef-d’œuvre encore
imparfait ou endommagé à peine, la nature préfère repartir à même l’argile, à
même le chaos, et ce gaspillage est ce qu’on nomme l’ordre des choses.»
Mémoires d'Hadrien; Marguerite Yourcenar, Gallimard (p. 251)
Créer du neuf
avec du vieux, ou recycler, a ses limites; parfois il vaut mieux repartir à
zéro...
Illustration :
Steve Cutts. Murica
TABLE RASE [du monde]
Par Jane
Roberts
[Traduction
maison]
Nous
rassemblons-nous parfois
Pour faire
table rase du monde,
(Adieu
Babylone et Atlantide)
Et regarder
la lune toucher
Des vignobles
familiers pour la dernière fois,
Dire au
revoir à tous nos édifices,
À nos pots à
fleurs en pierre
Sur le rebord
des fenêtres des gratte-ciels,
Dire au
revoir aux statues
Des héros
publics dans les parcs des villes,
Sentant dans nos
cœurs
Que ce que
nous avons fait
Était
spectaculaire mais sans issue,
Avec des
imperfections soudainement
Multipliées
au delà de tout contrôle,
Et que nous
devions
Pour
clarifier notre vision une fois de plus,
Déchirer la
civilisation jusqu’à la moelle,
Libérer les
rêves ensevelis
Sur lesquels
notre monde avait été édifié?
Savons-nous parfois
Ce qui doit
être fait,
De par un
vieil instinct animal,
Que nous
avons oublié,
Un besoin qui
soulève la nature
À notre
commandement,
Conjurant séismes
et avalanches
Pour faire le boulot à notre place, car nous
savons
À quel point
nos mains hésiteraient,
Et qu’au
dernier moment,
Aucun de nous
ne pourrait détruire
Un monde si méticuleusement
élaboré?
Ainsi, en un
éclair, les vieilles croyances
Et les
superstitions s’effondrent,
Avec toutes
les structures
Érigées en
leur nom,
Dieux et
temples anciens,
Arts et
sciences,
S’effritent et
le grand coup de balai de la nature
Fait table
rase, nettoie partout.
Ensuite, les
âges, où nos esprits tournent avec les saisons,
Contemplant
des visions plus parfaites,
Jusqu’à ce
que, encore une fois, nos désirs
Deviennent
des pensées et commencent
À faire
tourner de nouveaux mondes.
“If We Live Again” (1982), Jane Roberts (1929-1984)
WORLDSLATE
Sometimes do we all get together
And wipe the world slate clean,
(Good-bye Babylon and Atlantis)
And watch the moon touch
Familiar vineyards for the final time,
Say good-bye to all our edifices,
And stone flowerpots
On skyscraper windowsills,
Wave farewell to statues
Of public heroes in city parks,
Feeling in our hearts
That what we’ve made
Was spectacular but closed-ended,
With flaws suddenly
Multiplied beyond control,
And that we needed
To clear our vision once again,
Rip civilization down to its bone,
Release the buried dreams
That our world was once based upon?
Do we sometimes know
What must be done,
With some ancient animal instinct
We’ve forgotten,
A need that rouses nature
To our command,
Conjuring earthquakes and avalanches
To do the job for us, for we know
How our own hands would falter,
And at the last,
Which one of us could destroy
A world so painstakingly made?
So in a flash, old beliefs
And superstitions topple,
With all the structures
Risen in their names,
Old gods and temples,
Arts and sciences
Crumble and nature’s vast sweep
Everywhere sweeps clean.
Then, ages, where our minds turn with the seasons,
Contemplating more perfect visions,
Till once again, our desires
Turn into thoughts and begin
To spin new worlds.
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