Point de vue du Dr Gilles Julien
21/06/2018
On
assiste à un événement des plus troublants par rapport à la politique de
séparation des familles à la frontière des États-Unis. On écoute les
protestations qui fusent de toutes parts et les dénonciations de ce scandale
inédit dans l’histoire de l’humanité. On a lu le parallèle fait avec les
grandes épurations raciales du passé qu’on ne pensait plus possible. On en est
estomaqué et scandalisé de cette déchéance sociétale.
Le fait
est que des centaines d’enfants en bas âge subissent actuellement des
traumatismes de séparation inhumains qui les blessent profondément et qui leur
laisseront des séquelles pour toute leur vie. On connaît l’impact de ce genre
de polytraumatismes sur la santé physique et mentale à court et à long terme
ainsi que leurs effets pervers sur le cerveau et le développement. Ils sont à
risque de ne pas s’en remettre à vie!
Le lien
des parents et des enfants est primordial à un sain épanouissement des enfants.
Ce lien, brisé ou coupé pour différentes raisons, est un acte de violence
inouïe. En période de grand stress comme celui d’une migration difficile, on
peut manquer de soins, de nourriture ou d’abri mais on ne peut pas se passer de
ce lien de sécurité essentiel, la «base de sécurité». Pour tous et
particulièrement pour les enfants, c’est la référence unique pour envisager des
jours meilleurs et se bercer de l’espoir de la lumière au bout du tunnel.
Un parent
qui met ce lien en péril est rapidement signalé à la Protection de la jeunesse
pour abus et négligence. Une communauté ou une société qui enlève ce lien
essentiel devra être accusé de crime contre l’humanité.
Les
États-Unis d’Amérique sont le seul pays qui ne reconnaît pas la Convention
internationale relative aux droits de l’enfant. Dans cette triste histoire
d’une politique de séparation automatique, ce pays et son président confirme
leur insensibilité aux enfants et acceptent ouvertement de bafouer les droits
les plus précieux.
Quel
désespoir pour l’avenir! L’humanité subit une grande menace.
QUE TOUS
SE LÈVENT POUR PROTESTER À LEUR FAÇON.
Gilles
Julien, pédiatre social
Président-directeur
général Fondation du Dr Julien
Familles séparées à la frontière : des
traumatismes à vie
Magdaline Boutros | Entrevue
Magdaline Boutros | Entrevue
La Presse
Canadienne Le 23 juin 2018
Se disant
interpellé par l'élan de folie qui s'est emparé de nos voisins du Sud, Dr
Julien a pris la plume plus tôt cette semaine pour dénoncer cette dérive
«troublante».
Le pédiatre social est sans équivoque : les
États-Unis ont fait vivre à ces enfants une torture émotive d'une puissance
sans nom. Au nom d'une politique de tolérance zéro à l'endroit de l'immigration
illégale, le pays de Donald Trump a érigé en système le pire des traumatismes
qu'un enfant peut subir : celui de briser son lien d'attachement avec ses
parents.
Celui qui accompagne depuis 40 ans des
enfants ayant subi des traumatismes, rappelle que de rompre ce lien entre un
enfant et ses parents est un acte de violence inouïe.
Getty Images
Des polytraumatismes
Les
études sont pourtant là et la littérature scientifique est claire : les enfants
qui subissent des blessures émotives brutales à un jeune âge en garderont des
séquelles toute leur vie.
Lorsque ces traumatismes atteignent un
certain niveau en matière d'intensité, de durée ou de répétition, le terme
«polytraumatismes» est alors utilisé, explique Dr Julien.
«Tous ces enfants (séparés de leurs parents
à la frontière) sont des polytraumatisés, bien que la réaction soit différente
d'un enfant à l'autre», glisse-t-il.
«On sait que plusieurs zones du cerveau sont
atteintes dans ces périodes-là. Ça se manifeste ensuite par toutes sortes de
symptômes: des blocages, des retards de développement, des troubles de
comportement, des troubles adaptatifs et éventuellement des problèmes de santé
mentale et de santé physique», détaille-t-il.
Certains enfants surprennent par la force de
leur résilience et parviennent, à la suite de polytraumatismes, à reprendre un
parcours de développement presque normal.
D'autres, toutefois, s'effondrent. Une fois
le lien d'attachement brisé, ils tenteront toute leur vie de le ressouder. Une
quête inatteignable, puisqu'elle deviendra complètement démesurée.
«Si cette base de sécurité est rompue,
l'enfant aura énormément de difficulté par la suite à faire confiance. Il va
toujours chercher une forme de sécurité qu'il ne trouvera jamais. Sa demande
devient exagérée et impossible à remplir», explique Dr Julien.
Une blessure qui s'infuse au niveau du
cerveau et qui peut même se transmettre de génération en génération.
«On pensait avant que les gênes, ça ne
changeait pas pendant des décennies. Mais on sait maintenant, avec
l'épigénétique, qu'à cause des hormones, il y a des changements qui peuvent
s'imprégner dans les gênes et qui peuvent se transmettre», précise Gilles
Julien.
Les séquelles sont ainsi léguées aux
générations futures. Les polytraumatisés laissent en héritage une prévalence
accrue en termes d'hypertension, de maladies cardiovasculaires, d'obésité et de
problèmes psychiatriques, énumère le pédiatre social.
Des traumatismes qui ont été infligés de
manière volontaire à ceux et celles que l'État est censé protéger. Parce que
leurs parents ont pris la route pour tendre vers un avenir meilleur. Parce que
pour un groupe de décideurs, la fin justifie les moyens. Et parce qu'en
détournant le regard, certains parviennent à cautionner le pire.
«Ça va à l'encontre de toutes formes de
soins normaux aux enfants, souligne le pédiatre. Le respect humain est tout
simplement en train de foutre le camp.»
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