26 juillet 2015

J’ai grandi


Maintenant j'ai grandi

Enfant,
j'ai vécu drôlement
le fou rire tous les jours
le fou rire vraiment
et puis une tristesse tellement triste
quelquefois les deux en même temps
Alors je me croyais désespéré
Tout simplement je n'avais pas d'espoir
je n'avais rien d'autre que d'être vivant
j'étais intact
j'étais content
et j'étais triste
mais jamais je ne faisais semblant
Je connaissais le geste pour rester vivant
Secouer la tête
pour dire non
secouer la tête
pour ne pas laisser entrer les idées des gens
Secouer la tête pour dire non
et sourire pour dire oui
oui aux choses et aux êtres
aux êtres et aux choses à regarder à caresser
à aimer
à prendre ou à laisser
J'étais comme j'étais
sans mentalité
Et quand j'avais besoin d'idées
pour me tenir compagnie
je les appelais
Et elles venaient
et je disais oui à celles qui me plaisaient
les autres je les jetais
Maintenant j'ai grandi
les idées aussi
mais ce sont toujours de grandes idées
de belles idées
Et je leur ris toujours au nez
Mais elles m'attendent
pour se venger
et me manger
un jour où je serai très fatigué
Mais moi au coin d'un bois
je les attends aussi
et je leur tranche la gorge
je leur coupe l'appétit

Jacques Prévert


(Recueil La pluie et le bon temps, éd Gallimard)

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C’est vrai qu’on peut facilement se laisser bouffer par de grandes et belles idées sur tout et n'importe quoi : Dieu, la justice, le sens de la vie... Des idées parfois avalées rapidement au «buffet à volonté» des opinions toutes faites.

On peut aussi avoir une haute idée de soi ou l’inverse. Plusieurs idées par rapport à nous cohabitent dans notre tête; chacune est membre en règle de notre Conseil d’administration mental et a son propre ordre du jour. Certains membres sont ouverts et honnêtes, d'autres sont plus obscurs et déviants quant à la façon de réaliser des objectifs. Comme le politicien, chaque membre a ses propres partisans et stratégies pour parvenir à ses fins et satisfaire ses intérêts. De sorte que le mental ressemble à un groupe de gens indisciplinés : beaucoup de voix et d'opinions s’opposent quant à ce que nous devrions être et faire.
   L’un des buts de la méditation est de prendre conscience de ces contradictions, seule façon de mettre de l’ordre dans ses idées. La méthode zen, comme la plupart des techniques de méditations orientales, se veut un antidote aux spéculations et aux fantasmes dépourvus de réalité concrète habituellement stimulés par des jugements, des opinions erronées, des émotions récurrentes, des souvenirs déformés et des rêves d’avenir chimériques. Lorsqu’on commence à pratiquer l’observation de nos pensées et de nos émotions, on réalise que 90% de nos préoccupations sont constituées de souvenirs et d’anticipations désagréables ou agréables qu’on entretient sans même s’en rendre compte. Nous vivons rarement dans le présent et toutes nos réactions aux événements s’appuient sur une référence à des expériences passées ou sur des probabilités futures sans fondement. En outre, cette boîte de Pandore mentale contient de nombreuses trivialités : la liste d’épicerie, les comptes à payer, les remarques désobligeantes d’Untel, le look super sexy du voisin ou de la voisine, etc. Quant au 10% restant de nos préoccupations, celui-ci concerne notre créativité, des projets d’envergure ou des relations humaines plus profondes. Cette constatation nous amène à nous demander si nous voulons continuer d’accaparer 90% de notre énergie mentale avec tant de futilités... Le mental peut nous tyranniser si l’on n’y prend pas garde. 
   Une technique simple et efficace pour mettre le doigt sur nos obsessions et vider notre boîte de Pandore consiste à écrire tout ce qui nous passe par la tête (sans censurer) en continu pendant 20 à 30 minutes. On voit plus clair à la fin!

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«Les livres présument que la pensée siège dans le cerveau, la vie prouve que l'homme pense avec ses autres viscères.» ~ Maurice Chapelan

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