24 juillet 2015

Pendant que tu attends


Life While-You-Wait
By Wislawa Szymborska 

Performance without rehearsal.
Body without alterations.
Head without premeditation.
I know nothing of the role I play.
I only know it's mine. I can't exchange it.
I have to guess on the spot
just what this play's all about.
Ill-prepared for the privilege of living,
I can barely keep up with the pace that the action demands.
I improvise, although I loathe improvisation.
I trip at every step over my own ignorance.
I can't conceal my hayseed manners.
My instincts are for happy histrionics.
Stage fright makes excuses for me, which humiliate me more.
Extenuating circumstances strike me as cruel.
Words and impulses you can't take back,
stars you'll never get counted,
your character like a raincoat you button on the run –
the pitiful results of all this unexpectedness.
If only I could just rehearse one Wednesday in advance,
or repeat a single Thursday that has passed!
But here comes Friday with a script I haven't seen.
Is it fair, I ask
(my voice a little hoarse,
since I couldn't even clear my throat offstage).
You'd be wrong to think that it's just a slapdash quiz
taken in makeshift accommodations. Oh no.
I'm standing on the set and I see how strong it is.
The props are surprisingly precise.
The machine rotating the stage has been around even longer.
The farthest galaxies have been turned on.
Oh no, there's no question, this must be the premiere.
And whatever I do
will become forever what I've done.

From Map: Collected and Last Poems – translated by Clare Cavanagh and Stanislaw Baranczak

Via brainpickings.org  

Originaire de Pologne, Wislawa Szymborska (1923-2012) est célèbre entre autres pour sa poésie. Elle préférait la parcimonie, la modestie et la dérision aux grandes envolées lyriques. Elle a reçu le prix Nobel de littérature en 1996.

Traduction personnelle (pas trouvé de traduction officielle

La vie pendant que tu attends

Performance sans répétition.
Corps sans modifications.
Tête sans préméditation.
Je ne sais rien du rôle que je joue.
Je sais seulement que c'est le mien. Je ne peux pas l'échanger.
Je dois deviner sur place
en quoi consiste le rôle.
Mal préparée au privilège de vivre,
j'arrive à peine à suivre le rythme que l'action exige.
J'improvise, bien que je déteste l'improvisation.
Je trébuche sur ma propre ignorance à chaque pas.
Je ne peux dissimuler mes manières paysannes.
Mes instincts me poussent au joyeux cabotinage.
Le trac me fournit des excuses, mais m’humilie davantage.
Les circonstances atténuantes me frappent par leur cruauté.
Tu ne peux pas reprendre tes mots et tes impulsions,
tu ne réussiras jamais à compter les étoiles,
ton personnage est comme un imperméable que tu t’empresses de boutonner –
voilà les résultats pitoyables de toute cette imprévisibilité.
Si seulement je pouvais répéter d’avance un mercredi,
ou répéter un seul jeudi du passé!
Mais voilà vendredi avec un script que je n'ai pas vu.
Est-ce juste, me suis-je demandé
(la voix un peu enrouée, 
puisque je ne pouvais même pas éclaircir ma voix hors scène).
Tu aurais tort de penser que c’est un quiz bâclé
tiré d’accommodements de fortune. Oh non.
Je suis debout sur la scène et je vois à quel point elle est solide.
Les accessoires sont étonnamment précis.
La machine pour faire pivoter la scène est là depuis plus longtemps encore.
Les galaxies les plus lointaines ont été allumées.
Oh non, aucun doute que ce doit être la première.
Et quoi que je fasse
cela deviendra ce que j'ai fait pour toujours.

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I believe in the refusal to take part.
I believe in the ruined career.
I believe in the wasted years of work.
I believe in the secret taken to the grave.
These words soar for me beyond all rules
without seeking support from actual examples.
My faith is strong, blind, and without foundation.

Je crois au refus de participer.
Je crois à une carrière gâchée.
Je crois aux années de travail perdues.
Je crois au secret emporté dans la tombe.
Pour moi ces mots planent au-dessus de toutes les formules
sans avoir à chercher d’exemples concrets.
Ma foi est forte, aveugle, et sans fondement.

(Découverte)

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The world - whatever we might think when terrified by its vastness and our own impotence, or embittered by its indifference to individual suffering, of people, animals, and perhaps even plants, for why are we so sure that plants feel no pain; whatever we might think of its expanses pierced by the rays of stars surrounded by planets we've just begun to discover, planets already dead? still dead? we just don't know; whatever we might think of this measureless theater to which we've got reserved tickets, but tickets whose lifespan is laughably short, bounded as it is by two arbitrary dates; whatever else we might think of this world - it is astonishing.

Le monde – quoiqu’on pense quand nous sommes terrifiés par son immensité et notre propre impuissance, ou aigris par son indifférence à l’égard de la souffrance individuelle des gens, des animaux et peut-être même des plantes, car pourquoi sommes-nous si certains que les plantes n’éprouvent aucune souffrance; quoiqu’on pense de ses étendues percées de rayons d’étoiles, entourées de planètes que nous avons tout juste commencé à découvrir, des planètes déjà mortes? toujours mortes? nous ne le savons pas; quoiqu’on pense de ce théâtre incommensurable pour lequel nous avons réservé des billets, mais des billets d’une durée ridiculement courte délimitée par deux dates arbitraires; en dépit de tout ce qu’on pourrait penser d’autre au sujet de ce monde – il est étonnant.

(Extrait du discours de réception du Nobel de littérature)

Credits: Sentinel-1A/ESA -- An interferogram created by combining two Sentinel-1A radar scenes over the Danube Delta in Romania.
Via The Guardian
http://www.theguardian.com/environment/2015/jul/22/satellite-eye-on-earth-june-2015-in-pictures

Impressionnantes photos de notre monde que nous avons essayé de transformer à notre convenance par tous les moyens possibles. La lutte de l’homme nombriliste contre l’univers est non seulement ridicule mais perdue d’avance! si seulement il pouvait finir par s’en rendre compte...

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