30 juillet 2015

Industrie du sexe 1 : Séduction et popularité

30 juillet : Journée mondiale de la dignité des victimes de la traite d’êtres humains (ONU)

Pour marquer cette journée j’ai choisi d’aborder une réalité épouvantable : l’exploitation sexuelle. Le marketing dont l’industrie du sexe nous gave (ça déborde dans les canaux d’égouts!) est horrifiant. La sexualité est omniprésente et accablante, une véritable épidémie. On a troqué les interdits et les tabous contre la débauche tous azimuts au point qu’on ne fait plus la différence entre érotisme et porno. Dans l’érotisme, on a encore affaire à des personnes. Dans le porno, on a affaire à des morceaux de viande, à des êtres-objets qu’on peut droguer, torturer et même assassiner en direct et publier sur le Net.

Ces trois articles n’ont pas pour but de nous renvoyer au puritanisme – victorien* ou autre, bien évidemment. Ce sont simplement des repères de réflexion sur une question qui demeure extrêmement troublante car il semble que nous n’ayons pas du tout évolué, mais plutôt régressé en la matière.

Je démarre avec Marilyn Monroe parce qu’elle fut un archétype de glamour et de sex-appeal au début des Soixante Glorieuses de la pornographie. L’industrie du sexe et du cinéma, ainsi que l’establishment politique, se sont payé sa tête, son cœur et son corps, et s’ils avaient pu lui dérober son âme pour la marchandiser, ils l’auraient fait (1).

Séduction et popularité

Une brunette en réalité, avant que l'industrie en fasse une blonde insignifiante (ce qu'elle n'était pas au départ; mais elle l'est devenue à force de brainwashing et de consommation d'alcool et de stupéfiants)

«Une blonde s'adapte inconsciemment à ses cheveux. Surtout si cette blonde est une brune qui se fait teindre en jaune. Elle veut être fidèle à sa couleur et se comporte comme un être fragile, une poupée frivole, une créature exclusivement préoccupée de son apparence, et cette créature exige de la tendresse et des services, de la galanterie et une pension alimentaire, elle est incapable de rien faire par elle-même, elle est toute délicatesse au-dehors et au-dedans toute grossièreté. Si les cheveux noirs devenaient une mode universelle, on vivrait nettement mieux en ce monde. Ce serait la réforme sociale la plus utile que l'on ait jamais accomplie.» ~ Milan Kundera (1929 - )

Le lien entre cette remarque et Marilyn est inévitable. Dans son récit autobiographique «Confession inachevée», écrit en collaboration avec Ben Hecht, celle-ci avoue qu’elle avait choisi la séduction et la popularité pour se prouver qu’elle «existait». On peut supposer  aussi qu’elle avait adopté une apparence et des allures non pas pour susciter l’amour mais plutôt le désir : I guess I am a fantasy (je crois que je suis un fantasme), disait-elle au biographe Donald Spoto en 1959.

Le parallèle avec les selfies de réseaux saute aux yeux. Grâce à internet, la séduction et la popularité ne sont plus le monopole de quelques stars privilégiées – chacun(e) peut jouer, et le nombre de «Like» sera le baromètre. Dans le documentaire Instafame, une psychologue décrit le phénomène ainsi : «Chasing fame without substance» (recherche de popularité sans substance). https://thoughtmaybe.com/instafame/

Cette conversation entre Marilyn et Michael Tchekhov (neveu d’Anton, écrivain et acteur dont elle fut l’élève) exprime bien le conflit identitaire de Marilyn, pour le moins ambigu : 

Il ne m’a pas seulement appris à jouer. Il m’a fait découvrir la psychologie, l’histoire, la beauté dans l’art et ce qu’on appelle le goût. 
   Au milieu de notre scène de La Cerisaie, Michael s’interrompit soudain, puis me considéra, un sourire plein de douceur aux lèvres.
-- Puis-je vous poser une question personnelle? demanda-t-il.
-- Tout ce que vous voulez.
-- Vous me répondrez en toute sincérité? reprit Michael. Étiez-vous en train de penser au sexe pendant que nous jouions?
-- Non, répondis-je, le sexe ne joue aucun rôle dans ce passage. Je n’y pensais pas du tout.
-- Vous n’aviez dans l’esprit aucune image d’étreinte ou de baisers? insista Michael.
-- Aucune. Je me concentrais complètement sur nos répliques.
-- Je vous crois, déclara Michael. Vous dites toujours la vérité.
-- À vous, oui.
   Il se mit à faire les cent pas pendant quelques instants, puis reprit :
-- C’est bien étrange. Pendant tout le temps où vous avez joué cette scène, je n’ai cessé de ressentir des vibrations sexuelles émanant de vous. Comme si vous aviez été une femme dans les affres de la passion. Je me suis arrêté parce que j’ai pensé que vous deviez être trop accaparée par le sexe pour continuer. 

   Je me mise à pleurer. Sans prêter attention à mes larmes, il poursuivit d’une voix intense :
-- Je comprends maintenant les problèmes que vous pouvez avoir au studio, Marilyn, vous émettez réellement des vibrations sexuelles – quoi que vous soyez en train de faire ou de penser. Le monde entier a déjà réagi à ces vibrations. Elles sont retransmises par les écrans de cinéma quand vous y apparaissez. Et vos grands patrons ne s’intéressent qu’à vos vibrations sexuelles. Elles suffisent à leur apporter une fortune. Voilà pourquoi ils refusent de vous considérer comme une comédienne. Tout ce qu’ils veulent, c’est tirer parti du stimulant sexuel que vous représentez. Leurs motifs et leurs projets sont très clairs. 

   Michael Tchekhov me sourit.
-- C’est vrai dit-il. Rien qu’en apparaissant sur l’écran, sans vous donner la peine de jouer, vous pourriez rouler sur l’or.
-- Mais il n’en est pas question! m’écriai-je.
-- Pourquoi? me demanda-t-il avec douceur.
-- Parce que je veux devenir une artiste, répondis-je, pas un gadget érotique. Je ne veux pas être vendue au public comme un aphrodisiaque sur pellicule : regardez-moi et mettez-vous à trembler! C’était acceptable les premières années. Mais, cette fois, les choses vont changer. 

   Je me rendis compte que, tout comme j’avais dû me battre pour faire du cinéma et devenir une actrice, je devrais maintenant me battre pour obtenir le droit d’être moi-même et d’utiliser mes talents. Si je ne me défendais pas, je deviendrais une marchandise bonne à être vendue dans les vitrines des cinémas.
   J’étais décidée à ne pas accepter leur million. Je voulais être moi-même et non pas un vulgaire adjuvant érotique, une pourvoyeuse de fric pour les trafiquants en chair fraîche du studio.


(Extrait de Conversation inachevée)

Marilyn avait une obsession majeure. Très centrée sur son apparence physique, elle avait une peur bleue de devenir grosse et laide. Eh bien, elle n’aura pas eu le temps de le devenir...  

Marilyn a-t-elle été assassinée?
C’est tout à fait plausible. Sex in politics... Dans le documentaire Le commerce du sexe, une travailleuse du sexe déclare que sa clientèle inclut beaucoup de fonctionnaires. 

Quoiqu'on pense de Marilyn, elle a eu une fin odieuse, non méritée à mon humble avis.

«Bobby Kennedy arrive vers 16 heures. Une violente altercation éclate. (Des policiers ont reconnu avoir entendu ces enregistrements et le coiffeur de Marilyn confirme cette visite). Les écoutes avaient enregistré en continu une querelle entre Marilyn et Bobby Kennedy tandis qu'ils passaient d'une pièce à l'autre. «Marilyn et Bobby se disputaient violemment, et elle lui a dit : «J'ai l'impression d'être jetée! J'ai l'impression d'avoir été utilisée.» Elle cria qu'on la traitait comme un «morceau de viande». Earl Jaycox, l'assistant d'Otash, a confirmé que Marilyn hurlait tandis que Bobby Kennedy essayait de la convaincre de lui donner son journal et les papiers dans lesquels elle a consigné les promesses de John et les secrets d'État que Bobby, volubile après l'amour, lui a confiés : «Où est-il? Où est-il?» Elle explose. Bobby la menace. Selon plusieurs sources, elle se disait prête à contacter la presse. C'est l'hallali. «Elle avait une trouille noire, je n'avais jamais vu ça», dit Jefferies. «Elle était incontrôlable», confirma également, enfin, la gouvernante Murray, qui d'urgence rappela le docteur Greenson. Il calma Marilyn. Mais selon Jefferies, vers 21 heures 30, Bobby est revenu avec deux hommes. Elizabeth Polards, une voisine, l'aurai vu aussi. Ils ordonnent aux deux domestiques de «déguerpir». Ils vont chez les voisins. Bobby et ses hommes quittent la villa. À leur retour, Eunice Murray et Jefferies trouvent Marilyn comateuse sur le parquet du pavillon d'amis. Ils appellent le docteur Greenson. Il tente une piqûre d'adrénaline et appelle une ambulance. «Ce fut la folie» se souvient Jefferies. Hall, l'ambulancier, certifie avoir trouvé Marilyn inanimée et l'avoir mise sur le dos pour tenter de la ranimer. Une douzaine de policiers en civil s'agitent dans la maison. Marilyn serait morte peu après la piqûre ou dans l'ambulance (selon le biographe de Peter Lawford) qui rebroussa chemin vers la villa. À minuit passé, «la version d'un suicide en huit clos est adoptée». Ambulance et policiers disparaissent. Bobby quitte Los Angeles. À 4 heures 45, on prévient enfin l'officier de service Clemmons...»

http://www.thinesclaude.com/marilyn--son-assassinat.php

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(1) J’ai vu le documentaire d’Ève Lamont, «Le commerce du sexe», une activité structurellement liée à des mécanismes d’exploitation contrôlés par le milieu criminel et menaçant les droits de la personne et l’intérêt collectif. Une production du Rapide-blanc en collaboration avec l’office National du Film du Canada :
   À qui profite l'industrie du sexe? Prostitution, agences d'escortes, salons de massage, bars de danseuses et tourisme sexuel... La marchandisation sexuelle s'est développée à un rythme effréné depuis une trentaine d'années. Mais au-delà de la banalisation de ce commerce, qui a souvent pignon sur rue, quelle est la réalité de ceux et celles qui en font l'objet? Le commerce du sexe propose une incursion dans cet univers brutal et révèle l'envers du décor d'un nouvel esclavage des temps modernes.

J’ai vu aussi À quoi rêvent les jeunes filles? : la sexualité féminine à l'âge du porno (disponible sur Youtube). Plutôt ambivalent; on se demande s’il ne s’agit pas d’un portrait édulcoré du porno (prétendument) féministe et s’il n’incite pas à le trouver «cool» plutôt qu’à le remettre en question.

De la vie en rose à la dure réalité. Beaucoup de jeunes femmes de 18 à 25 ans s’engagent dans l’industrie du porno dans l’espoir de se sentir libre et de faire beaucoup d’argent. Tout baigne au début, mais comme on dit, when the shit hits the fan, elles sont dans de beaux draps… Toutes les adolescentes devraient voir ce documentaire :  
   Hot Girls Wanted
   Brittany Huckabee, Jill Bauer, Ronna Gradus 2015
   Hot Girls Wanted is an up-close and personal view into the lives of several 18 to 25 year-old girls who are lured into the world of amateur pornography on the Internet. The film sets out to illustrate just some of the many ways the industry really works as opposed to how it appears, as well as providing an insight into the modern recruitment process — the pundits on the inside call it ‘The Game.’ And there are many tricks. According to the teens themselves, many come to porn by the promise of rich extravagant lifestyles, as well as fame and visibility. And while the money can be good for some, at least for a little while, that’s only a small part of the picture. The myths are many and there is a brutal reality of life in the industry, causing high turnovers of girls—once they cotton-on to The Game
https://thoughtmaybe.com/hot-girls-wanted/

Si le sujet vous intéresse voyez : Industrie du sexe 2 Le peak de l’exploitation sexuelle (notes tirées du documentaire Le commerce du sexe) et Industrie du sexe 3 Les Soixante Glorieuses de la pornographie

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* La reine Victoria, n’était peut-être pas «victorienne» en tous points, mais elle n’était assurément pas «féministe». 
   Elle s’éleva énergiquement contre l’ingérence du sexe féminin dans la politique et contre l’activité professionnelle des femmes. C’est ce qui ressort d’une lettre adressée au député libéral William Ewart Gladstone. … En 1869, au Royaume-Uni, les femmes avaient recouvré, pour les élections municipales, un droit de vote partiel aboli plus de trente ans auparavant. L’année suivante, une nouvelle loi accordait aux femmes une forme de droit à la propriété même en cas de dissolution du mariage. En 1870, un autre projet de loi, qui prévoyait d’accorder aux femmes un droit de vote illimité, fut rejeté par Gladstone. … Un débat passionné se déchaîna dans l’opinion publique sur la question de savoir quelle était finalement la véritable sphère naturelle de la femme. L’idée d’une stricte séparation entre vertus privées et publiques fut de plus en plus attaquée. La reine elle-même n’était-elle pas l’illustration de la capacité des femmes à jouer le rôle d’un homme dans le règlement des affaires politiques et sociales? Toutefois Victoria s’éleva énergiquement contre toutes les tentatives d’étendre le champ d’activité de ses consœurs au-delà des œuvres de bienfaisance. 

La reine Victoria à William Ewart Gladstone
[Forme impersonnelle selon protocole royal en vigueur]

Osborne, 6 mai 1870

«Les circonstances se rapportant à la loi qui voudrait donner aux femmes l’égalité des droits pour les élections au parlement conduisent la reine à faire remarquer qu’elle s’est efforcée depuis un certain temps d’attirer l’attention de Mr Gladstone sur les actuels efforts extravagants et complètement démoralisants qui entendent ménager aux femmes les mêmes positions professionnelles qu’aux hommes, entre autres dans le domaine de la médecine. (…) Elle attache beaucoup de prix à faire savoir que non seulement elle réprouve, mais elle abhorre ces tentatives qui mènent à la ruine de toute bienséance et de tout sentiment féminin – car tel serait le résultat inévitable de ces propositions. La reine est femme elle-même et sait combien sa propre position est anormale. Celle-ci peut manifestement s’accorder avec la bienséance et la raison, encore que cela soit terriblement pénible et pesant. Mais supprimer toutes les barrières et proposer que des femmes étudient avec des hommes, et des choses qui ne peuvent même pas être nommées en leur présence, et certainement pas dans une dans une assemblée mixte, signifierait l’oubli de tout ce qui doit être considéré comme faisant partie des lois et principes de la morale. 
   Les sentiments de la reine face à ce cri de guerre dangereux, antichrétien et antinaturel, et à ce mouvement des «droits de la femme» sont si violents (…) qu’il lui importe beaucoup que Mr Gladstone et d’autres entreprennent quelque chose pour écarter ce danger alarmant, en se servant de son nom autant qu’ils le voudront (…).»

Source : Les plus belles lettres de femmes, Laure Adler & Stefan Bollmann; Flammarion 2012

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