Le toucher
(…) La qualité des impressions tactiles trouve son champ le plus riche et le plus vaste dans la rencontre humaine et le contact de la peau. Depuis la rapide poignée de main jusqu’à la rencontre érotique et sexuelle, se déploie la richesse infinie des expériences possibles. Elles vont du contact indifférent superficiel, en passant par une qualité de toucher brièvement ressentie, jusqu’à une profondeur de contact qui peut amener à une authentique expérience de l’Être.
Rien ne relie mieux l’homme à l’univers que le toucher d’une créature vivante, qu’elle appartienne au monde végétal, animal ou humain. Le contact d’un jeune arbre dont on entoure le tronc de ses deux mains, du sol sur lequel on est étendu, de l’eau glissant autour du nageur, d’une averse dont on se laisse tremper; le contact avec le sol – qu’il soit sable, pierre ou herbe – sous les pieds nus, la sensation du vent ou de la pluie, tout cela peut être, à condition d’y apporter une certaine disposition d’esprit, une occasion d’union cosmique. Les dons originels sont, dans ce domaine, plus ou moins marqués selon les sujets mais, une fois rendus attentifs aux possibilités offertes, un exercice méthodique peut en élargir indéfiniment le champ.
Quiconque a séjourné longtemps à l’hôpital, et supporté l’atmosphère stérilisée qui y est prescrite, connaît l’impression de soulagement que la main tendue d’un visiteur lui a donné. Le thérapeute aussi le sait, lorsqu’il interrompt un entretien pour prendre silencieusement dans les siennes les deux mains du patient.
Le toucher de la peau élargit l’espace vital ressenti bien au-delà du corps. Un homme ne se sent pas seulement ainsi en contact avec l’autre, mais à travers lui, ce contact s’étend à la vie elle-même. (…)
La peur des contacts
La plénitude et le bienfait apportés par le contact, quand des hommes sont ensembles, échappent à une humanité dont les membres ne se considèrent et ne se traitent plus réciproquement que comme des objets.
Plus les gens se perçoivent face à face, dans leurs rôles, moins ils se reconnaissent entre eux comme des êtres humains. Et ils redoutent d’autant plus les contacts physiques. Naturellement ceux-ci existent par les gestes de tendresse qui accompagnent tout espèce d’amour. Mais n’y a-t-il pas aussi, en dehors des relations amoureuses, un contact qui témoigne simplement de la solidarité humaine? Celle-ci le justifie et en manifeste la sincérité. Non seulement le moindre toucher crée un lien entre deux êtres mais il les inclut tous deux dans quelque chose de plus grand et leur fait prendre une bienfaisante conscience d’appartenir à un «corps» plus vaste, un corps cosmique.
Parce qu’ils ne se témoignent pas assez entre eux, même sur le plan physique, une fraternité basée sur l’Être essentiel (1), nous sommes entourés d’hommes frustrés et glacés. Partout, comme entre les barreaux d’une grille, se tendent des mains à la recherche d’autres mains qui les prendraient affectueusement. Quand, inopinément, cela se produit, les barrières tombent soudain et un cœur glacé fond dans un chaud courant de vie. Mais c’est très rare. Cela n’arrive, spontanément, que si un homme est là simplement, par son Être essentiel, et qu’il ose se montrer dans la vérité qu’il est, dans son unité avec l’autre. Certainement cela suppose le courage de passer outre aux tabous et aux conventions qui briment la vie et interdisent les contacts. En fait pourquoi? Peut-être parce qu’ils abattraient les murs qui sécurisent le petit moi et le préservent de familiarités trop naïves et directes. Il les craint parce que, faute de s’adresser à l’Être essentiel de l’autre il serait peut-être lui-même capable de ces manques de tact.
La peur du contact physique est souvent un symptôme de défense névrotique. Pourtant, quel effet bienfaisant peut avoir une caresse sur la tête, le fait de poser la main sur l’épaule ou, tout simplement, de prendre quelqu’un dans ses bras, sans rien vouloir d’autre qu’exprimer une présence fraternelle du cœur, une façon d’être là avec l’autre, un signe d’appartenance commune. Ces gestes de solidarité toute humaine peuvent appeler la présence d’un tiers plus grand, l’Être essentiel qui nous unit tous, et lui porter témoignage.
(1) L’Être essentiel est l’énergie sur laquelle se fonde toute vie personnelle. Par une perpétuelle transformation, il tend vers une conscience et vers une structure d’existence qui lui soient conformes. L’Être essentiel est l’absolu en l’homme, la source da sa liberté de personne au sein de tout le contingent spatio-temporel. De tous les refoulements, celui de l’Être essentiel est celui qui met le plus en danger le devenir intégral de l’homme.
Source :
Karlfried Graf Dürckheim
MÉDITER; Pourquoi et comment
Le Courrier du Livre; 1978
COMMENTAIRE
Ironie du prétendu contact procuré par l'iPod Touch... à côté de la traque?
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