28 novembre 2013

Hiver : suite, mais pas la fin…

Artiste : René Richard; 1895 (Suisse) – 1982 (Canada) 
1. Trappeurs, 1955

L’hiver, quand il fait soleil, c’est quand même beau. Et puis, il semble que la meilleure thérapie pour ceux qui souffrent de dépression saisonnière reste la lumière naturelle. «Je n'ai jamais vu un skieur assidu qui souffre de dépression hivernale», dit le Dr Iskandar, un spécialiste de ce type de dépression. La combinaison soleil/neige est assurément une source de lumière particulièrement intense…

(Activité physiologique de la lumière : Par son inhibition de la sécrétion de mélatonine, la lumière permet un réveil amélioré et une meilleure vigilance. Elle régule l'horloge biologique et améliore la synchronisation des rythmes biologiques : ce qui entraînera une meilleure forme et une meilleure énergie vitale. Elle stimule les régions de la base du cerveau et augmente le niveau de sérotonine (neurotransmetteur) qui a un effet antidépresseur et régulateur de l'appétit. Source : Wiki) 

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Trente ans en juillet dernier que l’écrivaine manitobaine était décédée. Je ne me lasse pas de la relire. Parmi mes ouvrages préférés : «Alexandre Chenevert».
Vidéos (Gabrielle Roy), archives de Radio Canada :
http://archives.radio-canada.ca/arts_culture/litterature/dossiers/42/

2. Chiens à traineau, 1940

Passage hivernal extrait de :

La montagne secrète
Gabrielle Roy (1909-1983)  

Chapitre VII

Steve repartit une fois encore seul et, parvenu sur le bord du lac Caribou, tendit le regard. Il pensait tout à coup qu’au-delà de l’immense champ glacé, à douze milles de distance, se trouvait, sur la rive opposée, une réserve indienne. Cela voulait dire une mission, par conséquent une école du gouvernement, par suite quelque Blanc là-bas, maître ou maîtresse d’école, et sans doute quelque petite pharmacie de secours. Il avait le désir de sauver, peut-être autant que Pierre, les ensorcelantes images du printemps qu’il avait pensé deviner du regard. Et c’était là un assez curieux penchant chez Sigurdsen qui jusqu’ici ne s’était guère soucié que de faire bonne chasse l’hiver, pour, il est vrai, en boire, l’été, presque tout le profit.
       De l’œil, il évalua la vaste étendue de neige. Par temps calme et qu’il y eût un peu de clarté, ce n’était pas exactement périlleux de la traverser et d’en revenir. Mais que le vent prît autour d’un être humain engagé en cette plein nue, sans aucun abri, et c’était la mort à peu près certaine.
       Sigurdsen supputant ses chances examinait le ciel lourd. En homme des bois avisé, il connaissait la folie de ce qu’il avait envie d’entreprendre. Il balançait, se sentait sur le bord de renoncer à son projet, puis se vit tout à coup et comme malgré lui engagé sur cette longue surface unie, un point noir cheminant à travers l’infinie blancheur.

C’est lorsqu’il eut atteint le milieu du lac que les vents l’assaillirent. En un instant, le blizzard fut sur lui. Ce que Steve avait pu distinguer de vagues repères fut anéanti. Le trappeur éprouva contre les bons mouvements de son cœur une véritable rage. Mais à quoi, maintenant, cela pouvait-il l’avancer de tant s’en prendre à lui-même. Avec ses chiens, il se coucha sur le sol ravagé, se couvrit de neige, enfouit son visage en ses vêtements. C’était la seule chose à faire. Et il pourrait encore s’en tirer s’il n’usait pas en vain ses forces et celles de ses chiens et si la tempête ne durait pas des jours. Il dormit, malgré tout, dans son faible creux de neige, aux hurlements des rafales.

Quand il s’éveilla, la tempête paraissait avoir diminué. Il put se remettre en route. Enfin, ce même jour peut-être, ou le lendemain – comment savoir! – il discerna devant lui quelques formes imprécises de huttes indiennes; il avait atteint la rive.

Vers cette lueur perçue, il se traîna à bout de forces, se haussa pour voir à l’intérieur d’une pièce éclairée. Ce qu’il vit à travers les houles de neige et de demi-ténèbres lui parut aussi fantastique que certains croquis de Pierre, car il se trouvait à regarder dans une humble salle de classe : à leur pupitre étaient assis une douzaine de petits enfants indiens; élevée de deux marches au-dessus d’eux, la maîtresse parlait et pointait d’un bâton une carte géographique déroulée en toute sa longueur. Un faible son de voix parvenait à Steve Sigurdsen tout ahuri. Au centre de la classe un gros poêle rougeoyant l’attirait. Il trouva le loquet de la porte, apparut. Et alors, dès en entrant, aux mains d’un petit garçon qui dessinait une maisonnette sur du papier, il aperçut des crayons de couleur.

Deux jours s’étaient écoulés, depuis que Steve eût dû être de retour. Dis fois au moins en une heure, Pierre allait à la porte, l’ouvrait, s’efforçait, à travers les bondissements de la tempête revenue, de saisir au loin un bruit d’attelage, ou quelque forme approchante.

Ah! que revienne seulement Sigurdsen, et il ne se plaindra plus de rien; il connait à présent que la seule privation tout à fait intolérable, c’est celle d’un compagnon.

Le lendemain fut une journée claire, presque douce, Pierre allait un peu mieux. Il fit une pâte à galettes pour mieux incliner cette journée à lui ramener Sigurdsen. Et, de fait, les galettes cuites, il entendit la voix de Steve qui excitait ses chiens. Avant même de les déceler il entra, d’une bonne humeur bruyante. Il racontait : son aller à travers le lac, le retour peut-être plus pénible encore. Mais du moins il rapportait de quoi les remettre tous deux en bonne santé : de la vitamine C, des raisins secs, un peu de pommes déshydratées. Et ceci encore!
       Il élevait un petit paquet, demandant à Pierre d’en deviner le contenu.
       C’était des crayons de couleur.
       La bougresse de maîtresse d’école, avait fait toutes sortes d’histoires avant de les lui céder, racontait Steve. « Ses petits Indiens en avaient besoin. Cela ne se donnait pas sans autorisation. C’était propriété de la mission… Tout un tralala! »
       Pierre ne voyait plus bien, un brouillard sur les yeux; il jouait avec les crayons. Puis il leva le regard vers le carreau de la fenêtre. Allant à la fenêtre, de sa manche il l’essuya. On vit un peu mieux les tendres couleurs du jour pâle.
       Steve vint regarder son compagnon au travail Penché en avant, il voyait naître un peu de ciel vivant, reparaître la vie en ces bois, à chaque touche de Pierre renaître le monde.

L’étrange belle vie! En quelques jours, Pierre abattit plus de croquis que naguère en des mois. Ils tombaient de lui comme les feuilles d’un arbre. Presque sans effort. Après les paysages, des traits humains. Sa santé pour longtemps encore ébranlée, un point au côté, une petite toux sèche qui le faisait souffrir : avait-il dès lors le temps de s’arrêter à ces misères? Une joie profonde en lui était à l’œuvre. Du ciel, des rayons de clarté, des arbres ressuscités, tout ce qui est bon à voir provenait des petits crayons déjà presque aux trois quarts usés.
       Un jour, il fit Sigurdsen. En chemise rouge à carreaux, ses forts cheveux roux en broussaille sur le front bas, le voici qui tient sur un genou levé son accordéon; il en joue sans doute un air endiablé; sa physionomie aux clairs yeux pâles brille d’entrain; les épaules paraissent soulevées; les grosses mains sont en mouvement. Sigurdsen ne se détesta point ainsi représenté.
       Puis, un soir, Pierre acheva le portrait d’une jeune fille à la petite bouche serrée, assise auprès d’une grande eau et frileusement enveloppée d’un vaste chandail rouge.
       -- Qui? demanda Steve sans façon.
       -- Nina.
       -- Nina, reprit-il et, cueillant son accordéon, s’installant sur son châlit pour jouer, prétendit la faire danser avec les ombres, mais bientôt, suspendit la plaisanterie, comme interdit tout à coup devant le naïf appel du portrait.

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