Anthologie de l’Extase
Textes rassemblés par Pierre Weil
Question de / Albin Michel; 1989
[Extraits]
L’approche transpersonnelle, le regard de la science sur les états mystiques
«Trop de gens avec une vision limitée définissent l’essence de la science comme étant un contrôle prudent, une validation d’hypothèses, une recherche pour vérifier si les idées d’autres gens sont correctes ou non. Mais comme la science est aussi une technique de découverte, il lui faudra apprendre comment stimuler les intuitions et visions des expériences culminantes, et ensuite comment les traiter comme des données.»
~ Abraham Maslow, The Farther reaches of human Nature, 1971
Au cours de ces dernières décades qui précèdent la fin de notre vingtième siècle, on a pu noter un intérêt croissant aussi bien de la part de scientifiques, plus particulièrement de physiciens, de psychologues et anthropologues de renom que du public en général, pour un type d’expérience humaine à laquelle on a donné de nombreux noms différents, comme par exemple : extase mystique, illumination, nirvana, samadhi, satori, royaume des cieux, règne du Père, septième ciel, devekut, expérience transcendantale, métanoïa, conscience cosmique.
Plusieurs facteurs peuvent être signalés comme causes aussi bien de l’augmentation de ces cas que de l’intérêt grandissant du public à ce sujet.
Signalons en premier lieu le malaise de l’humanité devant la perspective de sa propre destruction; devant cette angoisse, de plus en plus nombreuses sont les personnes qui se posent les questions fondamentales sur le sens de notre existence et la place de l’homme dans le cosmos. Et si la question devient capitale et envahit toute l’existence d’un individu, elle peut déclencher chez celui-ci, par un processus qui nous échappe, l’entrée dans cet état de conscience cosmique.
Un autre facteur, évident celui-ci, c’est la diminution des distances géographiques entre l’Occident et l’Orient; la facilitation des communications a mis les maîtres et sages de l’Inde, du Tibet, de la Chine et du Japon à notre portée. (…) Ils communiquent un savoir presque perdu ici; ils réveillent en ceux qui pratiquent leurs enseignements cette sagesse primordiale enfouie en chacun de nous.
Lentement mais sûrement s’installe une authentique thérapie des maux de notre civilisation et de l’humanité, de ce que nous avons appelé la névrose du paradis perdu.
Mais on pourrait penser que cette conscience cosmique, que cette expérience transcendantale n’est qu’une manifestation chimérique, une espèce de phantasme hallucinatoire, ou même, comme l’affirmaient certains psychiatres, un épisode ou crise psychotique.
C’est là qu’intervient le troisième facteur : la recherche scientifique; celle-ci démontre de façon que l’on peut considérer aujourd’hui irréversible :
- Qu’il s’agit bien d’une phénoménologie authentique, susceptible de contrôles expérimentaux rigoureux, physiologiques et psychologiques.
On sait par exemple, depuis les travaux de Thérèse Brosse suivis de ceux de nombreux physiologistes américains, que ces états sont accompagnés de modifications du rythme respiratoire, cardiaque, électro-cutané et électro-encéphalographique, à tel point que l’on peut accompagner sur les graphiques le début et la fin du changement d’état de conscience. Ceci montre qu’il s’agit bien d’un phénomène réel.
L’aspect psychologique de ces manifestations physiologiques a été étudié par de nombreux auteurs, par des méthodes d’analyse de contenu qui permettent de brosser un tableau d’ensemble assez précis et de faire un diagnostic de ce qui est vraiment transpersonnel.
- Que les personnes actuellement vivantes et qui en sont l’objet sont non seulement normales, mais encore, surtout dans le cas de grands maîtres, présentent une intelligence, attention, mémoire, équilibre émotionnel et sens pratique tout simplement exceptionnels.
- Que l’on en connaît maintenant les points communs aux différentes traditions; ce vécu présente un caractère transculturel.
- On commence à décrire et tester les variables qui permettent l’élaboration de conditions favorables à son éclosion.
Une nouvelle branche de la psychologie
Ce type de recherche appartient aujourd’hui à une nouvelle branche de la psychologie : la psychologie transpersonnelle*. Née en Californie en 1969 comme quatrième révolution de la psychologie, issue du mouvement de psychologie humaniste, on peut citer entre ses précurseurs des pionniers de la psychologie moderne comme William Jones, Carl Gustav Jung qui forgea le terme transpersonnel, et Abraham Maslow.
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* Le transpersonnel : Lorsqu’un jour du troisième millénaire on se posera la question de savoir qu’elle fut la découverte la plus importante du XXe siècle, la réponse ne sera sans doute pas la force atomique ni celle des univers parallèles, mais celle de l’état transpersonnel de la conscience ou conscience cosmique. Cette dernière découverte constitue aujourd’hui le point de rencontre et de convergence entre la physique moderne et la psychologie, rencontre assez inattendue, si l’on tient compte de la distance qui semblait séparer ces deux disciplines; pourtant les états mystiques et les vues des grandes traditions spirituelles de l’humanité ont attiré l’attention de nombreux physiciens.
Témoignage
En revenant sur ma propre expérience toutes ces formes de consciences convergent en direction d’une espèce d’insight au sujet duquel je ne puis éviter d’attribuer une certaine signification métaphysique. Le point principal en est invariablement la réconciliation. C’est comme si les opposés du monde, dont le caractère contradictoire et conflictif provoque toutes nos difficultés et troubles, se dissolvaient dans l’unité. Non seulement, comme espèces, elles appartiennent à un et au même genre, mais une de ces espèces, la plus noble et la meilleure, est elle-même le genre, et imprègne et absorbe ses opposés en elle-même.
Ceci est une manière obscure de le dire, je le sais, quand c’est exprimé en termes de logique commune, mais je n’arrive pas à échapper complètement à son autorité. Je sens que cela doit signifier quelque chose, quelque chose comme la philosophie hégélienne…
~ William James (The varieties of religious experience; 1926)
Faire un avec le Tao (avec tout ce qui est)
Tao Te King
Chapitre XVI
Ce que l’on ne peut voir
Est appelé invisible
Ce que l’on ne peut entendre
Est appelé inaudible
Ce que l’on ne peut toucher
Est appelé imperceptible.
Trois éléments indéchiffrables
Qui se confondent en un.
L’aspect supérieur est non lumineux
L’aspect inférieur est non obscur.
Indéfini il ne peut être nommé.
Forme sans forme
Image sans image
Clair-obscur indistinct.
On ne peut voir son visage
Ni suivre son dos.
Pourtant qui suit l’antique voie
Saura maîtriser le présent.
Connaître l’origine
Revient à marcher sur la voie.
Interprétation libre de Goddard (in Lao Tsé, Tao-Teh-King, A buddhist Bible, 1970) :
«Au moment où l’on est capable de concentrer son esprit à l’extrême de la vacuité et de le maintenir là dans une sereine tranquillité, alors notre esprit fait un avec l’esprit de l’univers et est retourné à son état originel duquel son mental et toutes les choses de l’univers ont émergé comme apparences.
Toutes choses se trouvent dans un processus périodique de manifestation et dissolution dans leur état originel. On pourrait appeler ceci une espèce d’inertie, une retraite de l’activité et de la manifestation, qui ramène toutes choses à leur état originel de composition. L’état originel est éternel. Comprendre cette éternité de la vacuité c’est l’illumination; sans cette illumination notre esprit s’épaissit dans la confusion et dans des activités nocives.
Comprendre la vérité de l’éternité nous inonde de grâce; la grâce nous rend impartial; de l’impartialité découle la noblesse de caractère, la noblesse est comme le ciel.
Être céleste signifie avoir atteint l’état de tao. Avoir atteint l’état de tao c’est devenir un avec l’éternité. On ne peut jamais plus mourir, même avec la décadence du corps.»
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Pensées du jour :
Si vous préservez votre esprit de tout jugement et n’êtes pas esclave de vos sens, votre cœur trouvera la paix.
~ Tao Te King
L’illumination, c’est d’abord la liberté d’être le raté que l’on est.
~ Alan Watts
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