15 septembre 2013

Poètes et écrivains d’ici – 3

Peintre : Yvon Lemieux; La Malbaie, Charlevoix

Laure Conan (pseudonyme de Marie-Louise Félicité Angers), est née à La Malbaie en 1845. À cette époque, l'Église se glissait sous la plume des auteurs. Le roman de l’écrivaine, Angéline de Montbrun, publié en 1884, avait choqué certains prélats catholiques. Pourtant, c’était loin d’être audacieux. J’avoue que son côté «mystico-catholique» me rebutait quand j’étais jeune; par contre j’aimais son style d’écriture, la profondeur de ses réflexions et sa noblesse de sentiments.

On a soupçonné, sans doute à raison, que le roman contenait des traces de sa propre expérience amoureuse… Car Laure a vécu une relation difficile avec un dénommé Pierre-Alexis Tremblay, un homme politique de Charlevoix, de 18 ans son aîné. M. Tremblay avait fait voeu de chasteté auprès de l’Église catholique. Il demanda donc au pape de le relever de ce vœu pour épouser Laure. Mais finalement, le sournois M. Tremblay se maria avec une autre femme. Laure n’oublia jamais cet échec amoureux.

Extraits : 

Comme on reste enfant! Depuis hier, je suis folle de regrets, folle de chagrin. Et pourquoi? Parce que le vent a renversé le frêne sous lequel Maurice allait s’asseoir avec ses livres. Cet endroit de la côte, d’où l’on domine la mer, lui plaisait infiniment et le bruit des vagues l’enchantait. Il avait enlevé quelques pouces de l’écorce du frêne, et gravé sur le bois, entre nos initiales, ce vers de Dante : L’amour impose à qui est aimé d’aimer en retour.
       Amère dérision maintenant ! et pourtant ces mots gardaient pour moi un parfum du passé. La dernière fois que j’en approchai, une araignée filait sa toile sur les caractères que sa main a gravés, et cela me fit pleurer. Je crus voir l’indifférence hideuse travaillant au voile de l’oubli. J’enlevai la toile, mais qui relèvera l’arbre tombé, renversé dans toute sa force, dans toute sa sève ?
       Le cœur se prend à tout, et je ne puis dire ce que j’éprouve en regardant la côte où je n’aperçois plus ce bel arbre, ce témoin du passé.  

***
       Oublier! est-ce un bien? Puis-je le désirer?
       Oublier les aspirations vers l’infini, la douceur bénie des larmes, les rêves délicieux de l’âme virginale, les premiers regards jetés sur l’avenir, ce lointain enchanté qu’illuminait l’amour.
       Oublier les clartés d’en haut; les rayons qui s’échappent de la tombe; les voix qui viennent de la terre, quand ce qu’on aimait le plus y a disparu.
       Oublier qu’on a été l’objet d’une incomparable tendresse; qu’on a cru à l’immortalité de l’amour.
       Oublier que l’enthousiasme a fait battre le cœur; que l’âme s’est émue devant la beauté de la nature; qu’elle s’est attendrie sur la fleur saisie par le froid, sur le nid où tombait la neige, sur le ruisseau qui coulait entre les arbres dépouillés.
       Oublier ! laisser le passé refermer ses abîmes sur la meilleure partie de soi-même! N’en rien garder! N’en rien retenir! Ceux qu’on a aimés, les voir disparaître de sa pensée comme de sa vie! les sentir tomber en poudre dans son cœur!  

***
«Suis-je plus à plaindre que beaucoup d’autres? Combien qui végètent sans sympathies, sans affections, sans souvenirs! Parmi ceux-là il y en a qui auraient aimé avec ravissement, mais les circonstances leur ont été contraires. Il leur a fallu vivre avec des natures vulgaires, médiocres, également incapables d’inspirer et de ressentir un sentiment affectueux. Combien y en a-t-il qui aiment comme ils voudraient aimer et qui sont aimés comme ils voudraient l’être? Infiniment peu. Moi, j’ai eu ce bonheur si rare, si grand; j’ai vécu d’une vie idéale, intense.»

***
«Croyez-moi, ce n’est pas avec un sentiment dont vous avez déjà éprouvé le néant, que vous rempliriez le vide de votre vie et de vos jours...»

Photo : Zahelle; La Malbaie (TREKEARTH)

«Dans sa chartreuse, au milieu de la nature accidentée qui borde le domaine paternel, elle égaie sa vie, et la tonifie au vent de mer saturé d’iode et de salin. Sur une plage envahie par les touristes, elle s’isole pour vivre sa bonne vie d’idéaliste et réaliser... dans ses livres les voyages rêvés de ses vingt ans. (…) De bonne heure, cette femme a compris que la sagesse n’est pas de poursuivre des chimères, mais d’accepter la vie telle qu’elle est et de la rendre féconde, utile et méritoire. Son œuvre est la peinture d’une âme qui monte vaillamment de la souffrance à la sérénité. S’il s’en dégage parfois de la tristesse, cette tristesse n’a rien du mal romantique; elle nous semble plutôt le tourment de l’artiste, en face de la réalité, si inférieure au rêve qu’elle porte en son âme éprise de beauté.» (Renée Des Ormes, Mes célébrités; 1926)  

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