11 octobre 2013

De grands lecteurs

(Artiste inconnu)

Le lecteur du dimanche
Dany Laferrière

Le dimanche, ma grand-mère avait l’habitude de sortir avec moi pour faire le tour du quartier, et on passait devant la maison du notaire Loné, celui que la pluie n’intimide pas. Le notaire avait l’habitude, le dimanche après-midi, de s’installer sur sa galerie. Il disposait alors sur une grande table des livres et des objets pouvant lui faciliter la lecture : une loupe, des lunettes, des crayons. On aurait dit une scène de théâtre. Les passants semblaient toujours impressionnés par le visage grave et contrarié du notaire. C’était un rituel de passer devant sa maison afin de le voir en train de lire. Ma grand-mère ne manquait pas de chuchoter : «C’est le notaire, un grand lecteur.» Quand, des années plus tard, j’ai assisté à la dévaluation du lecteur, j’ai pensé à l’attitude noble du notaire qui, pour intéresser ses voisins à la lecture, s’offrait en exemple. C’était bien vu, car l’être humain (on le voit plus clairement avec l’enfant) n’aime pas obéir, il préfère imiter.

Journal d’un écrivain en pyjama  (No 157; p. 243)

Bain de lecture; photo IMACOM, Jessica Garneau

De son enfance à Petit-Goâve avec sa grand-mère Da, Dany Laferrière tire son roman, «L'Odeur du café» paru en 1999. D'abord journaliste au Petit samedi soir, il quitte Haïti pour Montréal en 1976, à la suite de l'assassinat de son ami Gasner Raymond. C'est au Québec, en 1985, qu'il connaît le succès avec son premier roman «Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer». Il enchaîne alors les romans.
       Ses romans ont été récompensés par de nombreux prix. Il reçoit le prix Carbet 1991 pour «L'Odeur du café», le prix Carbet des lycéens 2000 pour «Le Cri des oiseaux fous» et le prix RFO du livre 2002 pour son roman, «Cette grenade dans la main du jeune nègre est-elle une arme ou un fruit?».
       L'écrivain a également tiré des scénarios de certains de ses romans. «Comment conquérir l'Amérique en une nuit» dont la réalisation et le scénario sont signés Dany Laferrière a remporté le prix Zénith au Festival des films du monde de Montréal.
        Son livre «L'énigme du retour», paru en 2009, a reçu le Prix Médicis.
        (Babelio)

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Alberto Manguel

Citations

«Ce qui fait d'une bibliothèque un reflet de son propriétaire, c'est non seulement le choix des titres mais aussi le réseau d'associations qu'implique ce choix. Notre expérience se construit sur l'expérience, nos souvenirs sur d'autres souvenirs.»

«Il se peut que les livres ne changent rien à nos souffrances, que les livres ne nous protègent pas du mal, que les livres ne nous disent pas ce qui est bien ou ce qui est beau, et ils ne nous mettent certes pas à l'abri du sort commun qu'est la tombe.
        Mais les livres nous offrent une multitude de possibilités : possibilité d'un changement, possibilité d'une illumination. Il se peut qu'il n'existe aucun livre, si bien écrit qu'il soit, qui puisse alléger d'une once la douleur des tragédies d'Irak ou du Rwanda, mais il se peut aussi qu'il n'existe aucun livre, si atrocement écrit qu'il soit qui ne puisse apporter une épiphanie au lecteur qui lui est destiné.»

«Comme la plupart des amours, l’amour des bibliothèques s’apprend. Nul ne peut savoir d’instinct, lorsqu’il fait ses premiers pas dans une salle peuplée de livres, comment se comporter, ce qu’on attend de lui, ce qui est promis, ce qui est autorisé. On peut se sentir horrifié – face à ce fouillis, cette ampleur, ce silence, ce rappel moqueur de tout ce qu’on ne sait pas, cette surveillance – et un peu de cette sensation écrasante peut demeurer encore après qu’on a appris les rites et les conventions, qu’on s’est fait une idée de la géographie et que les indigènes se sont révélés amicaux.» 


Alberto Manguel est écrivain, mais surtout lecteur. Né en Argentine, il a grandi en Israël, où son père a été le premier ambassadeur nommé à la naissance de l'État. Élevé par une nourrice, il a appris la langue de ses parents, l'espagnol, à 8 ans. En 1985, après avoir vécu partout dans le monde, il s'installe au Canada. Aujourd'hui, il vit en France dans une maison qui abrite sa bibliothèque.
        L'histoire d'Alberto Manguel est forgée par les livres. Enfant, ils seront son refuge, sa patrie, dira-t-il. Adolescent, il travaillera dans une librairie et fera la lecture à l'écrivain argentin Jorge Luis Borges, devenu aveugle. «Je savais que j'étais lecteur, ce que Borges m'a donné, c'est la confiance en ce que je voulais faire», raconte-t-il. Adulte, il écrira Une histoire de la lecture. 
        Alberto Manguel est journaliste (presse, radio, télévision). Il a publié de nombreuses anthologies, des romans, des traductions et des essais.
       (Émission Le 21e, Ici Radio-Canada Première)

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