(Photographe inconnu)
La place de l’autre
Jean-Louis Fournier
Pourquoi vous avez dit «Je me mets à votre place»?
De grâce, restez à votre place. D’abord, je ne veux pas qu’on se mette à ma place, surtout si c’est une place assise. Si vous vous mettez à ma place, je n’aurai plus de place, où je vais me mettre? À ma place, il n’y a pas de place pour deux. Vous n’allez quand même pas vous mettre sur mes genoux? Vous avez dit ça par sympathie. J’ai eu des malheurs, vous vous voulez compatir, partager mon chagrin.
Devant le malheur, on n’est jamais à la même place. Comme au théâtre, il y a ceux qui sont au premier rang, aux places les plus chères, et ceux qui sont derrière.
On ne peut être malheureux à la place de quelqu’un.
Imaginez un homme qui s’enlise. Si vous vous mettez à sa place, vous vous enlisez avec lui. Vous voulez le sortir de là? Restez à votre place, sur la terre ferme, et tendez-lui la main.
De grâce, restez à votre place. Après une plaisanterie sur les aveugles, il y a toujours un bien-voyant mais non comprenant qui s’indigne : «Je me mets à la place des aveugles et ça ne me fait pas rire.»
Mais les aveugles ont ri.
Extrait de :
Ça m’agace!
Éditions Anne Carrière
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