24 juillet 2013

Notes de lecture

 Photo : Mallory Morrison; Water series

Douglas Kennedy 
Un perspicace observateur du comportement humain…
Pas d'édulcorant, le vrai goût des choses.    

Quitter le monde; 2009

«Puisque mon budget était depuis le début très serré, je suis devenue experte de la vie à petit prix. (…) Là se trouve l’avantage de ne pas avoir beaucoup d’argent : on apprend à mener une vie intéressante sans nourrir des besoins incessants. C’est seulement quand on commence à gagner beaucoup que l’on se retrouve convaincu de la nécessité de se procurer des choses auxquelles on ne pensait même pas auparavant, et une fois qu’on les a obtenues, on se met à convoiter ce que l’on n’a pas encore; une insatisfaction permanente s’ensuit, tandis que l’on se découvre prisonnier du désir d’acquérir toujours plus, de sacrifier à cette pulsion consumériste que l’on sait, dans les moments de lucidité, uniquement destinée à colmater les fissures de son existence. Et ensuite, on essaie de se raconter que cette avalanche de biens matériels finira par étouffer le doute et la mélancolie à l’œuvre dans toute vie humaine. (…) L’argent : la drogue la plus trompeuse qui soit, car elle nous donne l’illusion de pouvoir contrôler notre destin. Un vrai mensonge.»

«Lorsqu’on a peur de perdre quelqu’un on préfère toujours écouter ses paroles rassurantes même si on n’y croit pas au fond de soi. Nous disons tous que nous détestons les mensonges, mais en réalité nous préférons être bernés, plutôt que d’écouter des vérités désagréables.»

«Quand on ne confesse rien, on ne livre aux autres que des suppositions, jamais de preuves.»

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Piège nuptial; 1994 

«Mais si la vie nous apprend quelque chose, c’est que l’on ne peut jamais dissiper les chimères d’autrui; malgré toutes les preuves empiriques que l’on peut apporter, il ou elle se raccrochera à ses faux espoirs avec une obstination exaspérante, mais qui est – et l’on s’en aperçoit souvent – la seule défense face à une réalité qu’il n’est pas possible d’affronter sans risquer de s’écrouler. Une fois que quelqu’un s’est engagé dans le mensonge et l’auto-intoxication, rien de ce que l’on dit ou «prouve» n’a de valeur, parce que le mensonge devient la vérité; et une vérité qu’il ne faut surtout pas contester.»

«Est-ce que la vie doit se résumer si souvent à une succession d’occasions ratées?» 

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Combien? – nouvelle traduction française 2012  
(Chasing Mammon : Travels in the Pursuit of Money; 1992)

(Extrait préface 2011)

«Au cours des trente dernières années, soit l’époque initiée par les révolutions reaganienne et thatchérienne, des métropoles hier encore bon marché se sont transformées en enclaves réservées à la population la plus aisée. L’espace urbain dans lequel j’ai grandi, Manhattan, accueillait jadis une vraie classe moyenne – mes parents en faisaient partie – et, jusqu’au milieu des années qo80, était encore le genre de quartier où une jeune enseignante, un journaliste de la radio publique, un acteur débutant, une romancière en herbe ou un peintre inconnu était en mesure de trouver de quoi se loger sans se ruiner, de mener une existence modeste mais de se sentir un élément à part entière de la vie trépidante de la cité.
(…)
Et c’est alors qu’un certain Rudolph Giuliani, un individu affligé de l’autoritarisme d’un supérieur jésuite et des obsessions hygiéniques d’un banquier suisse bloqué au stade anal, a été élu maire. Sous sa direction, New York a perdu sa dégaine débraillée et plutôt louche, l’immobilier a flambé, Manhattan a été dépouillé des derniers vestiges de sa petite bourgeoisie et de son demi-monde bohème. Les bouquinistes et les cinémas indépendants ont fermé un à un, tandis que les magasins Gap poussaient comme des champignons. Oui, les rues étaient sûres désormais, oui, la prospérité était de retour. Et ceux qui avaient de l’argent – les golden boys de Wall Street, les avocats de haut vol, les manipulateurs de fonds d’investissements – se sont mis à accumuler des fortunes comme on n’en avait plus vu depuis l’ère des chevaliers de l’industrie, à l’aube du XXe siècle. Aujourd’hui encore, après plusieurs réajustements de la scène financière, la ploutocratie de Manhattan jouit d’une aisance matérielle inimaginable pour nous, simples mortels. Exemple : il y a quelques jours, une propriété des Hamptons – là où les super-riches New-Yorkais vont se dorer la pilule, l’été – s’est vendue cent millions de dollars. Rien que pour ça… Voilà, nous vivons une ère où il existe bel et bien des gens capables de dépenser cent millions uniquement pour avoir un toit sur la tête quelques semaines par an… 
(…)
L’argent est un vernis … un vernis qui dissimule tout ce qu’il y a de trouble et de sombre en nous, tout ce que nous refusons de voir.  
(…)
… j’étais parvenu au constat que le rapport à l’argent est un excellent révélateur de la psychologie collective d’un pays, de ses pathologies – car toute psyché nationale a son côté pathologique – et de ses valeurs fondatrices.
       Combien? est né de toutes ces interrogations, et notamment d’une question centrale : pourquoi, et de quelle manière, l’argent nous définit-il? Lorsqu’on considère à quelle rapidité le monde de la haute finance s’est mué en cette hydre monstrueuse que nous subissons aujourd’hui, qu’il s’agisse de la folie d’un Bernard Madoff, de la débâcle bancaire qui a failli mettre à genoux l’économie américaine ou du gouffre sans cesse béant entre les très riches et le reste de l’humanité, ce que je décrivais dans ce livre me semble encore plus pertinent à l’heure actuelle.»

http://www.douglas-kennedy.com/site/accueil_site_douglas_kennedy_&1.html

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