7 juillet 2013

Catastrophe imprévisible?

Crédit photo : Robert Skinner 
Les sinistrés ne me liront sans doute pas, mais je veux quand même exprimer mes regrets à cette petite communauté du Lac-Mégantic qui semble tricotée serré et solidaire. Les mots adéquats manquent, de toute façon.

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Comme dit l’auteur de Sans commune mesure (ci-après), il est dans la nature humaine de vouloir parer à l’imprévisible, même si c'est impossible.

Personne n’ignore que transporter des matières dangereuses (quels que soient les moyens – trains, oléoducs, cargos, etc.) c’est jouer avec le feu avec l’assurance que des catastrophes se produiront en bout de ligne, un jour ou l’autre. Mais, quand de surcroît elles sont dues à la négligence ou au terrorisme, c’est encore pire.

Faute de lois intelligentes, respectées à la lettre, la situation continuera de se dégrader jusqu’à l’extinction totale du vivant. En dépit des visites de politesse des dirigeants sur les sites dévastés, nous sommes en droit de nous questionner du peu de cas qu’on fait des humains et de l’environnement dans tout ça.

«La civilisation est une maladie produite par la pratique de bâtir des sociétés avec des matériaux pourris.» ~ George Bernard Shaw

«Ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature; elle se venge de chacune d’elles.»  ~ Engels

«La forêt précède les peuples; le désert les suit.» ~ Chateaubriand

Crédit photo : Ryan Remiorz, PC

Sans commune mesure
Marie-Noëlle Agniau

[Extrait]

Tenez, l’autre jour, je  vous parlais de la vulnérabilité humaine. Et de cette tendance que nous pouvons avoir de la nier, en prévenant sans cesse le cours de notre existence. Comme si pour exister, il nous fallait un peu plus de certitude que ça, comme si on pouvait l’impossible : ôter au devenir son devenir. Nous avions alors une exigence : assumer sans terreur mais sans irresponsabilité non plus, notre condition en laquelle tout survient. Ce qu’il fallait, c’est alors beaucoup de courage pour accueillir les «accidents» de la vie, ses contretemps, toutes ces choses auxquelles on n’aurait jamais pensé, et tant mieux car l’imagination aussi sait être terroriste, et qui pourtant nous forcent à «dérouter» nos actions, nos projets, nos pensées et nos solides théories philosophiques.

Ironie du sort, comme on dit. Comme on dit d’ailleurs quand les causes (le tenace pourquoi) nous sont incompréhensibles, obscures, cachées, hors de portée, c’est-à-dire quand on vient de buter précisément sur cet obstacle du devenir, son pur et indéfectible surgissement. Ironie du sort donc (…) l’accident eut lieu, l’imprévisible, l’entrée fracassante dans la douleur, dans le choc qui met à mal la matière humaine. L’accident eut lieu, quelques jours après ce billet de philosophe sur le Fragile de l’existence. Comme si nous étions faits de verre et de cristal. Le petit billet était-il intéressant, sujet au débat, au questionnement, peu importe. Il est désormais inconséquent, sans proportion, sans commune mesure avec la réalité de l’événement. Avec la réalité vécue de la fragilité humaine, sa douleur en chair et en os. Pire que cela, le petit billet est relégué dans la théorie. Ce creux inutile, ce bavardage pour rien.

Et en effet, il n’est pas facile d’être philosophe, ami de la sagesse, ami de la pensée qui cherche à penser en vérité ce que nous sommes. En effet, il n'est pas facile d’être stoïque avec la douleur, surtout quand c’est l’être aimé qui en souffre, surtout quand nous en sommes les témoins impuissants, nous aussi relégués comme une vieille théorie, creuse et vaine, pas facile de garder le sang froid, la raison pure, de ne pas paniquer ou nous mettre en colère. Pas facile de suspendre le jugement. De fait, celui-ci se suspend tout seul. Le scandale de la douleur est trop grand. La vie prend tout à nouveau, et emporte. Je n’ai rien à penser, rien à théoriser, je panique, mes gestes s’enchaînent avec désordre, les mots ne sont pas trouvés, une guerre secrète se déclare en moi. Que dois-je faire? Ai-je bien fait? J’aurais pu… Je suis prise entièrement dans le cours accidentel de la vie humaine, je réconforte, soigne, observe, appelle le docteur, accompagne, console, attends. (…) Il n’est pas facile d’être à la hauteur de la théorie, ou mieux, quel décalage entre la vie vécue et la vie pensée! Quel abîme, aussi grand et intense parce que intensément vécu que l’abîme entre le corps qui souffre et «celui qui assiste sans souffrir à la souffrance». (…) La sagesse qui consiste à supporter et à s’accorder à l’événement – même fait de douleur – est ce vers quoi l’homme doit tendre puisqu’il n’est pas un dieu. Notre action (et ce que nous subissons en elle) peut désormais avoir un sens.
(…)
Ce qui importe, c’est non pas de ne plus jamais souffrir (autre illusion) mais que quelque chose de la douleur soit articulé, dégagé d’elle, transfiguré et comme mis en commun, comme partagé contre ce qui en elle, sépare et atomise. Ce quelque chose est universel : en lui, nous nous regardons comme humanité généreuse.

MÉDITATIONS DU TEMPS PRÉSENT
La philosophie à l’épreuve du quotidien
L’Harmattan 2008
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Pour ma femme enceinte
Pierre Della Faille (1906-1989)  

C’est trois yeux qu’il aura, notre enfant, tant nous aurons écarquillé nos yeux sur l’horreur de l’atome – deux nez, entends-tu, tant nous aurons reniflé de charniers.

La mule aura huit pattes pour notre fuite au bout des ossuaires – et si Dieu est juste, il n’aura pas de sexe notre enfant, pour qu’un jour les oiseaux vivent en paix dans la forêt reverdie.

L’Homme inhabitable

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