Qui n’a pas un jour souhaité faire table rase, partir (avec ou sans valise) et laisser sa petite vie propre et nette, programmée comme une carte d’ordinateur? Beaucoup de romans et films ont abordé ce thème, mais j’ai trouvé «Train de nuit pour Lisbonne» (d’après le roman de Pascal Mercier*) différent et plus captivant.
L’homme dans un livre dans un roman dans un film : un professeur d’université Bernois tombe par hasard sur un ouvrage intitulé Um Ourives Das Palavras (L’orfèvre des mots) écrit par Amadeu Inacio De Almeida Prado – médecin, poète, passionné de littérature et opposant au régime dictatorial de Salazar. Raimund Gregorius (le prof) est subjugué par la vision de la vie et la quête d’authenticité de l’écrivain, et sur un coup de tête, il part au Portugal afin de suivre ses traces. (Pour plus de contenu, il faut lire le roman de Mercier.)
En qualité, ça me rappelait le très beau film «Tout ce que tu possèdes» (au sujet de l’écrivain Edward Stachura) du cinéaste Bernard Émond.
Notes (du film) :
S’il est vrai que nous ne pouvons vivre qu’une petite partie de ce qui est en nous, qu’advient-il du reste? (Amadeu)
Nous vivons ici et maintenant; ce qui était avant et dans d’autres lieux est du passé pour la plus grande partie oublié. Que pouvait-on? Que devait-on faire de tout le temps qui s’étendait maintenant devant nous, ouvert et sans forme, léger comme une plume dans sa liberté et lourd comme du plomb dans son incertitude? (Amadeu)
S’agit-il du souhait, le souhait semblable à un rêve pathétique d’en être encore à ce point-là de ma vie et de pouvoir prendre une direction toute différente de celle qui a fait de moi celui que je suis maintenant? (Amadeu)
Nous laissons quelque chose de nous quand nous quittons un lieu. Nous y restons bien que nous en partions et il y a des choses en nous que nous ne pouvons retrouver qu’en y retournant. (Amadeu)
Nous partons vers nous-mêmes quand la monotone trépidation des roues nous porte vers un lieu où notre vie a fait un bout de son chemin, aussi court fut-il. Mais en partant vers nous-mêmes, nous devons affronter notre propre solitude. Et s’il est vrai que tous nos actes sont en grande partie déterminés par la peur de la solitude, est-ce pour cela que nous renonçons à toutes les choses que nous regretterons à la fin de notre vie? (Amadeu)
Est-il finalement question de l’image qu’on a de soi, de l’idée déterminante de ce que l’on devrait avoir accompli et vécu, pour que cela devienne une vie dont on pourrait être satisfait? Si c’est le cas, la peur de la mort pourrait être décrite comme la peur de ne pas pouvoir être celui qu’on s’était donné pour but de devenir. (Amadeu)
Il s’est détourné de moi; c’était comme si je n’étais rien. (Adriana)
Si Jésus avait été mis à mort par décapitation, aujourd’hui nous prierions tous devant un beau et grand couperet; s’il avait été électrocuté, nous ferions la génuflexion devant une chaise. (Raimund)
Notre imagination est notre ultime sanctuaire. L’intimité est notre dernier sanctuaire. (Amadeu)
Dans notre jeunesse, nous vivons comme si nous étions immortels. La connaissance de notre caractère mortel flotte autour de nous comme un sec ruban de papier qui touche à peine notre peau. Quand est-ce que cela change dans la vie? Quand le ruban commence-t-il à nous enserrer plus étroitement jusqu’à ce qu’à la fin il nous étrangle? (Amadeu)
Épitaphe du poète : Quand la dictature est un fait, la révolution est un devoir.
(Raimund et Mariana)
– Leur vie était si intense (…) ils se sentaient vivants.
– Mais ils ont dû se séparer…
– J’ai laissé passer ma vie, excepté ces derniers jours, ici.
– Et aujourd’hui vous rentrez pour reprendre le même chemin…
– …
– Vous pourriez peut-être rester?
– Pardon…?
– Vous pourriez peut-être rester?
…
* Peter Bieri (de son vrai nom) : philosophe et romancier suisse.
La liberté, un métier
À la découverte de sa volonté propre
Peter Bieri
Éditeur Libella-Maren Sell Editions
La liberté a ses conditions
Comment appréhender la liberté? En sortant d’abord de deux impasses : pour Peter Bieri, ni le déterminisme ni l’acte libre – ni la chaîne des événements, ni l’arbitraire de ma décision –, ne permettent d’en rendre compte. Le déterminisme enferme l’individu dans une logique d’actions fixées par des conditions antérieures conduisant à une seule voie possible, déjà tracée. Il est trop étroit, inflexible. Quant à l’acte libre, inconditionnel, il laisse au contraire trop de place à l’aléatoire et déconnecte l’action de l’histoire de la vie de celui qui agit. L’auteur prône une pensée de la «conditionnalité» : la liberté s’exerce à certaines conditions. Et ces conditions sont toujours multiples. On devient l’auteur de ses actes justement parce qu’on aurait pu faire autrement : «Aucune ligne ne nous est tracée d’avance. Bien au contraire, ce qui constitue notre liberté, c’est que nous puissions aller dans des directions complètement différentes. La ligne de notre agir offre quantité de ramifications possibles.»
Imaginer
Mais alors comment choisir entre ces différentes possibilités? Face à cette multiplicité de routes, l’imagination joue un rôle majeur. Telle est l’originalité de la thèse de Peter Bieri, qui prône une vision créative et dynamique de la liberté. C’est l’imagination qui me permet de me projeter dans le futur et d’inventer ma liberté propre. «De tout ce que je peux m’imaginer devenir, qu’est-ce que je veux être, en fin de compte, sachant que je ne peux pas tout être?» se demande l’auteur. Peter Bieri propose une approche où s’articulent différents impératifs : n’être ni dupe ni sous contrôle, comprendre sa propre volonté au filtre de ses expériences passées et de la morale. Ce travail, seul, permet de tracer une ligne mentale sans compromis. La libre volonté s’impose alors comme un exigeant «métier».
Source :
http://www.philomag.com/les-livres/fiche-de-lecture/la-liberte-un-metier-a-la-decouverte-de-sa-volonte-propre-2044
Merci pour ce moment de poésie et de réfléxion.
RépondreEffacerJ'ai sincèrement aimé ce film... peut-être que ça se "ressent" :-)
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