6 août 2013

La vie est trop courte. Vraiment?

Photographe : Marek Chaloupka

Les progrès de la médecine pour prolonger la vie peuvent avoir des conséquences non intentionnelles.

La vie est trop courte. Vraiment?
Par Liah Greenfeld*

Voici un commentaire (de soxchick382) paru aujourd'hui dans le supplément dominical  du The Boston Globe, en réponse à une triste histoire à propos de la façon dont on s’occupe d’une vieille mère sénescente – une histoire à laquelle plusieurs baby-boomers peuvent s’identifier : «J'ai un fils, mais je refuse que, par bienveillance, il épuise une part significative de ses ressources psychiques, physiques et financières pour s’occuper d’une vieille femme gâteuse. Je ne veux pas devenir une vieille femme gâteuse. J'aimerais juste pouvoir prendre une pilule de «paix» et mourir dans la dignité quand je serai prête, au lieu d'être obligée d'endurer la misère de la vieillesse.»

Une «pilule de paix», «être obligée d'endurer la misère de la vieillesse» – cela fait réfléchir, non? Ma mère, qui aura 85 ans le mois prochain et dont l'esprit est encore plus aiguisé qu'un bistouri chirurgical, me répète de temps en temps : on doit mourir quand c’est le temps. Elle était un médecin, et elle a observé beaucoup de morts. Elle croit que la capacité de la science médicale dans les pays développés de prolonger la durée de vie jusqu’à 80 ans et au-delà n’est pas à célébrer et, qu’en fait, cela contribue activement à faire souffrir inutilement. Ma mère est fatiguée de la vie – et depuis la mort de mon père il y a onze ans, en 2002, elle a souvent souhaité mourir. Ils ont été mariés pendant 53 ans, et pour elle sa vie significative s'est terminée au décès – elle n'avait plus de raison de vivre. Sa mort subite – sur la table d'opération à 75 ans – fut une perte terrible pour nous tous. Moi, l’aînée de 48 ans, j’ai été accablée de chagrin pendant deux ans. Pourtant, avant cela, j’étais consciente d’être heureuse, autrement dit, je trouvais que ma vie était vraiment heureuse, remplie à ras bord d'amour et de passion pour le monde environnant, ce qui rendait digne d'être vécue. Mon père savait qu'il allait mourir : nous avions découvert cela dans son journal. Il était médecin aussi, et un très bon médecin, contrairement aux jeunes et ambitieux chirurgiens qui l’ont opéré. Il savait que, étant donné la quantité de médicaments qu'il prenait, s’il était opéré, il mourrait à cause de la perte de sang; ses médecins, qui ont proposé une chirurgie exploratoire, ont négligé ce détail essentiel. En signant le formulaire de consentement, mon père, par conséquent, signait consciemment son arrêt de mort. C'était un homme qui s’intéressait à tant de choses, toujours stimulé par quelque chose, toujours plein de projets. Par exemple, au moment de sa mort, il était en train d’apprendre une nouvelle langue. Dans la dernière entrée de son journal il disait avoir peur de mourir, mais il ajoutait : «Mais la vie après 75 ans peut-elle s’appeler vie?» Je comprends maintenant qu'il est mort «quand c’était le temps», comme dit ma mère.

Après sa mort, ma mère a vieilli très rapidement. Sa santé s'est considérablement détériorée. Elle a commencé à se laisser mourir. Elle se laisse mourir depuis onze ans. Elle ne fait rien pour se rendre la vie plus confortable ni rien de concret pour mettre fin à sa vie, mais elle veut qu'elle se termine. Nous, ses trois enfants, nous l’aimons et sommes terrifiés de la perdre. Cette peur imprègne ma vie. Je me prépare constamment pour être capable d’affronter le moment où cela arrivera.

C’est quand le bon moment? Nous devrions au moins y réfléchir avant d'aller plus loin dans notre capacité de prolonger l'existence physique, surtout si nous ne sommes même pas en mesure de donner un sens à ces années supplémentaires. En vivant plus longtemps, plus nous risquons de passer une grande part de notre vie à nous laisser mourir. Vivre pour se laisser mourir vaut-il la peine ? Quand commence la mort? Physiquement, sans doute, quand une santé insuffisante empêche d’apprécier des choses aussi simples que la nourriture, l'air frais, le soleil printanier. Et, spirituellement, quand on regarde en avant et que la crainte remplace l’espoir en tant qu'émotion prédominante. Lorsque la santé et l'espoir ont disparu, les gens ne devraient-ils pas avoir droit à leur pilule de «paix»?

Je crois que l’espoir dure et que la vie est digne d'être vécue tant et aussi longtemps qu’il y a amour et intérêt pour le monde environnant...

Psychology Today – 21 juillet 2013
http://www.psychologytoday.com/blog/the-modern-mind/201307/life-is-too-short-or-is-it

* Liah Greenfeld, Ph.D. in The Modern Mind; auteur de Mind, Modernity, Madness: The Impact of Culture on Human Experience

COMMENTAIRE

Se laisser mourir en attendant de mourir pour vrai.

Le jour où les médecins comprendront ce qu'est la perte des capacités physiques et de l’intérêt pour les choses de la vie physique, eh bien ils auront fait un immense pas, plus grand que celui de prolonger la vie inutilement au prix de grandes souffrances. 

En fait, l’œuvre est sadique. Et, quand on connaît le manque de considération des scientifiques à l’égard des êtres vivants, on ne s’étonne pas. Je pense entre autres à l’expérience sur la malnutrition menée avec des Amérindiens - sans leur consentement! - dans les années 40.

Ma mère serait morte il y a plus de dix ans si on l’avait laissée mourir naturellement. Mais elle est toujours là, à attendre sa mort. Le malheur c’est que les médicaments prolongent le supplice. Et les cobayes rapportent, ne serait-ce qu’en matière d’avancée scientifique.

Il faut voir les patients à moitié morts prostrés sur leurs grabats, à la merci des pilules-assommoir (qui ne sont pas des pilules de «paix») et des traitements dont ils ne veulent pas, mais contre lesquels ils ne peuvent pas se défendre. Ils n’ont ni la force physique ni l’énergie pour ce faire. Parfois, ils piquent de méchantes crises de colère, soit à cause de la maladie d’Alzheimer, soit à cause de la frustration reliée au sentiment d’impuissance. Mais la révolte est vaine – on les attache et on les pique.

Je vois un parallèle évident avec le texte d’Henry Salt bien qu’il concerne le sort des animaux. Il vaut également pour les humains «contraints» de vivre soi-disant parce qu’il vaut mieux mal vivre que ne pas vivre du tout :  
http://artdanstout.blogspot.ca/2013/07/les-animaux-delevage-contraints-vivre.html

Vous aimerez peut-être :
http://artdanstout.blogspot.ca/2013/06/carres-blancs-et-cloches.html

Et libellé «Euthanasie» (blogue Situation planétaire)

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