Dans le fond, la vie n’est qu’une addition d’instants merveilleux, désastreux ou neutres. Comme ils disparaissent pour toujours, la seule façon de les faire «vivre» c’est de s’en rappeler et d’y penser. Mais si l’on doit faire un effort pour se rappeler, c’est qu’on a oublié.
Mais comme le dit Kennedy dans son roman, l’instant (dans le sens d’opportunité exceptionnelle) dont on ne profite pas ne se représente jamais; ou bien on le saisit, ou bien on le perd. D’une façon, les gens atteints d’Alzheimer sont privilégiés car, contrairement à nous, tout ce qui compte c’est l’instant. Ils ne peuvent pas s’accrocher au passé, ils n’en ont plus!
Mine de rien, je suis en train de faire le tour de l'oeuvre de Kennedy. J'aime ses réflexions philosophiques disséminées ici et là à travers ses romans.
Citations tirées de :
Cet instant-là
Douglas Kennedy
Belfond; 2011
À quel instant «pas maintenant» se transforme en «jamais»?
~ Luther (Wie bald ‘nicht jetzt’ ‘nie’ wird?)
-- On croit que tout est solide et puis, brusquement, on se rend compte que ce n’est pas le cas. Et alors on se demande comment notre radar n’a pas été capable de capter à quel point ça clochait. -- …Chacun de nous a une facette qu’il préfère ne pas révéler. C’est pour ça que nous ne pouvons jamais connaître complètement une personne, même quelqu’un de très proche.
La mémoire, quel fouillis d’émotions! Quoique cet afflux de réminiscences et d’associations d’idées puisse sembler chaotique à première vue, l’une des grandes vérités concernant la mémoire est qu’elle ne fonctionne jamais de façon arbitraire. Il existe toujours une connexion ou une autre entre les souvenirs, parce que toute chose obéit à une logique narrative. Et le récit sur lequel chacun de nous s’escrime, c’est ce que nous disons être notre vie.
On ne saisit l’importance d’un événement, son influence durable sur notre personnalité que bien après qu’il a rejoint la sphère de la mémoire.
…S’asseoir quelque part en compagnie de soi-même, soudain retranché de la confusion du monde, est aussi facile qu’essentiel. (…) Mais la vie ne vous laisse jamais entièrement en paix.
Il y a des moments de la vie où on voudrait se faire tout petit, plaquer ses mains sur ses yeux et effacer les conséquences de sa crétinerie par un simple effort de volonté.
…L’orgueil est la force la plus destructrice qui existe au monde, celle qui nous pousse à ne plus considérer que la pulsion de défendre nos si fragiles certitudes, et donc d’ignorer toutes les autres interprétations du scénario qu’est notre vie. Il nous conduit à adopter une position et à ne plus en bouger, nous empêche de seulement considérer la raison pour laquelle quelqu’un nous supplie de l’écouter. L’orgueil va si loin qu’il peut nous obliger à repousser la seule personne nous ayant jamais offert la chance d’un bonheur véritable. L’orgueil tue l’amour.
Nous sommes l’accumulation des paradoxes que la vie a mis sur notre chemin, stimulants ou atterrants, porteurs d’une lumière cristalline ou des plus denses ténèbres. Nous sommes le résultat de ce qui nous est arrivé, et nous avançons toujours chargés de ce qui nous a définis, de ce dont nous avons manqué, de ce que nous avons voulu sans avoir pu l’obtenir, de ce que nous avons trouvé et perdu. (…) Certaines expériences nous transforment si profondément qu’elles demeurent à jamais avec nous, et nous ne pouvons pas vraiment refermer la porte sur ce qui nous hante.
Nous prenons toujours des risques en vivant. Toujours. Sans cesse, nous nous persuadons de suivre un scénario, une trajectoire où nous espérons trouver ce qui nous satisfera, ou du moins ce qui nous permettra de penser que notre court passage sur terre a une certaine validité, une certaine cohérence, une certaine plénitude.
Existe-t-il un seul aspect de l’aventure humaine qui soit «complet»? Ou bien tout est-il successivement trouvé et perdu, perdu et retrouvé?
L’amour est sans cesse la quête fondamentale, car que signifie une route sans destination concrète? De quelle façon pourrions-nous maintenir cette avancée impétueuse mais toujours moins aisée, sans quelqu’un pour ralentir la course effrénée, pour lui donner un peu de sens, pour conférer un but crédible à ce périple?
Et au milieu de toutes ces forces discordantes, il y a aussi l’instant. L’instant qui peut tout bouleverser ou ne rien changer.
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