26 janvier 2014

Ce qui nous hante



Si vous avez fait les choses que vous vouliez faire, ou fait des choses que vous ne vouliez pas faire, sans doute avez-vous agi par instinct et que cela vous servait. Sinon, comment les choses auraient-elles pu si bien vous servir?

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Le cerveau émotionnel ne «désapprend» jamais la peur. Si le cerveau cognitif est détruit, ou s’il ne fait pas son travail, la peur reprend immédiatement le dessus. Les cicatrices dans le cerveau émotionnel peuvent rester présentes pendant des années, prêtes à se réactiver. (…)

Les cicatrices émotionnelles du cerveau limbique semblent toujours prêtes à se manifester dès que la vigilance de notre cerveau cognitif et sa capacité de contrôle fléchissent, même temporairement. L’alcool, par exemple, empêche le cortex préfrontal de fonctionner normalement. C’est pour cette raison que nous nous sentons «désinhibés» dès que nous buvons un peu trop. Mais c’est précisément pour cette même raison que, lorsque nous avons meurtris ou traumatisés par la vie, nous risquons, sous l’effet de l’alcool d’interpréter une situation bénigne comme si nous étions agressés une fois de plus et de réagir violemment. Cela peut également se produire lorsque nous sommes simplement fatigués ou trop distraits par d’autres préoccupations pour garder le contrôle sur la peur imprimée dans notre cerveau limbique.

Les psychiatres connaissent bien cet aspect de l’état de stress post-traumatique. Ils savent qu’il y a une déconnexion entre les connaissances appropriées du présent et les émotions inappropriées, résidus du traumatisme passé. Ils savent que c’est ce qui rend ce syndrome si difficile à traiter. Leur expérience leur a appris qu’il ne suffit pas simplement de parler pour établir une connexion entre les vieilles émotions et une perspective mieux ancrée dans le présent. Ils savent même que le simple fait de raconter le traumatisme encore et encore ne fait qu’aggraver les symptômes. Ils savent enfin que les médicaments non plus ne sont pas très efficaces.

Si un traumatisme est trop fort, par exemple à la suite de tortures, d’un viol, ou de la perte d’un enfant, le mécanisme de digestion du cerveau peut être submergé. Mais cela peut aussi arriver avec des événements bien moins graves, simplement parce que nous sommes particulièrement vulnérables au moment où ils se produisent, notamment si l’on est un enfant – et donc incapable de se protéger – ou si l’on est dans une position de fragilité.

Que ce soit en raison de l’intensité du traumatisme ou de la situation de fragilité de la victime, un événement douloureux devient alors « traumatisant » au sens propre du terme. Au lieu d’être digérée, l’information concernant le traumatisme se voit alors bloquée dans le système nerveux, gravée dans sa forme initiale. Les images, les pensées, les sons, les odeurs, les émotions, les sensations corporelles et les convictions que l’on a tirées sur soi sont alors stockés dans un réseau de neurones qui mène sa propre vie. Ancré dans le cerveau émotionnel, déconnecté des connaissances rationnelles, ce réseau devient un paquet d’information non traitée et dysfonctionnelle que le moindre rappel du traumatisme initial suffit à réactiver.

Un souvenir enregistré dans le cerveau peut être stimulé à partir de n’importe lequel de ses constituants. Un ordinateur a besoin d’un mot d’une adresse exacte pour retrouver ce qu’il a en mémoire (comme un bibliothécaire a besoin de connaître l’emplacement exact d’un livre pour le retrouver dans les rayons). À l’inverse, l’accès à un souvenir dans le cerveau se fait par analogie : n’importe quelle situation qui nous rappelle un aspect de quelque chose que nous avons vécu peut suffire pour évoquer le souvenir complet. Ces propriétés de la mémoire sont bien connues : on appelle cela « l’accès par le contenu » et « l’accès par les correspondances partielles ». Cela a des conséquences importantes pour les souvenirs traumatiques. À cause de ces propriétés, n’importe quelle image, n’importe quel son, odeur, émotion, pensée ou même sensation physique qui ressemble aux circonstances de l’événement traumatique peut déclencher le rappel de la totalité de l’expérience stockée de façon dysfonctionnelle. Souvent, l’accès aux souvenirs douloureux se fait par le corps.

Les « petits » traumatismes laissent une longue trace. Une étude en Australie dans un service d’urgences illustres les conséquences multiples des « petits » chocs émotionnels. Les chercheurs ont suivi pendant un an les victimes d’accidents de la route qui étaient passées par le service. À la fin de l’année, ils leur ont fait passer une série d’examens psychologiques. Plus de la moitié avaient développé des syndromes psychiatriques depuis leur accident. Un bon nombre avaient même développé une anorexie, une boulimie ou un abus d’alcool ou de drogue, sans autres symptômes. La très importante leçon de cette étude est qu’il n’y a pas que l’état de stress post-traumatique, et de loin, qui nécessite de rechercher les événements passés ayant pu laisser des cicatrices émotionnelles qui font encore souffrir. Dans toutes les formes de dépression ou d’anxiété, il faut systématiquement essayer d’identifier dans l’histoire du patient ce qui a pu déclencher les symptômes qui le gênent aujourd’hui. Puis il faut éliminer le plus grand nombre possible de ces traces émotionnelles.

Les méthodes de traitement que j’ai exposées au cours des pages précédentes visent toutes à renforcer ces mécanismes d’autocomplétion qui caractérisent tous les organismes vivants – de la cellule à l’écosystème en passant par l’être humain.

Dans les années 1940, la médecine a été transformée par l’avènement des antibiotiques. Pour la première fois, des maladies jusque-là mortelles ont pu être vaincues par un traitement spécifique. Leur efficacité était telle que tout ce qui avait été essentiel à la pratique de la médecine – la relation médecin-malade, la nutrition, l’attitude du patient – s’était vu remis en question : pour peu que le malade prenne ses pilules, celles-ci le guérissaient même si le médecin ne lui parlait pas, même si le malade se nourrissait mal et même s’il restait complètement passif et indifférent à son traitement. C’est de ce fantastique succès qu’est née en Occident une nouvelle manière de pratiquer la médecine, inconnue auparavant : une approche du malade qui ne prend plus en compte son histoire, son contexte, sa force vitale intérieure et sa capacité d’autoguérison. Cette approche purement mécanique du malade et de la maladie s’est généralisée à toute la médecine, bien au-delà des maladies infectieuses. Aujourd’hui, presque tout l’enseignement médical consiste à diagnostiquer une maladie spécifique et lui associer un traitement spécifique. C’est une approche qui fonctionne remarquablement bien pour les maladies aiguës : une appendicectomie pour une appendicite, de la pénicilline pour une pneumonie, de la cortisone pour une allergie… Mais elle révèle rapidement ses limites dès qu’il s’agit de maladies chroniques dont elle ne guérit que les crises et les symptômes. Autant que nous savons remarquablement bien soigner un infarctus du myocarde et sauver la vie du malade avec de l’oxygène, de la trinitrine et de la morphine, autant ce traitement n’a en rien fait reculer la maladie sous-jacente qui a bouché les artères coronaires du cœur. À ce jour, ce sont surtout des modifications profondes du mode de vie du malade qui sont capables de faire reculer cette maladie chronique des artères : gestion du stress, contrôle de l’alimentation, exercice, et ainsi de suite.

Il en va de même pour l’anxiété et la dépression, qui sont des maladies chroniques par excellence. Il est illusoire de croire qu’une seule intervention ou même une seule modalité d’intervention puisse systématiquement rééquilibrer les interactions complexes qui, ensemble, entretiennent un état de maladie chronique depuis des années, voire des décennies.

Nous avons fait le tour de nombreux outils pour accéder au plus profond de l’être émotionnel et en restaurer la cohérence. Alors, concrètement, par où commencer? L’expérience accumulée au Centre de médecine complémentaire à Pittsburgh nous a permis de mettre au point des règles assez simples pour choisir une combinaison appropriée à chaque personne.

La première chose à faire est d’apprendre à contrôler son être intérieur. Chacun développe au cours de sa vie des méthodes d’autoconsolation pour gérer les passages difficiles. Malheureusement, il s’agit le plus souvent de la cigarette, du chocolat, de la crème glacée, de la bière ou du whisky, voire l’anesthésie de la télévision. Ce sont, de loin, les manières les plus courantes de se consoler des aléas de la vie. Si nous avons été en contact avec la médecine conventionnelle, ces toxines de tous les jours ont facilement pu être surclassées par un tranquillisant (comme le Valium, l’Ativan ou le Xanax), ou par un antidépresseur. Dans les années 1960, presque tous les journaux médicaux américains étaient remplis de publicités pour le Librium – le prédécesseur du Valium. Celles-là annonçaient fièrement : «Du Librium. Quel que soit votre problème!» Si au lieu d’un médecin, c’est un groupe de lycéens, d’étudiants ou d’amis un peu perdus eux-mêmes qui nous donne des conseils, les tranquillisants auront été remplacés par des méthodes d’autoconsolation plus drastiques encore comme la cannabis, la cocaïne ou l’héroïne.

Il est évidemment essentiel de substituer à ces méthodes peu efficaces – et le plus souvent toxiques – des techniques qui utilisent les capacités d’autoguérison du cerveau émotionnel et qui permettent de rétablir l’harmonie entre la cognition, les émotions et un sentiment de confiance dans l’existence. À Pittsburgh, nous encouragions chacun à découvrir sa capacité de cohérence cardiaque et à apprendre à entrer dans cet état de cohérence au moindre stress (ou lorsque la tentation apparaissait de se reposer sur une méthode moins saine – et moins efficace – pour gérer la tension du moment).

Ensuite, il faut identifier, si possible, des événements douloureux du passé qui continuent d’évoquer des émotions difficiles dans le présent. Le plus souvent, les patients sont les premiers à sous-estimer l’importance des abcès émotionnels de la vie, ravivant à chaque instant la douleur ou limitant le plaisir. La plupart des praticiens traditionnels ont tendance à ne pas y prêter attention ou bien ne savent pas comment aider les patients à s’en libérer.

Il faut toujours faire l’inventaire des conflits chroniques dans les relations affectives les plus importantes : autant dans la vie personnelle – parents, enfants, époux, frères et sœurs – qu’au travail – patron, collègues, employés. Ces relations conditionnent notre écosystème émotionnel. Assainies, elles nous permettent de recouvrer notre équilibre intérieur. Si elles polluent continuellement le flux de notre cerveau émotionnel, elles finissent par bloquer ses mécanismes d’autoguérison. Parfois, le simple fait de résoudre les conséquences des traumatismes du passé permet aux relations affectives de prendre un nouvel élan. Libéré des spectres qui n’ont rien à faire dans le présent, chacun peut alors inventer une manière entièrement nouvelle d’entrer en relation avec les autres. Apprendre à contrôler sa cohérence cardiaque permet aussi de mieux gérer ses relations affectives. La communication émotionnelle non violente est aussi une méthode directe et remarquablement efficace pour harmoniser les relations affectives et retrouver l’équilibre de soi. Nous devrions tous continuellement nous entraîner à une meilleure communication émotionnelle.

Enfin, pour atteindre la véritable paix intérieure, il est souvent essentiel pour nous de trouver un sens plus profond au rôle que nous jouons dans notre communauté, au-delà de notre famille immédiate. Ceux qui ont la chance de découvrir une telle source de sens sont en général propulsés plus loin qu’un simple retour au bien-être : ils ont le sentiment de puiser leur énergie dans ce qui donne un sens à la vie elle-même.

Extraits de :
Quérir le stress, l’anxiété et la dépression sans médicaments ni psychanalyse  
David Servan-Schreiber
Coll. Réponses, Robert Laffont (2003)

COMMENTAIRE

Il a raison… mais encore une fois il faut expérimenter par soi-même pour en apprécier les bénéfices; et ça exige beaucoup de vigilance. Et en ce qui concerne les petits traumas affectifs, peut-être faut-il apprendre à ne pas se prendre trop au sérieux.

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