14 juin 2013

Mariage parfait

Il y a des mariages boiteux.
Il y a des mariages harmonieux.
Harmonieux comme ce couple que je croise souvent. À tous les jours, ils prennent une longue marche, d’un bon pas malgré leur âge avancé, main dans la main. Ils sont tout simplement beaux. On les sent soudés par un amour inaltérable. Un jour, en passant à côté d’eux, je me suis permis d’exprimer les sentiments qu’ils éveillent en moi. Je les ai regardés s’éloigner avec un sourire un brin nostalgique. Qui n’a pas déjà rêvé de pareille harmonie de longue durée, hors de l’espace-temps?

Le même phénomène se produit en art quand le visuel et l’écrit se marient à la perfection…

C’est ainsi qu’en voyant les photos du Projet Labokoff de Fabienne Rivory (1), j’ai soudain pensé à Kafka sur le rivage de Haruki Murakami (2).

«Faits pour aller ensemble!», me suis-je dit.
Convergence de sensibilité poétique, de délicatesse, d’imagination, de réalisme et d’imaginaire...

Mon choix d’accord images/mots

Deux  
"Celui qui aime cherche la partie manquante de lui-même. Aussi, quand on pense à l'être dont on est amoureux, on est toujours triste. C'est comme si on entrait à nouveau dans une chambre pleine de nostalgie qu'on a quittée il y a longtemps."

"En voyage, on a besoin d'un compagnon et dans la vie, de compassion."

Océan
"Le temps pèse sur toi comme un vieux rêve au sens multiple. Tu continues à avancer pour traverser ce temps. Mais tu auras beau aller jusqu'au bord du monde, tu ne lui échapperas pas. Pourtant, même ainsi, il te faudra aller jusqu'au bord du monde. Parce qu'il est parfois impossible de faire autrement."

Industriel
"Parfois, le destin ressemble à une tempête de sable qui se déplace sans cesse. Tu modifies ton allure pour lui échapper. Mais la tempête modifie aussi la sienne. Tu changes à nouveau le rythme de ta marche, et la tempête change son rythme elle aussi. C'est sans fin, cela se répète un nombre incalculable de fois, comme une danse macabre avec le dieu de la Mort, juste avant l'aube. Pourquoi? Parce que la tempête n'est pas un phénomène venu d'ailleurs sans aucun lien avec toi. Elle est toi-même et rien d'autre. Elle vient de l'intérieur de toi. Alors la seule chose que tu puisses faire, c'est pénétrer délibérément dedans, fermer les yeux et te boucher les oreilles afin d'empêcher le sable d'y entrer, et la traverser pas à pas. Au coeur de cette tempête, il n'y a pas de soleil, il n'y a pas de lune, pas de repère dans l'espace; par moments, même, le temps n'existe plus. Il n'y a que du sable blanc et fin comme des os broyés qui tourbillonne haut dans le ciel. Voilà la tempête de sable que tu dois imaginer."

Traversée
"C'est comme si sa silhouette de dos essayait de me dire quelque chose. Quelque chose qu'elle ne peut pas me dire de face."

"Une fois la tempête passée, tu te demanderas comment tu as fait pour la traverser, comment tu as fait pour survivre. Tu ne seras pas très sûr, en fait, qu’elle soit vraiment achevée. Mais sois certain d’une chose : une fois que tu auras essuyé cette tempête, tu ne seras plus le même."

Pétrole
"Quand on cherche désespérément quelque chose, on ne le trouve pas. Et quand on s'efforce d'éviter quelque chose, on peut être sûr que ça va venir vers nous tout naturellement."

Le village
"Les souvenirs, c'est quelque chose qui vous réchauffe de l'intérieur. Et qui vous déchire violemment le cœur en même temps."

"Nous perdons tous sans cesse des choses qui nous sont précieuses... des occasions précieuses, des possibilités, des sentiments qu'on ne pourra pas retrouver. C'est cela aussi vivre. Mais à l'intérieur de notre esprit – je crois que c'est à l'intérieur de notre esprit - il y a une petite pièce dans laquelle nous stockons le souvenir de toutes ces occasions perdues. Une pièce avec des rayonnages, comme dans cette bibliothèque, j'imagine. Et il faut que nous fabriquions un index, avec des cartes de références, pour connaitre précisément ce qu'il y a dans nos cœurs. Il faut aussi balayer cette pièce, l'aérer, changer l'eau des fleurs. En d'autres termes, tu devras vivre dans ta propre bibliothèque."

Bateau
"L'homme nait pour vivre, non? Pourtant, plus le temps passait, plus je perdais ce qui constituait mon noyau intérieur, jusqu'à avoir l'impression d'être devenu complètement vide. Et peut-être que, désormais, plus je vivrai, plus je deviendrai vide, moins j'aurai de valeur. Il y a une erreur quelque part. Jamais entendu une histoire si bizarre. Est-ce que je peux faire quelque chose pour changer la direction du courant?"

Oiseau
"Tout en ce monde est constamment en mouvement. La Terre, le temps, les idées, l'amour, la vie, la foi, la justice, le mal. Tout est fluide, tout est transitoire. Rien ne reste éternellement au même endroit, sous la même forme. L'univers lui-même est une sorte d'énorme service postal."

Dune Arbre
"Je suis libre. Je ferme les yeux et réfléchis intensément à cette liberté. Mais je n'arrive pas très bien à comprendre ce que cela signifie. Tout ce que je sais, c'est que je suis seul, dans un endroit inconnu. Un explorateur solitaire qui a perdu sa boussole et sa carte. C'est ça, la liberté? Je n'en sais rien, et je renonce à poursuivre ma réflexion."

Mlle A
"Les gays, les lesbiennes, les hétéros, les féministes, les cochons de fascistes, les communistes, les Hare Krishna, et j’en passe, aucun d’eux ne me dérange. Peu m’importe de savoir quel drapeau ils brandissent. Ce que je ne supporte pas, ce sont les gens creux."

Volcans
"N'étant ni Dieu, ni Bouddha, je n'ai pas besoin de porter de jugement sur ce qui est bien ou mal dans le monde humain. Pas besoin d'agir conformément aux conceptions habituelles de la morale."

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(1) Fabienne Rivory, photographe et designer graphique. Cette artiste transforme ses propres photographies en y ajoutant des touches de gouache ou d’encre. «D’une façon ou d’une autre, mon travail est toujours relié à des souvenirs et à la nostalgie. Les gens n’ont pas besoin de comprendre l’artiste pour apprécier leurs œuvres. L’art peut créer un lien entre des gens très différents, et je trouve ça intéressant. Le rapport avec l’art est davantage une question d’émotion que de réflexion, et c’est ce qui me plaît. À travers mon art je cherche un délicat équilibre entre les photographies et les éléments peints ou les textures en vue d’exprimer la simplicité et la poésie qu’on trouve en chaque chose.»

Son projet Labokoff inclut plusieurs séries : Mi temps; Flora; Impressions; Saison grise; Pole; Mirror  http://labokoff.fr/

(2) Haruki Murakami. Devant un parterre extatique choisi au hasard à l’issue d’une loterie, l’auteur de Danse, danse, danse (Le Seuil, 1995) et de Kafka sur le rivage (Belfond, 2006) a résumé son plus récent opus avant de procéder à la lecture de passages choisis. Sorti en librairie le 12 avril, Le sans couleur Tasaki Tsukuru et ses années de pèlerinage relate l’errance d’un ingénieur de 36 ans entre le Japon et la Finlande à la suite d’une douloureuse peine d’amitié. En dehors de sa propre activité littéraire, Haruki Murakami est un traducteur recherché. Il a notamment traduit de l’anglais au japonais des œuvres de F. Scott Fitzgerald, John Irving et Raymond Carver, chroniqueurs disparates de l’Amérique dont il s’est souvent fait le chantre.
Le Devoir, 7 mai 2013 - article complet :
http://www.ledevoir.com/culture/livres/377542/haruki-murakami-sort-de-sa-taniere

Autres ouvrages : Écoute la voix du vent; La ballade de l’impossible; Après le tremblement de terre  http://www.murakami.ch/main_2.html
En page d'acceuil :
“In a place far away from anyone or anywhere, I drifted off for a moment.”

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