Un plaidoyer en faveur de l’amitié
«Dans son fantastique ouvrage Love Undetectable: Notes on Friendship, Sex, and Survival (1998), Andrew Sullivan évalue le fonctionnement interne de l'amitié et soutient que le don de l’amitié est beaucoup plus grand que celui de l'amour romantique, malgré tous nos préjugés culturels en faveur du second.» (Citations tirées de l’article de Maria Popova – http://www.brainpickings.org/ )
(Traduction/adaptation maison)
«Pour moi, l'amitié a toujours été la plus accessible des relations – certainement beaucoup plus que celles basées sur l’amour romantique. J'ai appris que l'amitié offre un tampon dans l'interaction émotionnelle, une distance qui rend le risque d'intimité supportable, un espace qui permet à l'autre personne de rester une autre personne en toute sécurité.»
«Vous pouvez reconnaître la solidité d’une amitié par le silence qui l’enveloppe. Les amants et les couples parlent fréquemment de leur «relation», mais les amis ont tendance à laisser leur respect mutuel parler de lui-même ou à laisser les autres la noter.»
«En surface [l’amitié] peut sembler banale, mais plus vous y pensez, plus elle prend d’importante. C’est dû à la réciprocité. Puisque les humains sont égaux et libres de consentir ou non à une relation, ils sont tous, dans un certain sens, fondamentalement capables d'amitié. Même dans les relations où l’un dépasse largement l’autre en richesse, ou en intelligence, ou en apparence, ou en pouvoir social, celui qui est inférieur peut quitter l'amitié de son propre chef et la réduire à ses aspects essentiels. Finalement, une amitié se caractérise par le désir de chacun d’y entrer. Et elle réussira en autant que ce désir soit équivalent entre les deux parties… L’amitié [est] presque un symbole central de l'autonomie humaine, et l'exemple le plus accessible et le plus concret de cette autonomie.»
«L'amour est devenu le grand ennemi contemporain de l'amitié. J’entends pas amour, non pas de l’amour basé sur le don et le respect mutuels qu’on trouve au coeur de l'amitié, [mais] du banal, omniprésent, irrésistible et résilient amour romantique tel que défini par nos contemporains : celui qui éradique tous les autres bénéfices, sur lequel chaque vie doit apparemment aboutir, consumé dans le sexe et célébré dans chaque parcelle de notre culture populaire, institutionnalisé par le mariage et inculqué à chaque enfant occidental en tant que but ultime. Je parle de l’éros qui est plus que le sexe mais qui est lié au sexe. Je parle de ce désir d'union à un autre humain, l’impression que cette union peut résoudre le dilemme essentiel de l'existence humaine, la conviction que seule une telle union peut modérer la solitude apparemment indissociable de la condition humaine, et ralentir la marche du temps qui banalise notre existence même. (…) En fait, nous vivons dans un monde où le respect et le support voués à l'éros ont acquis les caractéristiques d'un culte.»
«Il [l’éros] peut éclipser toutes les autres émotions et nous transporter à des niveaux de bonheur et de communion que nous n'avons jamais ressentis avant. Il est enivrant, mais contrairement à la plupart des autres formes d'intoxication, il semble avoir de la profondeur. Nous croyons, pour un moment, avoir trouvé notre âme sœur, que nous sommes réunis à cette moitié qui donnera enfin du sens à notre vie. Et parce que nous sommes avec cette personne, souvent sans même la regarder dans les yeux, il est facile, voire nécessaire, de perdre toute perspective. En fait, cela semble presque un crime contre l'amour que de conserver une quelconque perspective.»
«L'amour est quelque chose d’extrêmement jaloux. Il n'admet aucune rivalité et oblitère toutes distractions. Il semble transporter l'être humain – qui est presque uniquement défini par le temps et la moralité – au-delà du vieillissement et de la mort. C'est la raison pour laquelle il est à la fois si irrésistible et si illusoire.»
«Bien sûr, l'impossibilité de l'amour est en partie ce qui le rend attirant. Il s’agit d’un acte irrationnel, d’une concession volontaire aux passions, d’une renonciation à la raison et à la modération, et c'est pourquoi nous y croyons. C'est également la raison pour laquelle, en partie, de sages penseurs de l'antiquité et du moyen âge le décrivaient comme une expérience inférieure, un envoûtement. Mais leur assurance à cet égard n'était pas fondée simplement sur une analyse perspicace de l'amour, mais aussi sur une appréciation plus profonde de l'amitié. Sans la possibilité de l'amitié, l’amour peut, après tout, sembler valoir son prix. Si l’union, la diminution de la solitude, la découverte d’une l’âme sœur n’étaient possibles qu’à travers les aléas de l'éros, peut-être qu’alors toutes les peines d’amour et les folies, pour un regard quelle qu’en soit la brièveté, pourraient être intéressantes et rendaient la vie digne d'être vécue. Mais, si toutes ces choses étaient possibles dans une relation humaine qui n'est pas intrinsèquement autodestructrice, alors pourquoi choisir une alternative plus risquée et vulnérable?»
«Et, à presque tous les égards, l’amitié remplie les promesses que l’amour ne parvient pas à livrer. Les contrastes entre les deux sont nombreux et portent atteinte à la réputation de l’amour. Par exemple, là où l'amour est pressé, l'amitié est lente. L'amour vient rapidement, comme le dit la chanson, mais l’amitié mûrit avec le temps. Si l'amour est presque parfait à son balbutiement, l'amitié devient de plus en plus précieuse avec les années.»
«Si l'amour est imprévu, l'amitié est stable. Au moment où nous rencontrons un ami potentiel pour la première fois, nous pouvons ressentir un «déclic» ou un soudain intérêt mutuel. Mais nous ne «tombons pas en amitié». Et tandis que l'amour est souvent à son plus intense au cours de la période précédant la possession, durant le suspense exquis de la chasse et que l’estomac papillonne de nervosité avant la capture, l'amitié ne peut réellement se révéler que lorsque les deux amis sont pleinement habitués l’un à l’autre. Car tandis que l'amitié se base sur la connaissance, l'amour se base simplement sur l’espoir… Vous pouvez aimer quelqu'un même si vous le connaissez peu, et il peut être tout à fait aimé sans être tout à fait connu. Mais plus vous connaissez un ami, plus il est un ami.»
«Les histoires d’amour requièrent une immense quantité d’énergie, un engagement total et une capacité de souffrir. En revanche, l’amitié requiert à peine une inclination. Étant donné qu'elle est vivante, qu’elle respire et ne souffre pas de la négligence, l’amitié peut momentanément être mise de côté sans conséquences graves. Parce qu'elle se construit sur l'accumulation d’expériences passées, et non pas sur des promesses d'avenir inconstantes et fragiles, elle possède une solidité souvent absente dans l'amour, et une beauté peu démonstrative auquel l'amour ne peut s’astreindre.»
«Les mariages les plus réussis sont ceux où l’étincelle originelle de l'éros a lentement allumé une flamme d’amitié qui maintient l’union longtemps après que les passions plus impérieuses ont disparu. En effet, l'une des réalisations les moins célébrées, mais comptant parmi les plus importantes de la bataille en faveur de l'égalité des femmes est que l'univers de l'amitié s’est élargi, à la fois pour les hommes et les femmes, et qu’il a fait du mariage un setup plus propice à l'amitié qu’à l'amour. Ce n'est pas un mince exploit.»
«L'amour est une question de contrôle et de perte de contrôle. Dans l'amour nous nous donnons l’un à l'autre. Nous perdons le contrôle, ou plutôt nous cédons le contrôle à un autre ». Avec une confiance que nous n’accorderions jamais autrement, nous abandonnons la partie la plus profonde de notre être à un autre, avec la possibilité d’être mortellement blessé. Cette cession de contrôle est profondément terrifiante, mais elle nous attire comme des papillons devant une flamme, de sorte que nous faisons aveuglément confiance. Dans l'amour les dangereuses incertitudes de la vie semblent résolues : la constante négociation avec d'autres âmes, la peur et la méfiance qui se cachent derrière presque chaque interaction, l’affreuse solitude avec laquelle nous avons appris à vivre à partir du moment où nous avons été séparés du sein de notre mère. Nous perdons tout cela dans les bras de l'autre. Nous retournons enfin à la sécurité primaire, manifestée par notre nudité respective… Et avec cette perte de contrôle mutuelle apparaît le pouvoir mutuel, le pouvoir de calmer, le pouvoir de racheter, et le pouvoir de blesser.»
«Dans l'amitié, il y a abdication de pouvoir sur l’autre, en fait, il s’agit même de l’abdication du désir de pouvoir sur l'autre. Et l'on n’y entre pas par nécessité, mais par choix. Si l'amour est associé à la béatitude primaire d’être privé de liberté, l'amitié est associée à la jouissance complexe de l'autonomie humaine. Dès qu'un ami tente de contrôler l’autre, l'amitié cesse d'exister. En amour, tant qu’on ne possède pas l’autre, on n’a même pas commencé à aimer. Si l'amour jongle avec le pouvoir de heurter, l'amitié crée un espace où le pouvoir cesse d'exister. Il y a un coût à cela, bien sûr. Les amis n’offriront jamais ce qu’offrent les amoureux : l’ultime lieu sécuritaire de repos et de détente sous les draps. Mais ils offrent quelque chose de plus fiable, et assurément de moins souffrant. Ils ne reconnaissent l'enfant intérieur, mais l'adulte; ils permettent une honnêteté qui n’entraîne ni souffrances, critiques et rejet. Ils ne promettent pas la béatitude de l’utérus, mais fortifient le goût de l’aventure. Ils ne résolvent pas le problème de la solitude, cependant ils l’atténuent.»
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