8 mai 2014

La violence des hommes


Je partage ces quelques extraits d’un ouvrage de Marie-France Hirigoyen en pensant aux quelque 200 jeunes filles prises en otage au Nigéria, mais aussi aux victimes de Gab Roy maintenant confronté à diverses accusations, notamment de pédophilie (voyez «Il n’y a pas de violence gratuite»), et même à Rob Ford!, ainsi qu’à la multitude de femmes victimes de violence dont on n’entend jamais parler.

Dans le même ordre d’idée :  
http://artdanstout.blogspot.ca/2014/03/il-ny-pas-de-violence-gratuite.html
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2013/04/la-communication-perverse.html
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2012/04/detecter-les-pervers.html
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2012/11/de-gentils-manipulateurs-1.html

La violence sexuelle

C’est la forme de violence dont les femmes ont le plus de mal à parler et pourtant elle est très souvent présente. La violence sexuelle comprend un spectre très large allant du harcèlement sexuel à l’exploitation sexuelle, en passant par le viol.
       Ce peut être obliger quelqu’un à des activités sexuelles dangereuses ou dégradantes, à des mises en scène déplaisantes, mais le plus souvent il s’agit simplement d’obliger une personne à une relation sexuelle non désirée, soit par la suggestion (tu es bien pudibonde!), soit par la menace. (…) Les violences sexuelles peuvent être à l’origine de traumatismes pelviens ou de transmission de maladies sexuellement transmissibles; dans un tel contexte, les femmes ne sont pas en position d’exiger un préservatif.
       Beaucoup de femmes acceptent des rapports sexuels qu’elles ne désirent pas, simplement pour cesser d’être harcelée.
       Il n’est pas toujours facile de distinguer ce qui est un rapport sexuel consenti de ce qui est un rapport sexuel sous la contrainte. Combien de femmes disent : «J’ai fini par céder parce qu’il m’a d’abord suppliée, puis il s’est moqué, puis il m’a menacée!» (…)
       La violence sexuelle a deux manières de se manifester, par l’humiliation et/ou la domination. Presque tous les hommes violents, dans leurs moments d’énervement, utilisent un vocabulaire grossier, des injures avilissantes, assimilant la femme à une prostituée : «Sale pute, tout juste bonne à sucer des b…!»

Mais la violence sexuelle est avant tout un moyen de dominer l’autre. Cela n’a rien à voir avec le désir, c’est simplement, pour un homme, une façon de dire : «Tu m’appartiens». Il faut dire que beaucoup d’hommes alimentent leurs fantasmes sexuels de pratiques véhiculées par la pornographie, où la domination masculine est mise en scène de façon caricaturale.
       Toute violence sexuelle constitue un traumatisme majeur. Il peut se faire qu’une personne à qui l’on a imposé une violence sexuelle vive désormais avec la conviction qu’elle est méprisable … (Pp. 53/60)

Les hommes violents

On peut se demander pourquoi les comportements violents sont incontestablement plus fréquents chez les hommes que chez les femmes (1).
(…)

Les premières études sur la violence domestique ont tenté d'établir un fondement neurologique aux comportements violents, et on cherché, en vain une localisation cérébrale spécifique de la violence. (...)
       Selon les tenants de la sociologie, la violence à l’égard des femmes ne serait qu’une stratégie de domination inscrite dans les gènes de l’homme, afin de lui garantir l’exclusivité des rapports sexuels et de la reproduction. Si l’on suit cette théorie farfelue, on ne comprend pas pourquoi tous les hommes ne sont pas violents.
       Les féministes se sont attachées à analyser le contexte social permettant la maltraitance des femmes. Selon elles, la société prépare les hommes à occuper un rôle dominant et, s’ils n’y parviennent pas naturellement, ils tendent à le faire par la force. La violence serait pour eux un moyen parmi d’autres de contrôler la femme. Au départ, le petit garçon n’est pas plus agressif qu’une petite fille, mais sa socialisation à l’école, dans les activités sportives, s’accompagnent d’une initiation à la violence. Tandis que la violence des garçons est acceptée et même valorisée : «Défends-toi si tu es un homme!», on apprend aux filles à l’éviter. Quand elles sont bagarreuses, on dit que ce sont des garçons manqués. La socialisation fondée sur l’apprentissage des rôles sexués octroie aux hommes une position de pouvoir et d’autorité. Aux femmes, on attribue des comportements typiquement «féminins», tels que la douceur, la passivité, l’abnégation, alors que les hommes seraient forts, dominateurs, et n’exprimeraient pas leurs émotions. Comme le montre Pierre Bourdieu, tout ce qui est valeureux, respectable, digne d’admiration est du domaine masculin, alors que ce qui est faible, méprisable ou indigne est du registre féminin.
       Cependant, l’explication sociologique n’est pas non plus suffisante car la majorité des hommes ne sont pas violents.
       Il apparaît en revanche, qu’un pourcentage important d’hommes poursuivis en justice pour violence à l’encontre de leur partenaire auraient souffert de maltraitance dans leur enfance. (…) Certains spécialistes associent d’ailleurs la personnalité borderline à la violence conjugale.
       À la naissance, le cerveau n’est pas construit une fois pour toutes. Des expériences traumatiques précoces peuvent altérer l’équilibre cérébral. C’est ainsi que les mauvais traitements et les abus subis dans l’enfance ou bien un choc intense ayant entraîné un stress post-traumatique peuvent modifier l’équilibre du système nerveux.

On constate le même phénomène chez les femmes, mais beaucoup moins fréquemment que chez les hommes. Quand elles ont subi des mauvais traitements ou des abus sexuels dans l’enfance, il leur arrive d’avoir recours à la violence, mais le plus souvent, à la suite de tels traumatismes, elles ont perdu leurs limites et elles sont plus vulnérables face à une agression. On peut donc avancer que les traumatismes de l’enfance, en fragilisant la personne et en modifiant sa personnalité, entraînent une plus grande perméabilité à la pression sociale.
       Il ne faut pourtant pas en conclure trop vite que les hommes sont violents uniquement en réaction à une violence subie dans l’enfance, on doit se méfier d’une telle simplification; tous les hommes violents n’ont pas subi de traumatismes dans l’enfance. Lorsque c’est le cas, il est important de reconnaître chez eux les séquelles et les marques qu’a pu laisser une enfance douloureuse, mais cela ne les transforme pas ipso facto en malades ou en monstres et ne les dégage en rien de la responsabilité de leurs actes. Certes, une enfance difficile ou des manques affectifs sont souvent le lot des hommes violents; néanmoins, leur mal-être ne doit pas être une excuse pour détruire leur partenaire.  

Un autre angle d’approche se fonde sur la théorie de l’apprentissage social. Selon cette théorie, les comportements violents s’acquièrent par l’observation des autres et se maintiennent s’ils sont valorisés socialement. Lorsqu’un homme a été élevé par un père violent, son organisation intrapsychique a été changée, jusqu’à ce que le recours à la violence fasse partie de son mode de fonctionnement. Il prendra l’habitude de réagir par la violence chaque fois qu’il aura besoin de soulager ses tensions internes ou de se valoriser. Par la suite, si ses actes violents ne sont pas sanctionnés, il n’y a pas de raison qu’ils ne se reproduisent pas et c’est naturellement ce qui arrive. Il suffit de laisser faire une fois pour que l’habitude se maintienne.
       Si on suit ce modèle, on ne peut que s’inquiéter de l’importance de la pornographie dans l’éducation des jeunes. La pornographie pousse à l’extrême les rôles masculins et féminins. L’homme y est nécessairement agressif, la femme passive et soumise, et on y banalise l’agression sexuelle et le viol. Le sexe y est sexisme. Or, une enquête récente a montré qu’une grande majorité de jeunes fgarçons aisaient leur apprentissage sexuel à travers les films pornographiques.

Il m’apparaît que ces différentes approches ne sont pas antagonistes, mais complémentaires, et toutes sont à prendre en compte.
       Aucun facteur pris isolément ne suffit à expliquer pourquoi un individu est violent. Un traumatisme de l’enfance peut certes créer, par le biais du stress post-traumatique, une prédisposition à la violence, qui sera ou non renforcée par le contexte social et culturel de la personne.
       De façon générale, en dehors même des traumatismes, la personnalité d’un individu est influencée par son éducation et son environnement social. C’est ainsi qu’actuellement, dans notre société occidentale, nous rencontrons peu de pathologies névrotiques et beaucoup de pathologies narcissiques (…). (Pp. 144/148)

La fragilité des hommes 

       La déresponsabilisation
       Tous les hommes violents ont tendance à minimiser leurs gestes, à se trouver des causes externes (…).
       Les causes extérieures qu’ils invoquent sont très stéréotypées. Ce peut être le stress, une provocation (…). Une excuse invoquée peut être le respect de règles religieuses ou d’habitudes culturelles : l’homme est le chef et la femme doit obéir. Une autre excuse enfin, fréquemment mise en avant par les hommes, mais également par les intervenants extérieurs, est l’alcool. Certes, les conduites agressives liées à l’alcool sont très courantes puisque, dans la population générale, les actes violents commis sous l’emprise de l’alcool concernent la moitié des homicides. Les qualités désinhibitrices de l’alcool ont fait dire à des psychanalystes que «le surmoi était soluble dans l’alcool». Or ce n’est pas l’alcool qui provoque directement la violence, il permet seulement la libéralisation de la tension interne jusque-là contenue, en créant un sentiment de toute-puissance. L’alcoolisation ne doit pas être synonyme de déresponsabilisation. Il faut d’ailleurs préciser que tous les alcooliques ne sont pas violents et que des alcooliques sevrés peuvent le rester.
       Tous ces hommes qui justifient leur comportement par une perte de contrôle savent le modérer en société ou sur leur lieu de travail. (…)
       La société continue à attendre des hommes qu’ils occupent un rôle dominant, or, s’ils se sentent incompétents ou impuissants, ils peuvent chercher à compenser cette faiblesse qu’ils ressentent en eux par des comportements tyranniques, manipulateurs et violents en privé. Bien évidemment, ils ne l’avoueront pas ouvertement; le déni est pour eux un moyen d’échapper à la honte et à la culpabilité, mais c’est aussi un moyen de ne pas voir leur fragilité interne. Il leur faut se maintenir dans la toute-puissance, au besoin par la manipulation et le mensonge. Comme ils ne veulent pas être responsables, c’est forcément la faute d’un autre; ils se tirent d’affaire et retournent le problème en se posant en victimes. À défaut d’excuses extérieures crédibles, ils savent alors apitoyer l’autre en racontant leur enfance malheureuse, comme on l’a vu.
       Cette déresponsabilisation est mal acceptée par les femmes, car dénier leur souffrance à elles constitue une attaque supplémentaire. 

       Des hommes fragiles psychologiquement
       Ce sont leurs failles narcissiques (une faible estime d’eux-mêmes) qui constituent le soubassement du comportement des hommes violents. Ce sont leur fragilité et leur sentiment d’impuissance intérieure qui les ramènent à vouloir contrôler et dominer. ... Le contrôle sur l’autre, à l’extérieur, vient suppléer leur manque de contrôle interne.
       La violence est pour ces hommes un palliatif pour échapper à l’angoisse, ainsi qu’à leur peur, peur d’affronter les affects de l’autre, peur d’affronter les leurs. (Pp. 148/151)

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La campagne du Ruban blanc a été lancée en 1991 par trois hommes de Toronto qui ont réussi à sensibiliser d’autres hommes et briser enfin le silence sur la violence masculine exercée à l’encontre des femmes. Il s’agissait, pour eux, par un petit signe, de miser sur la visibilité des hommes opposés à ces violences.
       Les médias ont repris cette initiative et des actions de prévention se sont mises en place dans les écoles.
       Cette campagne s’est répandue dans d’autres pays, y compris dans certains pays d’Afrique et en Chine. (p. 287)

~ Marie-France Hirigoyen
Femmes sous emprise, les ressorts de la violence dans le couple;
Pocket; Coll. «Oh! Éditions», 2005

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(1) Je veux être objective.
L'auteur parle aussi des femmes violentes : «La violence n'a pas de sexe. Les femmes aussi savent être violentes, et quand elles le peuvent, elles utilisent tout autant que les outils du pouvoir. Si on en doutait, il suffirait de se souvenir des photos de la soldate américaine Lynndie England tenant en laisse un prisonnier américain. D'autres faits divers décrivent des femmes perverses qui, sans scrupule, s'associent à leur conjoint pour maltraiter leurs enfants. Depuis quelques années, des groupes de défense des hommes et des pères dénoncent la violence exercée sur leur compagnon par des femmes. Leurs arguments seraient que celles-ci peuvent être aussi violentes que les hommes et qu'en particulier elles sont tout aussi capables de lancer des objets et de menacer et de frapper. (...) Les femmes exercent surtout une violence psychologique sur leur partenaire. (...) De plus, étant donné leur force physique moindre, la violence physique des femmes a des conséquences moins dramatiques que celle des hommes. Les femmes frappent à main nue et beaucoup plus rarement en utilisant des objets contondants. (...) Le plus souvent, cependant la violence physique des femmes est réactive. La majorité de celles qui ont tué leur conjoint l'ont fait dans un contexte de protection ou de légitime défense face aux violences dont elles étaient victimes. (...) Sans nier la réalité de la violence des femmes, il faut veiller à ce que cela ne serve pas à jeter le discrédit sur les femmes victimes de violence, phénomène d'une ampleur sans commune mesure comme on l'a plusieurs fois souligné.»
Voilà.

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Et je pourrais transcrire des passages ad infinitum. Un ouvrage à lire si l’on veut comprendre cette dynamique, tant du côté des femmes que des hommes…

Je n’ose imaginer ce qui est arrivé (ou arrivera) à ces quelque 200 jeunes Nigérianes. Tellement marre de cette violence débridée, en viendrons-nous jamais à bout? Je crois avoir perdu espoir, au point où je suis incapable de pleurer car j’ai atteint le palier où l’on fige de stupeur. Je me réfugie alors dans la musique... Par solidarité, je dédie ces deux airs d’une profonde beauté et tendresse à toutes les victimes de violence (de l’album Secret Garden).



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