18 août 2014

Sept milliards de solitudes

Dans un spoutnik
Daniel Bélanger (poète, auteur-compositeur québécois) 
Illustrations / animation : Sébastien Théraulaz



Étendant la main pour tirer vers nous la quantité de temps qui nous est allouée, nous sommes capables de la laisser ensuite filer en arrière sans rien faire. Répétant simplement les mêmes tâches, les mêmes gestes quotidiens - parfois avec une grande habilité. À cette idée, je sentis en moi un vide incommensurable.

~ Haruki Murakami (Les amants du Spoutnik)
 
La lumière bleue des téléviseurs allumés dans les maisons tombaient sur la neige, parfois un son filtrait, de chaque fenêtre un fragment de différents programmes. Je m’imaginais la solitude ainsi : les gens ne regardaient qu’exceptionnellement la même télévision. Le soir, les générations s’enterraient dans des mondes séparés, balancés sur Terre du haut de tel ou tel satellite. Au moins autrefois, on avait eu des émissions communes dont on pouvait parler. De quoi parle-t-on maintenant?
 
~ Henning Mankell (Les chaussures italiennes)  

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Avec l’allongement de la vie, l’augmentation des divorces et des séparations, les choix de vie de plus en plus fréquents de se réaliser individuellement, tout le monde est, a été, ou sera seul. Dans une même vie, nous connaîtrons des périodes de rencontres centrées essentiellement sur la sexualité, des périodes en couple cohabitant, alternant avec des périodes de solitude, puis des liens amoureux à distance, et sans doute encore de la solitude.

Il existe incontestablement un isolement produit par la société moderne. Prôné comme suprême, l’individualisme entraîne une insécurité dans tous les domaines. La dégradation des conditions de travail et l’appauvrissement de la vie sociale amènent à se méfier de soi et des autres, à hésiter avant de s’engager. Notre société centre les personnes sur les bonheurs matériels, sur l’importance des choix, l’abondance de l’information et l’obligation du bonheur qui ne réussissent pas à combler les individus qui se montrent déçus, frustrés et désenchantés.

On aurait pu penser qu’Internet et les sites de rencontres viendraient pallier la déficience de liens. Mais, là aussi, l’individu se retrouve un parmi une foule de «mêmes», dont il peine à se différencier. Les rencontres permises par ces sites sont souvent frustrantes, car les candidats se méfient, hésitent à s’engager et éprouvent parfois le sentiment d’être devenus consommables et jetables.

Pourtant, si la solitude est certes parfois douloureuse et sans espoir, elle peut aussi apporter des moments riches où nous pouvons puiser énergie et inspiration. Il est évidemment important d’apprendre à vivre en commun, mais il est aussi indispensable d’apprendre à vivre seul, que chacun puisse trouver dans la solitude un espace de repos et de régénération : accepter une solitude relative, c’est aussi se donner les moyens de sortir de la futilité et de la superficialité d’un monde narcissique.

~ Marie-France Hirigoyen 
Les nouvelles solitudes
La Découverte, 2007

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