5 août 2014

Adieu fleuve Saint-Laurent?

Photo : Käptn Iso, Trois-Pistoles; Panoramio

«Il y a du sang sur la neige, tout le long du chemin de la batture.» ~ Anne Hébert

Bientôt terminé les paysages bucoliques, les promenades sur les battures à regarder les bélugas, les rêveries assis sur les rochers? Il faudra que je revisite avant le saccage… car le fleuve, tel qu’il est en ce moment, ne sera peut-être plus qu’un vague souvenir. 

Ce qui se passe actuellement à propos du fleuve me chavire. Je me sens comme un vieux chalutier sur le bord de couler tu-seul ou prêt à être mis au rancart. Cale sèche.

Photo : Louis Panassié, chalutiers

Quand je file un mauvais coton, je me réfugie dans la poésie. 

Étant donné que toutes beautés du Saint-Laurent sont dangereusement menacées, j’avais envie de partager la version intégrale d’Ode au Saint-Laurent du poète Gatien Lapointe. Mais il est très long (14 pages!) et cela causait des petits problèmes à M. Blogger. Je n’ai pas eu la patience… vous trouverez cette version complète sur : http://francais.agonia.net/index.php/poetry/168204/

---

J'ai dit...

J'ai dit mon mal et mes soucis
à tous les vents, au monde entier,

À l'occident et à l'orient,
et à mon roi et à mon peuple

Que puis-je donc faire un geste de plus,
faut-il mourir devant ton seuil?

~ Sayat-Nova, poète/troubadour arménien (1722-1795)

---

Madrigal 

J'ai hérité d'une sombre forêt où je me rends rarement. Mais un jour, les morts et les vivants changeront de place.

Alors, la forêt se mettra en marche. Nous ne sommes pas sans espoir. Les plus grands crimes restent inexpliqués, malgré l'action de toutes les polices. Il y a également, quelque part dans notre vie, un immense amour qui reste inexpliqué.

J'ai hérité d'une sombre forêt, mais je vais aujourd'hui dans une autre forêt toute baignée de lumière.

Tout ce qui vit, chante, remue, rampe et frétille! C'est le printemps et l'air est enivrant.

Je suis diplômé de l'université de l'oubli et j'ai les mains aussi vides qu'une chemise sur une corde de linge.

~ Tomas Tranströmer (1931-  )
Pour les vivants et les morts, 1989

Source :
http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/sommairelitterature.html

-------------------------  

Autour de ma maison

Pour vivre clair, ferme et juste,
Avec mon coeur, j’admire tout
Ce qui vibre, travaille et bout
Dans la tendresse humaine et sur la terre auguste.

L’hiver s’en va et voici mars et puis avril
Et puis le prime été, joyeux et puéril.
Sur la glycine en fleurs que la rosée humecte,
Rouges, verts, bleus, jaunes, bistres, vermeils,
Les mille insectes
Bougent et butinent dans le soleil.
Oh la merveille de leurs ailes qui brillent
Et leur corps fin comme une aiguille
Et leurs pattes et leurs antennes
Et leur toilette quotidienne
Sur un brin d’herbe ou de roseau!
Sont-ils précis, sont-ils agiles!
Leur corselet d’émail fragile
Est plus changeant que les courants de l’eau;
Grâce à mes yeux qui les reflètent
Je les sens vivre et pénétrer en moi
Un peu;
Oh leurs émeutes et leurs jeux
Et leurs amours et leurs émois
Et leur bataille, autour des grappes violettes!
Mon coeur les suit dans leur essor vers la clarté,
Brins de splendeur, miettes de beauté,
Parcelles d’or et poussière de vie!
J’écarte d’eux l’embûche inassouvie :
La glu, la boue et la poursuite des oiseaux
Pendant des jours entiers, je défends leurs travaux;
Mon art s’éprend de leurs oeuvres parfaites;
Je contemple les riens dont leur maison est faite
Leur geste utile et net, leur vol chercheur et sûr,
Leur voyage dans la lumière ample et sans voile
Et quand ils sont perdus quelque part, dans l’azur,
Je crois qu’ils sont partis se mêler aux étoiles.

Mais voici l’ombre et le soleil sur le jardin
Et des guêpes vibrant là-bas, dans la lumière;
Voici les longs et clairs et sinueux chemins
Bordés de lourds pavots et de roses trémières;
Aujourd’hui même, à l’heure où l’été blond s’épand
Sur les gazons lustrés et les collines fauves,
Chaque pétale est comme une paupière mauve
Que la clarté pénètre et réchauffe en tremblant.
Les moins fiers des pistils, les plus humbles des feuilles
Sont d’un dessin si pur, si ferme et si nerveux
Qu’en eux
Tout se précipite et tout accueille
L’hommage clair et amoureux des yeux.

L’heure des juillets roux s’est à son tour enfuie,
Et maintenant
Voici le soleil calme avec la douce pluie
Qui, mollement,
Sans lacérer les fleurs admirables, les touchent;
Comme eux, sans les cueillir, approchons-en nos bouches
Et que notre coeur croie, en baisant leur beauté
Faite de tant de joie et de tant de mystère,
Baiser, avec ferveur, délice et volupté,
Les lèvres mêmes de la terre.

Les insectes, les fleurs, les feuilles, les rameaux
Tressent leur vie enveloppante et minuscule
Dans mon village, autour des prés et des closeaux.
Ma petite maison est prise en leurs réseaux.
Souvent, l’après-midi, avant le crépuscule,
De fenêtre en fenêtre, au long du pignon droit,
Ils s’agitent et bruissent jusqu’à mon toit;
Souvent aussi, quand l’astre aux Occidents recule,
J’entends si fort leur fièvre et leur émoi
Que je me sens vivre, avec mon coeur,
Comme au centre de leur ardeur.

Alors les tendres fleurs et les insectes frêles
M’enveloppent comme un million d’ailes
Faites de vent, de pluie et de clarté.
Ma maison semble un nid doucement convoité
Par tout ce qui remue et vit dans la lumière.
J’admire immensément la nature plénière
Depuis l’arbuste nain jusqu’au géant soleil
Un pétale, un pistil, un grain de blé vermeil
Est pris, avec respect, entre mes doigts qui l’aiment;
Je ne distingue plus le monde de moi-même,
Je suis l’ample feuillage et les rameaux flottants,
Je suis le sol dont je foule les cailloux pâles
Et l’herbe des fossés où soudain je m’affale
Ivre et fervent, hagard, heureux et sanglotant.

~ Émile Verhaeren (1855-1916)
La multiple splendeur

---

Annie

Sur la côte du Texas
Entre Mobile et Galveston il y a
Un grand jardin tout plein de roses
Il contient aussi une villa
Qui est une grande rose

Une femme se promène souvent
Dans le jardin toute seule
Et quand je passe sur la route bordée de tilleuls
Nous nous regardons

Comme cette femme est mennonite
Ses rosiers et ses vêtements n’ont pas de boutons
Il en manque deux à mon veston
La dame et moi suivons presque le même rite

~ Guillaume Apollinaire (1880-1919)

Source :
http://www.poetica.fr/a-propos/

Aucun commentaire:

Publier un commentaire