13 août 2014

Dieu merci, ce n’est pas moi…

Je ne sais pas si vous êtes déjà allé à des récitals de poésie où les poèmes étaient lus par leurs auteurs. Oh là là! 60 minutes de lecture recto tono et on est un peu chloroformé. Mais bon, tous les poètes ne sont pas des comédiens… ça se comprend. 

À Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent, les poèmes sont lus par des comédiens. Toute la gamme des émotions, des plus tristes aux plus joyeuses, le tout servi avec danse et musique. En bonus : sandwichs, punch/vodka et partage avec les comédiens. Voilà qui peut réconcilier à la lecture de poésie; c’est animé, vivant. Édition 2014 : 12, 13 et 14 septembre à la Cinquième Salle de la Place des Arts.

Le spectacle poétique est organisé par Loui Mauffette (Photo : Yves Renaud) 

Suit un poème de l’édition 2012.
Loui Mauffette, Kathleen Fortin et Maxime Dénommée l’ont lu à Médium large.
Si vous avez accès à l’Audio fil :
http://ici.radio-canada.ca/emissions/medium_large/2014-2015/

J’ai osé transcrire d'après l'audio pour celles et ceux qui n'ont pas accès (c'est trop bon).  

DIEU MERCI, CE N’EST PAS MOI
Par Evelyne de la Chenelière*

Laissez-moi vous parler d’un cœur
qui souffre d’avoir perdu Dieu
errant sans fin dans la nuit, sans espoir
Ici, à la lisière, il n’y a pas d’étoiles,  
ici, nous sommes raides, immaculés

Sans croire en Dieu parfois nous pensons 
Dieu merci, ce n’est pas moi  

Dieu merci, ce n’est pas moi
Ce n’est pas moi qui ai perdu mon enfant
dans une crevasse, une avalanche, une tuerie, une rivière
Ce n’est pas moi le corps tordu dans la voiture accidentée
Dieu merci, ah… ce n’est pas moi

Nous pensons Dieu merci, ce n’est pas moi
le sans-abri, le sans-papiers, le sans-emploi,
le sang contaminé, les dents qui tombent,
les os qui brisent à la moindre chute
ce n’est pas moi la droguée, le vieux, la folle!

Ce n’est pas moi en République centrafricaine, en Ukraine, à Gaza,  
Dieu merci, ce n’est pas moi
Ce n’est pas moi qui ai des mouches plein les yeux,
qui ai les membres arrachés, des sœurs kamikazes,
des frères pendus par les pieds, des enfants-soldats
Ce n’est pas moi!

Nous pensons Dieu merci, ce n’est pas moi
qui ai reçu une balle perdue comme une giclée de rage
Dieu merci, ce n’est pas moi qu’on voile,
qu’on excise, qu’on viole, qu’on vend
Dieu merci, ce n’est pas moi!

Ce n’est pas moi non plus
la starlette sur laquelle on éjacule et qui vieillira pourtant
Le désir des autres n’est pas un bain de jouvence
et les plus belles tomberont avec leur chair molle
Dieu merci, ce ne sera pas moi!

Ce n’est pas moi, je ne peux rien
Je ne peux rien pour les miséreux, les pauvres,
les damnés, les malades
Adressez-vous aux puissants du monde
je ne peux pas vous sauver la vie
ce n’est pas moi qui vous sauverai la vie
Pour commencer, cessez de crier, taisez-vous donc!
Ah… Dieu merci, ce n’est pas moi

Ce n’est pas moi qui appellerai, éperdu,  
la clémence, l’absolution
À l’heure de ma mort on ne dira pas de moi 
«Dieu merci, il est mort»
«Dieu merci, enfin, elle est morte»
On ne souillera pas ma dépouille
on ne profanera pas ma tombe

Sans croire, nous disons
Dieu merci, ce n’est pas moi
qui brûlerai dans les flammes éternelles
de ton enfer
Dieu merci, ce n’est pas moi…

D’ailleurs nous pensons
Dieu merci, je ne mourrai pas

Après, nous replions le journal
nous fermons la télévision
nous fermons tous nos sens brûlés
et les livres d’histoire

Nous tordons nos mains
dans une prière difforme
et nous pensons
Dieu merci, ce n’est pas moi

* Evelyne de la Chenelière, comédienne et dramaturge : le film Monsieur Lazhar (écrit et réalisé par Philippe Falardeau) est une adaptation de sa pièce Bashir Lazhar.

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