19 juillet 2012

Aimer sans posséder

Wang-Fô : magnifique illustration de Georges Lemoine

Le vieux peintre Wang-Fô et son disciple erraient le long des routes du royaume des Han. Ils avançaient lentement car Wang-Fô s’arrêtait la nuit pour contempler les astres et le jour pour regarder les libellules. Ils étaient peu chargés car Wang-Fô aimait l’image des choses et non les choses elles-mêmes; pour lui aucun objet au monde ne valait la peine d’être possédé excepté quelques brosses, des pots de laque et d’encre, des rouleaux de soie et du papier.  
~ Marguerite Yourcenar, Contes d’Orient

Je n’irais pas jusque-là… à moins qu’une catastrophe m’y contraigne. Par contre, je me considère déjà fortunée de pouvoir aimer de beaux objets sans avoir besoin de les posséder (cette capacité s’étend aux personnes que j’aime…).

Chose certaine, lorsqu’on se libère du passé, au plan mental/émotionnel, on désire refléter notre nouvel état d’esprit dans la vie matérielle. Désencombrer notre espace physique du superflu et de l’inutile devient soudain prioritaire. Étonnamment, ce vide nous comble 

Bizarre comme nous oublions les «au cas où», souvenirs, cadeaux, bibelots et autres qui encombrent nos caissons… jusqu’au jour où nous les ouvrons. Parfois l’on accumule des objets en raison d’héritages ou parce qu’on collectionne sans le réaliser. Un objet par ici, un objet par là, et sournoisement, la maison se remplit. J’ai hâte de gouter au gain d’espace et de liberté qui résultera du nettoyage que je suis en train de faire – tout y passe.

«Nous ne possédons pas les choses; ce sont les choses qui nous possèdent.»
~ Guy Finley  

«Choisissez vos possessions, ne les subissez pas. Comment apprécier des objets en multitude, dénués d’âme et de beauté, morts? Les Japonais sont nos maitres à ce propos. () Chaque objet est bien fait, esthétique, utile, léger, compact, pliable, mobile, et avec le pouvoir de disparaitre, avant et après usage, dans un sac, une poche, ou impeccablement replié dans un carré de soie. Les choses sont appréciées pendant l’usage qui leur est réservé, et respectées autant que des objets sacrés.»
~ Dominique Loreau, auteur de L’Art de la simplicité 

En effet, un seul objet bien pensé, de qualité, résistant, aux formes simples – et qui fonctionne! – vaut mieux que dix autres qui se déglinguent facilement ou brisent à tout bout de champ; surtout que plus personne ne les répare car ça coute plus cher que de remplacer…

Dominique Loreau dit aussi :
«Pour mieux vieillir, c’est-à-dire aller en s’allégeant, peut-être pourrions-nous nous inspirer de ce peuple et de ses coutumes et opter pour un style de vie orienté vers le strict nécessaire, ce qui n’exclut pas le confort et le raffinement. Nos possessions matérielles ne devraient être que celles qui servent notre corps et qui nourrissent notre âme. ()
      Tout ce que possède une personne devrait tenir dans un ou deux sacs de voyage. Le reste, c’est-à-dire tout ce qu’on peut trouver dans une maison (literie, vaisselle, télévision, meubles) ne devrait pas être considéré comme possession.
      Les Japonais étaient obligés de vivre ainsi à cause des fréquents incendies, des voleurs et des catastrophes naturelles. Ils choisissaient leurs biens toujours avec l’idée de pouvoir les emporter en s’enfuyant.
      Notre culture s’accommode mal de ceux qui choisissent de vivre frugalement, car ces derniers représentent un danger pour l’économie et la société de consommation. Ils sont considérés comme des marginaux, des individus inquiétants.
      Nous gaspillons, détruisons tout. Nous utilisons des couverts, stylos, briquets, appareils photo jetables… dont la fabrication génère la pollution de l’eau, de l’air, et donc de la nature. Renoncez dès aujourd’hui à tout ce gâchis avant d’y être forcé demain.»

«Cinq minutes suffisent à un Japonais pour se préparer à un long voyage. Il a peu de besoins. Sa capacité à vivre sans entraves, sans meubles, avec un minimum de vêtements fait sa supériorité dans cette lutte constante qu’est la vie.»
~ Lafcadio Hearn, Kokoro 

Si le minimalisme vous intéresse, voyez « Refonte 1 et 2 » :
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2012/06/refonte-1.html
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2012/06/refonte-2.html

COMMENTAIRE

Les Japonais ont peut-être abandonné cette sage coutume ancestrale car on peut dire qu'ils sont passés maitres en fabrication de gadgets jetables... comme bien d'autres cultures d'ailleurs. Je ne leur jette pas la pierre puisque nous étions/sommes preneurs.  

Quoiqu’il en soit, tâchons de minimaliser de sorte que nous ne laisserons que des biens de réelle valeur aux héritiers – ce qui en outre leur évitera le fastidieux triage/recyclage de notre bazar.

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Vous aimerez peut-être les photoreportages d’Antonio Pagnotta sur Mediapart :
http://www.mediapart.fr/portfolios/fukushima-17-le-dernier-homme
Série de sept portfolios.

Pendant plus de neuf mois, le photojournaliste est régulièrement entré dans la zone interdite autour de la centrale de Fukushima au Japon. Il y a rencontré un homme qui a refusé d'évacuer les lieux. Il vit sans eau, sans électricité.

Photo : Antonio Pagnotta
Matsumura refuse d’abandonner les animaux qui ont survécu à une agonie certaine. Chaque matin, il va de maison en maison pour nourrir les chats et les chiens restés sur place parce que trop sauvages pour être capturés ou trop agressifs pour être emmenés dans les refuges. Il nourrit aussi ses sangliers et ses cochons qui cohabitent avec une bande de chats.

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