24 mars 2016

Vénéré ou persécuté : c’est lui le «boss»


Je suis en train de compléter un puzzle de chats – de belles fripouilles de races diverses. La concentration et l’ambition me font oublier temporairement les folies courantes. Je me disais que le retour en force du culte voué aux chats – par ex. les millions de vidéos sur le Net – nous permettait de faire amende honorable pour tous les torts et préjudices que nous leur avons causés pendant des siècles (1).

Savoureux :

Les Esclaves

Au commencement, Dieu créa le chat à son image. Et, bien entendu, il trouva que c'était bien. Ce qui prouve qu'il avait une très bonne opinion de lui-même car ce n'était pas si bien que cela.

En effet, le chat ne voulait rien faire. Il était paresseux, renfermé, taciturne, économe de ses gestes et, de plus, extrêmement buté. C'est alors que Dieu eut l'idée de créer l'homme. Uniquement dans le but de servir le chat, de lui servir d'esclave jusqu'à la fin des temps. Au chat, il avait donné l'indolence et la lucidité; à l'homme, il inocula la névrose de l'agitation, le don du bricolage et la passion du travail intensif. L'homme s'en donna à cœur joie. Au cours des siècles, il édifia toute une civilisation fondée sur l'invention et la production, la concurrence et la consommation. Civilisation fort tapageuse qui n'avait en réalité qu'un seul but secret : offrir au chat le confort, le vivre et le couvert.

C'est dire que l'homme inventa des millions d'objets inutiles, généralement absurdes, tout cela pour produire parallèlement les quelques objets indispensables au bien-être du chat : le radiateur, le coussin, le bol, le plat de sciure, le filet du pêcheur breton, le couteau à hacher la viande, la moquette ou le tapis, le panier d'osier et peut-être aussi la radio puisque les chats aiment bien la musique.

Mais, de tout cela, les hommes ne savent rien. À leurs souhaits. Bénis soient-ils. Et ils croient l'être. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes des chats. 

~ Jacques Sternberg (in 188 contes à régler, Denoël, 1988) 

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(1) «Un nouveau livre sur le chat? Pourquoi pas, s’il doit contribuer à réhabiliter un être injustement traité parce qu’il reste le plus secret, le plus hermétique qui soit de toute la faune du monde. ... Il nous semble en secret que le chat, le chat aux destins si divers, le chat animal fabuleux, le chat qui n’est ni domestique ni sauvage, le chat qui séduit et fait peur, le chat qui est de tous les animaux celui qui a le plus souffert, le chat nous saura gré d’avoir contribué à le faire connaître, à le faire comprendre et à le faire aimer.» (Fernand Méry, Avant-propos, p. 11)

Du paradis égyptien à l’enfer européen : Le Guide des chats (Denoël 1971) par Fernand Méry (1897-1984) – vétérinaire français, écrivain animalier, grand protecteur des animaux et fondateur de l’association Les Amis des Bêtes.

L’Égypte, paradis des chats

Connaissez-vous la Haute-Égypte? Celle qui commence à Karnak au milieu des temples de Thèbes et connaît son apothéose dans les sombres tombeaux de la Vallée des Rois? Celle qui impose des dieux à corps humain et à têtes de bêtes pour mieux préciser les frontières d’un monde où l’esprit des simples mortels n’a pas accès? 
     C’est logiquement en Haute-Égypte que l’on peut espérer retrouver une trace, un détail, susceptibles d’aider la chercheur à remonter le plus loin et le plus sûrement possible dans le passé des chats civilisés. 
     Je suis allé en Haute-Égypte. Les plus éloquentes reproductions de chats sont sur la tombe des sculpteurs Apuki et Nebamun, à Thèbes, et datent du règne d’Aménophis III ou bien au temple de Medineth-Abou sur les bas-reliefs consacrés à la chasse; des chats qui paraissent plus hauts, plus grands, plus longilignes que les chats siamois les plus développés; des chats le plus souvent tenus en laisse et qui chassent pour leurs maîtres les oiseaux aquatiques du marais. (...)
     Il y a soixante ans à peine [années 30], on découvrait dans l’Égypte centrale, à Beni Hassan, un véritable cimetière où trois cent milles chats embaumés et momifiés dormaient depuis des millénaires. Quel sort eut cette étrange et précieuse découverte? 
     Aucun archéologue n’étant là pour arrêter ce vandalisme, on la détruisit sottement et sa perte est irréparable. Il eût suffit en effet de garder au hasard une centaine de ces chats pour savoir aujourd’hui quelle était la couleur, la texture des poils des premiers chats. Il eût suffit de pouvoir faire une moyenne pour avoir une idée approximative de leur taille. Par un concours de circonstances ahurissant, on empila ces monceaux de chats dans les cales d’un navire qui repartait pour l’Angleterre, et on les vendit... comme engrais! 
     Le professeur W. M. Conway, dans l’English Illustrated Magazine de l’époque, a donné toutes les précisions sur cet inexcusable crime... Vingt tonnes – vingt mille kilos de chats égyptiens admirablement conservés – furent ainsi transportés jusqu’à Liverpool, et la presque totalité, cédée aux paysans au prix de quatre livres la tonne, fut mêlée à la terre anglaise comme le plus prosaïque des fumiers!... 
     Sans doute existe-t-il, de-ci, de-là, de par le monde, quelques momies altérées ou à demi-détruites dont on n’a pas assez compris l’importance scientifique. (...) 
     Quand on sait qu’une ville entière, située entre les bras du Nil, à la hauteur de l’actuelle Benha-el-Asl sur la ligne du chemin de fer Ismaïlia-Le Caire, fut jadis consacrée aux chats, on est surpris de constater que, de nos jours, les chats sont rares en Égypte. (...) 
     Seules les statues «complètes» de chats (les statues à corps et tête d’animal) peuvent aider à se faire une image du chat domestiqué de Haute-Égypte. ... Rares sont, en définitive, les documents sérieux sur lesquels on puisse établir l’origine probable du chat domestiqué. 
     Pourtant l’Égypte ancienne, d’était hier. Que représentent deux ou trois milliers d’années dans le curriculum d’un être? Que représente l’âge du chat domestiqué, si l’on veut bien considérer que le chien est auprès de l’homme depuis les premiers pas de nos premiers ancêtres, depuis des centaines et des centaines d’années! 
     Ce que l’on sait, c’est qu’à peine apparu en Haute-Égypte, Sa Majesté le Chat sera Souverain-Dieu. 
     Il est l’hôte sacré dans toute sa grandeur. Est-ce un mâle? Il est l’allié du soleil et vainqueur d’Apopi, le serpent de la nuit. Est-ce une chatte? Elle est aimée du petit peuple et devient la «Dame du Ciel». 
     Et ce règne étonnant durera près de deux cents lustres, jusqu’au jour de la décadence, jusqu’au jour où s’effondreront les dynasties pharaoniques, jusqu’à l’heure  où naîtra la religion chrétienne, la Foi nouvelle, éblouissante de lumière, mais qui va rejeter à jamais le chat dans les ténèbres, l’abandonnant ainsi au plus tragique des destins! (p. 20-24)
(...) 
     Le chien renaît, le chat, souvenir abhorré d’un paganisme éteint, va aussitôt rentrer dans l’ombre. L’Écriture ne le connaît pas... 
     Chiens esclaves des rois chrétiens... 
     Chats orgueilleux des Pharaons déistes... 
     Si l’on s’avise, un jour, d’expliquer les raisons de la haine ancestrale qui oppose les chiens aux chats depuis des siècles et des siècles, qu’on ne néglige pas d’en chercher l’origine dans ce confessionnel débat!
(p. 27)
(...)

Les chats arrivent en Europe pour leur malheur

(...) On les couvrit de fleurs, on chanta leurs louanges... Le temps passa et les chats qui s’étaient endormis pendant vingt ans sur leurs amours et leurs lauriers, se réveillèrent dans les flammes. 
     L’Église, un moment indulgente, allait reprendre le combat. À ces animaux innocents, elle allait vouer la haine la plus froide, la plus cruellement meurtrière que l’esprit puisse imaginer. Des centaines de milliers de chats, pourchassés dans tous les pays, furent ainsi crucifiés, écorchés vivants, jetés hurlant dans les brasiers. 
     Ce fut l’époque des autodafés, ces ignobles bûchés de chats que les seigneurs encourageaient et que les princes présidèrent!... 
     Ce fut l’époque des sinistres feux de la Saint-Jean où, dans un cercle de feu, un mât dressé demeurait pour les pauvres bêtes la seule issue possible. Pour y grimper ils se battaient furieusement jusqu’au moment où, un à un, ils retombaient jusqu’au dernier au creux des flammes!... 
     Il y eut même – ô ironie – de très sérieux procès de chats pour justifier ces sentences. Car, au nom de l’élévation de l’esprit et de la lutte contre la débauche et le scandale, la Justice soutint le Clergé. En 1884, c’est le pape Innocent VIII, qui prend lui-même en main la lutte. Il se mit à poursuivre les amis des chats, les accusant de sorcellerie, leur jetant l’anathème. 
     Et l’Inquisition commença.
     La folie passa les frontières. Elle gagna la Germanie, puis l’Angleterre. Par dizaine de milliers, les femmes furent exécutées parce qu’elles protégeaient, nourrissaient ou hébergeaient un chat, et cent ans après Cromwell, les sorcières à chats étaient encore brûlées vives!... 
     C’est la haine... une haine qui se prolongera pendant des lustres et des lustres et franchira les mers... une haine si forte et si tenace que dans la seule Caroline du Sud, la Nouvelle-Angleterre (L’Amérique d’aujourd’hui) devait soutenir plus de deux mille procès de sorcellerie chatesque!
(p. 32-35)

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Si les félidés vous passionnent : Pattes de velours
http://www.pattes-de-velour.com/felidae.php

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