8 mars 2016

La virulence envers le féminisme

Je peux vous expliquer une chose, mais je ne peux pas comprendre à votre place.

Les choses n’ont guère changé depuis 30 ans puisque la propagande antiféministe amarrée à des stéréotypes éculés n’a pas cessé. Lors d’un périple Espagne/France/Italie, j’ai découvert ce qu’était le harcèlement dans les transports en commun bondés. Le fait d’être touriste assure un certain détachement, voire de l’audace, alors les «frotteurs» de l’époque ont pris de bons coups de coude dans l’estomac. Il y a plus grave me direz-vous. Bien sûr, mais les attouchements non cherchés ni consentis seront toujours insultants et révoltants. En outre, ce comportement archaïque de prédateur en milieu de travail peut avoir de lourdes conséquences, la délation pouvant résulter en perte d’emploi pour la plaignante.


Projet Crocodiles – Stop harcèlement de rue
Histoires de harcèlement et de sexisme ordinaire mises en bandes dessinées
http://projetcrocodiles.tumblr.com/

Encore du chemin à faire, mais il y a de l’espoir...

J’ai compris que j’étais féministe le jour où j’ai rencontré une antiféministe

Par Théodore Théoflex
(8 septembre 2015, vice.com) 

Sortir avec une fille féministe, c'est génial en même temps que c'est horrible.

D'abord c'est génial, puisque ça implique une relation amoureuse avec une personne émancipée et consciente, à la recherche d'autre chose qu'un voyage en tapis volant avec un Prince de dessin animé, sympa et charmeur, mais globalement chiant. En effet, ma copine, puisque c'est d'elle dont je parle, n'attend pas l'aval d'un référent masculin pour gérer sa vie et prendre des décisions. On pourrait la dire «libre», si ce mot avait encore un sens.

IRL, cette liberté peut parfois se manifester par des débats sans fin sur ses choix vestimentaires. Ou parfois, par son désir de n'entrer en commerce avec moi que lorsque notre désir sexuel est partagé. Aussi, quand je l'approche avec l'idée de reproduire, via son corps, ce que j'ai vu plus tôt dans des vidéos sur Internet, je connais d'avance la réponse. C'est non. Car son corps n'est «pas le réceptacle passif de mes fantasmes». Pourtant, après m'avoir longtemps paru simpliste et frustrant, ce principe me semble aujourd'hui, sinon génial, du moins couler de source. Car on ne le dira jamais assez, baiser, c'est quand même mieux quand c'est consenti.

J'ai pour la première fois réalisé ça à la suite d'un rendez-vous professionnel à Saint-Germain-des-Prés, dans un café de la rue Bonaparte. Il devait y être question de boulot et, avec un peu de chance, ce boulot devait me permettre d'obtenir cette chose précieuse qu'on appelle argent. Arrivé à la terrasse dudit café, je repère donc Sophie, 57 ans, productrice de télévision dont je suis obligé, dans l'espoir que ma carrière professionnelle débute un jour, de changer le nom.

S'en suit le rituel propre à tous les débuts de rendez-vous dans le milieu de l'audiovisuel : embrassades, marques d'affection exagérées alors même qu'on se rencontre pour la première fois, conversation immédiatement menée sur un ton personnel avec visionnage de photos sur le smartphone de Sophie alors même que je m'en bats la race de ses histoires. Moi, je ne suis là que pour le travail, sinon pourquoi j'aurais pris une douche, coiffé mes cheveux et posé sur la table une pochette en plastique surmontée d'une étiquette indiquant «projets de scénarios»?

Mais Sophie semble elle aussi s'en battre la race de tout ça. À la place, elle préfère vider la batterie de son téléphone en faisant défiler les visages de sa parentèle et les commenter à haute voix.

Puis, à mesure que Sophie parle, alors que j'en suis à me demander s'il me serait, d'un point de vue physique ou moral, envisageable de coucher avec elle (comme ça, par ennui), elle s'écrie : «Mon fils! Qu'il est beau! Non mais regarde-le comme il est beau!»

Emportée par une vague d'amour maternel, Sophie pose le téléphone sur la table, joint ses mains sur sa poitrine pour contempler avec piété l'image de Franck, 34 ans, son fils. Et puis, Sophie se met à me parler du mariage du susnommé Franck avec une femme bien sous tous rapports, une «Coréenne» selon ses propres termes. Et c'est là que, contre toute attente, elle m'accable de l'importance, «dans notre société malade, de garder la Femme à la place qui lui est dévolue», c'est-à-dire, selon elle, en dessous de l'homme et si possible quelque part entre la cuisine et la chambre à coucher.

Enchaînant les cafés pour me donner une contenance, je dirige le flux de mes pensées vers ma copine, qui est féministe, et je me demande, si au nom de toutes ses idées que j'ai fait miennes, je dois intervenir. Lui dire, poliment, qu'un discours comme ça, en plus d'être mauvais pour elle, mauvais pour les autres femmes et mauvais pour leurs mecs, est objectivement garanti cent pour cent mongol.

Je voudrais aussi dire à Sophie que sortir avec une féministe, c'est d'abord horrible. Horrible, parce que ça met en lumière le vrai visage de notre société. Un monde hostile et peu jovial où chaque trajet dans l'espace public, à pied ou en transports, de jour comme de nuit, implique de se faire accoster, interpeller, insulter ou suivre. Mais c'est encore pire lorsqu'on a pris la vraie mesure du harcèlement de rue.

Alors on réalise qu'il ne relève pas uniquement d'actes de gros porcs en manque – même s'il s'agit indubitablement de gros porcs en manque –, mais qu'il s'inscrit au plus profond de nos sociétés et de nous-mêmes. Le harcèlement de rue n'est en fait que la face la plus visible de l'iceberg du sexisme structurel auquel on ne pense pas forcément, nous les hommes, parce que depuis des millénaires, on a le beau rôle. Et par beau rôle, je veux parler de cette position qui nous permet de marcher dans la rue sans craindre de se faire enfiler (littéralement j'entends : exit donc les anecdotes impliquant des pickpockets, des parties de bonneteau truquées ou autres rencontres avec des arnaqueurs de rue), de ne pas être jugé sur son physique mais sur ses capacités, de ne pas être ramené sans cesse à son genre dans des situations inappropriées, et de retrouver à la tête de chaque publicité, série ou film, un personnage principal masculin auquel s'identifier.

Ce serait mentir que de dire que je suis né progressiste. Enfin peut-être que bébé, je l'étais – une étude réalisée par une université américaine a récemment établi que les bébés étaient en effet «de belles personnes». Mais en grandissant, j'ai mangé, en tant que Français, la propagande qui voudrait que les féministes mènent les mauvais combats, qu'elles répètent (en gueulant) les mêmes choses depuis des années, qu'elles soient revanchardes, hystériques et qu'au fond, elles détestent tout simplement les hommes.

Avec le temps, j'ai mesuré la stupidité de tels arguments et compris qu'Isabelle Alonso ne représentait pas toutes les féministes, ni toutes les femmes. Mais ce n'était pas suffisant et quand j'ai rencontré ma copine, des réflexes cachés de trou du cul viriliste vivaient toujours tapis dans les recoins de mon cerveau. Par exemple, je ne supportais pas cette propension qu'elle avait à vivre pour elle-même et à ne pas se forcer pour me faire plaisir, que ce soit en cuisine, au lit, ou avec son épilateur électrique, en s'occupant mieux de ses aisselles et de son maillot. Alors je faisais la gueule ou me justifiais en développant de pseudo-théories sur le don de soi quand on est amoureux. Je disais des trucs du genre : «regarde-moi, pour te faire plaisir je fais bien des pompes et des haltères quatre fois par semaines». Ce à quoi, ma copine me répondait, invariablement, que «c'était mon problème». Qu'elle m'aimait pour ce que j'étais et par pour ce que je voulais être, et par conséquent, qu'elle attendait la même chose de moi.

Elle m'a aussi appris à respecter les femmes et à les écouter parler. À ne pas remettre en cause, par exemple, leurs histoires d'agressions, ou de frotteurs dans les transports. Parce que lorsque ma copine rentrait le soir à la maison et qu'elle racontait, les larmes aux yeux, qu'elle venait de se faire suivre dans la rue, j'avais tendance à ne pas l'écouter. Dans ces moments-là, j'étais balancé entre deux attitudes.

1. D'abord : jouer les gros bras. Je m'énervais et promettais de descendre casser des gueules. Mais pour y arriver, il aurait fallu que je sois sérieusement branché muscles et baston et que je n'ai pas peur qu'en face, le gars (dans le cas improbable où je le retrouve), n'ait pas un couteau, des potes ou un pistolet à grenaille.

2. Une fois réalisée mon incapacité à aider activement ma copine, je devenais amer. J'en venais à remettre en question, point par point, le récit de ma copine. J'allais même jusqu'à induire qu'elle était peut-être, à sa manière, responsable de son agression. Résultat : une négation totale de la parole de l'Être Aimé et des points en moins dans les compétences «amour» et «clairvoyance».

C'est aussi grâce à elle que j'ai compris que le truc que j'aime le plus au monde, l'humour, n'était lui non plus pas épargné par ces écueils. Que les insultes que je préférais, au collège ou au lycée, ne constituaient que des variations autour d'un thème unique : celui de l'homme muni de grosses couilles qui domine tout ce qui n'en a pas. Et que les discussions entre hommes virent la plupart du temps au délire érotomaniaque. Comment, sinon par ce terme, parler de ce mythe propre aux salles de sport et à leurs vestiaires, qui voudrait que la seule vision d'une bite turgescente et violacée, entourée de veines noueuses, suffise à convaincre n'importe quelle femme de se la caler dans la bouche, la chatte ou les fesses?

Je voudrais donc dire à Sophie, la productrice, que depuis que je sors avec ma copine, les blagues que sortent les mecs à mon club de sport me plongent dans une réserve triste. Notamment celles que fait ce type qui trompe sa femme avec des prostituées lors de ses déplacements en province ou de cet autre qui se vante de donner «tant de plaisir à ses maîtresses qu'elles se plaignent le lendemain de douleurs abdominales». Plusieurs fois, j'ai hésité à demander à ce mec si la cause de ces «douleurs abdominales» n'était pas à aller chercher dans la conformation de son pénis, fin et très pointu, semblable à une moitié de crayon papier. Se pourrait-il qu'à chaque rapport, il cause à ses partenaires des microperforations de leurs parois vaginales? La question mérite d'être posée.

Je voudrais aussi parler avec Sophie de toute cette subculture méconnue à laquelle m'a initié ma copine. De Judith Butler pour le moins confidentiel, à la pensée intersectionnelle, ce courant théorique qui s'intéresse à la collusion de plusieurs facteurs discriminatoires de type le sexe, la classe et le genre. À ses côtés, j'ai découvert les rivages chatoyants d'un Nouveau Continent. Citons pour leur faire la publicité qu'ils méritent : la série Broad City, les blogs de Mirion Malle, du Projet Crocodiles, de Paye Ta Schnek et de Salut Camarade Sexiste.

Le temps que je réfléchisse à tout ça, Sophie, la productrice mature et zemmourienne avait eu le temps de terminer son paquet de Vogue et de commander deux Coca Zéro. Pour mettre un terme à sa diatribe antiféministe qui, pour une raison qui continue de m'échapper, n'en finissait pas, je l'ai soudainement interrompu. Avec beaucoup de sérieux, je lui ai dit que dans les faits, sortir avec une fille féministe ne changeait rien. Strictement rien. Puis j'ai ajouté : «Si ce n'est que je suis obligé, quand je me retrouve à poil, de coincer mon sexe entre mes jambes; pour ne pas l'offenser, tu vois.»

Posant sur moi le même regard qu'on a pour un trisomique ou un eunuque, Sophie a levé sa main afin d'interpeller le serveur. Son corps tremblait de gêne et de peur. Pour me saluer, elle ne m'a pas embrassé. Du bout des doigts, elle a secoué ma main, craignant sans doute que mon manque flagrant de virilité soit aussi contagieux qu'une MST.

Je n'ai jamais travaillé pour elle, ni même eu de ses nouvelles. Elle n'avait pas compris ma blague.

Source : www.vice.com

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