14 octobre 2015

Où est le vrai?

Août 37.

Il s'enfonçait tous les jours dans la montagne et en revenait muet, les cheveux pleins d'herbes et couvert des égratignures de toute une journée. Et chaque fois c'était la même conquête sans séduction. Il fléchissait peu à peu la résistance de ce pays hostile. Il arrivait à se faire semblable à ces nuages ronds et blancs derrière l'unique sapin qui se détachait sur une crête, semblable à ces champs d’épilobes rosâtres, de sorbiers et de campanules. Il s'intégrait à ce monde aromatique et rocheux. Parvenu au lointain sommet, devant le paysage immense soudain découvert, ce n'était pas l'apaisement de l'amour qui naissait en lui, mais une sorte de pacte intérieur qu'il concluait avec cette nature étrangère, la trêve qui s'établit entre deux visages durs et farouches, l'intimité de deux adversaires et non l'abandon de deux amis. (Carnets I)

Mai 38.

Sur une même chose, on ne pense pas de même façon le matin ou le soir. Mais où est le vrai, dans la pensée de la nuit ou l'esprit de midi? Deux réponses, deux races d'hommes. (Carnets II)

~ Albert Camus (1913-1960)

Carnets I et II; mai 1936 – février 1942
Paris : Les Éditions Gallimard, 1962

Photo credit: Helen Douglas and her brother Willard are the subjects in the first of eight glass plates donated to Shorpy by the great-grandson of Edward Douglas (1857-1936), a U.S. Geological Survey employee who snapped these photos of his kids around 1895 at their home in the Washington suburb of Takoma Park, Maryland. Let's all thank Steve King for his generous and fascinating gift! (Submitted by Dave on Tue, 06/16/2015 - 9:58pm.) Via: http://www.shorpy.com/

36. SUR LE SENS DE LA VIE

La première et dernière liberté
Krishnamurti
Traduction de Carlo Suares 
Préface d’Aldous Huxley
Stock; 1954

 
(p. 287-288)

-- Nous vivons, mais nous ne savons pas pourquoi. Pour un grand nombre d’entre nous, la vie n’a aucun sens. Pouvez-vous nous dire la raison d’être et le but de nos vies?

-- Pourquoi me posez-vous cette question? Pourquoi me demandez-vous de vous dire quel est le sens et le but de la vie? Qu’est-ce que nous appelons vivre? La vie a-t-elle un sens? Un but? Vivre, n’est-ce pas son propre but et son propre sens? Pourquoi voulons-nous plus? Parce que nous sommes si mécontents de nos vies, elles sont si vides, si vulgaires, si monotones, avec l’indéfinie répétition des mêmes gestes, que nous voulons autre chose. Notre vie quotidienne est si insignifiante, assommante, intolérablement stupide, que nous disons : «il faut qu’elle ait un autre sens» et c’est pour cela que vous posez cette question. Mais l’homme qui vit dans la richesse de la vie, qui voit les choses telles qu’elles sont, se contente de ce qu’il a; il n’est pas confus : il est clair et c’est pour cela qu’il ne demande pas quel est le but de la vie. Pour lui, le fait même de vivre est le commencement et la fin. Notre difficulté est que, notre vie étant vide, nous voulons lui trouver un but et lutter pour y parvenir. Un tel but dans la vie ne peut être qu’une expression de l’intellect, sans aucune réalité. Un but poursuivi par un esprit stupide et un cœur vide, sera vide. Ainsi vous vous demandez comment enrichir vos vies (intérieurement, non pas d’argent, j’entends bien) : cela n’a pourtant rien de mystérieux. Lorsque vous dites que le but de la vie est d’être heureux, ou de trouver Dieu, ce désir de trouver Dieu n’est qu’une fuite devant la vie et votre Dieu n’est qu’une chose appartenant au connu. Vous ne pouvez vous acheminer que vers un objet que vous connaissez; si vous construisez un escalier vers ce que vous appelez Dieu, ce n’est certainement pas Dieu. La vérité est comprise en vivant, non en s’évadant de la vie. Lorsque vous cherchez un but à la vie, vous vous en évadez, vous n’êtes pas en train de la comprendre. La vie est relations, la vie est action en relation; mais lorsque je ne comprends pas mon monde de relations ou lorsque celles-ci sont confuses, je cherche un «sens» à ma vie en me demandant pourquoi elle est vide. Pourquoi sommes-nous si seuls, si frustrés? Parce que nous n’avons jamais regardé en nous-mêmes pour nous comprendre. Nous ne voulons pas nous avouer que cette vie est tout ce que nous connaissons, et que nous voudrions, par conséquent, la comprendre pleinement et complètement. Nous préférons nous fuir nous-mêmes et c’est pour cela que nous cherchons le but de la vie loin de nos relations. Si nous commençons à comprendre l’action – c’est-à-dire nos relations avec les personnes, les possessions, les croyances et les idées – nous voyons que la relation elle-même est sa propre récompense. Vous n’avez nul besoin de chercher, c’est comme chercher l’amour. Pouvez-vous le trouver en le cherchant? L’amour ne peut pas être cultivé. Vous ne le trouverez que dans le monde des relations, et c’est parce que nous n’avons pas d’amour que nous voulons un but dans la vie. Lorsque l’amour est là, qui est sa propre éternité, il n’y a pas de recherche de Dieu, parce que l’amour est Dieu. 
    C’est parce qu’elles sont si remplies de faits techniques et de superstitieuses litanies que nos vies sont vides; et c’est pour cela que nous cherchons un but en dehors de nous-mêmes. Pour trouver le but de la vie, nous devons passer par la porte de nous-mêmes; mais consciemment ou inconsciemment, nous évitons de voir les choses telles qu’elles sont et voulons, par conséquent, que Dieu nous ouvre une porte située au delà. Cette question sur le but de la vie n’est posée que par ceux qui n’aiment pas. L’amour ne peut être trouvé que dans l’action, laquelle est relation.

«L’amour ne fait pas tourner le monde mais il rend la balade inestimable.»
(Franklin P. Jones) 

Personne n’est obligé de faire quoi que ce soit de sa vie. Personne ne sera jugé sur le nombre de trophées remportés, de montagnes escaladées ou de contrats conclus.

Mais, si l’hypothèse de la survivance de l’âme est vraie, peut-être nous évaluerons  nous-mêmes sur d’autres aspects de la vie, comme le suggère Élizabeth Kübler-Ross :
   «Réjouissez-vous à l’avance de votre transition [mort, passage]. C’est la première fois que vous éprouverez l’amour inconditionnel. Tout ne sera que paix et amour; tous les cauchemars et les bouleversements vécus n’auront plus d’importance. Lorsque vous mourez, en principe, l’on vous demande deux choses : d’abord, combien d’amour avez-vous donné et reçu, et puis, dans quelle mesure avez-vous rendu service. 
   Et, vous connaîtrez les moindres conséquences de tous vos gestes, de toutes vos paroles et de toutes vos pensées. Et cela, symboliquement, c’est l’enfer car vous voyez toutes les occasions que vous avez ratées. Mais, vous verrez aussi comment un seul geste de bonté a pu toucher des centaines de vies, entièrement à votre insu. 
   Ainsi, concentrez-vous sur l’amour pendant que vous êtes ici et enseignez l’amour inconditionnel très tôt à vos enfants. N’oubliez pas de vous concentrer sur l’amour et attendez avec impatience le moment de votre mort. C’est la plus merveilleuse expérience que vous puissiez imaginer.»

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Nous nous comportons avec la terre comme si elle était notre ennemie. Nous avons essayé par tous les moyens de la soumettre à notre volonté au lieu de nous harmoniser à ses cycles. Résultat? ...! Si nous ne l’aimons pas, que faisons-nous tous ici?

«C’est notre terre, non pas la vôtre ni la mienne. Nous sommes appelés à y vivre et à nous entraider, non pas à nous détruire les uns et les autres. Ce que la société nous a proposé comme but à atteindre est l’ennemi de cet organisme vivant. Chacune de nos inventions, chacune de nos découvertes, nous pousse vers l’annihilation totale de l’espèce humaine. 
   La terre n'appartient à personne. Il s'agit d'un espace sur lequel nous avons tous à vivre pendant plusieurs années, labourant, moissonnant et détruisant. Vous êtes toujours un invité sur cette terre et vous devriez avoir la sobriété d’un invité.»

~ Krishnamurti  (1895-1986)

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