24 octobre 2015

Le réseau de complices

Aussitôt que je me réconcilie avec la race humaine, je reçois une gifle.

Les nations autochtones n’arrivent pas à sortir du cercle vicieux où nous les tenons en otage depuis des siècles. Suprématie oblige!

Femmes autochtones disparues.

Mon pays rêvé ou la Pax Kanata
Myra Cree *

Mon pays rêvé commence, à l’évidence,
au lendemain d’un ultime référendum,
une fois le «verduct rendi»
pour écrire comme l’ineffable Jean Chrétien parle.
L’autonomie nous est acquise,
nous avons notre propre Parlement,
Il y a dorénavant trois visions de ce pays.
Au Québec, on est copains comme cochons avec la
     communauté francophone
qui s’est mise à l’étude des langues autochtones.
Nos réserves, sur lesquelles nous en émettions tant,
sont devenues des colonies de vacances
et nos chefs, qui se répartissent également
entre hommes et femmes, de gentils organisateurs.
À Kanesatake, où j’habite,
y’a du bouleau et du pin pour tout le monde.
Le terrain de golf a disparu
et tous, Blancs et Peaux-Rouges (je rêve en couleurs)
peuvent, tel qu’autrefois, profiter de ce site enchanteur.
Nos jeunes ne boivent plus, ne se droguent plus,
la scolarisation a fait un bon prodigieux.
Tout va tellement bien dans nos familles
(il n’y a plus trace de violence)
que l’association Femmes autochtones du Québec
s’est recyclée en cercle littéraire.
Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir
vient d’être traduit en mohawk;
l’XY de l’identité masculine, d’Elizabeth Badinter,
devrait l’être en montagnais pour le Salon du livre
qui se tiendra à Kanawake,
et L’Amant de Duras, en inuktitut
(ça va dégivrer sec les iglous).
Il est question que Marie Laberge soit jouée en cri
et Denys Arcand s’apprête à tourner une comédie musicale,
musique de Pierre Létourneau, inspirée de la vie
     d’Ovide Mercredi,
qui a accepté de jouer son propre rôle.
Titre provisoire : Je veux t’aimer tous les jours de la semaine.
Bref, c’est beau comme l’antique,
tout le monde il est content, tout le monde il est gentil,
on est bien TRAITÉ.
Je me pince pour y croire, trop fort sans doute,
car c’est à ce moment-là que je me suis réveillée.

Avec mes meilleurs vœux,
que l’an prochain,
si nous ne sommes pas plus,
nous ne soyons pas moins.

(Terres en vues, vol. 3, no 4, 1995, p. 23)

* Myra Cree (1937-2005) est originaire de Kanesatake (Oka) où elle a demeuré toute sa vie. Sa carrière d’animatrice pour la radio de Radio-Canada lui a valu plusieurs prix et distinctions. [Cette satire] fait partie d’une série intitulée Les bouts rimés de Myra Cree, publiée dans la revue Terres en vues entre 1995 et 1996 comme une sorte d’éditorial alternatif.

Source : Littérature amérindienne du Québec, Écrits de langue française; rassemblés et présentés par Maurizio Gatti (Société d’édition Bibliothèque Québécoise, 2009)

Un reportage de Josée Dupuis et d'Emmanuel Marchand pour Enquête présente les témoignages bouleversants de nombreuses femmes autochtones, qui, pour la première fois, prennent la parole et dénoncent publiquement le mépris, les sévices sexuels, les abus de pouvoir et l’intimidation qu'elles subissent de la part de ceux qui normalement devraient les protéger : les policiers. Une enquête sur les agents de la Sûreté du Québec de Val-d'Or a été confiée au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) au lendemain de la diffusion. 
   «Ils m'ont brutalisée. J'avais 16 ans. Ils m'ont cassé le bras, ils m'ont ramassée, ils étaient huit sur moi. J'étais toute seule. Bien souvent, ils m'embarquaient, pis au lieu de m'emmener au poste de police, ils m'emmenaient dans un autre endroit. [...] On allait dans un chemin dans le bois, pis là ils me demandaient de faire une fellation. J'en ai connu six ou sept agents de la SQ qui me demandaient de faire des fellations.»
~ Bianca Moushoun, 26 ans 
   Tout ça à l’abri des regards. Priscillia Papatie et Bianca Moushoun nous ont conduits vers l'un de ces endroits à l'extérieur de la ville. Un petit chemin forestier. «C'était ici que les policiers venaient débarquer des filles», raconte Bianca, montrant le chemin devant elle. «Elles se faisaient demander des affaires et se faisaient laisser là. (...) Pis les filles marchaient tout ça pour revenir au centre-ville», poursuit Priscillia. 
   Porter plainte à la police, surmonter sa peur, c’est un défi immense pour une femme autochtone. Certaines l’ont fait. Mais ces plaintes sont restées sans réponse.

http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/special/2015/10/cindy-ruperthouse-femmes-autochtones/index.html  

En effet, quand on connaît la solidarité qui existe au sein des fraternités de policiers et de militaires, porter plainte est doublement anxiogène – peut-on faire confiance à un collègue de l’agresseur, espérer être entendu et dénoncer sans représailles? Hum. 

À l’émission Le 15-18, (ICI Radio-Canada Première)  Alexis Wawanoloath avouait qu'il n'était malheureusement pas surpris : «C'est un problème de racisme, carrément. Encore aujourd'hui, on ne comprend pas la réalité des Premières Nations. En particulier chez les policiers en région, le racisme est très présent.» Il a été député d'Abitibi-Est et a travaillé à la réserve de Lac-Simon, située près de Val-d'Or. Il connaît très bien la réalité autochtone sur le terrain. «J'avais entendu cette histoire il y a trois ans, mais les femmes à ce moment-là ne voulaient pas parler. (...) Nous faisons face à un réel problème de société. Nous ne sommes pas encore sortis de cette logique coloniale.» (1)

Le racisme est nouveau en Amérique 
Georges Sioui *
(Extraits)

«Le lendemain de leur retour, mes deux fils parlèrent en conseil de quantité de gens qu’ils avaient vus en France réduits à quémander un peu de nourriture à des compatriotes français à qui rien ne manquait, lesquels se montraient très souvent insensibles à la peine et à la misère de ces gens, qui étaient leur propre peuple. Ils parlèrent d’une autre chose tout aussi monstrueuse, dont il me fut malheureusement donné de témoigner cette même année de 1535 ... Cette expérience horrible fut d’observer que plus quelqu’un avait le teint foncé, plus il devait s’attendre à être traité durement et injustement...»

«Au milieu de la nuit, je fus éveillée par deux hommes ivres. Ils entrèrent où j’étais en vociférant. L’un d’eux, assez vieux et le regard méchant, voulut me pousser vers mon grabat. L’autre, plus jeune mais très laid, m’arracha à lui et me serra si fort que je criai... Ils voulurent m’arracher mes vêtements, mais je me sauvai. Je montai vivement une échelle et réussis à trouver un petit recoin où, tremblante de peur et de froid, je passai le reste de la nuit. (...)
   Mes deux frères capturés l’année antérieure par les mêmes hommes nous ont dit, à leur retour, que les hommes blancs sont susceptibles d’utiliser leur force et leur statut de mâles pour violenter les femmes et les déshonorer. (...) 
   Or, puisque pauvreté, teint foncé et croyances différentes vont généralement ensemble, ces femmes sont des victimes de ce que l’on nomme ‘racisme’.»

(Écrire contre le racisme : le pouvoir de l’art, Montréal, Les 400 coups, 2002, p. 20-22) 

* Né à Wendake en 1948, Georges Sioui est professeur au Département d’études anciennes et de sciences des religions et coordonnateur du programme d’études autochtones à l’Université d’Ottawa.

Source : Littérature amérindienne du Québec, Écrits de langue française; rassemblés et présentés par Maurizio Gatti (Société d’édition Bibliothèque Québécoise, 2009)

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(1) Quelle que soit l’époque, quand une nation ou un empire colonialiste s’empare d’un pays, l’envahisseur se conduit plus sauvagement que les sauvages qu’il veut «civiliser», convertir ou exterminer.

Napoléon aurait dit que «la religion servait à empêcher le pauvre de tuer le riche».

J’ai sauté au plafond la première fois que j’ai lu des passages du rapport d’enquête Hidden No Longer; Genocide in Canada, Past and Present par Kevin D. Annet, non pas tant à cause des méthodes génocidaires utilisées – ce sont toujours les mêmes horreurs! – mais parce que nous ne savions rien de ce qui se passait. 
   Qui étaient les assassins? De fervents chrétiens supposés suivre religieusement le Décalogue qui stipule entre autres : «tu ne tueras point», «tu ne déroberas point», «tu ne convoiteras point la maison de ton prochain; tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni aucune chose qui appartienne à ton prochain» – ah mais... le mot «prochain» n'incluait pas les autochtones, bien entendu, puisqu’à leur point de vue, ils avaient le statut d’animaux
   Ils ont plutôt appliqué le code du Deutéronome :
“When the Lord your God brings you into the land you are entering to possess, and drives out before you many nations, and you have defeated them, then you must destroy them totally. Make no treaty with them and show them no mercy. Do not allow any of them to live. This is what you are to do them: break down their altars, smash their sacred stones, cut down their trees and burn them in the fire. For you are a people chosen by the Lord over all others on the face of the earth.” ~ From the Old Testament of the Bible; Deuteronomy 7: 1-2, 5-6

The stories, documentation and other evidence in this book are based in part on the living testimonies of nearly three hundred survivors of thirty eight separate Indian residential or hospitals across Canada. These accounts were offered freely and unconditionally in open public forums, or in private interviews, between December 1995 and July 2010. All documents, letters, photos and other evidence were obtained from public records of the Department of Indian Affairs (the RG 10 series) held in the microfilm section of the Koerner Library, University of British Columbia, from newspaper archives, and from the public internet or private collections. 

Versions web et PDF :
http://fr.scribd.com/doc/86619003/Hidden-No-Longer-Genocide-in-Canada-Past-and-Present-by-Kevin-D-Annett-M-A-M-Div


«Cette histoire de génocide délibéré implique tous les niveaux de gouvernement au Canada, la Gendarmerie royale du Canada (GRC), chaque église dominante, les grandes entreprises, la police locale, des médecins et des juges. Le réseau de complices de cette machine à tuer était, et demeure, si vaste que sa dissimulation a nécessité une procédure complexe de camouflage conçue par les hautes sphères du pouvoir au pays. Le cover-up se poursuit, surtout que maintenant des témoins oculaires des meurtres et des atrocités commis par l'Église dans les «pensionnats» sont révélés pour la première fois : 
   On entend toujours des histoires au sujet de tous les enfants qui ont été tués à Kuper Island. L’existence du cimetière au sud de l’école, où l’on enterrait les bébés des jeunes filles violées par les prêtres, a été ignorée jusqu'à ce qu'il soit creusé par les prêtres à la fermeture de l’école en 1973. Les religieuses pratiquaient les avortements et parfois elles tuaient les mères. Il y avait beaucoup de disparitions. Ma mère, âgée de 83 ans maintenant, a vu un prêtre descendre un escalier en traînant une fille par les cheveux; la jeune fille est morte. Des filles ont été violées, tuées et enterrées sous le plancher. Nous avons demandé à la GRC de la région d'exhumer cet endroit et de rechercher les restes, mais ils ont toujours refusé jusqu’à récemment, en 1996. Le caporal Sampson nous a même menacés. Ce genre de cover-up est la norme. Les enfants ont délibérément été mis en contact avec des malades atteints de tuberculose à l'infirmerie. C'était une procédure standard. Nous avons recensé 35 meurtres sur une période de sept ans.» ~ Témoignage de Diane Harris au Tribunal IHRAAM, le 13 juin 1998 (agente en santé communautaire pour le Conseil de bande Chemainus, Vancouver) 
   Vidéo documentaire (en anglais) : http://hiddennolonger.com/

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