30 mai 2015

Un avenir sans animaux?

«Les gens de la campagne sont comme les animaux de la forêt. Ils nous observent. Mais nous ne les voyons pas.» ~ Henning Mankell (La cinquième femme)

Son dernier souhait avant de mourir : revoir ses poneys pour leur dire adieu.

L’homme sans animaux
Pierre-Jean Dessertine (1)

Source : Homo Vivens

Nous, humains, avons toujours vécu dans la proximité des animaux. Aujourd’hui nous ne faisons plus très attention aux animaux car nous sommes très occupés par les objets. Peut-être n’avons-nous même pas remarqué qu’ils étaient de moins en moins nombreux et divers autour de nous. Or les chiffres sont implacables : un terrible massacre de la faune s’accomplit près de nous par l’action humaine. Il est temps de nous arrêter sur notre relation avec les animaux…

(...)

Regardez l’homme contemporain! Regardons-nous! Regardons-nous dans nos manières d’être sur nos lieux de travail, regardons-nous dans nos attitudes dans les lieux publics. Nous ne sommes pas des êtres sympathiques! C’est-à-dire que nous ne sommes pas prioritairement accueillants aux signes de souffrance ou de joie d’autrui. Et réciproquement nous masquons nos états affectifs en sachant qu’ils sont malvenus. Si bien que chacun semble avoir développé autour de lui, dans sa vie sociale, comme une aura, non pas vraiment d’antipathie, mais de défiance a priori envers les expressions de la sympathie – une aura d’indifférence. On voit l’intérêt marchand de cette indifférence généralisée : elle inscrit l’esprit de compétition pour la valeur d’échange – qui est censé monopoliser le sens de la vie du travailleur-consommateur – dans l’intime même de la vie sociale. Être sympathique n’est-ce pas se montrer faible en cette compétition?

Or, la sympathie ne se partage pas puisqu’elle est la forme de relation spontanée qui se développe entre êtres sensibles. C’est pourquoi cette indifférence que nous développons dans notre vie sociale vaut aussi pour les animaux qui souffrent et meurent massivement autour de nous du fait des menées des intérêts marchands.

Mais vivre, n’est-ce pas investir la réalité? Qu’investir alors si nous sommes amputés de nos élans spontanés de sympathie dans notre vie sociale?

Hé bien nous investissons les objets proposés à la consommation. : «À proprement parler, les hommes de l'opulence ne sont plus tellement environnés, comme ils le furent de tout temps, par d'autres hommes que par des o b j e t s.» écrivait Jean Baudrillard en 1968 (La société de consommation). Ceci est totalement confirmé aujourd’hui. Simplement, nous voyons clairement qu’il faut compléter le diagnostic : ce n’est pas seulement «par d’autres hommes» que nous ne sommes plus environnés, mais aussi «par des animaux». Pour le dire globalement : nous ne sommes plus environnés de sympathie, et ce sont les objets que nous sommes mis en demeure de trouver sympathiques.

Ce détournement de notre vie affective sur les objets s’est véritablement généralisé, a pris une dimension systématique, avec la diffusion universelle des écrans connectés (à partir de la télévision il y a 50 ans, jusqu’aux smartphones aujourd’hui). Ce qui marche le mieux n’est-ce pas l’image, si possible animée, qui sollicite notre sympathie? Se développe ainsi une vie émotionnelle virtuelle qui semble prendre une part essentielle dans l’économie affective de la vie de chacun.

(...)


L’hécatombe vertigineuse du monde animal qui se produit aujourd’hui est rendue possible parce que s’affirme une idéologie justifiant la pure exploitation de l’environnement naturel pour les intérêts humains, alors que ce qui pourrait la contrer de manière efficace, la sympathie spontanée pour les êtres sensibles, a été séparé de la vie des gens, à la fois dans l’espace et dans le temps. La question se pose alors : pouvons-nous continuer comme cela longtemps ? Jusqu’où pouvons-nous aller dans cette sorte d’essorage de la biosphère qui finirait par ne laisser que les espèces vivantes commercialement intéressantes?

(...)

Nous sommes ainsi lancé dans une logique d’avenir sans animaux qui est tout – nous voulons dire au niveau des possibilités techniques – sauf sympathique. Ce n’est pas l’avenir que nous voulons.

Il nous faut de toute urgence sauver les animaux. Il nous faut retrouver les animaux. C’est la voie incontournable pour donner un avenir à notre humanité.

Article intégral : http://encyclopedie.homovivens.org/documents/lhomme_sans_animaux

(1) L'auteur est professeur de philosophie à Aix-en-Provence. Il a publié des articles dans diverses revues. Il a écrit plusieurs ouvrages de pédagogie de la philosophie. Il est l'auteur de «Pourquoi l'homme épuise-t-il sa planète?».
Il anime le site de philosophie : www.anti-somnambulique.org

Donnez-leur des bisous, ils ne vous repousseront pas! (Photo iStock)

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