11 février 2016

Série «fête de l’amour» – 2

Ah, les «grandes amour»! 

«Un être peut se sentir seul, malgré l’amour des autres, s’il n’est le «préféré» de personne.» ~ Anne Frank

«La faim n’est pas seulement physique. Je perçois une grande faim d’amour. Vouloir être aimé est la plus grande des faims.» ~ Mère Teresa

Voilà le hic : on ne veut pas aimer, on veut être aimé...
Il est vrai qu’on ne peut pas donner ce qu’on n’a pas en soi, alors on cherche ailleurs...

D’abord un aperçu de la manière actuelle de solliciter l’amour. 
  
L’amour au temps du numérique


Cliché extrait du documentaire

J’ose croire que le documentaire «L’amour au temps du numérique» (de Sophie Lambert) n’est pas représentatif. Ce serait déprimant. La sélection des participants (trois filles, trois gars dans la vingtaine) se limite à des spécimens hantés par le fastfood sexuel, et pour qui la «relation amoureuse» semble un jeu de loto ou de roulette russe. 
   On a troqué le durable contre le jetable, comme pour tout le reste, et plusieurs sont contraints de fouiller les recycling bins. Beaucoup d’appelé(e)s et d’élu(e)s numériques. Au menu Tinder / Facebook on choisit les candidat(e)s comme un B.M.T. chez Subway – selon les photos et les ingrédients, le format selon l’appétit. Il va sans dire que la raison, ou le simple bon sens, ne fait pas partie des garnitures en extra. Les programmes scolaires devraient inclure des cours obligatoires, non pas de morale ou de religion, mais de psychologie sociale, de savoir-vivre... 
   Comme le disait crument Guy A. Lepage : «le cul avant le cœur». En effet, on a inversé la méthode de démarchage relationnel : autrefois on tombait en amour pour avoir droit au sexe, aujourd’hui on tombe dans le sexe pour avoir droit à l’amour ...peut-être, si l’on est chanceux!

Si vous avez accès à la zone :
http://zonevideo.telequebec.tv/a-z/456/l-amour-au-temps-du-numerique

On peut honnêtement se demander si les choses ont tant changé depuis Jane Austen. Ses intrigues traitaient principalement (avec humour) de la dépendance des femmes au mariage – celui-ci étant quasi la seule façon pour elles d’obtenir un quelconque statut social et la sécurité financière (1)
   Elinor : En fait j’ai connu les pires tourments d’une relation amoureuse sans connaître aucune de ses joies. Ma souffrance a été terrible. 
   Marianne : Quelle race étrange que celle des hommes. Qu’attendent-ils de nous? Peut-être ne voient-ils pas en nous des femmes, mais des jouets?
(Raison et Sentiments, 1811)

«Des grandes amours très durables, on en trouverait dans l’histoire et dans la vie. ... Il y a des femmes qui ont aimé quarante ans un mari difficile. ... L’amour partagé, il faudrait toujours juger sur quel point il l’est et à quel degré. Par exemple, est-ce que Hugo a aimé Juliette comme Juliette a aimé Hugo? Sûrement pas. Il y a peut-être eu deux ou trois ans d’un amour qui se croyait partagé, et ensuite elle a été l’humble servante du grand homme. On a l’impression qu’elle n’a jamais eu, sauf pendant un temps très court, une place de premier rang. Et cela a dû être vrai pour beaucoup de femmes. Pour les hommes, l’amour-abnégation est moins fréquent, parce que l’homme a toujours senti qu’il y avait autre chose dans l’univers et dans la vie qu’un grand amour.»
~ Marguerite Yourcenar (Les yeux ouverts)


Photo : un «remariage» pour célébrer 88 ans de vie commune!
Elle a 103 ans, et lui 101 ans. En tout cas, le pépé a l’air joyeux.
On a envie de leur inventer une histoire.

Les grandes histoires d’amour (2) baignent fréquemment dans le sirop de maïs. Longue durée n’est pas synonyme de bonheur ni de fidélité. Le couple peut avoir été marié pendant de nombreuses années, mais ce genre de chose ne devrait pas être perçu comme un symbole d'amour et de sollicitude. Tant de choses, autres que l’amour, soudent les couples. 

Deux histoires d’amour mythiques.

Wallis Simpson et Edward VIII

C'est pendant son deuxième mariage, dit-on, en 1934, que Wallis Simpson devint la maîtresse d'Édouard, prince de Galles. Deux ans plus tard celui-ci, devenu Édouard VIII, roi d'Angleterre et empereur des Indes, lui proposa le mariage. Son intention d'épouser une Américaine deux fois divorcée, dont les deux ex-maris vivaient encore, et qui traînait une réputation d'intrigante, provoqua au Royaume-Uni et dans les dominions une crise constitutionnelle qui déboucha finalement sur l'abdication du roi en décembre 1936, laissant celui-ci libre de se marier avec celle qu'il appelait «la femme que j'aime». (Wiki) 
   Nous avions ainsi l’impression qu’il s’agissait d’une grande histoire d'amour : Edward avait sacrifié le trône d'Angleterre pour l'amour d'une femme que la monarchie ne ferait jamais reine. Toutefois, selon les recherches de l’auteur Anne Sebba (That Woman: The Life of Wallis Simpson, Duchess of Windsor) l’histoire d’amour du Duc et de la Duchesse de Windsor serait un mythe. Le futur roi, un prince dépourvu de maturité morale et émotionnelle, aurait eu le coup de foudre pour une femme si envoûtante (pas pour sa beauté s’entend) qu’elle aurait réussi à le faire abdiquer. En vérité, comme il ne voulait pas être roi, ce mariage lui offrait une échappatoire. De son côté, Wallis aimait les attentions et les bijoux d’Edward, l’argent et le mode de vie, mais par-dessus tout, elle cherchait la sécurité financière. Chacun trouva son compte.



Loin de la vie en rose si l’on se fie à cette lettre de Simpson adressée à une amie : 

Une douleur sous les côtes, sous le cœur.
La lutte entre cette douleur et le cerveau pour prendre le dessus sur l’autre.
Le cerveau essaie en permanence de rationaliser, de réparer, de sauver la situation.
Et la douleur qui plante ses griffes et qui déchire comme un oiseau de proie.

Il s’est servi de moi pour s’évader de sa prison, et me voilà enfermée dans la mienne.
Mon cœur lui-même en fait les frais.

Notre vie est une succession d’événements désagréables. Cette situation n’est pas due à un ennemi, mais à quelqu’un qui m’est très proche.

Personne ne se représente comme il peut être dur de vivre la plus grande histoire d’amour de ce siècle. Et voilà que je vais devoir rester avec lui pour toujours, pour toujours et à jamais.

Vivien Leigh et Laurence Olivier


Vivien Leigh et Laurence Olivier au temps de l’amour fou et 20 ans plus tard au moment du divorce.

Des centaines d’écrits inédits ont été rendus publiques au Musée Victoria & Albert dévoilant les échanges enflammés de Vivien Leigh et Laurence Olivier. Trois-cent lettres retracent leur relation tumultueuse qui avait commencé en 1936, alors que le couple  jouait dans le film L’Invincible Armada. Laurence (alors marié à Jill Esmund) et Vivien seront obligés de cacher leur relation pendant quatre ans. 
   Les sentiments entre les deux amants sont exprimés avec fougue. Dans une lettre non datée, qu’on estime écrite en 1938, Laurence Olivier exprime à Vivien son immense désir : «Je me suis réveillé avec une rage de désir pour toi mon amour … Oh mon Dieu, je ne veux que toi.» Dans une autre tout aussi passionnée il déclare : «Si nous nous aimions seulement avec nos corps, je suppose que ce serait suffisant. Je t’aime bien plus que cela. Toute mon âme t’appartient. Tu es dans mes pensées constamment. Je n’existais pas avant de te rencontrer.» 
   En 1939, pendant que Vivien est à Los Angeles pour le tournage d’Autant en emporte le vent et que Laurence est à New York où il joue à Broadway dans Finie la comédie, ils échangent plus d’une quarantaine de lettres. 
   En 1940, ils se marient enfin en Californie, avec comme témoins Katharine Hepburn et Garson Kanin; ils divorceront vingt ans après. Vivien Leigh souffrait de tuberculose et de trouble bipolaire; ce qui a pu créer quelques remous, on peut le supposer...

Les couples hollywoodiens ont largement contribué au mythe du grand amour dont le public se délectait. Pensons à Liz Taylor & Richard Burton, Natalie Wood & James Dean, Ingrid Bergman & Roberto Rossellini, Katharine Hepburn & Spencer Tracy, Carole Lombard & Clark Gable, et ainsi de suite. La vie de couple des stars du 21e siècle défraye toujours la une des magazines pop.

Et les vendeurs de rêves font fortune...


Cartooniste : Jim Unger

~~~

(1) Leçon d’autonomie. Les polars de la série Kinsey Millhone Mysteries, de Sue Grafton, sont remplis d’humour, parfois caustique. L’héroïne est enquêteur privé. Ses commentaires sur les stéréotypes sociaux (ça se passe en Californie), et ses descriptions détaillées des contextes sont savoureux. Kinsey apprécie hautement sa vie de célibataire après avoir été mariée/divorcée deux fois. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir des relations amoureuses. Elle n’a pas d’enfants. Ayant perdu ses parents en bas-âge elle a été élevée par une tante. Voici le genre d’éducation qu’elle a reçue : 
   Ma tante ne s’est jamais mariée, et n'a jamais eu d'enfant. Elle m’a inculquée ses principes sur la façon de modeler le caractère féminin. Elle m’a appris le tricot et le crochet pour que je développe la patience et le souci du détail. Elle a refusé de m'apprendre à cuisiner parce qu’elle estimait que c’était trop ennuyant et que ça me ferait engraisser. Jurer autour de la maison était correct, mais je devais contrôler mon langage en compagnie des gens qui pourraient s’en offenser. L'exercice physique était important. La mode ne l'était pas. La lecture était essentielle. «Deux maladies sur trois guérissent d’elles-mêmes, disait-elle, de sorte qu’on peut généralement ignorer les médecins, sauf en cas d'accident.» Cependant, elle n'avait aucune excuse pour la mauvaise dentition, même si elle considérait que les dentistes avaient conçu les machinations les plus ridicules pour la bouche de l'homme. Fraiser et remplacer toutes vos obturations par de l'or en était une. Elle avait des préceptes similaires à la douzaine, et la plupart m’ont suivie. 
   Règle Numéro Un. D'abord et avant tout, au-dessus et au-delà de tout le reste : l'indépendance financière. Une femme ne devait jamais, jamais, jamais être financièrement dépendante de qui que ce soit, surtout d’un homme, car de la minute où vous êtes dépendante, on peut abuser de vous. Les personnes financièrement dépendantes (les jeunes, les personnes âgées, les indigents) sont inévitablement maltraitées et n'ont aucun recours. Une femme devrait toujours avoir recours. Ma tante estimait que toutes les femmes devaient développer des compétences commercialisables, et que plus elles étaient payées cher, mieux c’était. Tout objectif féminin qui n'avait pas comme but ultime une autosuffisance accrue pouvait être ignoré. «Comment attraper son homme» ne figurait même pas sur sa liste. Ne vous y trompez pas, elle aimait beaucoup les (certains) hommes, mais elle n'était pas intéressée à s’en occuper en tant que femme de ménage ou infirmière. Elle n’était la mère de personne, même pas la mienne, et refusait de se comporter comme tel. (D is for Deadbeat, p.107-108; Henry Holt Edition; 1987)

(2) Le mythe du grand amour (extrait)
«Rares sont ceux et celles qui n'ont pas cru à ce mythe au moins pendant une partie de leur vie. Il peut porter plusieurs titres : l'amour absolu, l'amour romantique, l'amour passion ou le grand amour. Les différences sont secondaires : il s'agit toujours de la recherche d'un amour absolu qui resterait constant malgré le temps et les détails du quotidien. (...) 
   Les impasses du grand amour – Principalement à cause de ces trois caractéristiques fondamentales – admiration infantile, attentes magiques, fusion illusoire – , l'adoration du «grand amour» est toujours une impasse. Le temps nécessaire pour découvrir qu'il n'y a pas d'issue peut être plus ou moins long, mais la désillusion est toujours la seule conclusion possible. Il n'est pas tellement difficile de comprendre pourquoi si on se donne la peine d'examiner la relation avec un minimum de lucidité. (...) 
   Le «grand amour» est un des chemins les plus sûrs pour conduire les deux partenaires à l'insatisfaction chronique dans leurs relations intimes. Il s'appuie sur des attentes irréalistes et impose, à la relation comme aux deux partenaires, des critères auxquels personne ne peut correspondre réellement, même à court terme. Ces relations durent habituellement peu longtemps, mais les blessures qu'elles laissent ouvertes après la rupture sont difficiles à guérir. (...) 
   Quand on commence vraiment à exister dans la relation amoureuse, avec tout ce qu'on est, fidèle à ses valeurs et respectueux de ses vrais besoins, on peut devenir une personne unique et entière en contact réel avec une autre personne autonome. Autrement dit, comme dans la résolution de tous les transferts, c'est essentiellement en assumant ouvertement nos besoins et nos émotions qu'on parvient à créer un contact véritable qui nous permet de grandir. 
   Et pour y parvenir, il faut avant tout accepter notre solitude et la responsabilité fondamentale qui en fait partie, celle de voir à notre bonheur. Chaque échec d'un «grand amour» est une occasion d'ouvrir les yeux. À nous de relever le défi d'une vie amoureuse consciente où les deux personnes peuvent vivre à leur mesure.» 
   Jean Garneau, psychologue
   Article intégral : http://www.redpsy.com/infopsy/grandamour.html 

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